A la découverte du monde à 20km/h…

Voyage

Hors sujet III : des sifflements dans la jungle

Court aperçu de ce mois passé à chasser les cobras dans les forêts thaïlandaises

https://20kmh.travelmap.net/posts


Hors sujet II: La Nouvelle Zélande en chute libre

Un nouvel article sur la suite de mon périple en Océanie, et sur mon retour en Thaïlande. Tout est ici: https://20kmh.travelmap.net/posts/la-nouvelle-zelande-en-chute-libre

Bonne lecture!

William


Hors sujet: The Hitchhiker’s guide to Australia

Pas de vélo cette fois-ci, mais un petit lien vers mon autre blog où je viens de publier un article sur ma traversée en auto-stop de l’Australie. J’espère que vous apprécierez 🙂

William


Chapitre 32: Retour gagnant

Voilà,  je suis rentré! Cela fait deux semaines que je me dit que je dois écrire un dernier article pour conclure le tout, voilà enfin ce qu’on pourrait comparer à un épilogue. Entre balades en montagne, tours en vélo (!), festivals estivaux et grasse matinées ce n’etait pas simple de trouver suffisamment de temps pour écrire, vous m’excuserez du retard.

Je vous avais laissé alors que je quittais mon ami Miro qui a pris tant de plaisir à me mettre les cuisses en compote alors qu’il me restait plus de mille kilomètres à parcourir. Je quitte la maison du vieux slovène alors qu’il iodle  pour m’encourager. Hier nous avons marché 14h, et j’ai cumulé 260km les deux jours précédant, mais grâce à ses vocables encouragantes, j’arrive à lever l’ancre sur le coup de midi. Les derniers kilomètres slovènes se font avec le sourire, tranquillement.
Dans le dernier village que je traverse, je rencontre Ram, un népalais du village de Jiri qui vend des produits du Népal en Slovénie depuis sept ans. Nous sympathisons très vite et nous bavardons une bonne heure en buvant un café. Finalement en Slovénie, avec Miro et Ram, je n’aurais fait que me remémorer les bons moments passés dans l’Himalaya.

Forza Italia!

La dernière semaine de vélo passe très vite. Je m’informe du montant qu’il me reste sur mon compte bancaire: je suis dans le vert et ça tombe bien car je me suis lancé un nouveau défi. J’aime les challenges et pour cette traversée du nord de l’Italie, je me mets dans la tête de manger AU MOINS une pizza et une glace par jour. Heureusement que je finis ce périple par l’Italie, car le pays a tout les arguments culinaires pour transformer un nomade motivé en un sédentaire gourmand!
La plaine du Pô est si plate qu’elle donne le vertige. Deboulant des alpes slovènes, je contemple, penché au-dessus de mon guidon, ce vide horizontal qui m’attend. Plus une seule montée jusqu’en Suisse! Tous les jours, je traverse des vieilles villes où il fait bon s’attarder: Bassano, Vicenza, Verona. Par hasard, à Asolo, je tombe sur la fabrique des chaussures de montagne Scarpa.  Je discute un instant avec un des membre fondateur de la marque puis essaie quelques modèles.

Ma dernière nuit italienne, je la passe dans la montagne du nord de Bergamo. Je retrouve Pierre, mon ami français rencontré à l’Aconcagua. Ces retrouvailles me font chaud au coeur et j’ai le droit à un accueil formidable, un brin plus chaleureux que celui de Miro. Grâce à la femme de Pierre, véritable fan de tout ce qui s’apparente à une pizza, mon défi culinaire tient toujours. Pierre me fait visiter la vielle-ville de Bergamo, sublime, perchée sur une colline et surplombant la plaine du Po. Nous nous remèmorons notre aventure andine, nous promettant de prendre notre revanche avec l’altitude. Nous sommes bien décidé à retourner en finir avec l’Aconcagua, un jour…
Je quitte pierre et sa femme Bernadette après une demi journée de repos bien méritée avant d’entamer les 450 derniers kilomètres. Nous sommes le jeudi 2 août, mon retour est prévu pour le dimanche 5.

Back in Helvetia !

Les paysages de cette région lacustre, entre le Tessin et l’Italie, je les connais bien. Plusieurs fois je m’y suis baladé à vélo, à une époque où je concoctais déjà mes projets de tour du monde. Lors d’une escapade avec mon ami Antoine en 2009, je savais déjà que je rentrerais en Suisse par cette région lors de mon futur voyage, et j’avais gardé en tête les coins où passer et ceux à éviter. J’entre en Suisse le 2 août vers 14h. Les douaniers m’accueillent avec cet accent traînant que j’avais presque oublié. « Ce n’était pas trop lassant de ne faire que du vélo? » Me demandent ils. Si prêt de la maison, je sens déjà poindre la nostalgie de ces journées passées sur ma selle: « pas du tout  » leur répond-je.
À Lugano, je retrouve la réalité helvétique: tout est plus cher et ma glace quotidienne me revient désormais à 7 francs!

Je suis heureux d’être ici, j’aimerais m’attarder un peu plus, et pourquoi pas rentrer en Suisse par le chemin des écoliers en allant visiter les régions du pays que je ne connais pas. Mais voilà, j’avais dis à mes amis et à ma famille de m’attendre pour le dimanche 5 août, et je ne vais pas leur poser un lapin d’entrée !

Heureusement, il me reste un dernier effort, un dernier point fort avant d’arriver à Lausanne. Pour sortir du Tessin, je dois passer par le col du Nufenen. Ainsi, le vendredi 3 à 8h, je pars de Biasca situé dans la vallée à 300m d’altitude. Je sais que la journée qui m’attend est en passe de devenir l’une des plus pentue de mon voyage alors j’y vais molo. Je me dis que quoi qu’il arrive, j’aurais passé le col avant la nuit, alors je me ménage. Heures après heures, je gagne en altitude. Il y a un côté motivant à l’ascension d’un col en Europe. Contrairement au Népal où les changements liés à l’altitude, au niveau de la végétation et du paysage sont beaucoup plus long à se faire sentir, ici je constate au fil des mètres une mortification notable de la végétation. Si bien que qu’en j’arrive en haut du col, j’ai l’impression de me retrouver au sommet du Gokyo Peak.
J’atteinds le sommet du Nufenen, à 2480m, à 19h. Il m’aura fallut 11h pour parcourir ces 2’200m de denivelé étalés sur 55km. Je croise mes premiers valaisans en un an, Ceux-ci m’encouragent pour mes 240 derniers kilomètres… de descente!
Dès lors j’évolue en pays connu. Je prends les routes que je connais, je repère les torrents et les cônes de déjections étudiés en cours, je m’arrête dans les boulangeries que j’avais déjà visité lors de mes premieres aventures à deux roues. Ma dernière nuit de voyage, je la passe chez Sylvane à Martigny. Un gang d’amies valaisannes et Suisses allemandes m’attrapent au vol pour me mettre sous la douche. Autour d’une raclette si bonne que j’en pleure encore, Sylvane se lie d’amitié avec la tablette et entreprend la rédaction d’un chapitre consacré à cette soirée.

Voici ses impressions:

« En ce soir de grâce d’août 2012 William me laissa prendre la plume pour conter son arrivée dans une terre bénie des dieux, une terre unique, sauvage et authentique, une terre magnifique et habitée par un peuple presque accueillant et presque ouvert: le Valais!!!!
Après une visite chez nos cousins haut-valaisans, Fabienne, Simone et moi-meme redescendons en contrée moins hostile. Arrivées à Martigny plage, nous voyons enfin William seul, sur le quai de la gare qui nous attend! L’émotion est à son comble, William  est bien là après de longs mois d’absence et… l’odeur aussi! Arrivé chez moi, Wiwi largue ses sandales (dévoilant par la même occasion son bronzage oh combien atypique) comme on largue une bombe! Une odeur de pieds, que dis-je une PUANTEUR envahi tout le salon! La douche devient urgente et réellement nécessaire! Nous tentons de lui proposer une tondeuse, un rasoir ou une simple paire de ciseaux pour tailler un peu la foret équatoriale qui entoure sa tête, sans succės. Puis nous passons à table afin de déguster un petit repas, précèdé évidemment d’un mini-apéro puis raclette-viande sèche, petite Arvine et, pour terminer en beauté, une tarte aux abricots: nous sommes en Valais tout de même!
Puis chacune est rentré chez soi et Wiwi a pu se reposer une dernière fois avant de rentrer dans son pays, la vaudoisie.
Sur ce bonne nuit et à bientôt pour de nouvelles aventures chocolatées!!!! »

Sylvane

L’arrivée

Finalement, le jour que j’attendais et que j’aprehendais en même temps arrive: dimanche 5 août, le jour de l’arrivée. Je pédale en k-way, sous la pluie: la première fois depuis Hanoi. En arrivant vers midi sur les rives du lac Léman, le soleil décide de se montrer. Pour me souhaiter la bienvenue,  le lac s’est paré de ces plus belles nuances. Je sens que la fin approche, à chaque village dépassé j’emprunte un tronçon que je connais mieux, que j’ai déjà parcouru des tas de fois avant mon départ.

J’arrive à Montreux à 12h40. J’y retrouve, devant la statue de Freddie Mercury, un comité d’accueil d’élite. C’est au sein d’un peloton de sept personne que je je vais parcourir ces derniers kilomètres. Mon ami d’enfance Robin est venu de France, Benoit le  »vietnamien » et Daniel mon beau-père ont réenfourché leurs vélos. Ces derniers kilomètres sont magiques et chaque minutes passées me rapproche de mon terminus. Finalement, à 15h30, je retrouve les jardins de l’université que j’ai quitté il y a plus d’un an. L’excitation monte d’un cran, et cette fois-ci, je ne peux pas l’évacuer appuyant plus fort sur les pedales. En effet, une masse compacte d’amis et de parents m’oblige a arrêter mon vélo. Ça y est c’est fini, je suis rentré à la maison. En parcourant les rues de Lausanne, je pourrais croire que rien n’a changé, que je suis partit la veille, mais un détail ne trompe pas: mon chat a encore grossi!

Voilà,  l’aventure se termine donc, après 368 jours de voyage. 14’000 km en vélo, quelques autres à pieds, en bus, en stop, en bâteau et en scooter à travers 26 pays sur quatre continents. Une semaine après être rentré,  je suis remonté sur selle pour une petite semaine. Avec mon meilleur ami, nous avons mis cap sur Paris pour quelques kilomètres supplémentaires au fil des canaux. Je sens que ça ne va pas être si facile de ranger la tente à la cave et de mettre mon vélo au garage…

En écrivant ces dernieres lignes, je me rend compte que ces chiffres ne veulent pas dire grand chose, je réalise que ce tour du monde n’est qu’une introduction au Monde. Je pensais, qu’en descendant de mon vélo en Suisse, je n’aurais pas à me lancer dans de voyage aussi long à l’avenir, que j’en aurai vu suffisamment pour l’instant. C’est tellement faux! Cette année, je la vois en fait comme un survol, trop rapide et trop superficiel, de régions que je voudrais revoir, visiter et comprendre à fond et plus en profondeur. De nombreux projet et destinations se bousculent dans ma tête et à cela s’ajoute la nécessité de reprendre une vie normale dans l’avenir immédiat. Je ne sais pas quand ni où je repartirais, mais je repartirais, c’est sûr !

Suite au prochain épisode…

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Avis au fan-club de William ! Il arrive ce dimanche ! Faisons-lui la fête !!

William arrive ce dimanche à Lausanne !! Il donne  rendez-vous à tous à Montreux (statue de Mercury) à 13 heures afin de parcourir les derniers kilomètres avec lui. Arrivée officielle prévue à 15 heures à l’UNIL (Amphimax) pour partager un verre. Dès 18 heures, soirée barbecue à Epalinges à la maison. Tout le monde est invité ! Anne et Daniel (+41788357931)

ps faites circuler cette info svp


Chapitre 31: Croatia the Hard Way!

Je ne voulais rien ecrire avant mon retour, mais ces dernières  journées méritent bien d’être comptées ici. Je profite donc de cette traversée en ferry entre Rab et Krk pour mettre à jour mon site.
Revenons où nous en étions, à Tirana…

Albani-albano

Arrivé essouflé d’un sprint de dix jours pour réceptionner à temps mon ami Grégoire, je le retrouve devant l’opéra de la capitale albanaise. Lui aussi est essouflé. Afin de venir voyager avec moi à moindre frais, Greg a fait un véritable parcours du combattant pour arriver jusqu’ici. Porrentruy-Lausanne puis Lausanne-Milan en train. Vol Easy-jet de Milan à Bari au sud de l’Italie, 12 heures de bateau entre Bari et Duress. Pour finir, une heure de mini bus entre cette ville côtière albanaise et la capitale. Pour courroner le tout, Grégoire a taillé un carton sur-mesure pour faire entrer toutes ses affaires (porte-bagage inclus) dans la catégorie  »bagage à main ». Le steward, en constatant que le carton est bel est bien dans les normes lui lancera un  »you are big » admiratif. Il a raison.

C’est donc un Grégoire super motivé que je récupère devant l’opéra, après plus de 26 h de voyage. Avant de partir, il lui faut quand même un vélo. Grâce à une association de type  »lausanne-roule » locale, il se procure un VTT standard qui ira parfaitement pour la modique somme de 100€.  Nous passons une journée avec PiBin, qui lui passe le témoin et le lendemain, nous filons.

Première journée de vélo avec gregoire en territoire albanais. Je suis vraiment heureux de retrouver cet ami d’université. Ensemble on s’est bien amusé (mais on a aussi bien étudié ) pendant ces trois ans passés sur les bancs. Il y a deux ans, nous avions fait lausanne-paris en 4 jours et l’année passée le tour du lac Léman en vélo. Gregoire est athlétique et endurant. Même après un an de voyage cul sur selle j’espère être à sa hauteur! La première journée se passe à plat, sur une route ultra fréquentée. Le fait marquant de cette étape, c’est le nombre considérable de voiture suisses. Je vois les plaques de tous les cantons défiler devant moi, dont certaines que je n’avais encore jamais vu! Les mauvaise langues disent qu’il y a que des albanais en Suisse. Moi je pense qu’il y a trop de Suisse en Albanie!

Arrivé à Shkoder, à la frontiere avec le Monténégro, nous cherchons un endroit où dormir. Par hasard, nous tombons sur une jolie auberge aux allures de musée. Le propriétaire, ayant vécu en Belgique, parle bien français et se montre très accueillant. Nous avons l’autorisation de planter la tente dans le jardin et d’utiliser la douche du personnel. Puis, on nous prépare une série de mets locaux qui nous seront offerts par le jeune évêque de  la ville qui viendra boire un apéritif avec nous dans la soirée. Nous sommes vraiment heureux de commencer ainsi ce voyage. Cette très bonne soirée ne fait qu’affirmer ma volonté de mieux visiter ce pays encore isolé des grands circuits touristiques des balkans.

Monténégro, la beauté sauvage…

Une vendeuse de Kotor m’a dit  »Le Monténégro, c’est un littoral de 100km peuplé de gros riches russes en vacances et des petits villages pauvres dans les montagnes ». C’est assez juste. En tout cas pour ce qui est du littoral. En arrivant à Budva, on attérit en pleine station balnéaire, aux plages bondées de touristes slaves luisants de crème solaire et aux nanas qui se balladent dans la rue avec leurs matelas pneumatique. Les filles sont magnifiques, certes, mais le truc qui nous préoccupe dans l’immédiat c’est de trouver un endroit où dormir et où se doucher. Pas facile … on erre, crevé, dans les rues de la ville avant de finalement trouver un camping. On ne s’attarde pas plus dans cette ville peu accueillante et le lendemain, nous filons vers la Croatie en faisant un saut dans la jolie ville de Kotor.

Croatie

Dubrovnick, bien que la vieille-ville fortifiée soit magnifique, nous fait elle aussi fuir tant le nombre de touristes est impressionnant! Depuis l’Inde, je n’avais pas eu à subir un tel chahut dans les rues d’une ville. Nous continuons donc notre progression vers la ville de Split. Nous restons sur le continent un moment, la route est superbe, mais nous décidons d’éviter le trafic en allant s’aventurer sur les inombrables îles et les presqu’île du pays. En nous baladant sur les petites routes de la presqu’île de Peliesac, nous réalisons l’un des pire cauchemar du cycliste. Faisant confiance à la carte, j’engage notre duo sur une jolie route côtière, descendant abrutement de l’altitude de 250m à celle de 2.5m. Alors que nous arrivons au niveau des trois maisons pignon sur mer qui forment le hameau que nous devions traverser, nous réalisons que cette route est enfait un cul de sac et qu’il nous est impossible de pédaler plus loin (à moins de denicher un pédalo). Nous voilà donc parti pour une remontée assassine en plein cagnard. Dans ces moments là, je suis heureux de ne pas être seul. Grâce à Gregoire, ce petit coup dur passe avec bonne humeur. Seul, j’aurais suivi les conseils du marin du hameau côtier: jeter mon vélo à la mer…

Sur l’île de Korčula, nous décidons d’arrêter notre progression à 2×2 roues pour prendre le bateau qui rallie l’île à Split en une demie journée. C’est de cette ville que nous nous séparons: Grégoire s’en va retrouver les siens dans son Jura natal, pour ensuite s’envoler à Londres vivre les J.O from the inside. Il essaye de rapatrier son vélo en train jusqu’en Suisse en vain: sa monture reste à quai…
Encore un nouvel aurevoir avec un ami m’ayant aidé à avancer dans mon tour du monde. Comme pour Paris au Perou et pour Benoît au Vietnam, je m’en tire avec une boule au ventre et une nostalgie déjà présente les jours passés ensemble. Heureusement, cette fois-ci les retrouvailles auront lieu dans moins de trois semaines!

Seul à Split, je prends une dernière douche, me trouve un nouveau short pour remplacer mon beau Black Diamond plein de trous qui font craquer les vieilles dames de la vieille-ville, et me remet en selle. Je veux manger du kilomètre, pédaler comme un forcené, à l’image de ce que j’ai fait en Grèce pour me rapprocher de mes latitudes. En même temps, je sens que ça ne va pas être si facile que ça de reprendre un rythme de vie sédentaire et mes mains ont tendance à appuyer en cachette sur les freins pour pouvoir profiter un peu plus longtemps de ces instants passés sur les routes du monde.

Après une journée et demi de bonne progression, j’arrive en vue de l’île de Pag. Cette île, tout en long, est au première loge pour subir le vent qui vient de l’intérieur des terres et qui est violent toute l’année. Seul un maigre bras de mer la separe des immenses montagnes de la côte. Ces montagnes qui semblent sortir tout droit de l’Adriatique et qui servent de rampe d’accélération aux masses d’air continentale frappant alors la pauvre île de Pag de plein fouet quand j’y arrive.

Alors que le pont qui me permet de rejoindre l’île est en vue, je subis l’un des pire vent de côté de tout le voyage. Pour avancer, j’utilise carrément toute la moitié de la route. Les bourrasques me font virer de bord à tout instant, rendant la progression extrêmement dangereuse parmi les camping-cars. Avant de faire le grand pas et de prendre le pont qui me mènera sur cette ile aux allures si inhospitalières, je pose mon vélo quelques minutes et admire le paysage se dressant devant moi. Devant moi, une iîe désertique où le calcaire  ne laisse aucune prise pour une quelconque végétation,  à ma droite, des nuages débordants des montagnes, à ma gauche un ciel bleu paradisiaque, mais tout autour: une mer sombre et déchaînée. Je ne suis pas le seul à profiter du paysage: je rencontre a cette occasion un jeune couple de français passant des vacances dans leur voiture avec leur bébé. Il s’agit de Xavier, Hélène et Ambre. Nous sympathisons et nous donnons rendez-vous à Lun au bout de l’île pour prendre le bateau vers l’île de Rab si je n’arrive pas à regagner le continent via le port précédent.

Quand je me sens d’attaque, je reprends la barre de mon navire à deux roues et me lance à l’assaut du pont. En posant mes pieds sur l’île de Pag, je ne le sais pas encore, je vais au devant des deux des journées les plus dures de mon voyage.

Pag: « vous ne passerez pas! »

Il me faut d’abord atteindre la ville éponyme: Pag. 20km de rodéo où les bourasques de vent font tout pour me faire tomber de la route. Je peine, mais la beauté sauvage du paysage me permet d’avancer en gardant un bon moral.  Il est 19h30 quand j’arrive dans la petite ville et j’ai fait 100km. Il est impératif que je dorme à l’abri du vent. Je cherche donc un bâtiment en construction pour m’y faufiler et y planter ma tente, mais faute d’habitation en début de vie, c’est une cabane en fin de vie, à moitié écoulée qui fera l’affaire. Sûrement un ancien vestiaire,cette maisonnette m’offre un abris de piètre qualité: couverte de tags obscènes, ex-cabine de douches remplie d’excrements, elle laisse quand même passer le vent qui soulève des nuages de poussière dégueulasse. Je plante la tente dans le coin le plus propre et entre deux bourrasques, je passe une nuit peu reposante, chahuté par ce satané vent. Aussi, je ne me sens pas en securité. Durant la nuit, je me réveille en sursaut après avoir rêvé que d’autres squatteurs s’introduisaient à leurs tour dans le bâtiment pour me causer des ennuis.
Je suis bien heureux de voir le jour arriver. Le ciel est bleu mais le vent toujours plus fort. Je fais quinze kilometre, dont la moitié sur une piste en une heure et demie. Quand je vois les panneaux indiquant le port qui permet de regagner le continent, je tourne sur ma droite, et là, c’est le drame.
Cette bifurquation de 90° me jette à bras ouverts dans le souffle d’Éole. Vent de face à 100%, des bourrasques monumentales qui, même si j’ai les deux pieds plantés sur le bitume, me font reculer de plusieurs pas. Pas question de pédaler, même en poussant le vélo j’avance à peine. C’est dur, très dur, mais mon moral est au top niveau et accepte l’effort sans rechigner. C’est au bout d’une heure et demie, après avoir couvert que trois kilomètres et demi qu’une voiture venant du sens inverse s’arrête pour me dire qu’aucun bateau ne circule aujourd’hui… tout ça pour rien… je refais ces trois kilomètres en sens inverse en deux minutes et me repose dans une station service en considérant les options qui s’offrent à moi.
Je pense  d’abord à retourner sur mes pas pour récupérer la route du continent. Pour ce retour en arrière de plus de soixante kilomètres, il me faut repasser le pont et j’apprends que celui-ci est fermé à la circulation cause du vent! Pas de bateaux et pont fermé, me voilà donc coincé sur l’île jusqu’à nouvel ordre.

Deuxième option, me rendre à Lun, tout au nord de l’île et espérer qu’un bateau circule le lendemain pour rallier l’ile de Rab. Je me mets donc en route sur une route qui monte pas mal mais qui est sur le versant le moins exposé aux rafales. Le fait de me remettre en route me motive particulièrement et m’aide à digérer les frustrations de ce matin.
Lun, c’est aussi le village où doivent se trouver Hélène et Xavier, c’est une motivation supplémentaire pour appuyer sur mes pédales.

I believe I can fly

J’arrive à Lun en fin de journée après avoir traversé une forêt d’oliviers millénaires, tortueux, majestueux. Je me demande comment ils ont fait pour pousser sur cette île si venteuse.
Je retrouve Xavier, Hélène et Ambre qui me félicitent du chemin parcouru avec ce vent. Ils sont arrivés la veille et ont dormi dans leur voiture qu’ils ont ingenieusement aménagé pour y caser deux matelas et leur bébé. Nous allons boire ensemble une bière puis nous reunissons nos provisions au bord de la mer et commençons a cuisiner un festin à base de pâtes.
J’ai laissé mon vélo appuyé contre un arbre à côté de leur voiture qui se trouve sur une place de parc, deux mètres au dessus de la mer. Alors que je tourne le dos à mon deux roues après l’avoir délaissé d’une saccoche contenant le matériel de cuisine, un marin me hèle un truc que je ne comprends pas. Mais voilà, pas besoin d’être croate pour piger ce que son doigt pointé vers l’endroit où se trouvait mon vélo quelques instants auparavant veut dire. Mon vélo, poussé par le vent, a perdu son appuis contre l’arbre et s’est approché peu à peu du précipice pour finalement, toujours chargé de son chargement arrière, faire un vol plané et aller s’écraser sur les rochers qui sortent à peine de l’eau, deux mètres plus bas. Je réagis aussitôt. Je lâche ce que j’ai dans les mains et cours sauver ce qui peut encore l’être. Heureusement, les vagues sont petites et mon sac à dos est presque sec quand je le passe à Xavier qui vient m’aider. Ma tablette est sauvée, mais que dire du reste… J’avais laissé ouvert ma sacoche contenant les vêtements, sac de couchage et matelas: tout est trempé. Je suis aussi très pessimiste quand je sors le vélo de l’eau.
Avec son chargement et la chute qu’il vient de faire, je m’attends au pire, le cadre fendu ou quelque chose comme ça. Je suis rassuré quand je constate que la seule partie à avoir souffert est la roue arrière. Elle est complètement voilée, sa forme rappelle l’allure que prend une pâte pizza quand elle tournoie autour du doigt d’un pizzaiolo. Je ne peux pas la faire bouger d’un centimètre, elle est coincée dans le porte bagage arrière. Elle n’est pas fendue, c’est déjà ça!

Dorénavant, je suis complètement paralysé, je ne peux plus avancer sans l’aide de quelqu’un. J’ai quatre sacoches et un sac a dos que je ne peux transporter en même temps que sur mon vélo et celui-ci ne roulera plus jusqu’à ce que je trouve une personne capable de m’aider. Je ne sais pas trop quoi faire…
Après avoir rincé mes affaires à l’eau douce avec Xavier, nous retournons à nos pâtes que j’avale sans appétit. Xavier et Hélène qui ne peuvent pas prendre le bateau qui va à Rab avec leur voiture doivent  toute façon revenir en arrière et il me propose de me prendre avec eux jusqu’à une ville digne de ce nom pour réparer mon vélo. Je préfère tenter ma chance sur Rab plutôt que de faire demi-tour. Mon moral est toujours au top, mais je sens que perdre tous les kilomètres que j’ai si chèrement arraché ces derniers jours risque de me demotiver pour la suite du voyage en Croatie. Je suis néanmoins heureux qu’ Hélène et Xavier aient été là, car dans ce coup dur, ils m’ont été d’une aide précieuse.

Après une bonne nuit de sommeil à l’abri du vent, je me rend au petit port de Lun pour voir avec le capitaine du petit bâteau s’il est possible de prendre la mer ce matin. Il est 7h et les rafales, bien que moins fortes que la veille, obligent le capitaine à repousser le départ à dix heures, si le vent daigne se reposer un peu. J’apprends à l’occasion que la veille des rafales de 180km/h ont été enregistrée non loin des cotes, et que l’hiver passé, c’est un vent de 250km/h qui a battu l’île. Je comprends pourquoi je n’avançais pas…
Pendant ces trois heures d’attente, je me demande si l’île de Pag va vraiment me laisser partir, et quand je m’aprête à monter à bord du petit bateau, j’imagine Pag incarnée en Gandalf faire barrage sur le quai en criant:  »vous ne passerez pas! »

Rab, la résurrection

Finalement, le bateau part, et plus important, il arrive à bon port, à Rab. C’est là que je réalise à quel point je suis handicapé par ce vélo qui ne roule pas et tous ces bagages. Pour me libérer, je dépose toutes mes affaires dans le premier restaurant, puis porte mon vélo dans toute la ville, de mécaniciens en mécaniciens. Pour tous, le verdict est le même, il faut aller chez Balti, à 5 km d’ici! Je suis trempé de sueur, et mon dos me fait mal après avoir porté mon deux-roues devenu une-roue pendant plus d’une heure. La ville de Rab est pleine de campingcaristes. Je décide de tenter ma chance à une station service, allant de camping-car en caravane, faisant l’omonne d’une course de quelques minutes. Après avoir été remballé plusieurs fois, un tchèque de quarante ans accepte de m’aider et ensemble nous cherchons pendant une bonne demie heure l’ « Atelier Balti ».
L’atelier en question, c’est un garage encombré de motos et quelques vélos. Un jeune s’occupe de réparer un scooter: Mirko. En me voyant arriver avec mon vélo infirme, Mirko fait un  »ohoh » qui veut dire « il en a pris un sacré coup ton vélo, ça va être dur de faire quelque chose… ». Je ne suis pas rassuré.
Quand Mirko met le vélo sur le trépied, je me ronge les ongles tel un père qui voit son fils partir en salle d’opération. Chirurgien-Mirko s’en rend compte et me sort une bière bien fraîche. Ça m’aide, car ce qui va se dérouler devant mes yeux ne va pas arranger l’état de mes nerfs: Mirko touille les rayons: rien ne change, alors pour que la roue arrière retrouve une forme un peu plus ronde, il la met par terre et saute dessus. Il la coince dans un porte et donne des coups d’épaule dedans. Je me demande comment la roue fait pour ne pas se casser définitivement. Au bout de dix minutes de torture, il dit:  » it’s ok now ». Je n’en reviens pas: mon vélo revient dans le monde des valides! Mirko, vrai gentleman, me félicite pour mes 13 ‘000 km et refuse que je lui paie l’opération.

Reprenant la route, je chante à tue-tête la chanson Bike de Pink Floyd et me mets en route s’en tarder. Pas de vent, je vole! Un bateau part à 18h depuis l’autre coté de l’île pour aller sur l’île de Krk  (j’adore le nom, pas vous?), je le prends. Après cette traversée de 3h (où je commence la rédaction de ce chapitre, cf. tout en haut de la page) je pédale encore quelques heures, de nuit, simplement heureux de rouler.

Miro: le retour du Yeti

La roue arrière n’a pas totalement regagné sa forme originale et est toujours un peu ovale. Je m’arrête donc à Rijeka, dernière grande ville croate avant la Slovénie dans le magasin Giro.  C’est un ami de Mirko qui s’occupe de ma roue pendant plus de quarante minutes. C’est du travail de précision, des rayons sont changés, mais rien n’y fait, la roue restera ovale toute sa vie. Peu importe, la maison n’est plus très loin!

En entrant en Slovénie, je passe des paysages secs et méditerranéens de la Croatie à ceux montagneux et verts de la Suisse. Je subi vraiment un choc en pedalant en Slovénie, avec ces petits villages entourés de forets de sapins ou d’alpages, ces routes propres, cette conduite calme et posée et ces paysans farouches c’est comme si j’étais catapulté au Pays d’en Haut. Pour la première fois depuis longtemps, il pleut, et j’accueille ce miracle du ciel (après cinq mois à pédaler au soleil, ça ressemble bel et bien à un miracle) les bras ouverts!

J’aurais pu zapper la Slovénie en la traversant au niveau de la mer pour rejoindre Trieste en Italie. Cinquante kilomètres de Slovénie, ça me semblait trop peu. Mais surtout, ceux qui ont lus toutes mes aventures se souviendrons de Miro, ce montagnard, mi-slovène mi-yeti, rencontré au Népal. Je lui avait dit que je le visiterai quand je serai dans son pays. Un crochet de 200 km s’impose donc pour rejoindre Jesenice, non loin de la jolie ville de Bled.
Quand j’arrive chez Miro à 21h et après avoir traversé son pays en un jour et demi, je suis k.o. Miro est très heureux de me revoir. De tous les personnes qu’il rencontre durant ces voyages (il part en Asie six mois par ans), je suis le second seulement à venir le voir. Après un  »Hug » de retrouvaille, il me montre aussitot ses photos de voyage, et me récite les prix de toutes les choses qu’il a acheté lors de ces dernières vacances en Iran, au Népal, en Turquie ou en Inde. Je ne suis pas douché et mon ventre est vide (comme son frigo). Peu importe, pour Miro c’est secondaire. J’avais oublié que Miro était différent de toutes les personnes rencontrées jusqu’alors. Il fait très rustre et bête sauvage avec ces vêtements déchirés et sa barbe de trente ans, mais c’est l’une des personnes les plus touchantes et des plus amicales que j’ai rencontré durant cette année.
Il me glisse aussi, alors qu’il me montre la douche, que demain on se lèvera à trois heures du matin pour faire l’ascension de son sommet fétiche: Jalovec (2645m), qu’il a gravit 251 fois en cinquante neuf ans! Je crois qu’il blague au début, car je suis vraiment rincé de ces derniers jours vélos et mes cuisses ne demande qu’une chose du repos!
Pourtant, m’y voila bien, le lendemain, dans sa voiture à 3h30 du matin en route pour une marche de  »seulement 7-8h aller-retour  ». On la fera en 14h.
La marche est magnifique, et la moitié est du style via-ferrata sans assurage. J’aurais pris vraiment du plaisir si j’avais dormis plus de trois heures et si mes cuisses ne s’étaient pas mises à trembler dés la deuxième heure de marche. Je les sens si faible que je crains pour ma sécurité dans les descentes. D’ailleurs souvent il me dit en montrant un falaise: « I lost a friend there « . Sacré Miro,  et moi qui pensait me reposer en passant chez lui!

Je quitte Miro et la Slovénie avec des jambes si courbaturées que le seul moyen de déplacement qui ne me fasse pas mal est…le vélo! Ca tombe bien. J’entre en Italie, et j’ai vraiment envie de me donner à fond pour ces derniers kilomètres avant la Suisse !


Chapitre 30: Sprint

Ces derniers jours, tout s’est precipité, et je ne trouve presque jamais de temps pour  »faire mes devoirs », à savoir écrire un nouvel article. Voyons ce que j’arrive à faire aujourd’hui…

PiBin, in and out

je vous avais laissé alors que je m’appretais à quitter Istanbul. Le départ était fixé après la finale de l’euro, le 1er juillet. Ce ne sont pas les klaxons espagnols qui m’ont tenus éveillés jusqu’à tard dans la nuit (car inexistants dans cette partie du monde), mais la perspective de quitter le lendemain cette ville si particulière m’empêcha de laisser filer quelques précieuses secondes dans un lit à ne rien faire. Je me balade de nuit dans les rues de Taksim qui me rappellent légèrement les ruelles à flanc de Cerros de Valparaiso.
Je suis près à partir vers 11h du matin, et c’est alors que, coup de théâtre, je reçois un message de PiBin. Il vient de recevoir son visa pour l’espace Shengen et sera à Istanbul prêt à pédaler avec moi dès le lendemain. Je défais donc mes sacoches et m’accorde une journée de plus pour l’attendre. Je me réjouis de retrouver PiBin et partager avec lui les plaisirs du voyage. PiBin est bel est bien le compagnon de voyage parfait.
Nous nous retrouvons donc prêt à partir le 2 juillet, et là, la course commence. Mon ami d’université Grégoire prevoit de me rejoindre à Tirana pour pédaler avec mois une dizaine de jours. Tirana, capitale de l’Albanie, est à plus de 1’100km d’Istanbul et je dois y etre le 12 juillet, dans 9 jours. Je dois donc mettre le turbo et inciter pibin à en faire autant.
Les premiers jours avec pibin sont super, on se marre toujours autant, et la chance nous souri tous les jours. Pour une des siestes de PiBin,  nous nous allongeons sur la pelouse devant un centre de distribution de fruit secs; le patron vient voir qui sont ces hobos qui empietent sur son territoire, mais au lieu de nous mettre dehors il nous mène  à la cafète de l’entreprise, nous sert deux bols de çorba puis nous remet 850gr des meilleurs abricots secs de Malatya. Il y en a pour 15€. Ces abricots me serviront de carburants de luxe pour la semaine qui suit.
Apres une autre sieste, à l’ombre des arbres qui entourrent une petite mosquee de village, l’Imam, jeune dynamique et anglophone nous invite pour boire un çay. Je lui demande la permission d’aller jeter un oeil dans la mosquée. L’Imam nous fait une visite guidée, nous explique où et comment prient les fidèles, et surtout nous laisse monter en haut du minaret qui surplombe la mer Marmara. Avant de partir, il nous remet un beau coran et un chapelet coranique.

Sprint greco-mecédo-albanais

Malgré tout, quelque chose ne va pas lors de cette chevauché avec Pibin à travers la Thrace: on n’avance pas, ou en tout cas pas assez. Il faut faire au moins 120km pour arriver à temps à Tirana et là, nous faisons du 80km/jours au max. PiBin ne peux rouler lors des heures les plus chaudes de la journée et moi, j’enchaine crevaison sur crevaison. Mes rustines se decollent à cause de la chaleur. Alors que je n’avais crevé que trois fois jusqu’alors, je me retrouve le pneu arrière à plat cinq fois en deux jours. Je suis contraint de réparer mes chambres à air en plein soleil face à 5 chiens errants géants et affamés qui attendent que je leur jette quelques bouts de pains.
Pibin est trop lent, jusqu’alors cela ne me gênais pas, et je préférais même voyager à son rythme,  mais là je veux arriver à temps pour réceptionner Grégoire à Tirana. Je dis donc à PiBin que je compte continuer seul afin de pouvoir tout faire en vélo, tandis que lui prendra un bus de Thessaloniki en Grèce pour me rejoindre en Albanie quand Grégoire sera là. Il veut le rencontrer et nous ne voulons pas nous dire adieu maintenant.
Je passe seul la frontière turco-greque le 6 juillet, après avoir traversé la patrie d’Atatürk d’Est en Ouest, a vélo et parfois en bus. Les 1’200km de ce parcours, je les aurais fait le trois-quart du temps avec mon ami chinois à mes côtés.

C’est parti pour la Grèce! J’ai 390km à couvrir pour arriver à Thessaloniki, deuxième ville du pays. Je trace donc, retrouvant le rythme adopté en début de voyage, en Espagne. Il fait super chaud, mais cette fois je suis adapté et peux pédaler même lorsque la température fait fondre le bitume. Pour aller plus vite, je roule sur l’autoroute. Pas d’ombre, pas d’eau, pas de stations service. Rouler sur une autoroute en Grèce est synonyme de traversé du désert. Tous les 30km il y a une sortie qui rejoint une station service au centre d’un village ou je me repose et remplis mes gourdes. Je traverse de jolies villes, comme Kavala, mais je ne prends pas le temps de visiter, je dois pedaler. Je dois arriver à Tirana à temps…
Malgré ce sprint, je fais quelques jolies rencontres, comme le jour où une voiture s’est arrêtée et qu’un jeune couple un peu bizarre m’a demandé:  »do you have money? ». Prudent, je réponds par la négative. Aussitôt, la fille me tend un billet de 10€, trois bières, du pain et de l’eau. Sympa!

Après 390km en trois jours depuis la frontière, j’entre à Thessaloniki le dimanche 8juillet. Mais voilà, j’ai voulu aller vite, et du coup je souffre du derrière comme jamais. Le sel de la sueur à fait des dégâts et je sens que si je ne veux pas ranger ma selle dans la catégorie  »instruments de torture » je dois laisser le tout reposer une journée. Ainsi, je perds une journée, je dois donc prendre le bus jusqu’à la frontière macédonienne. Fichtre! J’étais super motivé pour ne pas prendre de véhicule jusqu’en Suisse … donc voilà, le 10 juillet, j’entre en Macédoine, il me reste plus de 250km de collines avant d’arriver à Tirana. Trop juste. Lorsque les montées sont trop longues, je lève le pouce tout en pedalant et monte par trois fois dans des pick up pour liquider des montées trop longues.

En Macédoine, les paysages sont magnifiques, très verts, et je regrette de ne pas m’y attarder. A partir de la ville d’Ohrid, au bord du lac du même nom, je retrouve les villes et les régions que j’avais traversé en bus avec Robin il y trois ans, ce qui offre quelques moments de nostalgie. Lors de ce voyage sac au dos, en bus et train, je prévoyais déjà entrer en Europe par ce chemin. Ça fait bizarre d’y être enfin, cela semble si lointain!
Ohrid est magnifique, et je décide de mettre en pratique ce que PiBin m’a enseigné dans l’art du camping urbain. Je repère une petite église surplombant le lac et dors ainsi face à cette immensité d’eau, entre les maisons mais à l’abri des regards.

En entrant en Albanie, je rencontre une multitude d’autres cyclistes, qui voyagent à travers les balkans. Certains prevoyent même d’aller en Asie. Ça fait plaisir de rencontrer des collègues, mais ces rencontres sont néanmoins moins chaleureuses qu’en Iran ou au Nepal…
Le 11 juillet au soir, je boucle enfin ce marathon de 9 jours entammé à Istanbul. Tout n’a pas été fait à vélo, mais bon, no choice.

Je mets une croix sur des retrouvailles avec mon ami chinois lorque je découvre les mails de PiBin (malade, bloqué à Xanthi, perdu en Grèce), mais voilà,  alors que je cuisine mes pâtes dans, la cuisine de l’auberge, coup de théâtre! Mon téléphone sonne, c’est PiBin, survolté, qui m’annonce qu’il arrive à Tirana dans la demie heure. Il a fait du stop depuis la frontière sud avec la Grèce, et a remonté toute la cote adriatique en compagnie de travailleurs albanais qui sont allé jusqu’à le déposer devant la porte de l’auberge.
PiBin est là, Grégoire arrive demain. Joie.


Chapitre 29: De retour en Europe

Derniers coups de pédales avant Gorëme. Nous entrons en Cappadoce, terre grandiose mais aussi hyper touristique.  On en a cure,  cela fait depuis l’Inde que je n’ai pas croisé d’autres occidentaux (hormis quelques cyclos par ci par là ), et pour PiBin, rencontrer une petite chinoise ne lui ferai pas de mal, depuis le temps qu’il attend ça!
Tels des chevaliers sur leurs pur-sangs, nous entrons dans la cité le regard fièr et l’allure conquerante, nous arrivons dans la rue principale bordée de restaurants au double du prix de ce qui se trouve ailleurs dans le pays. Personne ne nous regarde, pas d’applaudissements ni de  »vive PiBin et William! ». On retombe sur terre, le bain de foule ce sera pour une autre fois.
Pour célébrer notre presque millième kilomètre turc, on décide de boire un verre d’eau tiède a l’ombre d’un arbre en attendant notre contact local. Eh oui, PiBin qui est connecté en permanance à internet via son téléphone a repéré sur le twitter chinois la présence d’une compatriote, Liying, dans cette ville de Cappadoce. Certes, à Gorëme, des chinois il y en a plein, mais cette Liying a une particularité: elle étudie à Amiens et parle donc le français. La perspective de ce rendez-vous nous a bien motivé ces deux derniers jours:  »maybe she is beautifull! »

Liying

23 ans, étudiante en économie à Bordeau puis à Amiens, Liying est pourtant originaire du Yunnan, région chinoise frontalière avec le Tibet. En vadrouille deux semaines en Turquie, elle séjourne en Cappadoce en même temps que nous. Pibin est aux anges, elle est très jolie. Grâce à PiBin et Liying, mais aussi grace à Ké (homme/23 ans) et Nour (femme/42ans) présents eux aussi, je continue mon immersion. La Chine, ou tout du moins la culture chinoise, je n’aurais jamais imaginé l’approcher de cette façon, à plusieurs milliers de kilomètres de ses frontières!
Ainsi, c’est à cinq que je fais mes premiers pas dans ces vallées de Cappadoce, si uniques et magiques, qu’il est possible d’arpenter pendant des heures dans les alentours de Gorëme. Il y plusieurs centaines d’années, des volcans voisins ont crachés des litres de lave et des tonnes de cendres qui ont ensuite couvert la région. Suite à ces multiples éruptions, la lythologie s’en est trouvée grandement modifiée. Grâce à ce couple de fabuleux magiciens: Mr Time et Mrs Météo, ce qui fut feu et poussière devient roche et falaises, et ces terres qui étaient mornes et désertiques se trouvent ornées d’obélisques, de monolithes et de canines acérées forrées de toutes part par les hommes en quête d’abris originaux.
Creusées par l’homme, les Demoiselles d’Eusègnes géantes qui relèguent celles d’Arolla au rang d’enfant de coeur offrent des formidables terrains de jeux pour les Indiana Jones en herbe que nous sommes. En explorant ces dents de plusieurs dizaines de mètres, il est possible de trouver des entrées qui mènent à d’immenses salles troglodytes. Parfois, nous tombons sur d’anciennes églises où subsistent encore des fresques, parfois sur ce qui s’apparente à des habitations médiévales. En escaladant des cheminées étroites, en rampant dans de minuscules corridors, il est possible de monter très haut dans ces tours de roche. À chaque fois qu’on perçoit avec PiBin une fenêtre trahissant la présence d’une pièce à plus de vingt mètres du sol; on s’élance dans la première ouverture à notre hauteur en espérant découvrir le passage secret qui nous y mènera.
Pour décrire ces paysages si atypiques et retranscrire l’atmosphère que ceux-ci dégagent, il me faudrait un âme de poète qui me fait de défaut malheureusement. Je vous invite donc à jeter un coup d’oeil aux photos.

Durant notre vadrouille dans ces vallées  »meringuées », nous courons pour pénétrer le plus de Demoiselle d’Eusègne possible (ohoh, explicite!).
PiBin est en mode  » parade nuptiale ». Je décide de lui donner un coup de pouce en proposant au reste du groupe de rentrer au village, laissant ainsi seul PiBin et Liying sur leur caillou, a attendre plus de 3h le coucher de soleil. Ça à l’air d’avoir fonctionné, quand je le retrouve le soir, il est aux anges.

En retombant sur les routes touristiques, les prix augmentent énormément. On décide d’économiser une nuit d’auberge en allant trouver refuge dans une de ces nombreuses cavernes creusées par l’homme. Certains hôtels proposent des  »nuits troglodyte » pour des sommes importantes, pour nous c’est gratuit. Bien au frais dans notre caverne où nous avons monté nos tentes et rangé nos vélos, nous dormons plus de 9h. Les deux dernières nuits passées dans les parcs de Malatya et Kayseri n’ayant pas été de tout repos à cause de ces gardes qui ne voulaient plus de nous dans leurs pattes dès 5h du matin.
Lors de cette longue nuit, vers 5h30 du matin alors que je sors soulager ma vessie, j’assiste à un spectacle irréel. Sans lunettes et les yeux encore endormis, je ne peux pas ignorer les dizaines de montgolfières qui se gonflent et qui s’élèvent en silence. Le soleil qui se lève à peine rougit les ballons et accentue de rose les falaises aux alentours. Je reste émerveillé pendant de longues secondes, jusqu’à ce qu’un baillement à me deboiter la machoire ne me tire de ma torpeur. La seconde suivante je ronfle à nouveau dans ma tente.

Bye PiBin

C’est à Gorëme que je me retrouve à nouveau en tête à tête avec moi-même. Après le départ de Liying pour la côte Méditerranée, c’est de PiBin que je me sépare. Il doit se dépêcher de gagner Ankara pour commencer la procédure de demande de visa pour l’espace Shengen et je préfère rester une journée de plus pour aller visiter les villes sous-terraines de Derinkuyu. Après une ultime bière devant un match de foot, nous  nous donnons rendez-vous à Istanbul dans dix jours, pour mon anniversaire (le 26 juin) et le sien (le 28).
Derniere halte touristique, les villes sous-terraines sont elles aussi un must. Alors que rien ne laisse deviner leurs présences à la surface, ces villes ont parfois abrité plus de dix mille personnes. Avec ces escaliers infinis s’enfoncant dans les tréfonds, ces dedalles de galeries et ces salles gigantesques creusées dans cette roche tendre qu’est le tuf, Gimli aurait été aux anges!
Pour profiter d’avantage du réseau sous terrain que cette ville représente, je me faufille, lampe au front, dans les boyaux à moitié obstrués par les grosses rondelles de pierres servant de portes. Les cris des chimères d’Echoes, le morceau de Pink Floyd, accompagnent ma descente mais très vite je fais demi-tour et remonte à la surface: sans fils d’ariane, je ne peux pas m’enfoncer plus dans ce labyrinthe (et j’avoue que j’ai un peu les boules aussi).

Vers Ankara

Ce qui est magique avec le voyage à vélo, c’est qu’en trois coups de pédale, il est possible de s’éloigner des lieus touristiques pour retrouver l’authenticité de la région traversée. Après avoir fait le plein de rencontres avec des gens  »bien de chez nous », je m’en vais à nouveau à la rencontre des turcs, des vrais, pas ceux qui tendent un menu de restaurant en assurant que leur durum est le meilleur de la ville.
PiBin doit avoir plus de cent kilomètres d’avance sur moi, j’espère le ratrapper à Ankara, mais pour ces 300km jusqu’à la capitale, je ne mise pas sur la performance. La première journée, je la passe en partie sur une piste de graviers et sauve une tortue perdue entre les deux voies. Le soir, c’est une immense station service en construction qui me sert d’abris. Je suis invité à manger par Osman, le fils du patron de la station voisine. Il a dix-sept ans est est fièrede partager son riz/dinde avec moi. Alors que je vais me coucher, il me glisse dans la main un papier avec un mot en turc inscrit dessus: Hatira. Ça veut dire Souvenir. Promis Osman, je ne vais pas t’oublier!

La deuxième journée est plus difficile. Au programme: vent de face parfois très violent, et courses poursuites avec les Sivas Kangal, chiens de bergers turcs, aussi gros que des veaux. Ce jour là justement, tout est prétexte pour faire un pause, et alors que je me reveille d’une sieste à l’ombre d’un arbre, j’entends les cloches d’un troupeau de moutons. En moins de deux je suis sur ma selle et sprint pour échapper à trois de ces chiens-loups qui courrent déjà à mes trousses. Heureusement, au premier sifflement du bergers, ceux-ci font demi tour. Un bon dressage peu bel et bien sauver des vies ( et plus particulièrement celles de cyclos)! Cette journée n’est pas très productive en termes de kilométrage : seulement 80km. Je peux dire adieu à des retrouvailles avec PiBin avant Ankara.

La troisième journée est  passée en mode  »full power ». J’ai la pêche et les longues montées et descentes ne me gênent pas. Pour me distraire, j’écoute les émissions d’Histoire Vivante enregistrées sur mon iPod. Thème de la semaine: le Goulag et l’URSS. Alors que le soleil est assomant, je suis au frais dans les îles Solovki.
En fin de journée, je retrouve une grande route, bordée par d’innombrables stations services géantes et de nombreux restaurants. Ce soir, il y a le match allemagne-grèce. Je n’en fais pas une fixation, mais une télévision doit être facile à trouver dans le coin. Je décide donc de tenter ma chance dans quelques retaurants. Malheureusement ils ferment tous à 21h alors que le match commence à 22h. Je tente une dernière fois la chance dans un restaurant désert à l’exception de la serveuse et du cuisto qui discutent avec le boss. Le patron me reçoit avec le sourire, m’offre un çay d’entrée. Il parle un peu anglais, et quand je lui demande s’il diffuse le match ce soir, il répond par l’affirmative. Enfait, il intime l’ordre à son cuisto (qui loge dans la remise à l’arrière du restaurant) de rester à son poste jusqu’à minuit! Je passe donc la soirée en leur compagnie, et mange la meilleure brochette de viande hachée de toute ma vie qu’ils me préparent à bon prix.
Le cuisinier de 22 ans et la serveuse de 16 ans ne parlent pas anglais, mais ils sont astucieux. Nous tapons ce que nous voulons dire sur Google qui traduit en un clin d’oeil du turc à l’anglais et de l’anglais au turc.
Quand le match commence, le patron et la serveuse s’en vont et je regarde la Grece se faire demonter par les allemands. Pub pour le resto oblige, voici où vous devez aller manger lorsque vous sortirez d’Ankara par le sud: Lokum Kebap, 4 km apres Gölbasi. Franchement, c’est vraiment trop bon. Mon ventre en  gargouille encore…
Je passe la nuit dans ma tente, juste derrière le restaurant. Alors que je commence à m’endormir, j’entends des chiens fouiner dans les alentours. Pour mesurer leur degré d’agressivité, je tousse légèrement: grognements puis aboienment. Ça me met en colère! Que les chiens me courrent après durant la journée, je veux bien, mais là je suis fatigué nom de dieu! Je saisis mon bâton anti-chiens et sors de la tente en gueulant comme Gérard Jugnot dans les bronzés font du ski:  »assez! Y’en a qui aimeraient bien dormir, assez! ». Ça marche, les chiens s’éloignent. Heureusemert car ce n’est pas ma moustiquaire qui allait faire rempart en cas de charges de ces molosses.

Ankara

Cette nuit derrière le restaurant est une des rares fois où j’arrive à m’arrêter pour camper avant d’entrer dans une ville. Du coup, en ce samedi 23 juin, j’arrive dans le centre d’Ankara de bonne heure. Cette ville désignée capitale par Atatürk il y a seulement 90 ans n’offre pas beaucoup de sites d’intérêts touristiques. J’espérais y retrouver PiBin, mais celui-ci a pris de l’avance et a pris le bus pour Istanbul. Du coup, je fais les deux trois visites qui s’imposent: citadelle perchée sur un rocher et mausolée d’Atatürk, « Père-turc « , encore plus impressionnant que celui de Ho Chi Minh à Hanoï.
Pour visiter celui-ci, je cadenasse mon vélo à un lampadaire. Peu rassuré je jette de nombreux coups d’oeil en m’éloignant. Un type commence alors à tourner autour de mon deux-roues. Peu rassuré je reviens sur mes pas. Ouf, il ne s’agit d’un autre voyageur. Michel est belge et est intrigué par mon vélo. En effet, son fils revient lui aussi d’un voyage à vélo un peu particulier: Pékin-Bruxelles en…trois mois!!! Quand j’étais sur l’Aconcagua, j’avais appris la présence sur la montagne au même moment d’un type revenant tout juste d’un tel voyage. Je ne l’avais pas rencontré a ce moment là, mais il s’agit bel et bien de la même personne. J’aurais bien aimé connaître les détails d’une telle aventure…

Même si mon compagnon chinois n’est pas là, je décide d’adopter sa technique pour mon unique nuit à Ankara. Je profite du temps qu’il me reste avant le tant attendu France – Espagne pour repérer les parcs où je pourrais planter ma tente. Après avoir repéré un éventuel spot, je pars à la recherche du bar pour suivre le match. Un établissement au logo amusant et au nom évocateur attire mon regard: le Beer Station. Nafiz le patron m’accueille à bras ouverts et est impressionné par mon vélo. Il me propose aussitôt de laisser ma monture garée devant son bar et de jeter un oeil dessus le temps que j’aille me trouver de quoi manger. Quand je reviens, il me propose alors de dormir sur la terrasse une fois le match terminé. Trop beau, j’ai tout ce qu’il me faut pour passer une bonne soirée: une télévision, une choppe et un toit.
Dans le Beer Station, je suis le seul à me soucier du sort de l’équipe de France, et une fois l’affaire terminée et l’Espagne propulsée en demi finale, je ne vois plus de raison valable pour rester éveillé plus longtemps. Sur mon tabouret mes yeux se ferment et mon corps vascille. Morphée fait tout ce qu’elle peut pour me faire venir à elle. Nafiz s’en rend compte et me donne le feu vert pour que je m’installe pour la nuit. Je gonfle mon matelas que j’étend ensuite entre les tables. Les clients me jettent de drôles de regards mais ça ne m’empêche pas de sombrer dans un sommeil profond que même Lady Gaga qui s’en donne à coeur joie dans les hauts-parleurs n’arrive pas à troubler.

Le lendemain, le 24 juin, je suis sur le pied de guerre de bonne heure. Je prends mon petit déj sur cette terrasse déserte et m’aprête à partir. Je réalise alors que ma tablette tactile et mon iPod sont en train de charger dans le bar qui est fermé a clé. J’attends donc que Nafiz vienne ouvrir le bar.  Une heure d’attente, deux heures, trois heures, finalement je peux récupérer mes biens qu’à 13h. Cette demie journée de perdue contrecarre mes plans. Je veux être à Istanbul le 26 juin pour célébrer mon 24ème anniversaire en compagnie de PiBin. Couvrir les 500km qui séparent la capitale du Bosphore en trois jours c’était de toute façon une chose impossible, mais j’espérais bien m’en approcher un maximum. Je décide donc de prendre un bus directement pour Istanbul depuis Ankara pour profiter un peu plus tôt que prévu cette ville qui m’a longtemps attirée.

Istanbul

Il est tard quand j’arrive à Istanbul, et il fait nuit. Je ne sais pas par où aller, et je n’ai que le nom d’une auberge de Taksim noté dans mon carnet par Jean le Hobo à Tabriz (chapitre 27) pour savoir vers quelle partie de la ville me diriger. Suivant quelques indications hasardeuses des rares passants, je me retrouve catpulté sur l’autoroute en moins de deux. Mes deux petites lampes et mon casque me semblent  une protection bien dérisoire tant le flux et la vitesse des voitures est impressionnante. Ces dix kilomètres d’autoroute en pleine nuit sont mémorables. Cela faisait longtemps que je m’étais pas senti aussi vulnérable, et pour m’aider à pedaler à coté de ces voitures folles, mon corps produit non-stop des doses d’adrenalines impressionnantes. Pedalant à fond la caisse, je hurle et chante à tue-tete pour libérer la tension et tenter d’egaliser les décibels lâchés par les moteurs des autres véhicules. Essouflé mais en vie, je déboule dans le quartier de Taksim. Je ne passe pas inaperçu dans la rue Istiklal Caddesi, rue piétonne très animée durant la nuit. Les minetes en talons hauts et les beaux gosses aux t-shirts moulant roses me le font comprendre en un regard: ma place n’est pas ici tant que je ne suis pas passé sous une douche.

Degoulinant, j’arrive à une heure du matin à l’auberge que Jean m’a conseillé: Neverland Hostel. Sûrement le logement le moins cher d’Istanbul, 9€ la nuit dans un dortoir propre et lumineux avec eau potable, thé et café gratuit disponible à longueur de journée, ça va être dur de trouver pareil auberge en s’enfoncant en Europe…

À l’heure où j’écris cet article, je finis mon séjour d’une semaine dans cette ville à cheval entre Asie et Europe. Beaucoup de choses se sont passés et je sens que demain quand je remonterais en selle ça ne sera pas une mince affaire de remettre en route la machine. La première chose que j’ai fait en arrivant à Istanbul, c’est de retourner sur mes pas et de prendre un bateau avec mon vélo vers la rive asiatique de la ville. Je suis arrivé en Europe en bus. C’est vraiment pas la classe. En plus, il faisait nuit, je n’ai rien vu du Bosphore, ce corridor d’eau qui relie la Mer Noire à la Méditerranée. Je décide donc d’emprunter un des deux ponts qui ralie l’Europe à l’Asie, malheureusement réservé qu’ aux véhicules à moteur. Bien entendu, au péage je me fais arrêter par un policier qui me demande ce que je compte faire. quand je lui explique que je viens de Bangkok à vélo, son visage se fend d’un grand sourire et il me dépêche une voiture de police qui m’escorte sur toute la traversée du pont!

Un des pensionnaires de cette auberge me dit quelque chose. Son visage et son allure m’est familière, et c’est réciproque.  Un matin il vient vers moi et me dit  »i know you from somewhere. » On se met donc à la recherche de ce somewhere et d’un coup ça me revient! C’est l’équatorien qui faisait des bracelets dans les rues de Pokhara au Népal! Nous avions discuté plusieurs minutes: pour financer son voyage (qui dure quand même depuis plus de trois ans) il vent des bijoux qu’il fait lui même dans la rue ou dans les festivals. Pour le soutenir dans sa démarche je lui avais acheté un bracelet aux couleurs du Népal. C’est marrant de tomber sur lui dans ce cadre si différent que celui de l’Himalaya. Je parie que je le reverrais un jour quelque part!

Le 26 juin, après une journée à remplir mes obligations touristiques ( Cisternya, Mosquée Bleue, Basilica Cistern…) j’apprends que PiBin qui a du retourner régler son histoire de visa à Ankara est bloqué dans la capitale pour au moins une semaine.  »Super, je vais passer mon anniversaire seul, devant un kebab et un yahourt … » . Eh bien non! Buvant en debut de soirée une bière au goût bien amer dans la salle commune de l’auberge, je fais connaissance de deux filles qui me  sauveront d »un anniversaire solitaire et triste à mourir. Anna et Camille viennent d’arriver pour une semaine de vacances à Bysance. Grâce à elles, ce 26 juin mal engagé se transforme en une soirée bien sympathique où  je me surprend même à danser!

Au final, c’est le reste de la semaine que nous passons ensemble. Anna est allemande est a un caractère incroyable qui lui permet de bien s’entendre avec tout le monde et a un sens de l’humour compatible avec le mien. Par exemple, un de mes passe-temps favoris lorsque je remonte une avenue surpeuplée (dieu sait ce que c’est fatiguant!) consiste à séparer le plus de couples qui se tiennent la main en passant entre eux. Anna approuve aussitôt et se jette dans la mêlé d’Istiklal Caddesi avec un enthousiasme surprenant! Ont fait meme des  »breakage » en equipe.
Anna a rencontrée Camille il y deux ans lors d’un échange universitaire à Valparaiso au Chili et depuis elles sont meilleures amies.
Camille est française, et plus encore car elle est parisienne (!). Je la trouve très jolie avec ses grands yeux marrons et ses cheveux blonds/châtains, et il est difficile d’imaginer que son boulot lui fait passer toute ces journées sur un grand chantier de la capitale. Après ses études, elle est entré dans la vie professionnelle à 22ans à peine. Le choc. Je me rend compte qu’il y a quelque chose après les études et les années sabbatique. Ça me déprime…
Grace à son job, Camille m’apprend plein de choses passionnantes. Mes amis le savent, un de mes passe-temps favoris est de me faufiler, aux coeurs des nuits lausannoises, dans un quelconque immeuble en construction. J’escalade alors les grues qui s’y trouvent jusqu’à leurs point le plus haut. Au sommet de ces perchoirs  incongrus, je reste parfois de longues minutes à contempler les lumières de la ville qui s’en vont butter contre le Lac Léman. Ces minutes passées à 50m du sol, bercé par balencement que le vent occasionne, sont d’une étonnante intensité. Grâce à son travail au contact de ces machines de chantier, Camille connaît plein de choses sur leurs aspects techniques et la manière de les manipuler. Cela me passionne et me rappelle ces bon moments passés hors du temps sur ces bestioles jaunes.

Les jours qui suivent, je les passe donc le plus souvent avec Camille et Anna. Ensemble nous joueons les touristes dans Sultanahmet, allons nous baigner sur les Princes’ Islands et buvons de nombreuses bières. La seule chose qui ne va pas c’est lorsqu’il s’agit de regarder les demie finale de cet euro qui touche à sa fin. Pour le coup je me trouve de nouveaux compagnons. Lors du match Espagne – Portugal, je passe une soirée mémorable en compagnie de Tim, un marin américain qui navigue en Europe depuis sept ans. Il m’a surpris alors que je lancais de la fenêtre du dortoir des avions en papier confectionnés avec les pages de mon guide Lonely Planet qui ne m’étaient plus utiles. Avec son air sérieux et sa trentaine bien entamé, je me suis dis qu’il allait me regarder de haut et me prendre pour un idiot, eh bien non, ensemble on a passé plus d’une heure à arroser la rue de boeing miniatures. Tim a une vie trépidente. Il vient de  »demenager » par la mer un voilier de plusieurs mètres du Sud de la France à Istanbul tandis que les propriétaires faisaient le voyage en avion. Avant cela il a travaillé plusieurs saisons en Alaska en tant que pécheur de crabes. Ceux qui ont vu le reportage seront Deadliest Catch seront de quoi il s’agit ( http://www.thibernet.com/317-deadliest-catch-les-pecheurs-de-crabe-de-lalaska )

Pour mon anniversaire, je me suis offert un billet pour un festival au bord de la Mer Noire. Un groupe qui m’accompagnait depuis mon face à face avec les scorpions du Sahara s’y produisait: Gogol Bordello. Camille, pour sa dernière soirée en Turquie a consenti à m’accompagner (Anna étant rentrée ). Lors de cette soirée de festival j’ai pu mesurer à quel point Istanbul et sa region se détaché du reste de la Turquie. Ici les filles portaient des vêtements si court que ça choquait Camille, et les lesbiennes ne craignaient pas de s’afficher en public. Je n’arrive pas à m’imaginer des scènes similaires à Bingol  ou a Kayseri…

Voilà en bref les événements de ces derniers jours passés à Istanbul, il y aurai encore mille trucs à dire, mais j’en ai un peu marre d’ecrire et mon ventre me réclame son dürum du soir depuis deux heures déjà. Demain je reprends la route, pour la première fois sur le continent européen depuis le 18 août dernier, en direction de la Grèce, la Macédoine et l’Albanie où Gregoire me retrouvera pour une remontée des balkans qui s’annonce mémorable.
Bref, ici Istanbul, A vous les studios!


Chapitre 28: La Turquie, à la chinoise

C’est par la petite porte que j’entre en Turquie. Des crampes d’estomac et une migraine naissante me font office de comité d’accueil. Dans le foutoir de la douane de Sero-Esendere, je peine à trouver un officier suffisamment gradé pour tamponner mon passeport. Quand je suis enfin en règle, Hayrettin, jeune turc ayant appris l’anglais à New York me propose de prendre un van avec lui pour la ville de Van (notez la vanne), à 150 km. Je suis fatigué, hors-combat. Le simple fait de monter dans ce minibus me semble un exploit, et que dire quand il s’agit de caser le vélo entre les jambes des occupants. Je regrette un peu d’avoir jeté l’éponge tant les paysages qui défilent derrière ma vitre sont grandioses et différents de ceux d’Iran, mais quand je sens le van qui peine dans les montées, je me dis que tout ce que j’aurais fait en restant sur la route, c’est de laisser mon mal s’installer et continuer à m’affaiblir. Avec tous ces kilomètres qu’il me reste, c’est pas maintenant que je dois commencer à faiblir!

Van

Située à l’extrême Est de la Turquie, au bord d’un immense lac, cette ville de 400’000 habitants me permet de renouer avec quelques plaisir oubliés: je peux de nouveau contempler des femmes non-voilées, manger un Burger King, boire une bière. Mais mon arrivée dans cette ville poussièreuse et en partie détruite par un tremblement de terre il y a sept mois, est aussi difficile que mon arrivée en Turquie. Fraichement sorti du bus, un mal de tête qui m’empêche de penser de façon lucide et un mal de ventre qui m’oblige à marcher plié en deux, je me mets à la recherche d’un endroit pour passer la nuit. Il me faut plus de deux heures pour trouver un hôtel. Certains sont détruits, les moins chers sont complets. À chaque fois qu’on me remballe, je suis à deux doigts de craquer et de m’allonger sur le trottoir. Finalement, c’est l’hôtel Ipek qui m’ouvre ses portes, pour 15 francs la nuit. Lavé, changé et reposé, tous ces deboirs sont oubliés. Au diable les kebabs, ce soir je pars soigner mon mal de ventre au Burger King de la ville!
En me baladant dans Van, je me rends compte que je vais devoir me remettre au diapason et reapprendre les règles de savoir vivre occidentales. Je ne passe plus inaperçu quand je m’enfonce les premières phalanges de mes doigts dans le nez pour y déloger ce qui si trouve, et encore moins quand je me racle la gorge bruyamment pour faire sortir par la bouche ce qui n’a pas voulu venir avec l’index. Heureusement, j’ai une motivation particulière, les femmes kurdes sont très jolies. Un air ténébreux et un charme naturel qui diffère du style des iraniennes, trop maquillées et dieu sait comme je déteste le maquillage (et surtout quand il est tartiné comme si c’était du beurre). Cette beauté, je n’en profiterai malheureusement qu’à distance: je reste observateur.
À Van, je suis aux premières loges des manifestations qui animent le centre-ville en ce moment. En plein Kurdistan turc, la ville est le théâtre de nombreuses contestations et manifestations. D’après ce que j’ai compris, un militant kurde a été abattu par des policiers il y a quelques jours, et des regroupements populaire ont lieu tous les jours sur les marches de l’hôtel de ville. Avec ces cars blindés de l’armée, ces policiers en armures prêts à saisir leur mitraillette au premier signe d’agitation, on se croirait en plein G20. Je me prends pour un grand reporter quand je me joins à la foule avec mon appareil photo, en espérant capturer une image choc d’affrontements entre civils kurdes et policiers turcs. Heureusement, tout reste pacifique, et les policiers sont contraints de boire du thé toute la journée à cause du  »bon comportement » des manifestants. Le scoop, se sera pour la prochaine fois.

Pibin

Deux nuits de dix heures, quelques kebabs, deux burgers, une bière et un match d’ouverture de l’Euro plus tard, je monte en selle en direction du port de la ville. Personne ne sait quand le bateau qui traverse le lac d’est en ouest arrivera, ni quand il partira. Je profite du fait qu’il va  »peut-etre » arriver  »plus tard » pour aller visiter les ruines du fort de la ville perché sur une butte rocheuse, guettant en permanance l’arrivée eventuelle du navire sur ce lac vide de toute autre embarcation. Quand celui ci s’approche du petit port de la ville, je quitte mon perchoir de pierre et retourne vers le debarcadaire. Le navire est là et décharge ses wagons (!) de marchandise. La locomotive pousse les wagons jusqu’au bout du quai et ceux-ci continuent, seuls, leur route jusqu’au fond du bateau où il s’en vont butter dans un fracas de tôle et d’acier.

Il y a très peu de passagers, 4 ou 5. J’en repère tout se suite un grâce à … son vélo! Chargé de diverses sacoches: il n’y a pas de doutes possibles, c’est un autre cyclo !! Il s’appelle PiBin, il est chinois, il a 26 ans est surtout, il va aussi vers l’Europe!
Nous passons les cinq heures de traversé à faire connaissance et à plaisanter, seuls dans cette immense salle remplie de sièges pour passagers. Les trois capitaines du navire viennent aussi nous faire la causette et nous demander comment on trouve la Turquie, si ce n’est le Kurdistan. Parfois, c’est nous qui allons tenir la barre.
PiBin à un itinéraire assez étrange. Il est parti du Nord de Pekin il y a 10 mois, a pédalé à travers son pays jusqu’au point où le Kazakstan, la Mongolie et la Russie se rejoignent pour ensuite voler vers Moscou. De là, il gagne l’Europe via la Finlande et la Suède en plein hiver. Arrivé en Espagne, il retourne en arrière, au Sri Lanka pour tenter d’y décrocher un visa pour la Grande-Bretagne : ça ne marche pas. Depuis Colombo, il rejoind le Sud de l’Iran en avion. Depuis, il pédale à nouveau vers l’Europe, via la Turquie, espérant trouver une ambassade qui lui décernerai un visa britannique. En effet, PiBin doit à tout prit l’obtenir car il a des billets pour aller assister aux J.O de Londres. Pour l’instant, il totalise ainsi plus de 13’000km. Ces précédants voyages l’ont jusqu’alors toujours mené au Tibet qu’il connaît bien pour y avoir totalisé environ 7’000km. Comme il bosse pour une marque de vélo chinois, il est même légèrement rémunéré contre un peu de pub et des photos.
Nous décidons de nous risquer dans un duo sur quelques kilomètres. Cette compagnie tombe bien, en quittant l’Iran j’ai aussi quitté Jack Bauer en terminant le dernier épisode de la huitième et dernière saison de 24 enregistré sur mon iPod.  »Shut it down ».

Je mets pibin au courant concernant le championnat d’Europe de foot. Il est partant pour regarder les matchs du soir: Danemark- Hollande et Allemagne-Portugal.
Alors qu’on met le pied à terre, le café des travailleurs du port, sur le quai laisse percevoir des reflets verts depuis sa fenêtre: il y a une télévision allumée, et c’est le premier match de la soirée qui y est diffusé. Sans attendre, on s’installe pour deux heures et demie et quatre buts à une table de ce petit café, à boire çay sur çay. Entre les deux matchs, on s’octroie une pause pour aller manger un kebab dans la ville puis après le match, vers minuit, nous plantons nos tentes à coté du poste de garde du port. Avant de me coucher, je me felicite de ce 100% : j’ai suivi les quatres match de l’euro joués jusqu’à present!

C’est Turquie mon kiki!

Après avoir pris un petit déjeuner super bon avec notre ami le sécuritas, puis joué avec son pistolet qu’il nous prête le temps de faire joujou, on se lance dans nos premiers kilomètres sous le signe de l’amitié franco-chinoise. Je suis content d’entamer la traversée du pays avec ce nouveau compagnon. Avec quelqu’un, les journées passent toujours beaucoup plus vite. De plus , en faisant route commune avec un autre voyageur qui a de nombreux kilomètres dans son dos, on apprend beaucoup de chose. Avec une personne qui a sa propre expérience et qui voyage indépendamment , il n’y a pas ce petit sentiment de responsabilité. Il fait ce qu’il veut, je fais ce que je veux, et temps que nos désirs et nos objectifs restent communs, on pédale ensemble.

PiBin organise ses journées différemment et approche les gens d’une autre façon. On se lève à 7h30, et on part que bien après 9h quand les tentes sont aerées, pliées et les vélos chargés. Comme PiBin pédale sans chapeau ni lunette de soleil, il soufre de la chaleur. Quand on s’arrête dans un kebab ou une station Service pour manger vers midi, il faut vite enchainer avec une sieste pour laisser passer les heures les plus chaudes de la journée. On recommence donc à pedaler que vers les 15h, ce qui raccourci pas mal la journée. En pedalant par presque 50° C dans le Sahara et au Népal, je me suis rendu compte que pedaler dans une chaleur torride me provoque des super sensations (non!! Pas ces sensations gros cochons!). Plus il fait chaud, plus je me sens à l’aise sur la route. Chose étrange car en mode piéton, je déteste quand il fait trop chaud et préfère rester alors à rien faire, à l’ombre. Le changement de rythme que PiBin propose, je l’accepte volontiers, heureux de découvrir une autre façon d’organiser mes journées, d’une façon un peu plus relax. À l’exception du premier jour, nous ne parcourons jamais plus de 85km.

Fermier le fermier

Toujours à l’affût des bonnes affaires, PiBin dort rarement en pleine nature. Il préfère demander aux habitants d’une maison s’il peut planter sa tente dans leur jardin, espérant secrètement être invité au petit-déjeuner ou même au dîner. Après 110km de plat, le seul jour avec un relief si favorable jusqu’alors, nous décidons de demander à planter notre tente dans un village. Aussitôt ce sont une vingtaine d’enfants, tous des garçons, qui se lancent gentillement à nos trousses. Avec un cortège aussi bruyant et chahuteur, il est difficile de trouver l’asile dans une quelconque ferme, nous nous éloignions donc jusqu’à une petite maison en bordure de route. A grand renfort de mîmes, nous faisons comprendre à l’homme de famille que nous voulons dormir sur son territoire. L’homme a un regard sévère, et sa moustache (99% des kurdes en ont une) masque une bouche qui semble ne jamais sourire. Quand on voit tous les enfants qui traînent dans les parages de la maison, PiBin et moi fremissons. Parfois, les gamins sont plus intenables que les chiens!
Nous baissons vite nos gardes. Fermier, l’homme, est… fermier. Les enfants sont sages et assistent paisiblement au montage des tentes en touchant nos vélos que pour les empêcher de basculer quand le vent les pousse. Apres quelques minutes, on réalise que fermier sait bel et bien sourire , pas avec la bouche, mais avec les yeux. Il est tendre et paternel avec ses nombreux enfants. Ses enfants d’ailleurs, ce sont tous ceux de Fermier: il en a onze dont neuf garçons ! Mais où est la mère dans tout ça? Elle se cache en cuisine, en compagnie de sa fille, la cadette, qui l’aide dans toutes les tâches ménagères. Le plus âgé des fils à une vingtaine d’année mais il vit à Istanbul. Leo est le plus âgé ici présent du haut de ses dix-huit ans. Ses rudiments d’anglais combinés à ceux du père nous permettent de communiquer de manière optimale. En leur compagnie nous passons une super soirée.
Nous croyons avoir touché le gros lots quand Leo nous invite à aller voir la télé dans le salon:  »spain – italy is about to start! » Malheureusement la parabole ne capte pas la bonne chaîne, et après que PiBin se soit acharné en désespoir de cause sur la télécommande, nous regardons les programmes kurdes. Fermier doit bien avoir une quinzaine de chaînes consacrées à sa cause. Ensemble nous regardons ce clip du PKK montrant de jolies jeunes femmes habillées en traillis verts olives, mitraillette en bandoulière , qui chantonnent des chants patriotiques émouvants. Fermier en a les larmes aux yeux.
Autour du dîner léger que la femme et la fille nous servent à base de pain, concombre, tomate et yoghurt, nous parlons longtemps de la cause kurde. Il ne semble pas avoir de réelle rencoeur envers les Turcs, mais il déteste la police qui leur mène la vie dure. PiBin et moi sommes touché de tant de sympathie de la part de cet homme aux apparence si austère. On est aussi frappé par l’état de servitude dans lequel sont plongées les femmes kurdes et turques que l’on croise dans la campagne depuis l’Iran. Certes, elles n’ont pas toutes le voile, mais ici les hommes boivent du çay tandis que les femmes triment! Pour remercier cette famille, PiBin sort son appareil photo polaroid et développe trois petite photos de la famille assise sur le canapé.
Le lendemain, après un bon petit déjeuner, ressemblant comme deux goutte d’eau au dîner de la veille et une partie de foot avec les enfants, nous reprenons la route avec le sourire.

Sur la route, à deux

En voyageant longtemps, on est amené à répéter de nombreuses fois les même choses :where are you from ? What’s your name? Your profession? Pour me distraire un peu, il m’arrive de changer le discours suivant les personnes. Je me suis fait un petit jeu, le NOP: nom-origine-profession. Le but est de me créer un personnage que je présente aux gens en changeant ces trois données. Nombreux sont ceux qui ont vu défiler un Jack Bauer australien et artiste peintre ou un Yannick Parat jardinier chinois! Ce petit jeu, je le fais dans un bon esprit, et il fait souvent rire mes interlocuteurs quand ceux-ci se rendent compte de la blague. Ca tombe bien car PiBin a le même humour que moi. Lors de sa traversée de l’Iran, quand les gens lui demandent comment il s’appelait depuis le bord de la route, il répondait en criant  » Obama!!  ». En Turquie, il gardera ce surnom, et me surnommera à quelques oocasions  »Sadam »! Sadam et Obama sont sur un vélo…

À mon poignet droit, je porte un bracelet porte bonheur trouvé en Bolivie aux couleurs du pays. Quand les gens de cette partie de la turquie le voient à mon poignet, il s’exclament  »kurdistan »! Et d’un coup, les tasses de thé défilent, gratuitement. Je ne l’avais pas remarqué, mais ce bracelet rassemble les couleurs kurdes et pour les gens que je croise, il est comme une marque de respect pour leur cause. Je suis d’emblée leur  »amis ». Comme souvent, les souhaits d’independance de cette nation me touchent beaucoup. Cela me rappelle le Sahara occidental et les tibétains de Dharamsala.

En Turquie, contrairement à l’Iran, la campagne est hérissée de minaret, et comme au maroc, la voix du mollah retentit cinq fois par jours. Alors que je pédale derrière PiBin, je réalisé qu’il chante, ou plutôt chantonne en même temps que le mollah de la mosquée voisine. On dirait que c’est sa chanson préférée, et toutes les prières, rebelotte: PiBin se met à chanter. Ça me fait bien rire, surtout que lorsque les turcs lui demandent de quel religion il est, il clame haut et fort qu’il est athé !

Sur la route, nous croisons énormément de véhicules blindés de l’armée qui vont dans le sens inverse. Aux commandes des mitrailleuses sur le toit de ces engins, les militaires nous font de grand coucou. Dommage pour nos tympans, leurs klaxonnes sont surpuissants et ils s’en donnent à coeur joie pour nous encourager. Je me pose quand même des questions, où vont ils? Ils se passe quelque chose à Van ? Je pose la question à un type au bord de la route et il répond avec le sourire:  »Israël, bomb ! ». Oula, et moi qui vient à peine de quitter l’Iran! Je m’inquiète: est-ce la guerre? Pour avoir quelques infos, j’envois un sms à ma mère qui m’appelle aussitôt pour être rassuré que j’aille bien.  »Oui oui maman, tout va super bien, mais y a t-il la guerre entre Iran et Israël?? ». Les sites d’information ne disent rien. Mystère, peut être que ces dizaines de blindés allaient renforcer la frontière syrienne.

Des fois, je me demande si PiBin n’est pas fou quand parfois, il se met à pousser des cri sans raison apparente. Je le lui dit:  »PiBin, you are crazy ». Quand un peu plus tard, il m’entend hurler toutes les insultes de mon répertoire à l’intention d’une voiture m’ayant doublé d’un peu trop près, d’un coup de klaxons assourdissant droit dans mon tympan en guise d’encouragement ou du vent qui souffle trop souvent face à nous, il me dit aussi:  »William, you are also crazy! ». Décidément, le voyage, ça transforme!

Les routes turques sont terribles! Hormis cette première journée au relief si miraculeux (presque 80km de plat) tous les jours nous avons à faire  à des montées de plusieurs kilomètres. Contrairement à la plupart des pays, la Turquie n’utilise pas le système des lacets. La route est droite à l’infini, et quand une montagne se dresse sur sa trajectoire, celle-ci vient butter contre le relief et la traverse de part en part sans esquisser une courbe sur ses pentes. De plus, les perspectives sont trompeuses, on peut croire n’avoir en face à soi qu’une petite montée d’une poignée de kilomètres, mais après plus d’une heure de pédalage, le sommet semble parfois toujours aussi distant.
Nous peinons, mais heureusement les camions peinent aussi. C’est l’occasion d’initier PiBin à l’art du  »truck grabing ». Je lui exlique que lorsqu’un camion particulièrement lent arrive à sa hauteur, il faut qu’il se lance dans un sprint de malade afin d’egaliser les plus ou moins 20km/h du camion pour pouvoir se saisir une partie de la remorque sans être littéralement arraché de son guidon. Si le camion est vraiment trop rapide, ce n’est pas grave, il faut alors qu’il repère le modèle du véhicule et les prises potentielles qu’il lui sera possible d’utiliser sur un autre camion du même type. Une ou deux fois, je laisse PiBin sur place et ride un camion sur un ou deux kilomètre avant de lâcher prise pour l’attendre. Il a vite fait de comprendre les intérêts de cette techniques et, dès lors, à chaque camion un peu faiblard qui arrive, il se me met à pousser des cris:  »Oooh! This one !! ». Très vite, comme moi, il parcourera 3 à 5 kilomètres par jour à la force des bras.

Etant justement aggripé, tel une sangsue, sur un de ces monstres, je me dis qu’il va bientôt falloir que je lache si je ne veux pas avoir à attendre mon ami chinois pendant des heures. Alors que je passe à coté d’une équipe d’ouvriers qui travaillent à l’élargissement de la route, l’un d’eux m’interpelle et m’invite à les rejoindre à l’ombre d’une pelleteuse. C’est l’occasion de faire connaissance, je largue donc les ammares et m’écarte de la route pour les rejoindre. Qu’elle n’est pas ma surprise quand je découvre entre les chenilles du véhicule de chantier un grand plat de poulet aux allures de tajine. Les ouvriers sont heureux que je me sois arrêté et me serve d’emblée un Fanta. Ils ont finit de manger et me propose de prendre le relai et de finir le plat. Je n’hésite pas une seconde et le jette sur la nourriture. Quand PiBin pointe enfin son nez, je l’attends avec un verre de coca et lui montre ce qui l’attend. Là il exulte carrément et c’est fou de joie qu’il englouti le reste de ce poulet si délicieux sous les regards amusés des travailleurs. Quand nous remontons sur nos vélos, PiBin est très satisfait de la journée:  »free diner yesterday with Fermier, free breakfast and now free lunch. Very good! »

Euro 2012

Début juin, j’enviais un peu mes camarades de Lausanne. Pendant leurs révisions, ils vont sûrement pouvoir assister à de nombreux matchs de l’euro-foot. Et tandis que Fred, Aruran, Fabien et Grégoire sortiront de la bibliothèque pour aller supporter la France au Great Escape, préférant une bière à leurs livres de droit ou de médecine, je serai sous ma tente à attendre l’envoi d’un sms de mon frère pour me tenir au courant du score.
Mais non! PiBin a aussi envie de suivre ces matchs, et du coup, tous les soirs nous ‘nous arrêtons devant une habitations, une tea house ou une station service. Finalement, c’est un verre de çay à la main qu’on arrive parfois à regarder les deux matchs de la soirée. Bien sûr, pour mettre un peu de suspens, on parie des bières sur le résultat de ces matchs. Bières fictive qu’on cumule ou qu’on annule car dans cette région de Turquie il est difficile d’en trouver.

Parcs et hamam

Pour avancer, il faut souvent une carotte. L’une des carottes des plus efficace est la perspective d’une couche chaude. Nous élisons la ville de Malatya pour y faire un hamam traditionnel. Arrivant en ville après plusieurs jours d’efforts en plein soleil, nous débarquons en caleçon dans le hamam qui nous a été indiqué par les passants. On décide de s’offrir la totale: massage, savonage, recurage, des orteils aux cheveux. Frottés par le masseur avec un gant spécial, notre corps est comme ponçé, et ce sont des boulettes de peau qui se forment sous les gants du masseur, à sa grande surprise. Quand le service est terminé et qu’on est enfin vraiment propre, on sort de l’établissement lessivé. Il fait nuit, et comme la ville est grande nous décidons de dormir intra-muros, dans un des parcs. PiBin à l’habitude e faire ça et je le suis. Il négocie avec les gardiens du parc deux emplacements près de leur local. Les gardiens ont l’air un peu louche, mais ils sont heureux de nous recevoir. Ils me proposent du cay et gardent nos vélos dans un local fermé à clés. Pour nous aider à nous endormir, ils allument le spot placé juste au dessus de nos tentes et refusent de l’éteindre. Il est plus de minuit, et on est si fatigués que celui ne s’avère pas si dérangeant.
Quelle bonne nuit! Propre, en lieu sûr, avec la perspective d’une graçe matinée! Mais voilà à 5h, un des gardes, celui à l’air le plus patibulaire, secoue ma tente et crie:  »come, come, come! ». J’essaye de l’ignorer, PiBin en fait autant, mais nous sommes obligé de nous arracher de morphée pour aller voir ce que nous veut le bonhomme. En fait, il veut simplement que l’on dégage! La tête dans le cul, on remballe tout en maugreant toutes sortes de sales paroles dans nos langues respectives.

Ça tombe bien car ce jour-ci nous avions prévu le passer à faire du stop. PiBin doit se dépêcher pour arriver à Londres pour les J.O., et moi je veux être à Istambul pour mon anniversaire le 26 juin et de retour début Août à Lausanne. On décide donc de zapper les 300km de montagne entre Malatya et Kayseri et de profiter du temps gagner pour visiter la Cappadoce. Nous avons pédalé 20km quans un pick-up s’arrête enfin. On installe les vélos à l’arrière et à peine sommes nous installés sur les sièges que nous nous endormons… pour être réveillé 30minutes plus tard! Au milieu d’une monté, loin de tout, le chauffeur nous dit qu’en fait il doit faire demi tour et nous laisse sur-place, à 15km du premier coin à l’ombre sur cette route peu fréquentée. Après une heure et demi d’attente,sans avoir eu le courrage de pedaler, nous arrêtons une camionnette qui nous déposé directement à kayseri. Installés à l’arrière avec nos vélos,  nous mangeons un peu de la viande séchée que m’a ramené Daniel, nous profitons des 4 heures de route pour rattraper nos heures de sommeil.
Il est 7h30 quand nous arrivons dans la ville, et nous apprenons avec joie que le match France – Ukraine qui aurait du débuter à 7h est reporté d’une heure. En une demie heure, nous nous trouvons un kebab avec télévision et visionnons le match avec nos amis turcs qui attendent le coup de sifflet final pour fermer leur restaurant.
De nouveau, il est tard quand nous voulons trouver un lieu où dormir et l’option du parc au milieu de la ville reste la meilleure. Cette fois-ci les gardes sont plus sympathiques, et on se dit que c’est gagné, on va l’avoir cette grasse-matinée! Et bien non! Le lendemain, 5h, le garde nous réveille tout sourire en nous ordonnant de partir. De sacré mauvaise humeur, je remballe  ma tente et pose mon matelas et mon sac de couchage sur une table de pique nique où je finis ma nuit. On aura compris la leçon, les parcs turcs, c’est pas fait pour dormir!

Le lendemain, après presque 700km en Turquie en compagnie de PiBin, nous arrivons à Gorëme, au coeur de la Cappadoce. Villes souterraines, vallées rosées taillées comme des meringues et Demoiselles d’Euseigne monumentale, voilà ce qui vous attend dans le chapitre 29…


Chapitre 27: L’Iran, l’Axe du Bien?

 »Mais t’es fou! L’Iran c’est plein de terroristes!
Mais pourquoi tu vas la-bas, les filles, y’en a pas!
Mais n’y va pas maintenant, Israël va les faire tous sauter d’un moment à l’autre! ».

…ou….

Femmes sur-maquillées, talons hauts, foulards multicolores posés à l’arrière du crâne,  couples de jeunes amoureux qui se tiennent la main dans la rue, boutiques de sacs à main, de jeans moulants et de parfums. Et aussi, tous ces nez cachés d’un sparadra indiquant, quand ce n’est pas du bluff, qu’un chirurgien esthétique est passé par là.

Que faut-il croire? Faut-il renoncer à se rendre dans un pays comme l’Iran à cause d’informations généralisant les actions d’un gouvernement ou de quelques individus à l’ensemble d’un pays?
Ces premiers commentaires, prononcés par des personnes qui fondent leur jugement sur quelques images vues à la télé m’agacent profondément. Cela m’agace encore plus quand je sais via mes rencontres avec des cyclos du monde entier que les iraniens sont les pros de l’accueil et de la bienveillance. L’Occident, notamment via les médias, fait tout ce qu’il peut pour faire passer l’Iran pour le Grand Satan, accentuant le clivage entre les pays musulmans et occidentaux. D’accord, il y a le spectre de l’Ayatollah Khomeini et les déclarations ultra-provocatrices du président Ahmdinedjad. Mais, un gouvernement, surtout quand il est constitué de fanatiques, est-il vraiment le reflet des nations qui le constituent?

Trois invitations en trois heures

En arrivant à Téhéran, je tente tant bien que mal de libérer mon esprit de tous ces prejugés. Je me  »créé une objectivité ». Barbus fanatiques et femmes en burqa ou patriarches souriant m’invitant à boire le thé: on verra bien qui m’attendra à l’aéroport. Quand je débarque, ce n’est pas comme au Népal, où je sautait de joie à l’idée de faire tamponner mon passeport. Là, je suis sur mes gardes. Encore une fois, les avertissements que j’ai entendu à droite et à gauche me reviennent à l’esprit:  » surtout, prends le moins de photos possible, et essaye d’avoir l’air local, sinon on va te prendre pour un espion ». Pas de bol, tout le monde voit tout de suite que je suis un touriste, et malgré le pantalon enfilé à la hâte dans les toilettes pour faire  »comme tout le monde », de nombreuses personnes me demandent  »where are you from? ». Pour l’Iran, j’opte pour la réponse:  »I am from Switzerland ». Ça changera un peu de ma rengaine habituelle.

Il est 11h du matin quand je commence à monter mon vélo à coté des tapis roulants crachant les derniers bagages. En deux minutes, le personnel de l’aéroport ainsi qu’un douanier viennent me saluer et me regarder monter mon vélo. Ces spectateurs ne sont pas comme en Inde, muets et inactifs. Ceux-ci me posent des questions, tentent de se faire comprendre malgré la barrière linguistique et leur présence n’est pas étouffante. Parfois aussi, ils mettent la main sur le vélo qui vacille sur sa bequille quand je visse mes écrous avec un peu trop de vigueur.
Une femme d’une trentaine d’année parlant bien anglais fait la traduction pour ses compatriotes. Nous sympathisons et quand son mari arrive, il me propose de me déposer à Téhéran. J’accepte avec joie car l’aéroport se trouve à une bonne cinquantaine de kilomètre du centre-ville, et je suis attendu pour le déjeuner dans la capitale.

Musulmans pratiquants, Maryam et Jamal, ainsi que leur fils de cinq ans Mohamed, vivent à Téhéran, mais ont vécu quelques années au Canada précédemment. Jamal est professeur d’université et le couple parle parfaitement anglais. Le vélo accroché sur le toit de la voiture, nous roulons vers la capitale. Grâce à eux je peux prendre la température. Ils ont un franc parlé qui me surprend, surtout quand ils disent que le gouvernement est fou à lier. Ils ont été témoins aux premières loges des manifestations de 2009 contre le gouvernement  animées principalement par des etudiants. Jamal me confie que trois ans après ces émeutes, plusieurs de ses élevés manquent encore à l’appel…

Quand nous arrivons dans le centre, ils me proposent de loger chez eux, mais je suis déjà attendu. Maryiam me gâte de tous les biscuits et sucreries présents dans la voiture, et Jamal me donne son numéro de téléphone pour le contacter en cas de soucis. À peine débarqué, les sacoches toujours giseantes sur le trottoir, un jeune homme s’avance, et me propose lui aussi son toit pour la durée de mon séjour à Téhéran.

Je suis attendu chez Madame Kazemi. Cette femme, je ne la connais pas, mais elle m’a gentillement proposé de m’heberger . Enfait, c’est grâce à mon petit cousin Oscar que j’ai quelqu’un qui m’attend à Téhéran. Pour faire simple, Madame Kazemi est la mère de la mère d’un camarade de classe d’Oscar qui, lui, vit au Havre. C’est donc cette première invitation que je vais honorer.

En cherchant la rue, puis l’immeuble, je constate une chose: les iraniens ne sont pas des as de l’orientation, ou tout du moins, il y a des lacunes quand il s’agit de donner une direction. Par la suite je constaterais que leur appréciation des distance est une des pire que j’ai rencontré dans ce voyage. Les sénégalais et les mauritaniens les battent à plates coutures dans ce domaine!

Il est déjà plus de 15h quand j’arrive chez Mme Kazemi, et je n’ai qu’une chose à faire: mettre mes pieds sous la table! Nous faisons connaissance autour des premiers mets iraniens que je déguste. Mme Kazemi a vécu de nombreuses années en France. Anesthésiste à la retraite, elle vit actuellement entre Paris et Téhéran. Avec son caractère et son goût pour l’art et la peinture, elle me rappelle ma grand-mère paternelle. Ainsi, grâce à Mme Kazemi, j’arrive en Iran en étant accueilli comme-ci j’arrivais chez moi!

Mes trois jours dans la capitale, je les passe à me mettre au diapason. Ce n’est pas très difficile. Comme je suis quasiment l’unique touriste du pays (je n’en rencontrerai que quatre en deux semaines), je suis sujet de toutes les attentions. On me renseigne, on m’aide à prendre le métro…etc.Je fais aussi la connaissance avec les Bazaars. Dans celui de Téhéran, ont peu s’y balader des heures sans passer au même endroit. Pas facile de chercher une boutique en particulier.

Une fois en phase avec le rythme de vie iranien (et avec les règles de circulation), je suis prêt à réceptionner le premier touriste rencontré en Perse:

Daniel

Daniel… ce fou, ce fada, cet irresponsable qui me laisse aller en Iran alors que c’est si dangereux. Pis encore, il laisse sa famille et son boulot pour venir prendre le risque insensé de pédaler avec moi pendant une semaine. J’ai presque envie de lui remonter les bretelles à la sortie de l’avion, mais non, je suis content de retrouver mon beau-père et les paquets plein de chocolat, de gruyère et de roestis agissent en sa faveur.

Nous sommes fatigués tous les deux, mais super motivés. Lui, il a volé toute la nuit, ne dormant que deux heures. Pour ma part, j’ai quitté Téhéran la veille en fin d’apres-midi pour partir à la recherche de l’aéroport international distant de plus de 50km du centre-ville. Quasiment aucun panneau n’indiquait la direction à prendre, j’ai donc fait des allers et retours incessant sur les divers autoroutes sortant de la capitale. Quand finalement je trouve la bonne route, la nuit tombe, et sans phares opérationnels, je suis obligé de planter ma tente non loin du trafic. À 3h20, je remballe le tout pour être sur place quand Daniel arrive.

Pas de bol cette journée s’averera être l’une des plus dure de mon voyage. On s’échange les dernières nouvelles, moi celles de la route, lui celles de la maison qui sont toutes aussi excitantes! Quand tout est monté et qu’on se send d’attaque, on met la machine en marche. Il est est 9h, et on met le cap à l’ouest, en plein vent de face… ce vent, si violent qu’à plein régime, nous dépassons difficilement les 11km/h. Baptême du feu donc pour Daniel qui se retrouve aussitôt face au pire ennemi du cycliste, véritable fléau qui en plus de nous crever physiquement porte un coup au moral. Pour en rajouter une couche, nous avons opté de contourner Téhéran en prenant plein de petite routes qui s’avèrent difficile à trouver. Ne pas savoir si on va dans la bonne direction avec ce vent de face rend cette journée extrêmement pénible moralement. Heureusement, on est heureux de rouler ensemble et en ce motivant mutuellement nous arrivons à avancer.

À mon départ, il y a presque 11 mois, une dizaine de copains m’avaient accompagnés jusqu’au premier campement. Nous avions bivouaqué près de Genève, puis mes amis sont rentrés en train. Daniel etait là, et il a continué a pedaler avec moi jusqu’au sud de Lyon. L’expérience avait été concluante et avait, au passage, réveillé l’âme d’aventurier de Daniel. 11 mois après, nous sommes bien heureux de renouveler l’expérience une nouvelle fois, dans un cadre bien plus exotique que le long du Rhône.

La carotte pour nous faire avancer durant cette journée difficile, ce sont nos pauses-kebabs. Ici, ce qu’on appelle un kebab, c’est une brochette de viande hachée,  de boeuf, d’agneau ou de poulet, que l’on sert avec une grosse portion de riz (avec du beurre) et accompagné d’une tomate grillé.  C’est bon, et j’en mangerai au moins une par jour jusqu’en turquie

Finalement, en fin de journée, nous parvenons à notre objectif, Karaj, et trouvons un hôtel bien mérité. Le lendemain, rebelotte, vent de face, mais avec cette fois-ci un trafic plus intense. Heureusement c’est plat et on sait où on va. En fin de journée, éloignés de plus de 50km de notre objectif, nous décidons de faire signe à un pick-up de s’arrêter et de nous prendre jusqu’à Quazvin. Daniel est là pour 5 jours seulement, et on ne va pas les passer sur des voies rapides dans des paysages plats et quelconques. De plus, ce coup de pousse de 50km nous permet de visiter cette ville, ancienne capitale, et de s’étonner encore et toujours devant toutes ces jeunes femmes qui donnent tord à toutes les idées que nous nous faisions de la femme musulmane. Bon, tout reste relatif, et ce sont les jeunes femmes qui se mettent extraordinairement en valeur malgré leurs contraintes vestimentaires. Souvent celles ci se baladent avec leurs mères, cachées sous un chador étouffant et glauque. Les plus de cinquante ans semblent bien plus ancrées dans les traditions que la nouvelle génération. Les jeunes avec qui nous discutons, et ils sont nombreux tant le pays est jeune, nous affirment tous que le gouvernement est fou, et qu’ils aiment les États-Unis. Notre ami Payam nous dira  »Islam is a very beautiful religion, they just destroy it… »

Au troisième jour de vélo avec Daniel, et après une nouvelle matinée harassante, nous découvrons avec joie que la route qui semblait s’en aller buter contre une chaîne de montagne, se joue d’elle en longeant une rivière qui la traverse de part en part pour aller se jeter dans la Mer Caspienne. Ainsi, ce n’est pas un col qui nous attend, mais une descente magique de 40km dans des paysages splendides. Le soir, nous allons serrer la pince à cette rivière en allant planter notre tente à quelques mètres d’elle.

Le lendemain, dernière étape avant l’arrivée à la Caspienne, nous prenons notre petit déj dans un restaurant de Manjil. Le taulier de l’établissement, Bashir, vient discuter avec nous et nous nous lançons dans un dialogue farsi-français du tonnerre qui marche à merveille car nous nous comprenons. Bashir est un ancien haltérophile et me fait penser à notre bon vieil ami menuisier de l’uni: Daniel Rod. Finalement, il nous offre tout ce que nous avons consommer! Un exemple parmi d’autre de la générosité iranienne.

Quand nous arrivons enfin à Rasht, le but de notre chevauchée commune de 300km, nous profitons de la dernière journée pour aller visiter un joli village perché, Masuleh, et d’aller tremper nos pieds dans la Mer Caspienne. Quand le soir arrive, Daniel prend un taxi qui le ramène à l’aéroport de Téhéran en seulement 5h.

En voyageant avec Daniel, j’ai découvert plusieurs choses, par exemple c’est un pro pour faire un sac. Il ne prend que l’essentiel et ne s’encombre d’aucun superflu. Il se prête aussi parfaitement au jeu du bivouac et ne ronchonne pas à cause d’une nuit trop humide ou de pâtes pas suffisamment al dente. Paradoxalement, durant ces quelques jours d’effort et de vie au plein air, j’ai l’impression que là, il se repose réellement. Par rapport aux vacances far niente dont on a l’habitude en famille, il est ici plus relax, prends les imprévus avec humour et sympatise avec toute personne qui vient lui serrer la main. Daniel, il est temps que tu rentres parce que si tu restes sur la route plus longtemps tu ne retourneras jamais dans la routine audi-boulot-dodo! En tout cas merci pour ces quelques jours en ta compagnie et quand tu iras faire ton tour du monde et que je serai à mon tour dans cette routine, je viendrais volontiers te rejoindre pour quelques kilometres!

Note de Daniel :  « Merci à toi William de m’avoir permis de partager ton voyage pendant cette petite semaine. J’ai été très sensible à ta gentillesse, à ton humour et fier de la façon dont tu abordes ta vie.  J’ai beaucoup appris de toi et me souviendrai très longtemps de ce périple cycliste en gardant tous les meilleurs moments au fond de moi, toutes nos discussions, tous nos fous rires, toutes nos rencontres.  Je te l »avais promis, je me l’étais promis … et pour une fois, ce n’est  pas mon travail qui est passé avant, mais nous, seulement NOUS, toi et moi. Cela nous a assurément permis de nous connaître tel que l’on est réellement et pas l’image que l’on dégage . A renouveler, quand tu veux, où tu veux !« 

Communication breakdown

De nouveau seul, en tête à tête avec mon biclou, je fais face à plusieurs ennuis techniques en quelque jours. La plupart d’entres eux arrivent un peu trop tard, car s’ils étaient arrivés quand Daniel était encore avec moi, il aurai été possible d’y remédier immédiatement en récupérant les pièces de son vélo.
Ma roue avant crêve deux fois de suite, puis ma bequille se casse en deux et mon compteur décide de ne plus fonctionner. Les piles spéciales de ma balise Spot qui envoie ma position vers mon site internet sont à plat, mon chargeur Nokia se brise en deux, mon phare arrière est out et celui de devant nécessite une intervention chirurgicale pour le sauver.
Mon téléphone portable  rend l’âme et je dois le remplacer par un nokia plus ancien perdant ainsi de nombreux numéros (mais gagnant le jeu Snake!).

Il me faut cinq jours pour rejoindre Tabriz. Pendant ces cinq jours, je traverse des paysages somptueux, notamment entre Khal Khal et Miyaneh. Une matinée, je monte de plus de 1’000m. Quand mes jambes fatiguent, je mets en pratique ce que j’ai appris à faire en Asie du Sud-Est avec Benoît à savoir: je me fait tirer par des camions. Sur les 25km de montée, j’arrive à  »rider » des camions sur un total de presque 5km. Comment faire? Quand je vois en contre-bas un camion qui toussotte et qui peine à avancer, je décide que celui-ci sera ma cible. Je continue à pédaler, ou parfois je m’arrête même pour l’attendre. Quand il est suffisament proche, je commence à pedaler à fond pour avoir plus ou moins sa vitesse quand il arrive près de moi et tente de trouver une prise à l’arrière de la remorque. Ensuite, le tout est de rester le plus longtemps accroché, et ce malgré les gaz d’échappement et les crampes dans les bras, pour changer de la monotonie de la montée.  Les échanges avec le chauffeur se font via le rétro, et souvent, ils se marrent! Quand je lâche un camion par épuisement, celui-ci s’arrête pour me laisser revenir à lui. Pour lui faire honneur, je rempile pour 1km de crampes dans le bras gauche. Au final, on ne peut pas dire que j’économise des forces car l’effort que cela demande est intense, mais au moins mon biceps gauche aura la classe à mon retour à lausanne, et fera craquer toutes les filles du bord du lac.

Gawdaraq
Au risque de le répéter, les Iraniens sont les gens les plus accueillant que j’ai rencontré durant ce voyage. Le soir d’une longue étape sur la route de Tabriz, dans une campagne presque verte et sans avoir vu aucun minaret (contrairement à ce qu’on croit, les paysages n’en sont pas hérissés). Cette longue journée de pédalage sur un faux-plat ascendant de 80km et un vent de face arassant touche à sa fin quand une voiture s’arrête et deux hommes aux environs de la trentaine et parlant bien anglais en sortent. On discute 1 minute et demie et il me proposent d’aller dans leur village. Il faut juste faire demi tour sur 5km. J’hésite, revenir sur mes pas étant une des choses que je déteste le plus au monde après les choux fleurs et les brocolis. Finalement j’accepte, et suis la voiture sur plus de …12km! Ça me fâche énormément, je suis fatigué, j’ai faim, je suis donc de mauvaise humeur. Quand finalement nous arrivons, le calme revient et j’offre un visage plus sympathique. Je me laisse guider dans les rues de Gowdaraq jusqu’à la maison des parents par les deux frères Hassan et Saeid.
Quand nous arrivons à la maison, toute la famille est là, les femmes, les frères les parents, des enfants du voisinage. Tout de suite on étend une couverture sur le sol, et on prend tous l’apéro: miel, pastèque, fromage, galette hyper-fines…etc. je discute un peu plus avec Hassan et Saeid. L’un est hygiéniste dentaire, l’autre est designer graphique à Téhéran. Ils profitent des jours fériés commémorant le 23e anniversaire de la disparition de Khomeini pour passer quelques instants dans la maison familiale.
Aussitôt l’apéritif terminé, ils me proposent d’aller jouer au volley. Il est 19h, je suis HS, mais je me joins au groupe qui a rendez-vous au filet du village pour le tournoi du soir. Comme partout, il y a les stars, les Ronaldo de la manchette, il y a les pères de famille un peu gênés par les kilos en trop et les mauvais, comme moi. Après un match ou je touche 2x la balle, pour la mettre dans le filet, je décide de couvrir l’évènement en prenant quelques photos.
De retour à la maison, je constate que les femmes ont tué le poulet éclaboussant légèrement mes affaires de viscères où je ne sais quoi.  Ici, on retombe dans les traditions, les femmes de Téhéran mettent la main à la pâte à côté de la Mère, et c’est elles qui s’occupent de tout tandis que les hommes  »m’entretiennent ». Je leur demande s’ils font leurs prières et s’ils vont à la mosquée tous les jours.  »What?!?! We go there once a year maybe! ».
Les pièces de la maison sont non meublées. Tout le monde vit sur des tapis perses, épais, magnifiques. A onze heure, alors que j’ai atteins un rythme de 47 baillements par minute le repas est servi et nous nous réunissons tous dans une des pièces, sur des tapis autour d’une nappe en plastique. Poulet, riz, frites maison, salade de tomate-concombre-oignon: c’est délicieux.
Une fois le repas fini, je m’écroule sur une couche posée dans une des pièces. Hassan et Saeid viennent me border.

Le lendemain, les deux frères se proposent pour m’aider à ratrapper les 12 km perdus la veille. Je m’accroche à la voiture grâce à la fenêtre arrière laissée ouverte et ensembles nous filons à 40km/h! Après de sincères remerciements, je reprends la route, sans voiture pour m’aider, en direction de Tabriz.

Tabriz

Sitôt seul, je tombe sur mes touristes n°2-3. Sophie et Barbara, bernoises à vélo, pedalant en pantalon et en voiles malgré la chaleur. Elles ne sont pas très bavardes, mais je sais d’elles qu’elles ont pour objectif la Mongolie. Cela fait trois mois qu’elles pédalent sur les même routes que je compte empreinter. Avant de nous séparer, je déchire les pages de mon guide don je n’ai plus besoin et qui pourront leur servir.

Encore une fois, je voulais m’arrêter avant la ville pour camper mais la force d’attraction a été la plus forte, j’arrive dans la  »ville de Bouvier et Vernet » après une étape de 120km, une ultime montée vaincue à la force de mon bras gauche et une longue descente qui m’a literralement catapulté dans le centre ville.

Tabriz, tous ceux qui ont lu l’Usage du Monde, en sont familier. Dans les années cinquante, lors de son voyage en Fiat Topolino avec son ami peintre Vernet, Nicolas Bouvier a vécu plus de six mois dans cette ville. Pendant ma longue journée à parcourir la ville, je prends un plaisir immense à me perdre dans les dédales infinis du bazaar. Plus de dix kilomètres de galeries couvertes par des voûtes en briques rouge. Ce bazaar existe depuis un millénaire,et ces voûtes, conférant un côté intimiste en ce lieu où l’agitation règne en maître, datent du XVe siècle. En y allant tôt le matin, en ce jour férié qu’est le 3 juin, la plupart des boutiques sont fermées,  et j’erre des heures dans ces allées calmes, peuplées uniquement de chats, véritables maîtres des lieux.
Ensuite, je me rend à la Mosquée Bleue, construite en 1465 mais détruite lors d’un violent tremblement de terre en 1773. Bouvier, lui n’en a vu que des ruines, mais j’ai de la chance, la mosquée a été reconstruite et ses mosaïques bleues, couvrant toutes les paroies d’entant, partiellement reconstituées.

Le soir, alors que je cherche un endroit où manger, je tombe sur un autre cyclo au crâne rasé et à la barbichette pointue: Jean. En route pour l’Inde, il arrive droit de la Turquie qu’il a adoré. Heureux de pouvoir enfin parler un peu français, nous partageons le dîner puis le petit déjeuner du lendemain. Il me dit ce que je dois manger à tout prix quand je passerais la frontière turque.

Kandovan, Orumiyeh, finish en beauté

Je sors de Tabriz sur le tard, vers 11h. J’ai bien passé une heure à la poste pour acheter mes 30 timbres pour l’Europe. Difficile de se faire comprendre. Heureusement que Parisa, jeune employée, parlait anglais. On a bien discuté, et les employés m’ont traités de fou à nombreuses reprises quand Parisa leur à décrit mon périple! À 11h, je m’extirpe donc des tantacules de cette ville de plusieurs millions d’habitants et décide de faire un écart pour me rendre à Kandovan. Une trentaine de kilomètres à l’écart de ma route vers la Turquie, ce village est incroyable. Une érosion bizarre a taillé dans une sorte de conglomérat des formations rocheuses pointues qui ont été aménagées en maison troglodyte et qui sont toujours habitées. Après quelques kilomètres de montées sur la route qui y mène, je me rend compte que je suis de nouveau pris de diarrhée, et je sens que mes batteries se vident à vitesses grand V. Je mets fin au supplice en faisant les 25 derniers kilomètres (de montée) à bord d’un pick up. Après une balade de deux heures dans ses ruelles-escaliers, je remonte sur mon vélo, et grâce à la descente et au vent qui m’est favorable, bats mon record de vitesse: 72km/h!! Dans un paysage magnifique qui me rappelle les hauts plateaux boliviens, je tente de planter ma tente parmi les chardons, mais le vent qui est trop fort me force à me rabattre en contrebas.

Voyager en Iran sans faire du désert, c’est un comble! Heureusement, cette fin de parcours perse l’offre un désert auquel je ne me serais pas attendu: un désert de sel. Trente kilomètre à travers les reste d’un ancien lac, terres jaune ou blanche, buissons rares et éparses, terre inhospitalière mais magnifique. Avant de rejoindre les rives du Lac d’Orumiyeh, je passe mon 10’000km, point symbolique qui ne me laisse pas indifférent  et qui porte un coup aussi à mon compteur car c’est peu après qu’il décidera d’arrêter de fonctionner.
Au bord du lac, et tout au long de la traversée de la longue digue de 20km qui le coupe en deux, je m’émerveille devant ce paysage. Rives blanches, eau rouge, ciel bleu. La rive opposée semble n’être qu’à deux minutes de vélo tant l’air est clair. Il me faudra  plus d’une heure pour l’atteindre. Le lac, véritable mélange entre la Mer Morte, tant il est salé, et la Mer d’Aral, car il est condamné a disparaître à cause de la déviation des cours d’eau qui l’alimente.
C’est dans un paysage comme cela que je veux planter ma tente. De retour sur la terre ferme je rempli mes bouteilles d’eau et m’avance sur l’immense plage de sel, qui est si étendue à cause de la baisse du niveau de l’eau que je ne vois pas le lac. Après le repas, alors que le soleil disparaît progressivement derrière la mintagne, je me jette, euphorique,  dans l’immensité de cette étendue en soufflant à perdre haleine dans mon harmonica.
Plusieurs fois, j’ai l’impression d’avoir eté ramené en Bolivie. Uyuni Orumiyeh, même combat!
Le lendemain, je ne fais pas le fier malgré le lever de soleil magique. En effet, une meute de gros chien entoure ma tente et aboie en ma direction pendant quelques minutes. Heureusement, ils semblent aussi euphoriques que moi la veille et son vite lassés de jouer les méchants et s’en retournent se courir après pour se croquer la queue. Profitant de cet instant de repris, je file.

Jeudi 7 juin, 308e jour et 10’033km, je m’apprête à quitter l’Iran qui m’a tant surpris et tant apporté. A fond la caisse et en pleine forme, je mets le cap sur la Turquie. Je roule bien, en une heure je couvre 22km, mais soudain, c’est le drame. Je n’avance plus. Je suis à plat. Pas mes pneus, mais mon corps. Je tente de m’arrêter pour grignoter des choses sucrées: j’avance de 5km, puis cale à nouveau. Pourtant, moralement je me sens en pleine forme, et hormis ces maux d’intestin qui accompagnent ma coulante, j’ai l’impression d’aller bien. Tant bien que mal, je me traîne jusqu’à la route qui se dirige vers la Turquie. Seulement 50km au compteurs quand je jette l’eponge. Je décide de faire du stop jusqu’à la frontière pour l’éviter les derniers 40 kilomètres de montées et de descentes sans endroits  à l’ombre pour me reposer.

Il doit etre 13h quand je pousse mon vélo dans le meli mélo de la douane de Sero-Esendere. Rien n’est indiqué en anglais, et j’ai l’impression qu’il n’y a que des civils qui n’en savent pas long sur la procédure que je dois suivre. Finalement, j’ai mes deux tampons dans mon passeport, et crevé comme pas possible, je fais mes premiers pas en Kurdistan turc.
PKK, me voilà!


Chapitre 26: Roadéo indien

Je tends mon passeport au douanier comme on tend à un professeur une copie d’un examen avec des annotations modifiées post-correction dans le but de grapiller des points. Le douanier, en marcel avachi sur sa chaise se rendra-t-il compte que j’ai modifié la date d’entrée dans son pays? Mon rythme cardiaque s’accélère légèrement et je tente de faire diversion:  »Nepal is a wonderful country! » Il ne m’écoute pas, et de toute façon, il me tamponne mon passeport sans le regarder. Yes! Overstay de deux semaines, mais pas d’amendes cette fois-ci! Je remonte en selle pour traverser un no man’s land très peuplé et arrive  aux portes de l’Inde…

L’Inde, quatre ans après

Côté indien c’est une autre ambiance. Le bureau d’immigration est rempli d’officiers qui me réprimandent quand je prends en photos les barrières de la douane pouvant contenir, dirait on, des informations hautement stratégiques. En revanche, quand je leur demande de me prendre en photo avec mon appareil, zone stratégique ou non, ils sont bien contents d’appuyer sur le déclencheur!
On me met à une table pour que je remplisse la fiche d’entrée dans le pays et en échange, je présente mon passeport. L’opération qui normalement prend 1min30 maximum dure ici 30min. La fiche et le passeport reposent sur la table et l’officier les regarde de temps en temps sans tendre la main pour les attraper. En attendant qu’il se décide, je fais une sièste réparatrice d’une demi-heure sur ma chaise. À mon réveil, je le vois sortir le tampon: ça y est je peux entrer dans le pays de Gandhi!

Quatre ans après mon voyage à Calcutta avec mes quinze copains de l’association Présence, me voilà de retour dans ce pays-continent. Ce voyage que nous avions preparé, organisé et financé dans le but d’aller travailler dans les dispensaires de Mère Teresa, représentait un aboutissement de deux années passées à rechercher activement des fonds. À l’époque, j’ai vécu ces trois semaines en Inde à 100%, voulant voir, faire et goûter un maximum de choses. Revenant de cette experience ébloui et envoûté, je me suis rendu compte que ce pays qui ne m’attirait pas tant que ça auparavant avait tissé avec moi, des liens qui finiront bien par m’attirer de nouveau à lui.

En ce beau jour du 29 avril 2012 me voici donc aux portes de ce pays que je devais revoir. En revanche, cette fois-ci j’entre en Inde avec un peu moins d’enthousiasme. Y voyager en vélo est, selon certain, un enfer. Circulation terrifiante raccourcissant l’espérance de vie de vingt ans, des gens partout, très curieux, qui veulent prendre une photo de tout avec leurs portables (même dans les moments les plus intimes), et surtout une mentalité complètement différente de la mentalité occidentale rendant les rapports toujours très compliqués. En gros, c’est le topo que m’avaient fait les autres cyclos rencontrés en chemin: pas très rassurant. Aussi, je n’arrive pas à considérer ce séjour en Inde comme un aboutissement, mais je le vois plutôt comme une phase de transit. L’Inde fait figure de passage obligé pour y faire mon visa iranien et pour en decoller en direction de Téhéran. Arriver en Inde avec cet état d’esprit n’est certainement pas recommandé. S’il y a bien un pays où il faut investir de sa personne pour se faire aux mentalités et aux rythmes de vies, c’est bien ici. Je ne pense pas qu’il soit possible de passer plusieurs semaines en Inde en faisant bloc, en rejetant l’Autre et en imposant sa volonté. C’est un pays où il faut accepter. Accepter la mentalité indienne. Accepter d’être LA personne incomprise. Accepter d’être malade régulièrement, de se faire avoir par les commerçants, accepter de prendre son temps, de prendre le temps… Définitivement, on ne peut pas faire  »que passer » en Inde.

Premièrement, je veux éviter de rouler trop longtemps sur les routes indiennes. Les récits des autres cyclos m’ont fait comprendre qu’il est difficile d’avoir du plaisir en pédalant ici, du coup, je sort du Népal par la frontière la plus à l’ouest. A cet endroit, il n’y a que 350km entre le Mahendranagar et Delhi, et mon objectif est de ralier au plus vite la capitale pour régler mon histoire de visa iranien. Une fois mon sésame en poche, je partirais aussitôt vers une destination que je ne connais pas encore: Agra, Rajastan, l’Himalaya ou pourquoi pas Varanasi en attendant mon vol pour l’Iran le 22 mai.

350km vers Delhi

Avant de me lancer sur les routes indiennes, je me prépare tel un soldat qui se recouvrirait le visage de charbon. Malgré le soleil de plomb, je mets mon casque en parvenant à y glisser ma casquette dedans. Puis, je mets mon masque à poussières noir qui me couvre le nez et la bouche. S’ajoute entre casque et masque mes lunettes de soleil: sacrée dégaine, avec ça j’effrayerai même un chauffeur de TATA!

Premiers coups de pédales: je suis vivant, bien. Premier croisement: aucun accrochage,très bien. Premiers dix kilomètres sans incidents: surprenant ! Finalement, je me retrouve à pédaler sur ces fameuses routes indiennes avec beaucoup d’assurance.
Les conducteurs ne sont pas pour autant des agneaux: dépassement en queue de poisson, tentatives de m’écarter le plus souvent possible de la chaussée, klaxons en continu, les indiens du coin sont loin d’avoir une conduite posée et détendue. Deuxième fait étrange après être encore en vie , est le fait que je n’ai pas peur. Les camions ont beau tout faire pour me faire croire qu’ils vont me foncer dessus, je ne bronche pas et reste toujours sur ma trajectoire, forçant le chauffeur à rabattre son mastodonte sur sa voie.

Par rapport au Népal, c’est vrai que le bord des routes est plus peuplé, mais je trouve quand même de nombreux endroits où je peux m’arrêter en paix, sans avoir à affronter le regard de dizaines de curieux. Aussi, les routes sont plus fraîches  à l’ombre de nombreux arbres me rappellant les platanes des routes Nationales françaises. Le vent est moins agressif et lui arrive de m’aider de temps en temps. Mais ce qui change vraiment, c’est le culot des gens. Un moment donné,  deux jeunes gens en scooter me font la causette sur plusieurs centaines de mètres. Pour finalement en arriver à la question qui leur brûlait leurs lèvres:  »Please stop, we want a snap » (snap signifie prendre une photo, ndlr ). Pas le choix, ils me rabattent avec leurs moto sur le bas-côté,  et ne voulant pas être impoli j’accepte à me prêter au jeu en posant pour leur future photo de profil Facebook.

Sur la route, comme je l’ai dit plus tôt, je ne me laisse pas impressionner. Les routes indiennes méritent leur réputation de route super-dangereuses. Les chauffeurs, ou chauffards, ne regardent que ce qui se passe juste en face d’eux. Les rétros, ils ont été enlevés pour permettre aux poids-lourd de mieux se faufiler. Les pare-brises sont couverts d’auto-collants et de gris-gris. Les RTIs, on peut oublier! Un jour, j’aperçois une voiture avec l’avant complètement defoncé, le pare-brise tellement éclaté et fissuré que le conducteur ne benificiait que d’un orifice de 10cm de diamètre pour voir la route. Cela ne l’empêchait pas de foncer et de doubler tout ce qui bougeait.
C’est pas toujours évident de s’imposer sur ces routes à deux voies où parfois un camion en double un autre alors qu’une charrette encombre ma trajectoire. Au début de mon voyage, je me serais certainement jeté dans le talus de nombreuses fois, je me serai fait tout petit, mais après 270 jours de voyage, après avoir roulé à Dakar et Hanoï,  je veux faire comprendre à mes amis routiers qu’il faut compter avec moi. Quand un camion en plein dépassement fonce sur moi en me faisant des appels de phares pour que je me pousse, je lui réponds par de grand gestes avec un bras pour lui faire comprendre que je veux que ce soit lui qui se pousse. Dans neuf cas sur dix, ça marche, le camion ralentit et reprend sa place derrière son collègue en attendant que la voie soit libre. Mais bon, de temps en temps, je dois m’avouer vaincu et dévier in-extremis sur le sable du bas-coté, en proférant toutes sortes d’insultes.

Ma première nuit, je la passe dans un petit hôtel qui semble accueillir des prostituées de temps à autre. La deuxième nuit, après un effort de 140km, je la passe à camper dans le jardin d’un resto-route presque désert. Même si leur anglais est presque inexistant, l’accueil y est super. Quand j’arrive, les serveurs et les patrons se mettent en pause pour venir me regarder installer mon campement et me posent des tas de questions sur mon voyage, regardent avec attention la carte du monde que je deplie pour eux et me proposent  d’utiliser les toilettes du restaurant pour me decrasser. Le soir, je commande un très bon poulet Masala que je déguste devant ma tente. La nuit tombée, alors que je commence à m’endormir, le patron et deux de ses amis débarquent l’air paniqué et un peu saoûl. Il essayent d’ouvrir la tente, pour me parler, mais je me laisse pas faire, il y a bien 60 moustiques aglutinés contre la moustiquaire qui attendent la moindre occasion pour venir me faire un câlin. Le patron:   »Sir, sir, please open, you’re in danger! You come and sleep with us upstair! » Un de ses amis:  » there is a Cobra snake outside, very very dangerous sir! ».
Ah, ça reveille mon attention. Les scorpions du Sahara m’avaient fichus une trouille bleue il y a quelques mois, alors je n’ose même pas imaginer comment je réagirais en face d’un serpent de ce genre! Je demande quand même quand ils l’ont aperçu: il y a deux jours. Je regarde les soixante moustiques prêts à se jeter sur moi à la moindre occasion, mon tapis de sol qui à l’air si confortable, et je considére l’option d’aller rejoindre le patron, ses amis et son whisky. Je décide de m’allonger pour y réfléchir, puis je m’endors. Après les fantômes et les gangsters éegorgeurs du Népal, c’est les cobras indiens qui m’epargnent en me laissant dormir en paix: merci les gars!

Des bâtons dans les roues

Une journée et demie de vélo en Inde, et me voici à moins de 150km de Delhi. C’est une distance piège.  En une journée, je peux les couvrir en pedalant à plein régime et en ne m’arrêtant peu. Si les difficultés sont au rendez vous: vent, montées, soucis mécaniques ou tout simplement fatigue, je risque d’avoir à m’arrêter à quelques kilomètres de la capitale, en pleine couronne périphérique. M’arrêter dans la banlieue d’une grande ville, je n’aime pas ça. Je préfère m’arrêter à bonne distance de la ville pour profiter du calme des lieux et entrer tranquillement au petit matin dans l’agglomération. Mais bien des fois, je trouve qu’il est difficile de se raisonner et de stopper l’effort au bon moment pour ne pas se faire avaler par la ville. Je me trouve ainsi très souvent à trimer en pédalant jusqu’à la nuit pour atteindre mon objectif final. Ce matin du troisième jour depuis mon entrée en Inde, je me lance sur les routes très tôt, à 6h. J’avance bien, si bien que je me fais à l’idée que je serais à Delhi le soir même. Mais voilà, au moment où je m’imagine entrer triomphant dans la capitale, une colonne de camions se dresse devant moi. Il est à peine 9h, et j’ai à faire à un embouteillage monstre! Je remonte la file de véhicules à l’arrêt, slalomant entre les colonnes de camions jusqu’à ce que l’espace entre eux se rétrécit  au point que je me retrouve coincé, sans possibilité de faire marche arrière à cause des motos qui, m’ayant suivies, se trouvent dans la même situation que moi. Pas le choix, je descends de mon vélo et me faufile sous la citerne d’un camion dont le chauffeur à sa fenêtre profite pour me prendre un « snap ».

Alors que je suis en plein rush pour atteindre la capitale avant la nuit, je tombe sur cet embouteillage surgit au milieu de nulle part. Choisissant de circuler sur l’autre voie, je pense avoir trouvé la solution pour ne pas rester bloqué entre les camions. Mais voilà, quand on est pressé il arrive toujours quelque chose, et ce quelque chose est bien souvent la crevaison. Eh oui, après presque 9’000km, c’est aujourd’hui que mon pneu arrière décide de faire parler de lui. Deuxième crevaison du voyage, mais cette fois-ci je ne suis pas perdu dans la solitude andalouse, mais juste à coté d’une centaine de camionneur qui attendent de pouvoir avancer. La réparation dure une vingtaine de minutes, mais j’ai le droit à tout un public qui vient observer tout mes faits et gestes à moins de 80cm de mon vélo, touchant à tout et ne m’addressant la parole que lorsque je suis enfin prêt à repartir.

Finalement, après une vingtaine de kilomètres, j’atteins le pont qui est à l’origine de l’embouteillage. Pour cause de réparations, un dispositif de circulation alternée est mis en place, à l’indienne… tout le monde essaye de passer en même temps sur l’unique voie qui contourne le petit chantier . Pas moyen d’avancer, je me joins aux piétons sur la chaussée. Ce n’est pas mieux: Craquelé de partout, le trottoir est parfois taquin, dévoilant aux piétons des trous de presque deux mètres de long surplombant la rivière.

Une fois cet obstacle franchi, je dois reprendre mon slalom entre tous ces camions. Parfois l’espace entre ceux-ci est de moins d’un mètre, et cette fois ci, les colonnes avancent et ne sont plus à l’arrêt. Les gaz d’échappements me font tourner la tête, mais j’ai vraiment du plaisir à avancer entre ces monstres, à l’affût de tout coups de volants trop brusques qui m’enverraient valser contre un autre véhicule. Je me crois dans un jeux vidéo ou une course poursuite à la James Bond. Au final, l’embouteillage s’étend sur presque 50km!

Incredible India

Après toutes ces péripéties, et à seulement 17h, j’entre dans Delhi au terme d’une journée de 150km. Il me reste exactement trois semaines avant mon vol pour Téhéran.
Durant ces trois semaines, il se passe beaucoup de chose. Mais comment tout raconter? L’Inde est un pays avec une diversité et une richesse culturelle tellement vaste… une simple marche de vingt minuetes à travers les rues d’une quelconque ville du pays justifierait un article entier sur ce site. Les scènes de vie sont multiples car tout se fait dans la rue. Par faute de temps et de motivation, je vous fait part ici des moments clés de mes trois semaines indiennes.

A Delhi, je fais la connaissance de Dan, un américain de 38 ans à la barbe de viking. Converti à la religion Sikh, il ne peut couper un poils ou cheveux de son corps et porte le turban. Grâce à lui, je découvre un Delhi que je n’aurais pas pris la peine de connaître.

But premier de mon séjour à Delhi, faire mon visa iranien. Qu’elle aventure! Pour cela, j’ai passé plusieurs heures à l’ambassade iranienne à attendre qu’un homme me dise qu’il faut que je me fasse faire mes empreintes digitales pour faire avancer la procédure. Je dois prendre un rickshaw (taxi-moto à trois roues) pendant quelques minutes pour me rendre dans une court où se trouvent, dirait on, tous les notaires de la ville. À de petites tables sous des bâches, ils attendent patiemment que quelqu’un fasse appel à leurs services. J’y dégotte mon « bureau des empreintes », où les fonctionnaires ne deignent m’adresser la parole qu’une fois que je leur et demandé  »how much? ». Comme pour tout en Inde, je dois négocier. Je ne sais pas si l’opération est censée être entièrement gratuite, et à quel point je participe à la corruption du système, mais je n’ai pas le choix et je dois finalement débourser 800 roupies, environ 10€…
Une fois le bout de mes doigts imprimés sur une feuille de papier, et après avoir attendu encore une bonne heure à l’ambassade, je dois me rendre à une banque à un jet de rickshaw pour payer mon précieux sésame. J’effectue l’ensemble de l’opération sur deux jours, mais il y a du bon, car à attendre dans les salles d’attente, on rencontre des personne intéressantes, à l’image de Nicolas, étudiant français en échange à Delhi, qui me fera découvrir la  »cafétéria » de son université par la suite.

Cette semaine à Delhi est aussi synonyme de  »far niente »: encore une fois j’attrape une coulante du tonnerre, et le simple fait de monter les escaliers montant à ma chambre m’anéanti. Heureusement, ma chambre est pourvue d’une télé, et je passe de longues heures à regarder des matchs de première ligue anglaise et des films bollywoodien. Je peux aussi suivre en direct l’élection de François Hollande grâce à la BBC.

Rétabli et visa iranien en poche, je n’ai qu’une envie: retrouver la fraîcheur des montagnes. Nostalgique du Népal, je veux retourner dans l’Himalaya, côtoyer les hauts sommets. Huit jours après mon arrivée à Delhi, je laisse mon vélo dans le reduit d’un petit commerçant, ami de Dan, qui propose de veiller sur la ma monture durant mon absence, et prends un bus de nuit pour Manali, porte d’entrée du Laddakh.

A Manali,  je découvre que toutes les balades de plusieurs jours sont inaccessibles à cause de la neige. Je suis dégoûté, la jolie vallée de Spiti que je voulais découvrir et qui se trouve si près de Manali est coupée du monde par la neige. Heureusement, Kesa, l’américaine rencontrée sur le trek de l’Everest est dans le coin et vient me rejoindre. Nous passons une semaine ensemble, entre les hauteurs de Manali et de Dharamsala. Dharamsala, ou plutôt McLoad Ganj, juste en amont, est la ville indienne qui abrite le gouvernement tibétain en exil. Nous allons sonner à la porte du Dalaï Lama, qui est actuellement en Europe, et assistons à une commémoration en mémoire de tous les moines qui s’immolent en ce moment au Tibet. La compagnie des tibétains est vraiment agréable. Comme au Népal, les gens sont amicaux et chaleureux dès le premier rapport. La cause tibétaine me touche beaucoup, et j’aimerais un jour savoir que ces gens là sont de retour chez eux.

Après une semaine passée en compagnie de Kesa, je la laisse pour rentrer à Delhi. Comme à chaque fois la séparation n’est pas très amusante. Kesa reste à Dharamsala pour entreprendre un deuxième séjour de dix jours dans un Ashram où il est interdit de parler!
Pour ma part, je prends un bus à 4h30 du matin pour me rendre à Amritsar à la frontière pakistanaise. En route pour la gare routière, de nuit, je me fait agresser par un gang de chiens errant qui tentent de trouver une faille entre tous les sacs que je transporte sur moi pour me sauter à la gorge. Heureusement mon accoutrement de Tortue Ninja est plus fort que leurs crocs.

Amritsar, Temple d’Or. Ceux qui ont vu le film Gandhi se souviennent peut être de la première scène du film qui se déroule dans ce lieu saint des Sikhs. Des pèlerins de tout le pays se rendent dans cette ville pour admirer ce lingot d’or posé au milieu de cette étendue d’eau. Les édifices sont splendides, mais le plus impressionnant, c’est que tout est gratuit pour les voyageurs: lit, nourriture et eau, on a le droit à tout, peut importe la religion. Je ne me lasse pas d’observer ces sikhs-volontaires, avec leurs grosses barbes, leur turbant et leur poignard, à couper les oignons par dizaines, à faire la vaisselle ou distribuer la soupe de lentilles à qui tend son bol. Avec plus de 10 000 repas servis tous les jours, 7/24, la cafète  de l’uni à du soucis à se faire!

Une longue matinée dans un train me ramène à Delhi où je retrouve Dan et mon vélo. Dans 4 jours je vole pour Téhéran; dans 3 jours je vais admirer le Taj Mahal, et ce soir je regarde la finale de la Ligue des Champions. Finalement,ce transit de trois semaines aura été bien rempli!


Chapitre 25: Au menu: Daal Bhaat, Rhinos, 47°C et vent de face

Kathmandu, entre colères divines et saut de l’ange

Huits jours à Thamel, dans mon hôtel, à me reposer, à manger, à ecrire. Huit jours à profiter une dernière fois de mes amis avant que nos chemins se séparent. Huit jours aussi pour tenter de devenir le nouveau roi du Népal en restant assis sur le trône de nombreuses heures par jours.
Mais avant toutes choses, ces huit jours sont aussi l’occasion de visiter un peu la ville. Mon amie Tania, qui a vécu quelques semaines à Kathmandu me fait une liste des choses à voir et à faire avant mon départ. Pas moyen d’échapper aux journées-cultures donc. Pour ne pas avoir à affronter la colère de l’imminente judoka Tania, je passe une journée à me balader dans les ruelles de la vieille ville médiévale de Bhaktapur. Puis, en compagnie de Pierre, nous allons tourner les centaines de moulins à prière de la plus grande stupa du pays: Buddha Nat. Sous les yeux scrutateurs de bouddha peints sur le haut de la stupa, nous tournons dans le sens des aiguilles d’une montre parmi les fidèles.  Puis, enjambant un grillage, slalomant entres baraques et suivants des nuées de gamins pieds nus, nous débarquons en pleine cérémonie hindoue dans un coin perdu, et inconnu des autres touristes du temple de Pashupati. Entre saddhu à la barbe jaune et offrandes brûlées pour je ne sais quels dieux, nous profitons de ce moment privilégié pour sympathiser avec les enfants et prendre des photos de ces offices qui nous paraissent si mystérieux.
Avant de retourner dans nos quartiers, nous offrons à Shiva l’opportunité de se venger de notre intrusion: une platée de momo empoisonnée dans un boui-boui au coin d’une rue manque de peu de détruire mon estomac et l’ensemble de la tuyauterie. Manque de bol, c’est justement le lendemain de cette tentative divine de me mettre hors combat que j’ai prévu avec Kesa de prendre le bus pendant 4h pour aller faire l’un des plus haut saut à l’élastique du continent: 160m de chute presque libre depuis un pont suspendu haut perché.
C’est donc après avoir passé la nuit allongé sur le carrelage de ma salle de bain à gémir et à sympathiser avec la cuvette. C’est sans pouvoir avaler la moindre goutte d’eau pendant plus de 12 heures. C’est après avoir lutté contre les virages de la route qui ont vainement tenté de me faire vomir les derniers mililitres de bille encore contenu dans mon estomac que, finalement, je me traîne jusqu’à la passerelle. Kesa est survoltée, entre peur et impatience, elle tente de calmer ses nerfs pour pouvoir faire le grand saut le plus serrainement possible. Moi, je suis amorphe, et ne réalise ce qui m’attend qu’une fois l’élastique accroché à mes cheville. Sur la platte-forme, un vide intersidéral juste sous mes semelles, je me réveille de ma torpeur… Mais dans quoi je me suis fourré encore!?! Je demande à mon bourreau qui s’s’apprête a me jeter dans le vide:  »No escape possible? ». Je connais la réponse:  »yes, just one step in front of you and you »ll be free. 3…2…1… Jump!! »
Ni une ni deux, je me trouve à pendouiller au bout d’un élastique. Quelle sensation!!! La dose d’adrénaline me libère même de mon mal (temporairement) et c’est avec un sourire de vainqueur que je me jette sur le plat de spaghetti offert aux victimes de la gravité.

Cette semaine de repos devait être l’occasion pour moi de prolonger mon visa d’un mois qui finit ces jours-ci. Plein de bonne volonté, je me renseigne sur la procédure. Elle est simple, mais le bureau est à l’autre bout de la ville, et l’attente est souvent très longue. Je décide de remettre cette visite chez les officiers d’immigration au lendemain, puis au sur lendemain. Après, je tombe malade, fait un saut à l’élastique et remonte sur selle. Tant pis, j’irai à travers le Népal en pleine illégalité.  Espérons que l’officier de la frontière népalo-indienne soit sympathique. ..

En huit jours, des racines me poussent. Je m’habitue aux petits déjeuners en compagnie de Caitlin au Dalima Café, j’ai mes commerçants préférés, mon vendeur d’eau et de cartes postales attitré, je pourrais rester là encore longtemps. Je sens qu’il faut partir rapidement avant que Kathmandu me capture, me mange. À peine rétabli, je remonte sur mon vélo et dis adieu à mes amis. Dernières embrassades sincères et émouvantes avant d’aller embrasser le bitume et la route. Pokhara, Bardiya, New Dehli, me voilà.

Pokhara

Difficile de m’arracher et de me séparer de ses amis qui ont partagé mon quotidien depuis presque un mois. Pour la première fois depuis l’Afrique il y a de nombreux mois, je reprend la route seul. Pas de Benoît, de Paris, d’américaines sympathiques, de suissesses en voyage avec qui parler et rigoler. Pas le choix, je reprend mon dialogue avec mon biclou. J’ai de la chance, il est bavard ces jours, il grince de partout.

En sortant de kathmandu, une mauvaise surprise m’attend. Je constate qu’un de mes cables de vitesses est presque sectionné. Aucune gaine de rechange, pas de magasin Hood Cycles en vue, je dois donc mouliner sur mon premier plateau sur plus de 200km. Quelle frustration lors des nombreuses descentes ou faux-plats qui jalonnent le parcours et dont je ne peux profiter… j’avance à une allure de 13-14kmh alors que le relief m’est favorable, tant pis.
Après deux journées à avancer à cette allure modeste, je tombe sur deux autre voyageurs à vélo! Comme trop souvent, ils viennent du sens inverse, du coup nous faisons connaissance et échangeons nos informations au bord de la route. Matthias est suisse-allemand, à une quarantaine d’année et voyage entre Inde et Nepal depuis trois mois. Son compagnon rencontré sur la route, Dave, est un anglais de 63 ans.  »Peau anglaise » oblige, la moindre parcelle de son épiderme est protégée du soleil: gants, chapeau, pantalon, chemise longue… et le tout par 40°C!
Cette rencontre me permet d’acquérir de précieuses information: relief, état de la route, sens du vent…etc jusqu’en Inde. Aussi, Matthias me donne une de ses gaines de câble de vitesse et Dave me montre comment bloquer mon dérailleur sur le deuxième plateau avec l’aide d’un crayon en attendant de trouver un endroit pour réparer mon câble. Et puis, ils m’informent qu’à Pokhara se trouve un jeune cyclo autrichien qui vient des pays que je compte traverser pour rentrer en Europe. Ils me disent dans quelle guesthouse le trouver, ce sera un des objectifs de mon séjour à Pokhara. Je leur souhaite bonne route et nous nous séparons.
Sur les derniers kilomètres du parcours, en levant la tête vers le ciel, je suis frappé par la forme étrange de certains nuages. En m’arrêtant, je constate que ce ne sont pas des nuages, mais des montagnes gigantesques, recouvertes de neige. Un coup d’oeil me le confirme, ce sont les Annapurnas! Je suis heureux de pouvoir contempler ces montagnes mythiques de mes propres yeux. La chaîne s’étire sur tout mon champ de vision, et la sorte se smog recouvrant la plaine où je me trouve donne à ces montagnes l’impression de sortir du ciel. Le sommet des Annapurnas culmine à plus de 8’100m, et il s’agit du premier 8000m à avoir été gravit. Maurice Herzog et Louis Lachenal sont parvenu au sommet du premier coup en 1950.  »Annapurna premier 8000 », c’est d’ailleurs le livre que je lis à ce moment.

Après deux jours et demis, j’arrive enfin à Pokhara. Jolie petite ville au bord d’un grand lac à 800m d’altitude, Pokhara offre un tout autre visage que kathmandu. Les gens y sont plus relax, la circulation moins agressive, on s’y sent en vacances. J’y reste deux jours, trois nuits. Comme cela fait plusieurs jours que je mange du Daal Bhaat midi et soir, je décide de changer et trouve une steakhouse aux steaks fabuleux et un restaurant italien qui fait de vraies pâtes italiennes al dente! On me demande souvent si je suis lassé de manger du daal bhaat tous les jours. Véritable plat national, ce met est composé de riz, d’une sorte de soupe de lentilles et d’un curry de pommes de terres ou de légumes. Pour une somme dérisoire, je ne paie jamais plus de 0.80€, le tout est servi à volonté. C’est jusqu’à aujourd’hui le seul plat du voyage qui arrivait à me caler toute une demie-journée. Même si les pauses de midi manquent un peu de suspens (« mais que vais-je donc trouver à me mettre sous la dent dans cette gargotte? »), j’ai eu la chance de ne jamais en avoir marre de manger ce fameux Daal Bhaat.

La chaleur à Pokhara m’offre la possibilité, en plus de varier mes habitudes culinaires, d’avoir un aperçu de la chaleur qui m’attend. Les journées sont accablantes, et le mercure monte haut. Néanmoins j’arrive à mettre à profit mes journées en pédalant jusqu’au Devil’s Falls qui sont de modestes chutes d’eau qui semblent être très appréciées des touristes indiens, et en allant jeter un coup d’oeil au musée de la montagne. Finalement, je reste plusieurs heures dans ce musée qui relate les premières ascensions des quatorze 8000m, qui présente toute les ethnies du Népal et expose de superbes photos qui montrent en parallèle des habitants des alpes des années cinquante et des népalais d’aujourd’hui effectuant leurs taches quotidiennes: les ressemblances sont troublantes.

J’ai de la chance, dans ma chambre d’hôtel, j’ai une télé et le wifi! Cela tombe bien car ce soir, ou plutôt cette nuit, je pourrais voir la demie-finale de Ligue des Champions diffusée en direct sur une chaîne indienne. Chelsea-Barça, l’affiche est belle! A une heure du matin, je me réveille, et allume la télé. Au même moment, ma tablette se met à sonner: Paris (vous vous en rappelez j’espère? Star, chapitre 18 si jamais) tente de me skyper.  Finalement, lui au Canada, moi au Népal, nous suivons le match en discutant comme nous l’aurions fait sur un même canapé à Lausanne. L’expérience est amusante et après la qualification de Chelsea, je m’endors avec le sourire, heureux d’avoir pu parler une heure et demie avec mon ex-compagnon de route.

Comme prévu, je cherche l’autre cyclo présent à Pokhara. Je le trouve à son hôtel et ensemble nous partageons de nombreux thés. Johannes à 26 ans et est autrichien. Juste après être rentré de vacances en Asie du sud-est il y a un an et demi, a décidé de démissionner et de partir vers l’Est à vélo. Aussitôt dit aussitôt fait: en trois mois à peine il se retrouve sur les routes en direction de l’Orient. Nous avons exactement le même nombre de kilomètres au compteur et il est parti de chez lui en même temps que moi. Il m’informe qu’à Pokhara se trouvent de nombreux cyclos. Deux jours auparavant, ils étaient sept dans son hôtel, et je croiserai moi-même deux jeunes filles sur leurs vélos venant tout juste de traverser l’Iran, le Pakistan et l’Inde.  Pas de chance donc, tous les voyageurs que je rencontre circulent dans l’autre sens, vers l’Est. Après ces deux jours et demi de pause à Pokhara, je reprends donc la route en direction de l’Inde en solo.

Dos à l’Himalaya, regard sur les plaines du Gange.

Dernières étapes de  »montagne ». Depuis peu, je sens une amélioration dans ma manière d’appréhender une montée. Avant, à chaque fois, je redoutais d’avoir à affronter une pente trop forte ou trop longue. Depuis que je suis au Népal, je me réjouis souvent à l’idée de serpenter plusieurs heures sur les flancs des derniers reliefs himalayens.  Ces derniers denivelés, ces derniers instants passés accroché à ces pentes, je les savoure. Lors des descentes, puisque j’ai retrouvé l’usage des mes trois plateaux, je peux m’ennivrer de vitesse. Dans ma tête, je m’imagine les commentaires des consultants sportif de la TSR lors d’un Super G de Didier Cuche.  »Oula, il sort du virage un peu haut … première moitié de parcours très bien négociée par William … Ah, deux dixième de retard au premier inter! … espérons que William pourra les ratrapper, mais on connaît ses qualités de finisseur! ».

Pour prolonger le plaisir d’être en montagne, je me trouve un lieu de bivouac qui restera dans le top ten du voyage. Une petite terrasse naturelle, perpendiculaire à la route et surplombant de deux cent mètres le fond de la vallée où s’écoule une rivière entre quelques plantations. Le soleil se couche derrière les sommets alors que je me cuisine mes fameuses pâtes aux légumes. Quand je vais me coucher, ce sont des lampions disparates et multicolores qui habillent la montagne d’en face à l’endroit où se trouvent les quelques habitations qui parsèment son flanc.

Finalement, la route finit par descendre, pour de bon. Alors que je pense avoir à affronter un dernier col, la route part s’engouffrer dans une gorge, slalomme une dernière fois entre les monts et soudain, c’est le plat! Il n’y à qu’une ligne plate et horizontale en guise d’horizon: la plaine du Gange. Le bas-pays népalais veut faire les choses bien, et m’envoie un comité d’accueil particulier qui ne me lâchera pas d’une semelle jusqu’à ma sortie du pays.
Pendant une semaine, Éole et Mr Sun ne vont pas me lacher d’une semelle. Je viens tout juste de passer les 8’000km, et malgré un relief plat à en donner le vertige, je sens que cette traversée du Tiraï népalais ne va pas être de tout repos. Les cinq cents kilomètres qui m’attendent se feront avec un vent de face éreintant et sous une chaleur digne de la Mauritanie: 47°C enregistré plusieurs fois!
Heureusement, je trouve la parade! J’ai vite fait de remarquer que le vent est lève-tard, et qu’il dort jusqu’aux environs de 11h. Ainsi, j’adapte mes journées en fonction. Je me lève à 5h, parfois même à 4h, range ma tente, grignote des biscuits, et prend la route avant 6h, profitant du même coup d’une température clémente de seulement 20°C.
Jusqu’à midi, je roule beaucoup, et mange aussi beaucoup. Je m’arrête manger une omelette à 9h et manger mon Dhaal Bhaat vers 11h. Puis, le vent se lève, le soleil cloue au sol tout ce qui bouge. Même si le matin je dépasse souvent les 80km, au final, ces longues journées passées sur la selle ne debouchent rarement sur une étape de plus de 110km.
Ce qui m’agace le plus c’est le vent. La chaleur par contre, je l’apprécie. Je retrouve les sensations que j’avais dans le Sahara. Alors que quand je suis à pieds, un banal 30°C m’accable, me rend faible et paresseux, le 45°C qui m’accompagne souvent lorsque je pédale me booste et ne m’empêche pas de monter sur selle (et de boire parfois jusqu’à 8.5L d’eau par jour!).

La région du Tiraï népalais contraste énormément avec les autres région du pays. Plate et pleine de champs, elle est aussi très peuplée. La physionomie des gens est aussi très différente. Par exemple, je trouve les femmes très jolies. Plus que dans le Khumbu en tout cas. Les comportement de gens doit être influencé par l’Inde, toute proche: on me devisage sans rien dire, et les discussions échangées avec certains locaux sont à la fois ridicules et hillarantes. Par exemple, un type bien habillé qui s’arrête pour venir me faire la causette alors que je fais la sièste sous un arbre me propose après 2 minutes de conversation d’échanger nos téléphones portables en souvenir de notre amitié parce que maintenant  »you are my best friend and I am your best friend »! 😀 Et il parait que ce sera pire en Inde…

Néanmoins, je vis une expérience formidable au sein d’un famille népalaise, alors que je me renseigne auprès de quelques jeunes de mon âge au bord de la route sur en endroit ou camper dans le coin, l’un d’eux me propose de planter ma tente dans son jardin. J’accepte avec plaisir et suis Baburam jusqu’à chez lui. En plantant ma tente, je fais connaissance avec la mère, qui épluche ses légumes en m’observant, et du père, prêtre hindou qui s’occupe des chèvres, des vaches et des poules qui gambadent autour de ma tente. Plus tard viennent aussi les frères et soeurs, puis les voisines et leurs enfants auxquels j’offre des ballons en baudruches qui les amusent beaucoup. Je leur fait la visite de mon palace (comprendre: ma  tente), et, rien que pour eux, je fait rugir le moteur de mon bolide (qui en faite ne se résume qu’à faire tourner les roues de mon vélo). Baburam veut ensuite me présenter sa grand-mère qui m’attends devant sa maison à deux pas d’ici mais qui ne peut pas se déplacer. « Very old « , me dit-il « 70 years old ». En effet, elle fait âgée, mais m’accueille avec le sourire. De retour dans nos quartiers, nous passons à table, ou plutôt sur le sol. La famille à préparé un Dhaal Bhaart agrémenté des trois oeufs et les quelques legumes que je transportais dans mes sacoches et que nous degustons à même le sol. Baburam me le répète sans cesse:  » we are very happy that you sleep here tonight, the village is very glad also ». Et moi donc!
Malheureusement, la soirée ne peut se prolonger, je tombe de fatigue et pars très vite me coucher dans ma tente. Le lendemain heureusement, j’ai la possibilité de leur faire des adieux plus convenables avant de reprendre la route de bon matin.

Bardia: attention aux Rhinos!

Étape obligée avant de faire le grand pas en Inde: la réserve naturelle de Bardia. Ce parc, je le traverse en partie sur mon vélo, car la route le coupe dans sa longueur. Cela me permet d’apercevoir quelques cerfs, mais pour en voir plus, je rejoins un petit village avec quelques lodges proposant des safaris au sein du parc. Bien qu’il soit possible d’y admirer des éléphants, des rhinocéros, et surtout des tigres (avec un peu de chance), l’excentricité du site par rapport aux centres touristiques du pays et sa proximité avec l’ancien foyer de rébellion maoïste font que ce parc est très calme et les touristes peu nombreux.

Dans mon lodge, je fait la connaissance de deux backpackers belges de vingt ans. Ensembles, nous décidons de faire équipe et de partir le lendemain dans le parc avec un guide. Ils vont vite me dégoûter. Fumeurs de joins invétérés, ils n’hésiteront pas non plus, un matin, à aller à faire un tour au collège du village pour repérer d’éventuelles aventures sexuelles.  » faut faire gaffe, si on nous chope, on risquerai d’avoir à se marier »…

Le safari se passe très bien. À pieds, nous suivons notre guide toute la journée, alternant affut et marche. À un moment, nous tombont sur deux rhinocéros qui se prélassent dans une marre. On pose les sacs et on se rapproche. Ils sont ENORMES!! Cachés dans les hautes-herbes, notre guide de seulement 19ans nous montre quelques arbres en nous disant qu’en cas de charge des rhinos c’est là que nous devons monter. Soudain, les deux bêtes se lèvent et commencent à courir! Le sol tremble jusqu’à nous, et leur vitesse est impressionnante vu leur taille. Heureusement, ils ne se dirigent pas vers nous.
Durant la journée, nous pourrons observer encore trois autres rhinocéros dont un bébé avec sa mère, des cerfs, un crocodile et un éléphant, et le tout en étant à pied, avec la possibilité qu’un tigre nous tombe dessus à tout moment!

Bye bye Népal!

La frontière avec l’Inde se rapproche, et j’ai vite fait de planter ma tente un dernière fois sur la terre népalaises. Pour l’occasion, je trouve un petit replat surplombant le lit gigantesque d’une rivière asséchée. Je voulais faire les choses discrètement pour ne pas être derangé. Pas de bol, alors que je plante ma tente arrive une cinquantaine de femmes qui s’en vont chercher du bois. On m’observe et le cercle de saris rouge se resserre toujours plus près de ma tente. Finalement, alors que ma tente est plantée et que le sac de couchage déroulé, les femmes commecent a me parler. Même si je ne comprends pas un mot de ce qu’elles me disent. En revanche, leurs mîmes sont clairs et je les interprète sans problèmes: une personne qu’on étrangle puis qu’on égorge. Elles me montrent la foret d’en face et le lit de la rivière. Puis, elles me disent d’aller au village avec elles pour dormir en sécurité. Elles se font insistantes et ont vraiment l’air inquiètes. Soudainement, elles disparaissent pour aller chercher leur bois et reviennent une heure après alors que je suis en train de manger mes pâtes. La même scène se reproduit, mais cette fois-ci elles se font très insistante. Apparament je me trouve dans une zone très dangereuses et elles se font du soucis pour moi. Heureusement, quatre jeunes hommes parlant anglais viennent en renfort et me font la traduction : je me trouve sur un territoire habité par des … Fantômes!!! Et puis aussi, il y a de nombreux gangs de voleurs qui remontent la rivière la nuit, et d’après eux, ce ne sont pas des coeurs tendres, sans compter les singes qui sont partout et ne manque pas une occasion pour fouiner dans les affaires des campeurs. D’après eux, je devrais dormir dans la cour de l’école. Mais voilà, la nuit est tombée, je suis super crevé et ça m’embête énormément de démonter ma tente pour la replanter 500m plus loin. De plus, j’ai la conviction qu’une fois réfugié dans le pays des rêves, rien de grave ne peut m’arriver. Stratégie de l’autruche peut-etre, mais à ce moment de la journée, je trouve qu’elle me convient très bien. J’essaye de leur faire comprendre que je veux rester sur place. Ils n’insistent pas et s’en vont. Aussitôt je m’endords et ne suis réveillé qu’une fois au milieu de la nuit par des bruits de pas dans les feuilles mortes en direction de ma tente. Le coeur battant je saisis ma lampe d’une main, mon bâton de l’autre, et éclaire en direction du son: ce n’est qu’un lapin. Le lendemain, je suis toujours en vie, et toutes mes affaires sont là. Morale de l’histoire: au Népal, même les fantômes sont gentils!

Au matin de cette dernière journée de route au Népal, je m’empare d’un stylo et de mon passeport et décide de me mettre moi-même dans la legalité. Je remplace precosionneusement quelques chiffres de mon visa, et soudainement ma présence au Népal devient valide jusqu’à la mi-mai! C’est fou ce qu’un petit trait en plus sur un papier peut arranger les choses!
Alors que je me dirige vers la frontières, je vois au loin deux formes étranges qui se rapprochent. Pas de doutes, ce sont des cyclos! Nous accompagnons notre rencontre de coups de sonnettes et de grands signes de mains jusqu’à ce que nous arrivons au même niveau. Une fois à l’arrêt, je fais la connaissance d’Arpi et Zita, jeune couple hongrois fêtant leur lune miel de manière assez particulière : en voyageant trois ans autour du monde sur des vélos couchés. On échange tous les bon tuyaux, je leur lègue mon Lonely Planet sur le Népal, eux me donnent un gingembre pour me remercier. Pour l’Inde, ils l’annoncent la couleur: d’après eux, c’est l’enfer!

L’Inde, d’ailleurs, j’y arrive…


Chapitre 24²: Namaste Sagarmatha, partie 2

Les montagnes autour de nous deviennent plus grandes, les pics plus acérés, les vallées plus encaissées. Les yacks remplacent les mules, les files de porteurs se prolongent à l’horizon, tout comme les groupes composés d’une douzaine de marcheurs bedonnants sentant encore bon la lessive et le savon. Bref, on a dépassé Lukla, nous voilà bel et bien dans le Khumbu, la région des Sherpas et de l’Everest. Désormais, nous avançons vers le Nord, remontant la rivière Dudh Koshi vers les glaciers des hautes altitudes. Après Lukla, tout est donc différent. Les chemins sont plus larges, les villages plus peuplés, les lodges plus grands. Le climat change lui-aussi: plus de nuages, températures moins accablantes.

Roupies

Dans les lodges, nous constatons que les prix augmentent de jours en jours. Et oui, tout est acheminé à dos d’hommes, et le tarif est de 100 roupies (1€) par kilo.
Les bouteilles d’eau qui valent 15 roupies à Kathmandu atteignent ici des sommes dix à vingt fois supérieures. Je suis impressionné que, malgré tout, des personnes dépenses chaque jour jusqu’à dix euros pour s’hydrater alors que l’eau des fontaines et des robinets coule tout droit des sommets, si proches. Pendant ces trois semaines de marche, je n’achète qu’une bouteille que je rempli régulièrement. En revanche, je rajoute de temps à autres des gouttes de micropure afin de purifier l’eau en cas de doutes sur sa provenance. Miro disait:  »I never buy water in mountains. Sometimes problems, but not often ».
Les repas aussi coûtent de plus en plus cher. Nous avons vite fait de manger que des patates ou des pâtes assaisonnées de ketchup. Et malgré les lits que nous arrivons à négocier pour une somme symbolique (les lodges comptent sur l’appétit des marcheurs pour faire entrer l’argent dans les caisses), la somme journalière dépensée au delà de 4’000m, en se serrant la ceinture, est généralement supérieure à 15€, voir 20€. En aval, en mangeant comme des chefs, nous dépensions rarement plus de 10€ par jours.

Le village le plus important de la région se nomme Namche Bazar, à 3’440m et à environ une journée de marche de Lukla. Pour y arriver, le chemin passe et repasse au-dessus de la Dudh koshi river grâce à de longs ponts suspendu environ une dizaine de fois. Les marcheurs ont l’occasion de profiter une dernière fois (une première fois s’ils arrivent de Lukla) des cultures en terrasses avant que le décor ne devienne une fois pour toute minéral. Des moulins à prières géants sur le bord du chemin permettent à tout un chacun de faire un nombre de prières impressionnants en un coup de poignet, tandis que tout bloc erratique, ou cailloux un peu plus gros que la moyenne sert de support d’écriture pour des mantras geant. Ces blocs, ainsi que les stupas et les Mani walls doivent être impérativement contournés par la gauche. Le Capitaine Haddock en sait quelque chose après sa visite au Tibet!

En arrivant à Namche, nous décidons de nous reposer de ces six jours de marche et tous ces dénivelés de montées et de descentes. Le village est étonnant. Situé dans le creux de qui pourrait être une niche d’arrachement, les maisons sont disposées en amphithéâtre, sur plusieurs terrasses. Des magasins de trekking, des lodges, des magasins de souvenirs et d’artisanats, quelques bars et boulangeries, les expéditions en partance pour le toit du monde peuvent profiter une dernière fois de nombreux plaisirs avant d’aller s’exiler dans leur tentes du camp de base. Pour le trekkeur que je suis, c’est surtout l’occasion de prendre une dernière douche avant le retour dans ce même village, dans une semaine.

En recroisant la belge dans les rues de la ville, nous décidons d’aller regarder un film ensemble dans un bar en fin d’après midi. La formule est simple: film en rapport avec l’Everest projeté gratuitement mais consommation obligatoire. Le film en question est Into Thin Air (La tragédie de l’Everest en français) tiré du livre génial de Jon Krakauer, l’auteur d’Into The Wild. En lisant le livre il y a plusieurs mois, j’ai appris de nombreuses choses concernant le déroulement d’une expédition en haute montagne. Les nombreux camps nécessaires, les journées d’efforts, mais aussi les journées d’attentes  interminables pour laisser le corps s’adapter à l’altitude. L’organisation irréprochable que cela demande pour que, lorsque les conditions le permettent, les grimpeurs soient dans leurs tentes au Col Sud (7’900m) prêt à sauter dans leurs crampons des que l’occasion se presente ( il y a deux semaines en Mai où la meteo peut être suffisament bonne pour permetre une ascension). Lorsqu’en décembre, j’ai participé à cette expédition à l’Aconcagua, j’ai pu entrevoir la difficulté et l’effort que demande une ascension dans en tres haute altitude. Réduit à l’état de zombie à 6’500m, j’ose à peine imaginer dans quel état je serai 2’000m plus haut.
Jon krakauer, écrivain-journaliste, mais aussi alpiniste confirmé, prend part à une expédition commerciale afin de couvrir l’ascension pour le magazine Outside. Guidé par l’un des meilleur guide de l’époque, il arrive au sommet le 8 mai 1996. A peine a-t-il commencé a descendre qu’une tempête arrive. Le nombre de personnes présentes sur la montagne ce jour-ci pose de sérieux problèmes, et les petites erreurs d’organisation cumulées pendant toutes ces semaines d’ascension causeront la mort de 5 personnes dans la tempête. Le récit de la tragédie est haletant, et le livre en soit fait partie, selon moi, des classiques de la littérature de montagne. Malheureusement, le film est de piètre qualité et reflète mal la réalité d’une ascension d’un sommet de plus de 8’000m.

Coïncidences

En buvant un vrai café à une terrasse d’une des boulangeries, je constate qu’un nouveau-venu se trouve à notre table. Entre Caitlin et Kesa se trouve un jeune chilien qu’elles ont rencontré un peu plus tôt dans les ruelles de Namche. Très vite se joignent à nous,  trois de ses amis. Ils commandent à leurs tour un café puis se présentent. Ils font partie d’une expédition chilienne en route pour le camp de base. Si tout va bien, ils seront au sommet dans six semaines. Les minutes passent, les conversations vont bon train. Je suis fasciné par ce qui leur attend et eux sont captivés par mon voyage à vélo. L’un d’eux est professeur en éco-tourisme à Santiago. Après avoir marché plusieurs jours dans la région du Cerro de Plomo en novembre dernier au Chili (cf. chapitre 15), je suis rentré en stop à Santiago. Une voiture s’arrete, et je suis ramene dans la capitale chilienne par deux étudiants en éco-tourisme justement. J’avais même oublié mes bâtons de marche dans leur pick-up et du les rechercher à leur bureau le lendemain. L’un d’eux s’appelait Pablo, et quand je demande au professeur s’il connaît un Pablo, toute la tablée éclate de rire:  » there is so many Pablo in Chile ! ».

Imposant avec ses cheveux long de métalleux, Gabriel est déjà monté au sommet du Lhotse, somme voisin de 8’516m. C’est un des guides cadre de l’expédition. Il me dit aussi qu’il était avec quelques clients sur l’Aconcagua il y a quelques temps. Intrigués, on essaye de se souvenir du jour où nous étions en route pour le sommet. Pour moi, c’était le 7 décembre, et eux y etaient le 5! J’essaye de me rappeler d’une éventuelle expédition chilienne, mais rien ne me revient. Puis, je pense à Eloi, le jeune français grimpant seul avec qui j’avais sympathisé. Il est monté au sommet deux jours avant mon propre Summit Day. Et il me semble me rappeler qu’il avait atteint le sommet en compagnie de quelques chiliens. Quand je leur parle d’Eloi, Gabriel s’exclame:  »aah Eloi! Yes I remember ! He was in love with one of our girls! ». Comme j’ai encore quelques photos de l’ascension sur la carte mémoire de mon appareil, j’en inspecte quelques unes. Exclamation générale sur une photo de notre camp à Nido de Condores :  » HEY, it’s our tents! ». Leurs tentes sont effectivement au premier plan de ma photo! On en revient pas, de se rencontrer au Népal et d’enfin faire connaissance après avoir escaladé l’Aconcagua presque ensemble!
Après un moment de silence, étourdis par cette coïncidence, les conversations reprennent. Mon voisin de droite, Jose, me demande de lui raconter mon séjour au pied du Cerro del Plomo car il connaît bien le coin. Je lui raconte alors comment je suis rentré en stop, oubliant mes batons dans un pick-up. C’est a ce moment-la qu’il tilte.  »Hey, t’es le gars qu’est venu chercher les bâtons oubliés dans la voiture de mon frère Pablo!! »,  »oui »,  »tu te rappelles pas, c’est moi qui te les ai tendus! Et t’avais meme apporté des biscuits. »
Là, c’est vraiment trop fort. Je suis entouré de gens que j’ai rencontré au Chili sans le savoir on dirait! J’en reviens pas, les chiliens non plus. Le monde est petit comme on dit.
Encore hilaires après cette série de coïncidences, nous nous séparons en espérant nous croiser aux alentours du camp de base. au cas oû je ne les revois pas, je leur souhaite bonne chance pour leur ascension.

En route pour les hautes altitudes

Dans les superette de Namche, on peut facilement reconnaître les personnes qui descendent et celles qui montent: des snickers pour qui attaque la montée, des bières et des pansements pour les pieds pour ceux qu’en on finit avec les denivelés positifs. On n’échappe pas à la règle, avant de reprendre notre marche vers Sagarmatha, nous faisons le plein, profitant des dernières barres de chocolat à 60 roupies avant longtemps.

Mercredi 28 mars, nous nous remettons en route. Pour atteindre le camp de base de l’Everest, il existe plusieurs options. Le chemin le plus courrue est celui qui suit la vallée principale et qui permet de visiter de beaux villages (Tengboche par exemple) et de marcher sur les traces d’Hillary et Tenzing. Puis, il est possible de s’engager dans des vallées parallèle, retrouvant le camp de base (situé plus à l’est) après avoir traverser un ou plusieurs cols haut perchés. Ces vallées, celle de Thame ( à l’extrême ouest ) et de Gokyo (au milieu) en l’occurrence, sont superbes, et présente un point positif non-negligable: elles sont moins fréquentées! Ainsi nous nous rendons dans la vallée de Gokyo, séparé du camp de base par le Cho La, col glacé à 5’360m. Cette vallée est célèbre pour ces cinq lacs périglaciaires qui la remontent jusqu’au pied du Cho Oyu, la 8eme plus haute montagne au monde. Au niveau du petit village de Gokyo, il est possible de monter au sommet d’une  »butte », le Gokyo Peak, afin de jouir d’un panorama imprenable sur l’Everest et ses voisins. C’est donc dans l’intension de gravir ce petit sommet ainsi que ce col que nous nous engageons dans cette vallée.

Les choses serieuses arrivent, il va falloir bien gérer notre montée afin de souffrir le moins possible de l’altitude. Avec Caitlin et Kesa, on sélectionné les quelques endroits où nous pensons qu’il est judicieux de s’arrêter. Callum et Georgia nous laissent gérer et nous font confiance. Nous mettons ainsi le cap sur Phortse. Ce village est un peu à l’écart des principaux sentiers, et nous permettra par la suite de remonter la vallée de Gokyo sur le versant le moins visité. À Phortse se trouve aussi une école d’escalade pour Sherpas fondée par Alex Lowe, un célèbre alpiniste américain décédé il y a quinze ans dans une avalanche.

Kesa et Caitlin nous l’avaient dit, il y a des gens du Montana qu’elles connaissent qui sont aussi en route pour l’Everest. Il s’agit d’une expédition américaine du National Geographic menée par Conrad Anker, le fameux alpiniste ayant découvert le corps de Mallory. Nous étions donc destinés à croiser une floppée de personnes que nos américaines connaissaient) http://adventure.nationalgeographic.com/adventure/everest/american-expedition-2012/ ). En arrivant à Phortse, il s’avère que plusieurs membres de l’expédition y sont présent, ainsi que Max, le fils de la famille Anker, que Kesa connait bien pour etre sortie plusieurs années avec lui. ( Max qui se rend aussi au camp de base, mais pas pour la durée de l’expédition).
Ainsi, nous passons la soirée à discuter et jouer aux cartes avec ces alpinistes de renommée internationale. Conrad reste en retrait tout du long, on voit qu’il a la tête ailleurs. Occasionnellement, il parle avec un des sherpas de l’installation des camps d’altitude et des cordes fixes. En revanche, je trouve Max et Cory, alpiniste-photographe de seulement 28 ans qui va escalader l’arête sud-ouest avec Conrad, extrêmement sympathique et je me réjouis de les retrouver au camp de base dans quelques jours.

Le lendemain, après une dernière tasse de thé avec l’équipe du National Geographic qui part en direction du camp de base via la vallée principale, nous reprenons notre marche vers Gokyo. Les montées sont désormais plus douces et régulières. Aussi, pour le moral cela aide de savoir que chaque mètre gagné ne sera pas perdu le lendemain lors d’une descente vers un pont suspendu. Désormais, nous montons pour de bon, bientôt, nous serons à 5’000m!

Gokyo Peak!

Dans le but de ne pas monter trop vite, nous raccourcissons nos étapes, commençons entre 8 et 9h et non plus à 6h. Les températures, chaque matin plus fraîches au point de faire geler l’eau de nos gourdes, ne nous poussent pas non plus à un départ matinal. Le  »soir », nous nous arrêtons entre 12h et 14h, et profitons des dernières heures de jour, et de températures clémentes pour lire et écrire dans nos carnets. Parfois je pars marcher quelques heures dans le but de gravir de précieux mètres permettant de m’acclimater plus rapidement. De retour au lodge, je joue parfois aux échecs. Callum trimballe avec lui un petit damier, et nous entamons une lutte acharnée en plusieurs manches. Comme aux play-off, le meilleur des sept parties se verra offrir un plat de momo par le perdant! Finalement, entre jeux, lectures et repas les soirées passes vite car à 20h, tout le monde dort, y compris le maître du lodge.

A Nha, entre Phortse et Gokyo, le seul bâtiment du lieu-dit se trouve être un lodge. Le propriétaire et un grand sherpa de plus d’1m80 (!), Da Nuru, qui a escaladé 14 fois l’Everest! Il sera encore de la partie cette année-ci car il rejoint demain l’équipe de …Conrad Anker! Il nous donne rendez-vous au camp de base et nous promet de nous y offrir un thé.

Finalement, au jour 10, nous arrivons à Gokyo ( 4’800m). Les fameux lacs qui parsèment le flanc droit de la vallée sont gelés, et excite Georgia comme pas possible car elle n’a jamais vu de lacs gelés de sa vie. C’est sûr qu’en Australie il doit pas en avoir beaucoup! Au-dessus du village se dresse le Gokyo Peak, 5’360m, qui ressemble plutôt à une colline qu’à un pic comparé aux géants environnant, notamment le Cho Oyu qui ferme la vallée. L’étape de jour ayant été particulièrement courte, je décide de laisser mes compagnons se reposer et de partir en direction d’un col voisin, le Ranjo La, 5’360m, afin de m’acclimater. Je pars tard, et le temps tourne rapidement. Finalement, à 200m du col je dois faire demi tour. Il était temps! La neige a recouvert le chemin que j’égare, et les m’empêchent de me repérer. C’est à taton que je retrouve les rives du lac qui me ramènent jusqu’à Gokyo.

Les premiers effets de l’altitude et des kilos portés superflus se font sentir: Callum est en petite forme. En revanche je suis épaté par les américaines qui continuent à donner le rythme et ne semble ressentir auncune fatigue ni mal d’altitude. Et pour cause, ce sont les premières à proposer un lever ultra matinal le lendemain pour aller admirer le lever de soleil du haut du Gokyo Peak. Callum n’est pas de la partie, trop mal en point, et Georgia entamera l’ascension de son côté quand les températures seront moins  »extrêmes ».
C’est ainsi qu’à 3h45 du matin, par -10°C, nous sortons du village et commençons à arracher les premiers mètres à ce  »pic ». Le ciel est splendide, jamais je n’ai vu autant d’étoiles meme dans le Sahara. Mais mal nous en prend de nous arrêter pour les admirer: la moindre minute d’inaction plonge l’extrémité de nos membres dans un engourdissement qu’il est difficile a calmer. Durant toute la marche, j’agite mes doigts et orteils, et je bénit mon bonnet qui descend juste assez bas pour protéger l’entier de mes oreilles. La montée et longue, et à la lueure de ma lampe, je tache de repérer le sentier qui se perd dans la pierraille. Peu à peu le ciel s’eclairci, les montagnes apparaissent plus clairement, et enfin nous pouvons avancer sans l’aide de nos frontales. Apres une ascension au temps record de 1h40 nous arrivons aux drapeaux de prières sommitaux. Le panorama y est imprenable et enfin nous avons le droit à une vue digne de ce nom sur le Mt Everest. Celui ci se détache parfaitement sur l’horizon, offrant un contre-jour splendide tandis que le soleil se lève derrière lui. Les mains sous les aisselles pour les réchauffer, nous contemplons ce lever de soleil magique auquel nous avons le privilège d’assister. C’est à ce moment là que je sors le drapeau du Népal que j’ai emporté avec moi dans le but de m’en servir comme  »feuille de vigne » en prenant la pose d’une manière un peu particulière. Ni une ni deux, je me déshabille, tend à Kesa l’appareil photo, et place le drapeau à la forme si particulière contre mon caleçon (que j’ai tout de même gardé). Le supplice terminé, je me revêtie et fait poser Kesa et Caitlin top-less avec le même attribut. Elle se targeront d’avoir été ce matin là  »the highest top-less girls in the world! »
En redescendant, nous croisons de nombreuses personnes montant à leurs tours au sommet et…Georgia! Elle me fait rire, vêtue d’une doudoune fashion arrivant à mi-cuisse, avançant lentement vers le sommet. Néanmoins je suis impressionné par les performances de cette fille qui en veut malgré le fait qu’elle n’a jamais fait de vraie marche avant ce trek!

Jour 11, Cho La pass, 5’368m

Deux jours après cette ascension glaciale et après avoir traversé pendant une heure un impressionnant glacier, nous sommes prêt à entreprendre l’ascension du Cho La, le col rejoignant la vallée du Khumbu où se trouve le camp de base. Callum va un peu mieux, et se fait à l’altitude.
On nous avait annoncer l’ascension du Cho La comme étant terrible. Sur les cartes, il est mentionné qu’il ne faut pas s’y aventurer sans guide ni équipement de grimpe. Pourtant, nous gravissons ce col sans soucis majeur, et les filles, Kesa et Caitlin le survolent littéralement. Alors que Callum prend son temps et que je marche à mon rythme, le duo d’enfer arrive au sommet en un rien de temps. Quand j’y arrive à mon tour, j’ai le plaisir de retrouver Pierre, le français rencontré lors de mon premier repas à Kathmandu. Depuis Shivalaya, j’ai marché sur ses pas et c’est maintenant, après onze jours de marche que je le ratrappe enfin. Dés lors, et jusqu’au retour à Kathmandu, nos chemins se croiseront de nombreuses fois.
En traversant le glacier au sommet du Cho La, et en basculant dans la Khumbu valley sous l’oeil inquisiteur de l’Ama Dablam, je ressent quelque chose de fort. Enfin, j’arrive au pied de l’Everest! Je sens, tel un aimant, qu’il m’attire de manière toujours plus puissante. Les kilomètres qui m’en séparent s’effilochent et je me languis d’enfin caresser les orteils de la bête. Mais chaque choses en son temps. Tout d’abord, il faut prendre garde à ne pas chuter. La descente du Cho La est vertigineuse et d’autant plus dangereuse que la vue que celle-ci offre nous incite peu à regarder nos pieds. L’Ama Dablam, certainement la montagne la plus belle, la plus esthétique et la plus pure que j’ai vu depuis l’Aiguille de la Tsa se dresse face à nous, de l’autre côté de la vallée. Et sur notre droite, un mur impressionnant cache toute autre montagne: la face Nord du Cholatse. Dans un environnement pareil, sous un soleil qui crache enfin les quelques celsius qui nous ont tant fait défaut dans la vallée de Gokyo, je ne peux m’empêcher de me déshabiller une nouvelle fois et de poser nu avec le drapeau népalais à la bonne place. Les photos que Kesa prend sont magistrales et vaudront de nombreux commentaires sur facebook.

La route continue, longeant enfin la langue du glacier du Khumbu. Les montagnes qui ferment la vallée approchent, et le terminus de notre marche aussi. L’Everest, situé sur notre droite mais caché par ses voisins, n’est pas visible, mais le spectacle est au rendez-vous à chaque minute. Par exemple, il y a ces caravanes de yacks transportant le matériel d’expédition qu’il faut laisser passer. Pour eux aussi le voyage est long et pénible, la dépouille d’un des leurs, fraîchement décédé près du camp de base en témoigne.

Gorak Shep, Kala Pathar et EBC: terminus

Voilà, Gorak Shep, 5’140m, dernier village de lodge avant le Tibet. Si seulement j’avais cordes, crampons, piolet… et des compétences, je les aurais enjambées ces montagnes de rien du tout pour aller visiter ce pays et cette culture tibétaine que je rêve de découvrir. Au lieu de ça, nous posons les armes, ou plutôt les sacs et gravissons les dernières moraines jusqu’au camp de base. Georgia et Callum sont restés se reposer un peu plus longtemps au village précédent, et nous espérons le croiser sur le chemin du retour. Du coup, c’est avec les Kesa et Caitlin que j’arrive à l’entrée du camp de base. Quelques cairns, des drapeaux de prières, et c’est tout. Pas même une vue sur l’Everest qu’il n’est pas possible de contempler du camp de base (pour ça il faut grimper en haut du Kala Pathar, ce que nous feront le lendemain). La plus part des trekkeurs s’arrêtent là, mais nous, nous avons un endroit oû aller. Grâce à mes deux américaines, véritables laisser-passer pour l’occasion, je pénètre au coeur même de ce camp gigantesque. Nous nous rendons auprès des tentes North Face de l’expédition de Conrad Anker pour y retrouver Max et Nuru qui tiennent parole et nous offrent le thé. Partout autour de nous, et sur une large étendue, c’est l’effervescence. Le glacier se voit couvert chaque jour de nouvelles tentes abritant les 22 expéditions présentent ce printemps-ci.

Guidé par Max, nous slalomons entre les abris de toiles jusqu’à la chute de glace du Khumbu. C’est de là que les alpinistes commencent leur ascension. Véritable chaos de glace, ces blocs de seracs aussi grands que des maisons se détachent chaque jours sans prévenir du glacier. Du camp de base, les alpinistes peuvent entendre la glace craquer et avaler les échelles et cordes fixes posées quelques jours aupravant. C’est cette Khumbu Ice Fall que les prétendants au sommet doivent gravir en premier lieu pour atteindre le camp I. Gabriel, le chilien, disait  »c’est comme une roulette russe géante ». Heureusement, pour nous trekkeurs, la route s’arrête là, et nous profitons de l’invitation à déjeuner de l’expédition d’Anker (!) pour passer le témoin aux alpinistes. Ce dejeuner permet de tater d’encore plus près une expédition Himalayenne. On donne des conseils concernant l’hydratation, l’hygiène qu’il faut avoir durant ces semaines au camp de base…etc. cela me replonge quelques mois en arrière à l’Aconcagua!

Après l’EBC, et du Gokyo Peak, c’est au tour du Kala Pathar. Petit sommet au pied du Pumo Ri, le Kala Pathar permet de contempler au plus près le Mont Everest. Au petit matin, avant le lever du jours, je fais équipe avec Kesa et Caitlin et ensemble nous atteignons le sommet, à 5’550m, juste à temps pour contempler le lever du soleil. Encore une fois, c’est magnifique. Nuptse, Pumo Ri, Cho Oyu et bien sûr Mr Sagatmatha sont au rendez-vous. Alors que les autres, frigorifiés redescendent à toute allure, je reste une heure au sommet à contempler une dernière fois ce panorama époustouflant avant la longue marche de retour vers Kathmandu.

Retour sur Terre

Deux semaines, c’est ce qui m’aura fallut pour atteindre le sommet du Kala Pathar. Il me faudra 5 jours pour rentrer à Shivalaya. Tout d’abord, nous rentrons tous les cinq jusqu’à Lukla en s’arrêtant une demie journée à Namche. Fidèles à la tradition, nous allons acheter des bières dans la superettes (et non des snickers) et trinquons à notre santé. Notre tête n’est plus à la montagne. Dans nos discussions, les mots  »steak » et  » do nothing  » reviennent de plus en plus régulièrement. Finalement, à Lukla, nous nous séparons. Callum, Georgia, Kesa et Caitlin prennent l’avion pour Kathmandu tandis que je rentre à pieds jusqu’à Shivalaya. Quand, je me retrouve seul sur le chemin parcouru en groupe deux semaines auparavant,  à assister au va et viens des avions, mon estomac se met en boule. La nostalgie des bons moments m’envahi  à chaque pas, à chaque repère, a chaque étape clé du trajet aller. Je les imagine, assis a une bonne table de Thamel a manger un beau steak bien saignant. Je ne tiens plus, j’accelère le pas!

Afin de me motiver, je me mets en mode turbo: j’avale les denivelés, dévorant les kilomètres, marche du lever au coucher du soleil. Ce retour, qui aurai pu être pénible, s’est transforme en véritable défi. L’effort intense et permanent que je me suis imposé l’a rendu aussi mythique que l’aller, mais dans une connotation plus sportive.
Le premier soir, j’arrive au niveau du col Taksindu. Au passage, je passe dans la fameuse auberge où les posters de bébés avec des poses ridicules nous ont fait tant rire. Buvant un thé avec la reine mère du lodge, je négocie le poster  »sorry let me enjoy » que je rapporterai tel un trophée auprès de mes amis. Le deuxième jour est un véritable marathon: +2’300m et -3’800m de denivelés. Je franchis le col du Lamjura, passe devant un, puis deux lodges où nous nous étions arrêtés pour dormir. Un moment donné, je fais un bout de chemin avec un jeune sherpa. La pente, il la devalle, et par conséquent, il me force à encore accélérer mon rythme. Lorsqu’il jette de temps à autres un oeil par dessus son épaule et qu’il constate que je suis toujours là, il s’exclame  »oh, you are very fast  ». Quel compliment de la part d’un sherpa! Finalement, dans l’ascension d’un dernier col, alors que la nuit tombe, je le depasse pour de bon. Sahib 1, Sherpa 0!

Quand je m’arrête pour souffler quelques instants avant la tombée de la nuit, les commentaires des locaux sont admiratifs quand je leur dit d’où je viens, j’ai presque l’impression d’être l’un des leurs! Ces encouragements me donnent l’énergie suffisante pour franchir ce dernier col alors que le nuit s’installe progressivement et que le brouillard prend un malin plaisir à s’inviter à la fête. À la lueur de ma lampe frontale, je tente de trouver mon chemin jusqu’au col. J’ai de la chance, je sens que j’ai encore une certaine réserve d’énergie. Je sens qu’il est bel et bien possible que j’arrive à Shivalaya ce même soir, me permettant ainsi d’attraper le bus du lendemain, prenant la piste a 6h. La descente finale me prend presque deux heures. Le brouillard ne me facilite pas la tâche, et les batteries de ma lampe sont presque vides. L’ambiance mystique que confère ce brouillard ainsi que le suspens induit par le fait que ma lampe peut s’eteindre a tout moment rend la descente mémorable. Je me sens  léger malgre les 14h de marche quasi ininterrompue.  Néanmoins je descends  prudemment, prenant le temps nécessaire à assurer chaque pas. Tomber maintenant, ce serait trop bête!

Finalement, c’est à 22h que je débarque dans le village endormi de Shivalaya. Deux jours, c’est ce qu’il m’aura fallu pour rentrer depuis Lukla alors qu’il nous en avait fallu 5 à l’aller. Grâce à ce cravachage constant, je vais pouvoir prendre le bus du lendemain matin avec mon vélo, et arriver à Kathmandu le soir même. Apres ces trois semaines de marche, il n’est pas question que je rempile avec trois jours supplémentaire de vélo sur des routes que j’ai déjà fréquentées.

Le voyage en bus est mythique. 12h passées sur le toit avec mon vélo, tantôt accompagné parfois d’une vingtaine de personnes qui prennent appuis constamment sur les rayons de mes roues que j’entends hurler de douleur. Quand le toit du bus devient plus intimiste, j’ai le droit à toutes sortes de questions. Par exemple, un compagnons de route me lance soudainement  »que penses-tu du sexe? » ??!!!
Après lui avoir répondu et donné mon avis, il me dit, les yeux rêveurs perdus dans le lointain  »je pense que c’est beaucoup d’émotion et beaucoup d’amour ». Il me dit qu’auncue relation n’est possible avant le mariage au Népal, et à 26ans, il manifestait à mes yeux un besoin assez urgent de se trouver une épouse !

J’arrive à Kathmandu de nuit et pose les pieds à terre avec joie après avoir passé une journée cramponné au toit de ce bus déglingué. Une fois mes quartiers pris au Prince Hôtel, j’ai vite fait de retrouver les Autres et de satisfaire mes envies de steak et de  »do nothing ». En effet, ce sont huit jours de far niente que je m’occtroie dans la capitale avant de retourner sur les routes. Cette fois-ci, cap a l’Ouest, sur Dehli.


Chapitre 24: Namaste Sagarmatha! partie 1

Namaste Sagarmatha, Tashi Delek Chamolungma, Salut à toi Mt Everest, Ave Everestus!

Adios Vietnam, au revoir Stéphane, Benoît et la famille Duteurtre. Merci à tous pour votre accueil et votre compagnie. En sautant dans l’avion, puis en atterrissant à Kathmandu, je me jette dans un autre monde! Mon vélo, ô surprise, arrive saint et sauf à Kathmandu alors que j’ai usé de diverses ruses et filouteries à Hanoi pour ne pas payer le surplus de 20kilos que celui-ci représente. Mon excitation est grande: le Népal, j’attendais ça avec impatience, quelle joie d’y arriver enfin! Dans l’aéroport, je chante à tue tête, je me jette dans les bras des vieilles dames qui attendent leurs bagages, je lance des bonbons en l’air que les enfants s’empressent d’aller ramasser. Quand viens mon tour, je tends mon passeport à Mr Visa en lui gratifiant de mon plus beau sourire. ”I will stay 30 days in your wonderful country My friend!” Le visa est collé, le passeport rendu, je peux entrer officiellement au Népal, et vérifier par moi même si le pays est véritablement ”wonderful”. En assemblant mon vélo devant l’aéroport, je suis régulièrement interrompu par les nombreux chauffeurs de taxis qui proposent leurs services à la sortie du bâtiment. Généralement ces personnes représentent le pire accueil que peux réserver un pays aux touristes et voyageurs. Souvent, ce sont même eux qui ont l’honneur de vous proposer une première arnaque. En revanche, mes amis taxiwallahs, comprenant que je ne suis pas une cible comme une autre, me lance des ”welcome in Nepal !”, me donnent quelques précieux conseils sur la circulation et m’indiquent la direction jusqu’au centre-ville des backpackers: Thamel. Plus heureux que jamais, je donne mes premiers coups de pédale népalais en fin d’apres-midi de ce samedi 17 mars 2012.

Thamel parmi les hippies-backpackers-touristes et vers Shivalaya en mode cycliste


Saturation de piétons, de deux-roues, de piétons, de vendeurs, de touristes, de micro-particules, de trekkeurs, d’hôtels, de restaurants, de magasins d’articles d’alpinisme, de klaxons, de dealers, de cris, de sourires et de pleurs: voilà comment décrire brièvement le quartier de Thamel. Je suis tellement impatient de me lancer sur les routes puis les sentiers du pays que je ne vais y rester que deux petites nuits, le temps de me mettre en règle ( permis de trekking) et de parfaire mon équipement. Je découvre aussi les spécialités culinaires locales: en mangeant un plat de momos dans un petit restaurant, je croise la route de Pierre, artiste peintre parisien qui a aussi le viseur sur le Mt Everest. Partant avec quelques jours d’avance, il est néanmoins possible que nous croisions plus tard. Plusieurs kilos de superflus laissés entre les mains du roi de Prince Hôtel, digne de confiance je l’espère, je commence mon épopée vers le pied du toit du monde. Everest, me voilà!

Toujours plein d’entrain et de bonne humeur, je fais ma première véritable erreur de navigation. Perdu pour la premiére fois, je fais un détour de 7km qui me permet de visiter un quartier charmant: Patan. Erreur corrigée, je mets mon cap à l’Est, vers le village de Shivalaya à deux cents kilomètres. En me lançant sur les routes népalaises, je dois avouer que je suis intimidé. L’Himalaya, ce n’est pas rien! Les dimensions sont gigantesques, les montées sont interminables, et la largeur de la route moindre. L’effort physique est au rendez-vous, et les frayeurs aussi. Les 4500m de dénivelés positifs en 3 jours sont peut-etre pas loin de m’achever, mais ce sont surtout ces bus fous qui devallent les côtes à toute allure et chargés d’une vingtaine de personnes sur leurs toits qui sont proche de mener à bien cette tache. Parfois, ce sont les enfants qui jouent avec mes nerfs, marchant à mes côtés sans se presser (eh oui, il est rare que ma vitesse excède les 7kmh), pendant une ou deux heures en me demandant de toutes les façons possible des stylos, du chocolat (si seulement j’en avais, ne serait-ce que pour me booster), ou des dollars. Mais rien de tout ça n’entamme ma bonne humeur, surtout quand au levé, je constate à travers la toile de ma tente que j’ai le droit à un comité de réveil qui m’apporte des biscuits pour mon petit déjeuner!
Il me faut trois jours pour rallier Shivalaya, ville d’où je commence ma marche. Mon arrivée à vélo fait sensation aussi bien auprès des népalais que des futurs trekkeurs. Les cyclistes ne doivent pas être nombreux dans le coin, surtout que pour arriver dans ce village qui, alors, me semble être le bout du monde, il faut emprunter une piste ultra-cabossée et vertigineuse par endroit sur plus de 20km. Toujours impatient de retrouver ces sensations de la marche qui me manquent tant, je ne perds pas de temps. Arrivé en fin d’apres-midi, épuisé après ces 3 jours de montées sans pitié, je pars à la recherche d’un ”bikesitter” pour veiller sur mon vélo pendant mon absence. Finalement, je confie mon deux-roues, ma tente, et encore quelques kilos superflux aux gardes de la réserve naturelle dans laquelle je me situe en esperant tout retrouver dans deux ou trois semaines. La montagne népalaises étant parsemée de  »lodges », sortes de guesthouses proposant un lit pour trois fois rien (je paye en général moins de 50cents par nuit), et des plats allant de 1 à 5 € suivant l’altitude à laquelle se trouve ce dit lodge.

Aventures sur le toit du monde, petit descriptif

Tel l’oeil de Sauron dans le Seigneur des Anneaux, l’Everest balaye son regard de plus en plus souvent dans ma direction depuis mon arrivée en Asie. Il m’appelle, il m’atirre, je veux lui répondre, le voir, l’effleurer. Avec ses 8’848m, ses légendes, ses comptes, les exploits de ses alpinistes mais aussi ses morts et ses tragedies, Sagarmatha a tous les arguments pour exercer cette fascination dont je suis victime. Ces hommes qui se lancent à l’assaut de cette montagne sont pour moi des héros. Des héros de l’inutile peut-etre, mais néanmoins, les souffrances et les privations endurées pour d’éventuelles minutes de gloire au sommet de la plus haute montagne du monde n’ont cesse de m’impressionner.

Les premières expéditions pour conquérir le toit du monde datent des années vingt. Le Népal étant fermé aux étrangers à cette époque, les expéditions, britanniques en l’occurrence, rejoignaient Bombay en Inde par bateaux, puis le Sikkim au nord de Calcutta en train. Dès lors, des caravanes de plusieurs centaines de mules et porteurs véhiculaient des tonnes de vivres et de matériel à travers le Tibet afin de rejoindre le versant nord de la plus haute montagne du monde. Véritable expéditions dans l’expédition, rejoindre le pied de l’Everest était alors, et l’est toujours à moindre mesure, un véritable voyage initiatique. D’autant plus qu’il fallait alors trouver une voie d’accès allant jusqu’au pied de la montagne, puis sélectionner une route pour rejoindre le sommet.
La figure emblématique des expéditions de 1921, 1922 et 1924 est celle de George Mallory. Alpiniste phare de l’epoque, il a notament répondu à un journaliste qui lui demandait d’où lui venait cette obsession d’escalader l’Everest:  »Because it’s there » (parce qu’il est là). Les recits de ces premières tentatives d’ascension sont passionnantes! Les alpinistes n’ayant pu gravir d’autres montagnes que celles des alpes, se jetaient coeurs et âmes sur les versant de Chomolungma,   »Déesse mère du monde » en tibétain. Malgré des vêtements tels qu’on pouvait en trouver à Londres à cette époque (et donc absolument pas adaptés pour lutter contre des températures descendant jusqu’à -50°C), et un équipement rudimentaire par rapport à ceux dont bénéficiaient l’équipe de John Hunt en 1953 lors de la première ascension, Mallory et les siens sont parvenus très haut sur cette montagne. L’usage de l’oxygène était déjà de vigueur, et en 1924, des altitudes faramineuses ont étés atteintes. Norton , un des membres de l’expédition est parvenu, au bord de l’épuisement à environ 8570m avant de redescendre à moitié aveugle. L’assaut qui a suivit est mythique. Mallory lui même s’élance du Camp IV en compagnie d’un jeune novice mais expert dans la manipulation des bouteilles et masques à oxygènes: Sandy Irvine. Le duo est aperçu pour la derniere fois à plusieurs centaines de mètres du sommet, entre les deux principaux obstacles du versant tibetain appelés First et Second Step. Personne ne sait si Irvine et Mallory sont parvenus au sommet ou non. Même si une ascension ne peut pas être déclarée réussie si personne n’en redescend vivant, ce mystère est l’un de ceux ayant fait coulé le plus d’encre dans le monde de la haute-montagne.
Plus tard, en 1999, Conrad Anker, un alpiniste américain de renommée mondiale, a retrouvé le corps de Mallory dans un état de conservation impeccable. Néanmoins, le doute subsiste encore aujourd’hui: Mallory et Irvine sont-ils parvenus au sommet 29 ans avant Hillary et Tenzing Norgay? Pour les curieux, je vous encourage à jeter un coup d’oeil à ce reportage sur la recherche et la découverte du corps de Mallory dont voici la bande-annonce:

http://m.youtube.com/watch?desktop_uri=%2Fwatch%3Fv%3DlpwBQlOSJ3I&v=lpwBQlOSJ3I≷=US

Après plusieurs années de vache maigres, l’aventure himalayenne a repris en 1950, lorsque le Royaume du Népal a enfin ouvert ses portes aux étrangers. L’impensable réussite d’Herzog et Lachenal aux Annapurnas sonne la chasse aux 8’000m. Cette première victoire sur les plus grandes montagnes de la planète sort de nulle part. Herzog , Rebuffat, Terray et Lachenal ont, sans aucune carte digne de ce nom, cherché la montagne pendant plus d’un mois. Avec la Moisson à leur trousse, ils graviront la montagne en moins de deux semaines et perdront tous leurs doigt et orteils à cause du froid. Après ce succès, les 14 sommets de plus de 8000m seront gravit un à un pendant 15 ans: l’âge d’or de l’Himalayisme.
Pour finir avec cette présentation, venons-en à la première ascension du sommet qui nous intéresse: l’expédition de 1953 dirigé par le britannique John Hunt et qui amènera Sir Edmund Hillary de Nouvelle-Zelande et du tibétain Tenzing Norgay au sommet de l’Everest. Cette expédition est une des plus réussie de cette époque. Aucun mort, aucune blessure importante, et surtout la nouvelle du triomphe sur le toit du monde arrivant pile à l’heure pour le couronnement de la Reine d’Angleterre! Les expéditions partant pour la région de l’Everest commençaient leurs voyage à pieds non loin de Kathmandu, passant par Shivalaya, Lukla et Namche. C’est cet itinéraire que j’ai suivi, tantôt à vélo, tantôt à pied. Depuis la construction de l’aéroport de Lukla ( un des plus vertigineux au monde), les trekkeurs ordinaires amputent au trail près de 5 jours de marche dans des paysages bien différent de ce qui les attendent plus haut. Montant de cols de plus de 3’300m et descendant  des rivières par des pont suspendus à 1’800m, la poignée de trekkeurs s’obstinant à parcourir ce trek dans son intégralité ont l’opportunité de découvrir un autre visage du Népal.

Shivalaya- Everest: GR5 revival ?

En lisant les premiers chapitre de 20kmh.net, vous pourrez constater que mon expérience sur le GR5, trek allant du lac Léman à la Mer Méditerranée, m’a laissé de souvenirs très forts et imperissable. C’est donc naturellement que je m’attendais a retrouver les mêmes sensations dès mes premières foulées himalayenne. Mais ce n’est pas tout à fait le cas. Alors que je me prépare à avaler les étapes en un rien de temps, sautant de village en village comme si j’étais chaussé de bottes de sept lieux, je réalise qu’il me faudra quand même un temps d’adaptation. Il est vrai qu’il y a deux ans dans les Alpes, il m’avait fallut presque cinq jours pour me faire arriver au top de ma forme. De plus, ici, ce n’est pas les alpes. Il est vrai que cette première partie de trek ne dépasse pas les 3550m, mais cela fait longtemps que je n’ai pas utilisé mes jambes de cette manière, du coup, la première étape est relativement longue et difficile. Un rythme plus lent, voilà ce qu’il me faut! Savourer le temps présent, profiter de chaque panorama, saluer chaque villageois et plaisenter avec les enfants,  véritables âmes de ces premières montagnes. Après tout, j’ai le temps, et qu’importe, dans 10 jours ou dans 20 jours, l’Everest sera toujours le même.

Et là, Miro est arrivé…

Lors de cette première journée je fais de nombreuses rencontres, dont certaines seront decisives. La première se fait à Thodung à 3’000m, au-dessus du premier col du trek. Je tombe par hasard sur une vieille ferme et son propriétaire. Dents en moins, vêtements sâles et déchirés, cet homme est pourtant d’un accueil exemplaire. Pour trois fois rien, il m’allume un feu et me fais du thé et une chapatti. Sa fille d’à peine un an déambule parmi les animaux cinq fois plus grand quelle. Avant de partir, je garnis les poches de fromage  »de nack », la femelle du jack, que je paye gracieusement pour les remercier. A peine remis de cette rencontre hors du temps, je m’arrête dans le prochain village pour y manger un Dal Bhaat, plat national de riz et lentilles. Tout d’abord, je négocie le prix du plat à la baisse comme cela se fait toujours,  puis, en attendant ma pitence,  je mets à jour mon journal. Quand la propriétaire du petit restaurant lodge me voit faire, elle me demande quelle est ma profession. Tout de go, je réponds sourire aux lèvres que je suis écrivain. Lassé de répéter à chaque fois le même discours, il m’arrive souvent de m’inventer de nouvelles vies. Sa réaction est immediate:  » Great.  Today, everything is free for you. Please, note my lodge name in your book ». Ainsi, après avoir négocié mon repas à la baisse un peu plus tôt, je me trouve en train d’implorer la dame pour qu’elle me laisse payer ne serai-ce que mon thé. Rien à faire, elle veut rien lâcher, je ne dois rien payer, mais lui faire une pub gratuite et d’enfer dans mes écrits. Ainsi, je t’implore, ô lecteur, de te rendre à Bhandar, au Shoba Lodge. Si tu ne le fais pas, mon karma risque gros!

Alors que je termine ma première étape et arrive dans la petit bourgade de Kinja, je rencontre une belge de trente ans qui marche avec un sac rikiki.  Je l’envie, c’est une pro (ou une inconsciente selon certains) de partir trekker plus de 15 jours avec un sac d’à peine 5kg. Et moi qui était fier d’avoir qu’un sac de 10kg! Ce premier soir, au lodge que nous avons choisis parmis la floppée d’auberges disponibles dans ce village, je mange un met que je ne me serai pas attendu à déguster de si tôt: des Roestis! C’est pendant que mes papilles frémissent de plaisir que jaillit dans mon champ de vision l’incarnation même du Yeti !
Démarche claudiquante, taille impressionnante, peau bronzée, bouche sevère cachée derriere une barbe et chevelure assez garnie pour, une fois tondues, remplace la laine de yack utilisée dans la confection des pulls-overs népalais. L’individu s’approche dangereusement et heurte une chaise de son fémur en passant au niveau de notre table. Il s’arrête un moment, entame la conversation en reprenant sa marche hyperactive tout autour de notre table: « Are  you going Everest Base Camp? » À peine avons nous répondus qu’il enchaîne: « I know Nepal good. Came here 30 years ago ». Ainsi, je fais la connaissance de Miro, alias Babaji ou Yeti, qui fondera une des équipe de trek les plus souriante et énergique de ce parcours.
Après quelques minutes de conversations, à moitié hypnothisé par les mouvements incessant de ce géant, j’apprends que Miro est slovène, a 60 ans, et que durant la fin des années 70, il a fait partie de plusieurs expéditions slovènes au Makalu (8’463m, le 5ème plus haut sommet, ainsi qu’aux Gasherbrum I et II (11ème et 13ème sommet) situés au Pakistan et est chaque fois arrivé au sommet. Il effectue actuellement un pèlerinage jusqu’au camp de base du Makalu, en mémoire d’un cousin membre des  mêmes expéditions, décédé il y a quelques années. Quand je lui dis que je suis passé par l’Aconcagua, son visage s’eclaircit légèrement: il y était il y a 6 ans et est parvenu au sommet en un seul coup, en partant seul du camp de base. Cet homme, c’est un dur! Aussi rapidement qu’il est arrivé,  Miro repart d’où il est venu, vers le l’autre extremité du village.

Après avoir fini mes roestis, toujours un peu sous le choc de l’ouragan Miro, je décide de laisser la belge à sa tarte aux pommes et de profiter des dernier rayons de soleil pour me balader dans le village. Situé entre deux ponts suspendus, au fond d’une vallée ensoleillée, Kinja est articulé autour d’une allée principale bordée par une vingtaine de maisons en pierres, la plupart pouvant servir de lodges lors de la haute saison. Alors que la nuit s’installe peu à peu, je vois Miro installé à une table d’un autre lodge en compagnie de deux jeunes filles; je m’approche afin de voir avec qui cet homme peut bien friquotter. Me voyant arriver, Miro se lève aussitôt, me lance  » I go to bed, I leave you with my americans daughters ». Une fenêtre dans sa barbe laisse deviner un sourire.

Ainsi, je fais la connaissance de Kesa et Caitlin. Du Montana aux États-Unis, elles contrastent avec toutes les touristes américaines aperçues en Amérique du Sud et au Laos. Pas d’accent énervant mais ton calme et posé, allure décidée et volontaire, mais avec le second degré necessaire pour passer des soirées à rigoler. Et puis surtout, elles ne se stérilisent pas les mains au gel désinfectant après chaque effleurement avec un enfant du village comme le fond tant de leurs compatriotes et elles mangent du fromage même s’il n’est pas emballé sous célophane. Aussi, il faut l’avouer, elles sont jolies et amicales. Quand elles m’annoncent que le lendemain elles comptent partir en même temps que « babaji », c’est à dire à 6h, j’affirme que c’est exactement à cette heure-ci que je voulais mettre les voiles…Bien sûr ce n’était pas le cas,et dire que je me croyais matinal en me réveillant à 7h!

Au soir, je ne voyais aucun inconveniant à me lever tôt, mais au petit matin, c’est une autre histoire. Je décolle finalement que vers 6h45, en espérant que les foulées du Yeti et de ses  »filles américaines » ne seront pas trop rapides pour moi, je me mets en route à rythme soutenu. Heureusement, en une heure  je les rattrape et Kesa, Caitlin et Miro affichent un grand sourire en me voyant arriver. Cette matinée de marche est l’occasion de faire plus ample connaissance. J’apprends ainsi que les deux filles ont rencontré Miro dans le bus qui les a menées de Kathmandu à Shivalaya. Depuis, cela fait deux jours qu’ils marchent ensemble. Mon arrivée leur fait du bien, car des fois elles trouvaient le temps long avec leur compagnon de marche qui marmonne sans cesse dans sa barbe des paroles incompréhensibles. J’apprend aussi que Miro voyage plus de 6 mois par an depuis qu’il est à la retraite après une carrière d’ingénieur métallurgique. Kesa et Caitlin ont obtenu leurs bachelor respectivement en sociologie et en études internationales. Après plusieurs mois de petits boulots, elles profitent de leurs économies pour voyager en Inde et en Asie du Sud Est. Bien que voyageant chacunes de leurs côtés, elles ont décidées d’unir leurs efforts pour ce trek. Dans trois semaines, leurs chemin se sépareront, Kesa retournant en Inde et Caitlin restant au Népal pour travailler 3 mois pour le WWF.

Miro’s children: équipe au complet!

L’étape du jour est une des plus longue et plus sévère en termes de dénivelé. De Kinja au col de Lamjura Là à 3’550m, il y a presque 2’000m de montée. Comme nous avons commencé tôt, la chaleur est supportable et les rodondindron en fleurs nous abritent du soleil. Alors que nous faisons une pause après avoir déjà parcourus plus de 1’000m, nous rencontrons deux jeunes qui sortent tout juste de leur auberge. La fille, maquillée, et le gars avec un sac à dos gros comme une valise entament la conversation. 21 et 22 ans, Georgia est australienne, et Callum néo-zelandais. Ils vivent à Londres mais voyagent en Asie depuis quelques semaines et ont décidé de tenter l’expérience de la marche. Tous deux n’ont jamais fait de treks, et s’y prennent de manière assez particulière. Ils trimballent par exemple des milliers de trucs inutiles comme une floppée de pantalons et t-shirts(nous autres nous en avons deux, si ce n’est qu’un, articles de chaque), du parfum, un jeux d’échec…etc. mais malgré tous ces kilos superflux, aucun d’eux n’a de carte! Callum est Georgia sont néanmoins extrêmement sympathiques et ne se plaignent de rien. Ainsi, ils sont les bienvenus dans notre compagnie, et ensemble nous reprenons la route vers le Lamjura La.
Miro, Kesa, Caitlin, Georgia, Callum et moi: ça y est la Miro’s teams est au complet! Ensemble nous irons loin!

Je n’avais pas prévu marcher avec les mêmes personnes tous les jours, je pensais plutôt croiser des gens, partager des soirées dans les lodges avec divers groupes, et basta. Mais ce qui se passe après seulement deux jours de marche est assez improbable. Cette rencontre avec quatre autres trekkeurs indépendants (sans guide ni porteurs) de mon âge, au même rythme, avec qui j’ai des points communs mais aussi de nombreuses différences rendra l’expérience de ce trek encore plus riche et comique. Et bien sûr, le personnage de Miro est unique en rajoute un côté irréel à l’expérience. Vite, il devient le pilier central de notre groupe. Tel un gourou, il est notre emblème et nous présente comme ses enfants dès qu’il en a l’occasion. Sans prendre le risque de le dire à voix haute, nous esperons tous que notre groupe restera ainsi constitué jusqu’au terminus: le camp de base de l’Everest (sans Miro bien sûr qui partira en direction du Makalu quand le sentier l’ordonnera).

Les étapes, nous les arrêtons aux alentours de 15-16h, ce qui nous laisse le temps de nous reposer et de profiter du village et du lodge. Dans cette première partie du trek, les lodges sont très familiaux, alors qu’après Lukla ceux-ci seront plus grands et moins intimistes. Les chambres et dortoirs se trouvent généralement à l’étage, tandis que quelques tables et chaises se situent au rez-de-chaussé, parfois dans la cuisine. Ainsi, nous mangeons nos patates sautées ou soupes de nouilles discutant avec les femmes-cuistos qui font toute la cuisine au feu de bois, sur un immense foyer qui permet de placer trois ou quatre casseroles sur le même feu! Les enfants sont souvent nombreux et Miro s’en donne à coeur joie: il adore leur courir après pour leur secouer leurs chevelure de ses grosses mains! La décoration des lodges est un peu particulière en cette première partie de trek. Après Lukla, en plein pays Sherpa, les murs seront ornés de diplômes d’écoles d’escalade, et souvent de clichés pris par le maitre des lieux depuis le toit du monde! En revanche, au J3, nous trouvons le summum du mauvais goût: des posters super  »photoshopés », représentant des bébés européens maquillés jouant dans l’herbe et tous sont munis d’une légende ridicule qui reflète pourtant la niaisérie de la photo. L’un d’eux nous fait rire toute la soirée: un bébé faisant la moue assis dans un grand paquet cadeau et portant un chapeau conique que l’on trouve pendant les carnavals. La légende, écrite dans toute les couleurs dit:  »sorry, let me enjoy ! » Kesa en est fan.

Partout où  nous allons, Miro fait sensation. Les quelques trekkeurs que nous croisons nous demandent qui est cette personne étrange qui ne parle qu’à nous et à lui même! Peut être que Miro fait un peu peur à ses compères occidentaux, mais il s’entend incroyablement bien avec les locaux. Dans de nombreux villages, il nous montre une maison en nous disant.  » Thibault lodge very good. Friend of mine lived here 30 years ago ». Il nous fait aussi découvrir des spécialités de la région, comme le porridge de tsampa, sorte de purée brunâtre que je mangerai tous les matins tant celle ci est nourissante. Et puis, il y a le Chang, bière locale faite à partir de millet fermenté et chauffée auprès du feu. Chaque maisonnée en a un d’un goût différent. Avec Callum, on en prendra une tasse tous les soirs.
Finalement, quand Miro nous annonce, après 4 jours, que son chemin pour le Makalu continue à l’Est tandis que nous bifurquons au Nord, nous sommes chagrinés de le voir s’éloigner. Heureusement, si tout va bien, je le reverrai en Slovénie cet été.

A peine l’avons nous quitté que nous faisons nos premier pas dans la vallée de le rivière Dudh Koshi, que nous allons remonter vers sa source, en direction de l’Everest. Fini les montées et descente cassantes, à partir de maintenant c’est une pente longue et sans interruption qui se presente à nous, et celle-ci nous fera monter très haut, jusqu’à 5’550m. Aussi, fini les journées à croiser qu’une poignée d’autres trekkeurs, en dépassant Lukla, le nombre de marcheurs augmente de manière dramatique! D’ailleurs, en nous pointant du doigt les avions dans le ciel se rendant à Lukla, Miro annonçait souvent avec un sourire destiné à Caitlin  et Kesa:  »Lukla plane: full of fat americans and germans people! ». Dieu sait ce qui nous attend….


Chapitre 23: Hanoï, par Benoît

Arrivée

Le flux du trafic se densifie et se resserre comme dans un entonnoir. Pris dans ce flot d’engins motorisés, nous filons droit vers Hanoï. La ville se fait déjà sentir et au loin, à travers la brume et la pollution, nous apercevons quelques buildings. Au premier panneau HA NOI nous nous arrêtons pour prendre une photo et une dernière bière avant d’engager notre entrée modestement triomphale dans la capitale. Les premiers embouteillages apparaissent et voilà la vitesse du trafic qui s’adapte à nos vélos. Dans cette masse grouillante nous devenons euphoriques et ce n’est pas les gaz d’échappement qui nous sont montés à la tête mais le bonheur de slalomer entre les véhicules, de les dépasser ou simplement de se laisser porter par ce courant tels deux électrons libres. Le corps aussi se relâche, il anticipe, sent bien que l’arrivée approche, on se sent léger.

Après quelques exercices d’orientation, nous déboulons devant le mausolée de Ho Chi Minh et pensons qu’il serait de bon ton, pour conclure notre périple, de poser avec nos vélos devant cette figure historique, du moins devant ce qui lui sert de tombe. Mais une fois de plus les Vietnamiens ne pensent pas comme nous, à moins évidemment que se soit nous qui ne pensions pas comme eux, ce qui, dans les deux cas amène inévitablement à l’incompréhension. Bref, il est apparemment absolument interdit d’amener des vélos devant le mausolée, même en marchant à coté, pas de négociation possible, monsieur le militaire est formel. C’est raté pour notre heure de gloire, nous devrons nous contenter de quelque chose de plus modeste. Il ne nous reste alors plus qu’à retrouver mon ami Stéphane qui habite à Hanoï depuis six mois et qui en plus d’être notre hôte sera notre guide pour ces presque deux semaines. Chez lui nous déposons les sacoches, comme des guerriers déposent les armes, le temps d’une petite pause pour William mais pour moi c’est le voyage qui touche à sa fin. Nous sommes arrivés presque une semaine plus tôt que prévu et je suis partagé entre le soulagement d’être arrivé et le regret de n’avoir pas profiter quelques jours de plus du voyage. Mais il est trop facile, après coup, de regretter et c’est pour nous une opportunité de découvrir cette ville qui nous tend les bras depuis notre départ de Bangkok. Après tout la destination fait aussi partie du voyage…

Hanoï

Une nouvelle ville est toujours un défi. Il faut s’y retrouver, placer ses repères pour finalement se dessiner une petite carte dans la tête. On commence toujours par identifier des zones isolées puis il s’agit de mettre des ponts entre ces différents endroits. Les parcs et les lacs sont nos premiers points de repère car les plus évidents. Quant aux rues elles se ressemblent toutes, il faut alors trouver la particularité de chacune. Après deux ou trois jours de vélo/scooter le tour est joué et c’est une autre ville, apprivoisée cette fois, que nous découvrons.

Les premiers jours à Hanoï sont pour nous l’occasion de manger autre chose que des nouilles et du riz. Nos journées sont organisées en fonction des multiples repas que nous ingérons.

Direction le super marché où nous nous faisons plaisir en remplissant notre cadis de cornflakes, sauce tomate, spaghetti, nutella,… avant de nous diriger vers la caisse et de réaliser que nous n’avons certainement pas besoin d’autant de choses. Nous remettons donc les trois quarts dans les rayons heureux d’avoir eu l’abondance à portée de main mais de ne pas y avoir succombé. Bon à savoir, l’effet placebo marche aussi contre la surconsommation.

La ville comporte deux lacs principaux le plus grand, le Ho Tay au nord et le Hoan Kiem à l’est. Le centre ville et la vieille ville s’organise autour de ce dernier, c’est aussi les quartiers touristiques. Au nord, sur la rive est du Hoan Kiem se trouve le quartier des expatriés et toutes les petites échoppes occidentales qui vont avec : boulangeries, traiteurs, brasseries, pizzerias,… Plusieurs fois nous profiterons de la fraîcheur des abords du lac pour y prendre notre café et observer ces étranges silhouettes aux chapeaux coniques balançant de façon comique au rythme de l’eau et faisant étrangement penser à des bouées à la dérive. Il s’agit de Vietnamiens immergés jusqu’à la poitrine et s’adonnant à on-ne-sait -quelle activité de pêche. Hé oui, ce lac de 14km de pourtour n’est profond que de 150cm et donc ils ont pied !

Après trois semaines de vélo c’est aussi l’occasion de tester la conduite deux roues motorisées, mode de transport officiel du Vietnam. Seul, à deux ou à trois sur un scooter nous arpentons les rues satisfaits de pouvoir rendre les klaxons que l’on nous avait donnés jusque là. Il faut bien rendre à oncle Ho ce qui est à oncle Ho. Mais la journée nous utilisons principalement le vélo pour nous déplacer et c’est finalement plus de 150km que nous parcourrons à Hanoï. Pollution mise à part, la conduite est passionnante et ressemble fortement à un jeux vidéo: avec tout ces véhicules qui affluent il faut sans cesse calculer sa trajectoire et savoir s’imposer.

Le soir, grâce à Stéphane nous profitons de la vie d’expatrié et nous nous rendons dans les bars branchés où la plupart de la clientèle est occidentale. Ces bars sont sensés fermer à minuit mais ils se contentent de fermer l’entrée principale et il suffit de rentrer par derrière. De temps en temps la police fait des contrôles pour se faire un peu d’argent de poche puis repart sans histoire. Quelque soit l’établissement il y a toujours un nombre impressionnant de personnel. A peine arrivé on se charge de vous garer votre scooter. A l’entrée il y a évidemment quelqu’un pour vous accueillir et encore quelqu’un d’autre pour contrôler l’arrivée de la police. A l’intérieur enfin,  il est courant d’avoir deux serveurs rien que pour vous. Le retour à la maison est souvent alcoolisé mais les rues sont désertes rendant la conduite plutôt sûre. Par contre, il est fréquent à ces heures que l’air atteigne les 100% d’humidité et c’est à travers une sorte de pluie flottante que nous rentrons le plus souvent. Dans la maison aussi, tout est humide, les miroirs sont couverts de buée et la rampe d’escaliers recouverte d’une fine pellicule d’eau. Avant d’aller se coucher, quelque soit l’heure, nous ne dérogerons jamais au traditionnel repas d’après soirée: spaghetti ou crêpes peu importe mais toujours un bol de cornflakes comme désert.

Baie d’Halong

Avec le temps que nous avions à disposition difficile de trouver une excuse pour ne pas se rendre à la baie d’Halong. De nombreux tours y sont organisés et c’est de loin le moyen le plus simple pour y aller. Nous réservons un peu au pif dans une agence un tour de deux jours avec nuit sur le bateau. Le trajet en bus est mouvementé et le conducteur, pressé par les demandes de halte des voyageurs, ne lâche pas son klaxon pour arriver le plus vite possible au piège à touristes où s’arrêtent tous les bus. Avec William nous vivons cette fois la scène de l’intérieur, après avoir subit pendant trois jours les klaxons incessants de ces bus remplis de touristes qui vous dépassent à toute allure. A destination, il s’agit de ne pas perdre notre groupe de vue dans le fourmillement de touristes. Après une heure d’attente notre bateau est enfin là. C’est une reconstitution en toc d’un bateau traditionnel avec quelques cabines à l’étage inférieur. Une fois embarqué on ne perd plus de temps et la première étape est une grotte sur un des îlot avoisinant. La visite se fait en vitesse et on nous dit même quelles figures il faut imaginer dans telle ou telle formation calcaire. Tour organisé, visite guidée, je veux bien mais qu’on me laisse au moins mon imagination. « D’ailleurs votre dragon là, il ressemble plus à un barbapapa, je sais bien que ça fait moins classe mais faut pas me prendre pour un con. C’est pas en plaçant deux petites lampes sur un caillou pour faire des yeux qu’il va se mettre à cracher du feu. » Bref, la promenade se fait en vitesse, en suivant la colonne de touristes; nous ressortons « through the giftshop » pour regagner notre navire. Sur le mini quai s’amassent les touristes et des dizaines de bateaux semblables tentent de se frayer un passage. Mis à part une petite heure de kayak nous resterons à bord le reste du trajet. Le paysage est magnifique et même si quelques déchets flottent ça et là nous n’y prenons pas garde, nos yeux, déjà, sont rivés sur le soleil qui se fraye un chemin entre les pics rocheux de la baie. Pour la nuit,  nous avons presque le bateau pour nous tout seuls, la plupart des membres du groupe ayant préféré la nuit à l’hôtel. Nous passerons une soirée tranquille en compagnie de Yves, soixantenaire rescapé des belles années où voyage signifiait toujours aventure, rêvant à la simple évocation de la route de la soie ou d’un Katmandou non pollué. Plus tard, William qui a trop regardé Fort Boyard dans son enfance laisse tomber les clés de la chambre dans le fond de la cale. Cette dernière est remplie de déchets et est encombrée d’une immense corde, nous allons vraiment nous amuser! Il nous faudra finalement l’aide d’un membre de l’équipage pour ramener la précieuse clé et éviter de dormir avec la Boule.

Le lendemain, il ne nous reste plus que la matinée pour profiter de cet endroit, qui malgré le tourisme de masse n’en reste pas moins stupéfiant et c’est à travers une brume légère que nous regagnons le port.

The End

Les derniers jours à Hanoï vont passer à toute vitesse: cinq semaines c’est court, surtout à la fin. Après quelques soirées arrosées voilà déjà l’heure des séparations qui sonne. C’est avec un petit pincement au cœur que j’abandonne William. Ce fut un vrai bonheur de voyager ensemble et d’apprendre à se connaître au fil des kilomètres, de pouvoir partager notre passion du voyage et de rêver à des destinations futures. Allez, Will: « Pédale et boucle-le, ton tour du monde »

Si le voyage nous attire tant c’est sans doute que nous avons besoin de ce déplacement constant dans l’espace pour supporter notre marche forcée dans le temps. Faire face à l’idée, sans jamais l’accepter que la fin se moque bien du chemin. Marcher, pédaler, avancer, continuer mettre ce corps en mouvement, ramper s’il le faut mais tenir bon, combattre le temps par l’espace en l’épuisant par nos voyages avant qu’il ne nous épuise. Épuisés, puis en finir. Mais refuser de finir épuisés.


Chapitre 22:  »Avec la Mer de Chine pour dernier terrain vague »

Lessives, réparations, nettoyage de chaînes, dissection du pédalier, ingurgitation de tous les plats possibles, repos, mais aucune visite. De notre séjour à Louang Prabang, nous ne verrons aucun temples, aucun musées, aucun monuments, et ne ressentons aucun manque de ce côté  là. Nous arpenterons simplement les rues de la ville, à pieds et à vélo. Tantôt, nous  faisons notre possible pour nous éloigner du centre réservé  aux autres touristes en sandales, tantôt nous recherchons justement la compagnie rassurante, de ces gens qui, comme nous, sont loin de chez eux.
La simple recherche d’un coupe-choux et d’une clé pour devisser  mes pédales nous ont mené  dans des rues rarement visitées par nos collègues voyageurs. La ville est charmante, mais l’atmosphère qui s’en dégage est toute différente des autres régions du pays que nous avons traversé jusque là. Les laotiens sont tout aussi amicaux, mais d’une manière moins naturelle, beaucoup plus forcé. De plus, les prix sont presque doublés par rapport au reste du pays!
Après s’être bien reposé, avoir pu partager quelques informations avec un couple de cyclos Néo zelandais, et notre precieux visa vietnamien dans la poche, nous remontons sur selle, avec le Vietnam en ligne de mire.

Comme prévu, la route monte, et sur de nombreux kilomètres. Néanmoins, l’inclinaison de la pente est bien plus supportable pour nos cuisses qu’il y a trois jours, et nous pouvons parler tout en roulant, sans se trouver à bout de souffle après deux phrases. Le temps passe vite, et les metres de dénivelé s’accumulent, nous gravissons  plus de 1300m avant le crépuscule. Ce Crépuscule qui nous piège.  Cette route de montagne ne laisse percevoir aucun replat permettant de planter une tente. Le soleil rougoyant disparaît derrière les montagnes, et nous, nous continuons a mouliner en espérant que le prochain virage débouchera sur une platteforme. Malheureusement, ce n’est pas le cas, mais heureusement, nous trouvons une petite carrière, suffisamment large pour plante notre tente.
Pédaler jusqu’à la tombée de la nuit, nous n’aimons pas trop, mais cela offre certains avantages. D’abord, cela nous embête de planter la tente dans l’obscurité sans percevoir notre nouvel environnement. Puis, cuisiner alors que nos paupières restent fermées plus longtemps à chaque battements est une tâche qui n’est pas toujours bienvenue. Sans électricité pour combattre la nuit,  nos instincts animaux prennent le dessus: nuit=danger=abris=repos. Par contre, il faut admettre que les minutes précédant le coucher du soleil sont des moments de vie d’une intensité unique dans les villages que nous traversons. Avec ce soleil, véritable kameamea incandessant en toile de fond, les couleurs changent, les gens semblent encore plus souriants et debordants d’énergie. A cette heure, 18h, tout le monde se lave, les enfants balancent leurs rudiments d’anglais en nous voyant passer. Nous troquons leurs  »hello » contre nos  »sabadee », tapons dans les quenotes qui se présentent parfois, et observons toutes ces scènes de vies qui font de ces traversées de villages des moments mémorables. Jeunes filles entourées d’un pagne après s’être lavées à la fontaine, jeunes hommes, clope au bec, regroupés autour de leurs scooters couverts d’autocollants tribaux, femmes avec enfants sur le dos en train de broyer je ne sais qu’elle sorte de graines, hommes, parfois vieux et sans dents, assis sur les porches des maisons comme dans nos contrées, voici des exemples de ce que nous observants lors de ces fins de journees. Cela peut paraître cliché, mais allez traverser ces villages perchés du Laos et vous comprendrez!

Benoit fuit

Deux jours après avoir quitté l’ancienne ville royale de Louangprabang, Benoit tombe malade. Après avoir ingurgité dieu sait quelle cochonerie, il est atteint d’une coulante ravageuse. Sur ce coup, on peut dire qu’il est synchro. Comme moi après plus d’une semaine de mon voyage, Benoit attrape sa première diarrhée exactement onze jours après avoir commencé à pédaler: ce garçon ira loin! Sur le moment, ce n’est pas si drole. Comme le petit poucet, il balise notre chemin de nombreuses flaques brunes, et les montées, parfois de plus de dix kilomètres le fatigue énormément. C’est le moment propice pour commencer une série de photos de lui allongé, agonisant, au bord de la route. Vous constaterez en visionnant ces dites photographies que la bonne humeur et le sourire restent au rendez vous malgré la délicatesse de la situation.
Notre rythme change, Benoît devient seul et unique métronome a bord. Dès qu’il le souhaite, nous nous arrêtons, parfois pendant des heures, en attendant que ses forces reviennent. Néanmoins, il continue a créer l’aspiration dans les montées en pédalant en tête et la bonne humeur reste au rendez-vous. Après une étape de seulement 30km, nous sommes forcés de nous avouer vaincu en plantant notre tente sous un auvan en plein centre d’une place de village. Les villageois restent discrets et respectent le fait que nous avons besoin de repos, mais lorsque nous allons nous laver dans la fontaine du village, nous devenons de véritables curiosités. Nombreux sont ceux qui n’arrivent pas à contenir un fou rire en nous voyant gesticuler dans tous les sens pour nous savonner.
Les journées se suivent, au rythmes des montées et des intestins de Benoit. Les collines laotiennes apportent leurs lot de surprises. Les paysages sont vraiment très beaux et les routes se la jouent relativement fair-play en suivant les crêtes et non pas en descendant en fond de vallée dès qu’elles en ont l’opportunité. Nous ne montons jamais au dessus de 1600m, mais nous contemplons régulièrement des vallées depuis des points de vue les dominants de plus de 500m ou 600m. D’ailleurs, le terme  »colline », si communement employé pour décrire ce relief du nord-Laos n’est peut être pas très juste. Il est vrai qu’ employer le terme de  »montagnes » en étant si proche de l’Himalaya peut sembler prétentieux et équivoque, pourtant, nous trouvons que ces routes peuvent rivaliser sérieusement avec celles menant à nos villqges perchés dans les Alpes. En une journée, nous cumulons régulièrement plus de 1000m voir 1500m de dénivelé positifs.

Les laotiens sont extrêmement sympathiques et discrets. Quand nous nous arrêtons pour manger du riz ou des nouilles dans un village, il y a généralement quelques enfants curieux qui viennent nous devisager à distance, mais nous avons toujours le droit au calme nécessaire pour nous reposer et récupérer de la longue matinée passée à mouliner. Pouvoir se reposer ainsi dans les gargottes de bords de routes nous manquera cruellement au Vietnam. Le soir, nous cuisinons rarement. Le prix des plats étant moindres, et souvent bien meilleurs que les nouilles instantanées dont nous disposons. Le rechaud à essence reste donc enfoui au fond des sacoches.

MAG

Après 4 jours passés à gravir ces montagnes laotiennes, nous avons le droit, et nous nous y attendons pas le moins du monde, à une descente d’enfer! Durant la journée, nous descendons de plusieurs centaines de mètres et parcourons de nombreux kilomètres dans une plaine, entre rizières et pâturages. Mon compteur affiche des nombres que je ne pensais pas revoir de si tôt: quand nous arrivons a PhonSavan nous avons parcouru 200km en deux jours! Pour permettre aux défenses immunitaire de Benoit de prendre le dessus sur le mal qui le ronge, pour nous reposer, mais surtout pour nous informer un peu plus concernant les séquelles de la guerre du Vietnam qui marquent la region, nous décidons de nous arrêter dans une guesthouse de cette ville le temps d’une nuit. A Phonsavan se trouve un centre d’information du MAG, le Mines Advisory Group. Cet organisme s’occupe de nettoyer le pays des bombes, souvent à sous-munitions, qui hante encore les sols des contrées du sud-est asiatique. Ces armes sont un scandale. Pendant la Guerre du Vietnam, les bombardiers américains ont arrosé cette partie du pays au rythme d’une bombe toutes les huit minutes. On estime qu’entre 2 et 20% de ces bombes n’ont pas explosés, et c’est aujourd’hui, alors que les villageois labourrent leurs parcelles ou que les enfants partent à le recherche de métal à revendre aux ferraileurs que celles-ci ressurgissent en explosant souvent sans prevenir. Les victimes sont nombreuses et les risques bien réels. Le MAG, composé souvent d’anciens militaires, s’occupe donc de déminer ces sols menaçants et de former les équipes d’interventions composés principalement de laotiens. Alors que nous traversons cette région, nous tomberons sur une de ces équipes d’interventions composées de trois femmes et d’un homme. Tous sont laotiens, et malehureusement aucun ne parlent anglais, nous n’arrivons pas en apprendre beaucoup plus sur leur mission.
Mon ami Grégoire, après m’avoir généreusement sponsorisé, m’a confié une certaine somme à reverser aux diverses associations a buts non lucratifs que je croiserais sur ma route. Un premier don est donc partit dans les caisses du MAG.

Le Vietnam se la joue dure

Dix jours passés au Laos que nous le quittons déjà. Nous le savons, en entrant au Vietnam, nous disons adieu aux montées et embrassons d’emblée une superbe descente. Pour rejoindre la vallée de la rivière Ça, nous chutons de presque 1500m en vingt kilomètres. Cette chute libre nous grise, et c’est dans les meilleures dispositions que nous entrons dans notre troisième pays asiatique… du pied gauche malheureusement ! Eh oui, ces vingt kilomètres nous font entrer dans un autre monde. Les routes sont archi bruyante, les gens klaxonnent à tire la rigot, et tout le monde nous interpelle pour nous lancer des  »Hello » moqueurs et agaçant.  »Nous sommes fatigués », nous disons nous en nous arrêtant à la première ville pour la nuit,  » demain nous verrons, les choses différemment  ». En effet, tout est différents le lendemain parce qu’il pleut. La dernière fois que j’ai du pédale avec une veste, cela devait être quand je descendais le Rhône il y a six mois, du coup ça fait bizarre. La journée est pénible, pas du point de vue physique, mais parce que les nerfs sont mis a rude épreuve. La circulation est bien plus dense que dans les derniers pays, et les klaxons des camions déchirent nos tympans à chaque fois que ces mastodontes nous croisent. Énervés, il n’est pas rare qu’une insulte fuse, inutilement, à l’intention d’un chauffard qui nous dépasse. Nous prendrions surement cela plus légèrement si nous avions le droit à des moments tranquilles, sans être sollicités de toutes parts. Chaque halte, surtout lorsque nous mangeons, attire son lot de curieux. Ceux-ci tripottent toutes les parties de nos vélos, s’assoient juste à côté de nous et nous regardent manger en pouffant. Mais attention, ces gens, même s’ils sont agaçant, ne sont en rien méchant ou agressif. Il nous faut juste du temps pour nous adapter à ce changement de rythme entre les deux pays. Les deux journées passées près de cette rivière  »Ça » sont donc tout aussi fastidieuses que celles passées en montagne, et l’envie de déboucher sur la Mer de Chine nous motive plus que jamais.

D’un coup, nous nous retrouvons catapultés dans la Belgique de Brel.
Ici, tout y est: canaux, brume, ciel bas, et, à notre immense surprise, des cathédrales! Plusieurs fois nous les voyons surgir de nulle part dans cette campagne plate à l’infinie. En espérant y trouver un peu de calme, nous nous dirigeons vers l’une d’elle. La place de l’Église est effectivement très calme, uniquement occupée d’une poignée de balayeurs et de jardiniers. Pourtant, lorsque je reviens auprès de Benoit après être aller jeter un coup d’oeil a l’intérieur, mon ami est entouré de 15 ados en scooters qui le sollicitent de toute part. Trois sont assis sur son banc et le tiennent par l’epaule, quatre sont regroupés autour de sa carte, tandis que deux autres jouent avec mon klaxon. Le calme, ce sera pour plus tard! 😀

Les kilomètres défilent, les paysages n’évolue plus, mais nous sentons toût de même que nous approchons de la mer. Finalement, après être passés devant quelques complexes hôteliers déserts, nous voyons le bout de cette route que nous suivons depuis le Laos. Celle-ci s’arrête net, débouchant sur une plage et sur une étendue d’eau marron: la mer, enfin! Même si le cadre n’est pas somptueux, nous savourons pleinement cette nouvelle étape. De plus, c’est sur cette plage que je franchis mon 7’000eme kilomètre!

Route 1A: Apodalypse Road

Nous avons repéré à deux kilomètres à l’intérieur des terres deux immenses immeubles au bord de la route 1A. Ils se trouvent que ceux-ci appartiennent à un hôtel quatre étoiles. Fatigués, nous décidons d’aller demander les prix, quitte à négocier un rabais sponsoring. Quand le réceptionniste nous annonce que la nuitée nous reviendra à 10€ par personne, nous n’hésitons pas une seconde: ce soir, mais aussi demain, nous jouerons les princes!
Je pense que jamais plus cette chambre d’hôtel verra débarquer de tels uluberlus. Cette chambre, nous l’amortissons à fond! La salle de bain est très vite encombrée des saccoches vidées et lavées, la tente, humide depuis quelques jours, est pendue à côté du rideau de douche, les vêtements sont lavés puis enfermés dans la panderie avec le sèche cheveux à fond pour les sécher, et la TV allumée sur les chaînes sportives pour se remettre à jour. Du garage en sous-sol au bar du quatorzième étage, nous profiterons de tout ce que l’hôtel a  à offrir. Seul bémol pour le petit déjeuner : les nouilles et la soupe au tripes c’est pas top à 8h du mat… heureusement, il y avait des toasts. Après avoir repris du poil de la bête et mis sans dessus dessous la chambre, nous quittons cet hôtel en direction du Nord, de Hanoï.
La route A1 est la colonne vertébrale du pays. Du sud au nord, les marchandises et les personnes transitent sur cette deux-voies pas plus grande qu’une  »cantonale » reliant Hanoï à Ho-chi-minh. En lançant nos deux roues sur cette A1, nous pensons que nous seront assez fort, que nous allons réussir a remonter les 250km jusqu’à la capitale sans peter un câble. Mais bien sûr! En vingt kilomètres à peine nous comprenons notre douleur. Concert de klaxons permanant ( encore maintenant, nos tympans vibrent comme des manettes de PlayStation), chauffeurs de bus hallucinés qui pensent pouvoir passer entre le camion qui arrive en face, le scooter qui nous double, le type qui tire sa charette et nous (et ils y arrivent!), et gens toujours plus bizarres: les journées sont longues et il nous tarde d’arriver à Hanoï. Finalement, au bout de deux jours passés sur cette route du diable, nous bifurquons, quitte à rajouter des kilomètres à nos compteurs, pour nous aventurer dans la campagne.
Cette fois-ci, c’est la boue et une piste, bien plus étroite mais aussi très fréquentée, qui nous tend les bras. La boue s’accumule dans mon parre-boue et me freine souvent. Dans un village perdu, un ivrogne (il est 10h du matin) se met en travers de la route et nous empêche de continuer. Nos amis de la Riponne ont du soucis à se faire car ici les marginaux sont de véritables amuseurs publics. Pendant que le Monsieur me tient la manche sans vouloir me lâcher, les villageois regarde la scène et rigolent d’un air de dire  » ahahah, sacré Michel, toujours à embêter les petits cyclos! ».

Nous arrivons finalement après ces longs et fastidieux kilomètres dans la capitale vietnamienne. Nous avons pris notre temps au Laos, mais au Vietnam, nous avons vraiment foncé, à tel point que nous arrivons à Hanoï avec plus d’avance que prévu. L’occasion pour nous de nous faire réconcilier avec les vietnamiens. (Autant vous dire que les quelques jours déjà passés dans la capitale nous ont bien réconcilié!)
Repos, repas, boisson, slaloms entre les milliers de scooters en vélos, lessive, récurage de velos, nous avons deux semaines pour remettre nos pendules à l’heure. Ensuite, nous nous séparerons, Benoit rentrant à Lausanne, et moi m’envolant vers le Népal.


Chapitre 21: Du riz et des nouilles s’il vous plaît!

L’Orient, m’y voila enfin. 3 mois entre Europe et Afrique, 3 mois en Amérique du sud, maintenant c’est au tour de l’Asie, pour environ 6 mois. Après un bref retour en Suisse pour serrer la pince aux amis et à la famille et pour descendre quelques pistes aux Marécottes, je m’envole pour Bangkok.
Cette fois-ci, j’enfourche à nouveau mon vélo, mais pas tout seul, car je chevaucherai à  travers les rizières en compagnie Benoît. Benoît, présentations:
A l’instar de Paris, j’ai appris à connaître Benoît  quand nous jouions dans le même  groupe de musique. Tandis que je tentais de suivre le rythme avec ma basse, Benoît, lui, s’époumonait dans son saxo. Au plus grands regrets de nos nombreux fans, l’expérience se termina avant notre première date à l’Olympia, mais ce n’est pas pour autant que nous nous sommes dit adieu.
Lui aussi féru  de vélo et des idées de voyages plein la tête, nous avons des points communs. Régulièrement, nous partageons tuyaux et conseils, et parfois buvons quelques bières avec Paris.
L’idée de ce voyage sud-asiatique est venu par hasard. Tout s’organise à partir d’un SMS lancé  depuis Chefchaouen au Maroc:  »eh Benoît, ça te dit de faire un bout de route avec moi? » Sans hésiter, il me répond par l’affirmative: c’est décidé,  en 2012 nous passerons une trentaine de jour à pédaler côte à côte entre Bangkok et Hanoï.

Ainsi, le 6 février à 16h, nous faisons tamponner nos passeports à la douane de l’aéroport international de Bangkok :  »Welcome in Thaïlande »!

Bangkok

Tout d’abord, il faut récupérer les vélos. Heureusement, nous les avons bien emballés, et rien n’a souffert durant le vol. Néanmoins, nous mettons deux heures à assembler roues, guidons et portes-bagages et à organiser nos sacoches. Nous nous changeons aussi, quand nous avons quitté le Suisse,  il faisait presque -15°, ici, il fait plus de 35°! Les premiers coups de pédales hors de l’aéroport nous mettent directement dans l’ambiance: nuit noire, chaleur humide, trafic intense. Véritable voyage dans le voyage, nos 30 premiers kilomètres entre l’aéroport et notre logement sont épiques et nous préparent pour la suite! Très vite, on découvre à quel point les gens sont souriant et font tout ce qu’ils peuvent pour nous aider. Il est toute fois difficile de se faire comprendre et surtout de bien interpréter ce qui nous est dit. Ainsi, nous parcourons 10km sur la bande d’arrêt d’urgence centrale d’une autoroute  à quatre voies, et découvrons ainsi, sur le tas, qu’en Thaïlande on roule à gauche!!
Plus tard, alors que les premiers grattes-ciels ne sont pas encore en vue, nous tombons sur une compagnie de cyclistes thaïlandais qui, après une longue journée de bureau, se défoulent sur leurs vélos aux bords des voies rapides de la métropole. Ensemble et à vive allure nous passons de petites routes ombragées peuplées de chiens errants aux grands boulevards de Bangkok. À quelques kilomètres de notre destination finale, la caravane freine brusquement, Chang dérape et tombe, Wong pousse un hurlement: un python surgit de nulle part et nous barre la route! La surprise passée,  nos amis éclatent de rire et dirigent le serpent étrangleur vers le talus. Ils semblent avoir l’habitude de gérer se genre de situations, rassurant…
C’est finalement 7h après avoir atterris que nous entrons dans l’antre de Janet, Céline et Oliver, nos hôtes de deux soirs. Benoît les a trouvé grâce au réseau de couch surfers, de plus en plus étendu sur la toile. En échange d’un bout de gruyère et de 2-3 plaques de choc, ces trois étudiants européens nous offrent leur toit, leur douche et leur canapé pour deux nuits.  C’est donc en suivant leurs conseils et recommandations que nous faisons nos premiers pas dans la gigantesque capitale thaïlandaise.

Entre courses effrénées en touk-touk dans les différents quartiers de la ville, visites de temples perdus dans des china-town comme nous n’en avons jamais vu, nous arrivons à caser dans notre planning de ministre notre premier massage thaï! Quelques jours plus tôt, mère m’avait tout simplement interdit de sortir de la Thaïlande sans en avoir fait un. Cela m’avait d’ailleurs surpris car pour moi massage thaï rimait avec  »Body massage »,  » happy end » et tout plein d’autres termes qu’on peut trouver sur certains sites ou certaines revues dont je ne citerai pas les noms. Lorsque nous ouvrons les portes de ce salon de massages situés sous les voies du train aérien de la capitale, nous ne savons pas trop à quoi nous attendre. Le hall d’entre est classe, les hôtesses d’accueil sont charmantes, les réceptionnistes chaleureuses. Avec soin et attention, nous sommes guidés dans les locaux jusqu’à une petite chambre où  on nous demande de nous mettre en caleçon: lumière tamisée, musique zen:  »ça y est, nous sommes tombé dans le stéréotype du touriste qui se rend au bout du monde pour se faire une prostituée » nous disons-nous. Mais que nenni!! Ce sont deux bonnes femmes super musclées de cinquante ans qui se chargent de nous labourer le dos, le bras et les jambes pendant une heure. Au bout d’une vingtaine de minute, j’entends un gros CRACK: c’est la nuque de Benoît qui menace de ce briser, entourée par le bras de Madame qui lui fait une prise à la Jack Bauer. Cassés, courbaturés mais aussi débloqués et réparés, nous sortons tout étourdis de ce salon de massage aux allures de cabinet d’ostéopathe.

Après deux journées à se mettre au rythme asiatique, nous prenons le train vers le nord de la Thaïlande, où mon périple à vélo reprend après ces trois mois de pause.
Uttaradit, c’est de cette ville que Benoît  et moi, nous nous lancerons en direction du Vietnam. Sur ce, je laisse la parole a mon compère pour quelques jours:

Uttaradit – Thung Chang, plus ou moins 300km > Par Benoit

Réveil matinal dans la couchette du train, par la fenêtre je découvre les paysages embrumés de la campagne thaïlandaise. Le soleil prend son temps pour se lever, William aussi. Du coup, j’en profite pour traverser les 15 wagons qui nous séparent de nos vélos afin de les décadenasser, sans quoi ils ne pourront être déchargés par le personnel lors de notre courte halte a Uttaradit. En chemin je tombe sur une cargaison de jeunes militaires encore somnolents mais souriants. Les plus matinaux se tiennent déjà devant les portes ouvertes des wagons , face au paysage qui défile, profitant de l’air frais qui s’y engouffre. De retour à notre couchette je réveille William et file à l’arrière du train pour faire de même, passer la tête au dehors, comme on plongerait sa tête dans une fontaine. Autour de moi, un environnement surréaliste se dessine, tout droit sortit des planches de Cosey et des films sur la guerre du Vietnam: les rizières, cette brume laiteuse et enfin le soleil, rond et rouge qui  s élève a l’horizon au dessus de montagnes verdoyantes. Le fracas des rails et l’humidité ambiante complètent le tableau. Il n y a plus de doute, nous y sommes!

Le train arrive finalement vers les 8h à Uttardit et les choses sérieuses peuvent commencer… ou alors attendre que l’on ait pris notre petit-déjeuner sur le quai. Le vélo de William, décoré de partout, attire les curieux qui l’observent charger cette drôle de bestiole. On sent l’expérience des mois de voyages car ni une ni deux William est prêt à prendre la route alors que je me débats encore avec mes sacoches. On charge mon vélo ensemble et après un échange de regard chacun saute sur sa monture en silence: les premiers coups de pédale sont magiques, c’est le corps entier qui se met en marche. Balancement des hanches, tension des muscles. Le poids des bagages augmente encore davantage l’instabilité du départ, c’est tout l’attirail qui tangue. Mais de déséquilibre en déséquilibre nous voila lancés, avec le sentiment agréable de porter un peu sa maison et d’être libre de la planter là ou bon nous semble.

« Enfourchés nos vélos deviennent destrier, heureux le chevalier forcé de pédaler » .

Dès les premiers kilomètres de routes nous nous habituons à traverser de petits villages avec gargotes et épiciers avec pignon sur rue. Nos estomac sont rassurés, l’approvisionnement ne sera pas un problème. Les habitations sommaires de bambou et au toit en paille se mêlent à de magnifiques pavillons tout juste construits. A notre passage les gens sont souriants et nous adressent des gestes amicaux, même les conducteurs font preuve de patience a notre égard et s’ils klaxonnent c’est doucement et en sortant la main par la fenêtre, le pouce levé pour nous encourager. Bref, la Thaïlande sera pour nous une énorme surprise tant les habitants sont aimables et accueillants. Des vaudois diraient  » Nous sommes déçus en bien »

La route que nous empruntons contourne un lac retenu par un barrage: le Sirikit Dam. Après une cinquantaine de kilomètre nous y arrivons. Nous faisons un petit détour pour nous en rapprocher et voir le lac, juste derrière. Pour ce faire nous quittons la route principale et passons un poste de police gardé par des agents toujours aussi souriant. Mais là, soudain, changement d’atmosphère. Une charmante petite route goudronnée nous mène à travers d’énormes jardins entretenus (presque a l anglaise), il y a même une piste cyclable! De petites constructions se trouvent ça et là  et nous apercevons terrains de tennis et parcours vita.  Pourtant quelque chose ne va pas; tout ce complexe est désert, on se croirait dans un film! James Bond y découvrirait une base militaire clandestine, ou un site d’enrichissement d’Uranium! Plus loin quelques ouvriers semblent réparer des installations et des jardiniers embellissent encore un peu plus ces lieux fantomatiques. Le barrage est énorme mais ne présente rien d’exceptionnel, il nous empêche surtout de voir le lac. Nous rebroussons donc chemin, tout de même satisfait de notre découverte.

Au village suivant nous nous arrêtons dans un petit marché. Il est temps de penser à se ravitailler pour notre première nuit de bivouac. Oignons, légumes et piments compléteront nos nouilles chinoises achetées à Bangkok. Nous en profitons aussi pour tester les différents snacks locaux qui nous accompagneront jusqu’à la frontière. Le soleil décline gentillement à l’horizon. Nous sortons de la route et suivons une piste en terre afin de trouver le lieu idéal pour camper. Après quelques hésitations nous trouvons une charmante petite cabane sur pilotis;  pittoresque a souhait, c’est ce qu’il nous fallait. Le bivouac est monté et nous pouvons profiter tranquillement des derniers rayons lumineux, avant que le soleil ne se couche. Les légumes mijotent dans la casserole, nous verrons bien a quelle sauce le voyage, lui, nous mijotera…

La première nuit se passe bien même si l’humidité envahi tout. Elle s’infiltre dans la tente, condense sur nos affaires et se mêle à la transpiration. J’ai l’impression de nager dans mes draps. Le corps doit encore s’acclimater à ce nouvel environnement. Côté positif, William ne ronfle pas, me voila rassuré. Une fois de plus je suis le premier debout. William ne s’est toujours pas remis des multiples décalages horaires depuis son retour d’Amérique du sud. Dehors la brume recouvre les collines environnantes et au loin, fidèle à lui même, le soleil pointe son nez, rond et rouge. Nous décidons de ne pas trop tarder pour profiter de la fraîcheur matinale et faire un maximum de kilomètres avant la fournaise de la mi-journee. A midi justement nous arrivons dans un village ou se déroule une fête. Au programme: football, pétanque, volley et surtout…. pitance! Les gens surpris de voir deux gulus débarquer dans leur fête villageoise nous observent d’un oeil amusé et bienveillant. Nous sommes invité à goûter une sorte d’alcool local et nous avons la chance d’assister à un match de foot commenté par le Yannick Parate local (dixit Will). Pense repue et bien tendue nous quittons ces gens adorables, certainement tristes de nous voir si vite partis. Les filles en pleurs agitent leurs mouchoirs, retournant à leurs  »vies de peines pour si peu de plaisirs ». Nous briserons plus d’un coeur sur notre route, dur destin que celui de l’aventurier!

Le reste de la journée est fait de paysages desséchés et de sourires encourageants. Les premières pentes difficiles apparaissent et se succèdent. Après une descente au fond de la vallée, nous n’avons pas le courage de remonter et décidons d’installer notre bivouac dans les environs. Surtout, qu’il  y a une petite rivière à proximité pour nous laver et faire la vaisselle. Nous décidons de bivouaquer sous le signe de la  discrétion car nous campons tout près d’un village. Après avoir scrupuleusement choisi un endroit plus ou moins dissimulé, William a la fabuleuse idée de faire un feu….  Conséquence immédiate, nous recevrons la visite de plusieurs habitants curieux de voir ce qu’il se trame a proximité de chez eux.

En forme, grâce à une nuit réparatrice des presque 10h, nous reprenons le trajet là où nous l’avions laissé auparavant, au pied de la montée que nous n’avions pas eu le courage d’affronter la veille. Frais comme des sticks de poissons sorti du congel, c’est sans problème que nous en venons à bout. Mais nous n’avions pas prévu que cette première montée n’était qu’un avant goût de ce qui nous attendait. Les routes ne passent pas par quatre chemins pour vous faire comprendre votre douleur, taillant droit dans la montagne, elles semblent presque les escalader. Une fois en haut, on chemine le long de crêtes, de village en village. De magnifiques paysages montagneux s’étendent de chaque côté, récompensant nos efforts. Le soir nous arrivons dans la petite ville de Nan où nous logeons dans une guesthouse. Au marché, nous tombons sur un stand d’insectes: des grosses sauterelles bien dodues, j’en avais rêvé toute ma vie! William, lui, opte pour des larves. Finalement il s’avère qu’elles ont peu de goût et que comme souvent c’est surtout la sauce qui compte. Profitant des commodités de la ville, nous buvons une bière devant Chelsea-Liverpool a côté de supporter thaïlandais, enthousiastes dans leurs maillots, et qui, vu leurs gesticulations, semblent sérieusement intéressés par le championnat de foot anglais.

La Teranga Thailandaise, par votre serviteur William

Allez, nous quittons Nan, sachant que la prochaine ville digne de ce nom sur notre parcours est Louang Prabang au centre de la partie nord du Laos. La route ondule gentillement, slalomant parfois entre les collines, en gravissant une ou deux montées pour la forme, et traversant de temps à autres de petites villes. Nous laissons passer les heures les plus chaudes de la journée en nous arrêtant dans une petite gargote. A 1 francs le plat, cela serait bête de se priver. Du coup, on commande généralement deux platées de riz bien copieuses. Quelques heures plus tard, pour les Quatre Heures, nous engloutissons un bol de nouilles. Le ventre blindé, nous sommes prêts à trouver un endroit où planter notre tente sans souper. Mais voilà, alors que nous arrivions en vue d’une charmante bourgade du nom de Thougchang, un vieux monsieur sur un scooter s’arrête a notre hauteur:  » You can sleep in my garden if you want! »

Suraphol est un ancien camionneur ayant opéré en Irak, en Syrie et au Koweit. Ses qualités de travailleur international lui valent des compétences supérieures à la plupart de ses compatriotes en ce qui concerne le maniement de la langue de Shakespear. Retraité, Suraphol cultive un superbe potager, et lorsqu’il nous sert à dîner dans sa cuisine open-air, il nous fait déguster du riz de son jardin et des bananes du verger ! Tous les trois, nous passons une soirée mémorable. Suraphol est heureux de nous faire découvrir sa gastronomie et, lors du repas, nous gratifie d’un  »I am very happy to welcome you » qui nous émeut beaucoup. De notre côté, nous essayons d’apporter autre chose que nos mains sales. Benoit joue « La Marine » avec son Okarina, et j’entonne « Hey Jude » avec mon harmonica.

Grab ‘n Ride,

Lendemain: adieux émouvants avec notre hôte. En guise de cadeau d’adieux, nous avons le droit aux restes de notre petit-déjeuner (riz et nouilles avec viande bouillie) emballés dans des feuilles de bananiers. Quelques pommes, une boite de sardines et un régime de bananes du jardin posés sur nos sacoches arrières, nous reprenons la route pour notre dernière journée sur les routes thaïlandaises. Nous nous réjouissons d’entrer au Laos. Je ne connais rien de ce pays, si ce n’est qu’il fait partie des pays que je n’avais pas prévu visiter. Donc, c’est avec vigueur que nous entamons les quarante derniers kilomètres jusqu’à la frontière, et pas les moindres. Il y a quelques jours, nous avions déjà souffert du relief (que nous savions  faits de collines avant d’entreprendre notre aventure dans ces contrées), mais cette fois-ci, la route est étroite et pleine de camions. Dans un premier temps, nous pensons ne pas avoir notre place sur cette route, puis, je réalise que les mastodontes qui nous frolent toutes les cinq minutes sont extrêmement lents dans les montées. Quand ceux-ci peinent et crachottent tout leur diesel dès que la route est trop pentue pour eux, il devient alors tout naturel de pédaler un bon coup pour se mettre à leur niveau, et de s’agripper à la première prise venue. Ainsi, toute la matinée, nous avançons de camions en camions, les attrapant avant l’ascension, les lâchant avant le grand saut. Nos petits vélos semblent minuscules à côté des immenses roues qui frôlent nos sacoches prêtes à nous avaler à la moindre erreur. Parfois, les prises font défaut, et c’est en réalisant des contorsions des plus grotesques que nous arrivons à nous hisser en haut des côtes, aussi suant que si nous les avions pédalées intégralement! Il faut noter que ces remonte-pentes de luxe ne nous font pas gagner beaucoup de temps, nous avançons rarement à plus de 9kmh (sommes nous trop lourds?) et n’en sommes pas moins fatigués. Ainsi, lorsque nous arrivons à la frontière de Nam Ngeun, nous sommes heureux de manger notre dernière platée de riz thaïlandais dans une échoppe avant d’aller faire tamponner nos passeports (eh oui Paris, un de plus).

Souffrance , Souffrance…

Le Laos… Déjà, on sent une petite différence avec la Thaïlande. Les premiers kilomètres se font notamment sur une route superbe, toute neuve. Il faut dire que la frontière n’est ouverte que depuis 5 ans, et toutes les machines de chantiers du pays ont du être envoyées dans ce secteur pour permettre un trafic plus aisé et régulier vers la Thaïlande. Très vite, nous déchantons en atteignant les tronçons de route en construction. Routes larges, peu fréquentées, oui, mais couverte de graviers qui rendent la navigation extrêmement périlleuse. Les montées sont longues, et les descentes se font à coin sur les freins. Les camions sont rares, et quand nous arrivons à les attraper au vol, il est difficile de maintenir le même cap que le conducteur. Une chute, sans gravité, mais intégralement filmée par Benoît, témoigne de la difficulté de l’épreuve! Celle-ci sera bientôt disponible sur vos écrans.

De nuit, exténués, couverts de poussière, sans un Kip en poche (la monnaie locale), nous arrivons dans le premier village capable de nous ravitailler en eau. Crados, mais heureux d’être dans ce pays, nous campons dans une cabane sur pilotis à proximité de la piste.

Le lendemain, on se lève tôt. Benoît est au taquet et à 7h, nous sommes sur nos selles. Au fil des kilomètres, nous rencontrons les écoliers qui vont à l’école. Jusque là, mon Klaxon K2 offert par Sarah m’attirait les sourires et même les fous rires des badeaux et des bambins aux bords des routes. Ici, en revanche, je me prends de nombreux bides. Celui qui j’avais surnomme  »friends maker » n’est plus si efficace en ces lieux. Passons. Le fait de voir tous ces écoliers allant à l’école nous rappelle la vie de nos camarades restés en Suisse, prenant le TSOL tous les matins pour se rendre a l’Uni ou l’EPFL. En ce pays, si éloigné, nous avons une pensée pour eux.

Après 10km à fond la caisse, en fond de vallée, au milieu des rizières, nous entamons notre première montée de la journée sur une petite route de campagne qui part vers les collines. Un panneau indique une pente de 15%:  »ok, on peut bien faire une petite montée aujourd’hui, vamos! ». Ces 15%, nous les sentons, surtout qu’aucun camion ne vient à notre aide. Après celle-ci, une deuxième se présente, puis une troisième. Finalement, nous passons la journée à monter, à chaque fois, en ayant le droit à un court break  lors des descentes pentues, qui ne nous permettent pas de faire de nombreux kilomètres. Ce type de relief est exténuant. Le compteur fait du surplace, et quand la pente devient trop abrupte et que nous hésitons à sortir cordes et mousquetons pour hisser nos vélos, celui-ci affiche 0,0kmh. Le compteur nous boycotte. Trop lents, nous ne sommes pas digne de lui.

Exténués, la gorge sèche, nous arrivons à notre premier vrai village laotien. Aucune baraque en dur, que des bambous, des bouts de bois, et des gamins sales. On semble être arrivé au bout du monde. Les gens nous dévisagent, les enfants se cachent quand je dégaine mon appareil photo, et quand nous nous arrêtons à l’ombre d’une paillote pour souffler, c’est le village entier qui nous dévisage.  Ces scènes se reproduisent dans la plupart des communes perchées que nous traversons.

Enfin! après trois jours à monter et descendre sans cesse, n’avançant qu’avec parcimonie, nous sortons des collines, ou plutôt rejoignons une route qui slalome entre elles. Très vite, nous débouchons sur le Mekong, fleuve mythique de 4’500km. C’est le dixième plus grand fleuve de la planète, et a l’instar du Gange et du Bramapoutre, il prend sa source au coeur du l’Himalaya. Ce sont presque 90 millions de personnes qui dépendent des eaux de ce fleuve gigantesque. Nous nous attendions donc a voir un fleuve énorme, couvert de bateaux et de pirogues, mais ce n’est pas le cas. Nous devons batailler pour trouver un bateau qui nous remontera pour un prix raisonnable jusqu’à la ville de Louang Prabang, à plus de 100km au nord. Quelques pêcheurs, des pirogues à moteur, c’est tout ce que nous croiserons lors de notre croisière flash-éclair. Attention, ce n’est pas pour autant que nous ne sommes pas sous le charme, les berges sont belles, des buffles se baignent à quelques dizaines de mètres de nous, et notre embarcation traverse de nombreux rapides qui font tanguer notre barque à moteur.

A LouangPrabang, nous renouons avec la civilisation. Une ville, touristique, peuplée de centaines d’occidentaux en vacances. Et dire qu’hier, nous mangions dans un village avec une prof d’anglais qui ne parlait quasiment pas la langue qu’elle enseignait. Deux mondes si proche, et si différents…

Premiers objectifs de notre séjour de 2.5 jours a LP: se laver, laver nos vêtements, manger, boire, manger, dormir, manger, vous écrire un article et manger. Ce soir, à la veille de notre départ pour le Vietnam à 400km de là, je pense pouvoir affirmer que nos missions ont été accomplies avec succès.


Chapitre 20: Iguaçu, Saõ Paulo, Pain de Sucre et Antoinette: Amérique du Sud suite et fin

Cuzco – Lima – Santiago – Saõ Paulo – Foz do Iguaçu – Puerto Iguaçu, 36h.

L’avion, le bus, le train sont des portes vers d’autres espaces-temps. On entre dans un grand bâtiment plein de gens pressés et portant des grosses valises, on s’assied quelques heures dans un fauteuil plus ou moins confortable, on ressort d’un autre bâtiment presque identique, et là, tout est différent. L’air, les odeurs, les gens, la langue, l’ambiance, les « énergies ». Parfois il faut plusieurs heures d’adaptation, parfois quelques jours, mais il arrive qu’on se trouve en phase avec son environnement dès la première seconde. C’était le cas pour la pluspart de mes destinations sud-américaines, où, contrairement à mon arrivée au Maroc et malgré l’obstacle de la langue, je me suis toujours senti à ma place.

Quand je débarque à Santiago de Lima, il est 2h du matin et mon vol pour Saõ Paulo est dans 5h. Je retrouve mes repères d’il y a 3 mois et m’endors sur un banc. En arrivant à l’aéroport de Saõ Paulo, je retrouve aussi mes repères. Je me rappelle de ces derniers instants passé sur le sol brésilien avec le sourire, mais je ne perds pas de temps, je cours à la gare routière pour tenter de trouver un bus pour Iguaçu. Mission accomplie, je passe 16h dans un bus, de quoi économisé une nuit d’auberge: il n’y a pas de petites économies!
Ainsi, un jour et demi après avoir quitté Paris à la porte d’embarquement 26 de l’aéroport international de Lima, me voilà en plein cœur de l’Amérique du sud, entre Brésil, Paraguay et Argentine.

Antoinette
Vous vous souvenez d’Antoinette? Il s’agit de la demoiselle lausannoise que j’avais retrouvé à Santiago la veille de l’arrivée de Paris. Tous les trois, nous avions partagés quelques moments agréables dans la capitale chilienne. Depuis, nous gardions contact régulièrement, suivant à distance nos voyages respectifs. Elle s’est baladée dans diverses villes argentines après avoir visité le sud du Chili et la Patagonie. Sans plans précis pour mes deux dernières semaines latinos américaines, je pensais me trouver un trek dans les environs de Rio, j’envisageais aussi pousser un peu plus loin pour admirer les chutes d’Iguaçu. Je souhaitais juste trouver une quelconque occupation afin de « remplir » mon temps jusqu’à mon départ pour la Suisse puis pour l’Asie, pensant que le gros de cette partie du voyage était déjà passé. Quand nous nous sommes rendus compte que nous envisagions de nous rendre aux chutes plus ou moins au même moment, nous avons aussitôt convenu de nous y retrouver, afin de profiter de cette merveilles de la nature à deux. Plus d’un mois après des adieux rapides sur un quai de métro de la ligne 1 de Santiago, nous nous retrouvons avec joie. Finalement, ces jours avec Antoinette ne seront pas du bête « remplissage », mais bel et bien un nouvel acte joué dans cette pièce d’une année qu’est mon voyage.

Donc, un mois après que nos routes aient pris des direction différentes, nous revoilà réunis dans une  jolie petite auberge argentine. Antoinette, c’est une suissesse. Elle est organisée, ordonnée, et c’est une pro dans l’art de planifier une journée, un voyage. A Iguaçu, elle sait exactement ce qu’il faut voir et visiter, elle connaît les combines pour entrer dans le parc national moins cher et éviter les foules. Cela tombe bien, car de tout ça,  je n’en sais rien. Ainsi, c’est aux premières heures du jours que je suis tiré de mon lit pour partir illico presto pour le parc national des chutes d’Iguaçu. Impatient, nous nous hâtons afin d’assister à ce spectacle grandiose de la manière la plus intimiste possible.

Les chutes d’Iguaçu

Sur terre, 3 chutes d’eau (ou ensemble de chutes d’eau) sont remarquable par leur grandeur, leur débit et leur beauté. Les plus célèbres sont certainement celles du Niagara, entre USA et Canada. Les plus longues, les chutes Victoria situées entre la Zambie et le Zimbabwe, forment un rideau continue de plus 1,7 kilomètre et de 110m de haut. Le système  de catarates le plus complexe, le plus diversifié, et le plus étendu est celui d’Iguaçu, entre Argentine et Brésil. Dans un paysage plat et peu accidenté, une faille gigantesque balafre la croute terrestre, et coupe la course du Rio Iguaçu, un affluant du Paranà. En résulte un des spectacle les plus impressionnant et des plus violent qu’il est possible d’observer sur terre. Imaginez des millions de litres qui se fracassent sur des roches basaltiques après plus de 80m de chute. Imaginez plus de 270 cascades, toutes différentes de leurs voisines, côte à côte sur  2,5 kilomètre. Imaginez, un vacarme tonitruant et permanent.  Imaginez des milliards de gouttelettes en suspension dans l’atmosphère formant des nuages immenses, ces gouttelettes remontant parfois bien au-dessus de leur point de chute originel. Imaginez une Forêt Atlantique comme on n’en voit de moins en moins, peuplée de singes, de coatis et de papillons multicolores.

Avant ce jour, je n’arrivais pas à m’imaginer cela. J’avais vu des photos, écouté des gens en parler, lu des récits, mais ce genre d’endroits, il faut y aller, car ce sont des lieux que l’on sent, que l’on vit. Nous passons les portes du parc, prenons un petit train, allons directement au fond du parc, empruntons une passerelle qui surplombe des eaux en apparences calmes. Plus nous avançons, plus cette eau s’agite, accélère sa course, et finalement disparaît dans le vide: ça y est, nous sommes au-dessus de la Garganta del Diablo, la chute la plus imposante du site. Perchés sur la plateforme surplombant ce U gigantesque, et peu à peu mouillés par les embruns, nous restons de longues minutes à contempler cette démonstration de force de la nature. Lentement, nous sortons de notre torpeur, et décidons de nous diriger vers les autres points de vus, éparpillés dans tout le site.

Pendant trois jours, nous allons sillonner les sentiers des parcs nationaux argentins et brésiliens. Le premier jour, nous les découvrons sous le soleil, parfois après s’être frayé un passage entre les quelques 16 000 autres visiteurs du jour. Le deuxième, il pleut, mais c’est encore mieux. Comme pour DisneyLand, il n’y a personne quand il ne fait pas beau, et nous pouvons ainsi retourner et profiter à notre guise des spots que nous avons préférés la veille. On saisit aussi l’occasion d’aller nous baigner sous une  »petite » cascade de 20m en marge des principaux points d’intérêts. Finalement, le troisième jour, nous faisons le grand saut, et passons au Brésil, pour contempler une vue plus générale du site, et plus célèbre aussi, car c’est de ce côté qu’on était jouée les scènes de certains films tels qu’OSS 117.

Après trois jours passés dans ce cadre hors du commun, nous reprenons un bus de nuit pour Saõ Paulo. Antoinette vient elle aussi, nous prévoyons de passer ensemble quelques jours à Rio.

Back in Rio

20h de bus pour arriver à Saõ Paulo. On est glauque, le bus n’était pas confortable, et quand nous arrivons à SP vers midi, il pleut, le ciel est gris, et les gens tirent la gueule. Nous aussi. Après 3 visites à SP, j’ai décrété que cette ville, je ne l’aime pas. Antoinette est plus optimiste que moi, elle est sûr qu’elle arrivera a trouver un charme à cette mégapole surpolluée.   » Tu verras, ce suis sûr que c’est une jolie ville au fond! » Mais non! Pour commencer à aimer cette ville, il ne faut en tout cas pas venir un dimanche: ivrognes étalés partout, sans abris agressifs et prieurs ambulants remplissent les rues désertes que nous visitons. Orage, pluie sans fin, rues fantômes, nous essayons de tuer le temps tant bien que mal en attendant de prendre un bus pour Rio, à minuit. Finalement, la délivrance arrive, 23h55, nous embarquons, demain, à l’heure où blanchie la campagne, nous serons dans « la plus belle ville d’Amérique du Sud »: Rio.

Comme vous pouvez le constater dans mes écris, j’aime bien Rio. Peut-être est-ce le fait d’être logé chez Ricardo, un ami à mes parents, et ainsi de pouvoir découvrir cette ville de l’intérieur, peut-être c’est du cadre qui m’envoute. Cette ville est réellement unique. Monts et forêts sont présents jusqu’au cœur de la ville. les différents quartiers, Copacabana, Ipanema, Jardìn Botanico, Barra, sont séparés des uns des autres par des obstacles naturels qui leur confèrent à tous des caractères uniques. En plein Rio se trouve aussi le parc de Tijuca, gigantesque. Ce parc propose d’innombrables trails, et permet de rejoindre les sommets de nombreuses montagnes allant jusqu’à 1000m. Combiner en une journée trek et bronzette à la plage, c’est top non?
Du coup, je suis particulièrement impatient de partager mon enthousiasme avec Antoinette. Je pars du principe qu’il ne faut pas commencer un séjour sans rendre visite au Pain de Sucre. Il y a trois mois, j’avais passé 4 de mes journées sur ce rocher de 400m. Fier d’y avoir trouvé un sentier menant au sommet, j’y avais emmené Ricardo, puis Carla. En ces temps, jamais je n’ai réussit à compléter l’ascension du rocher en entier, car l’escalade de celui-ci s’avère ardue à mi-hauteur. Un pas  de 4-5m seulement, mais très exposé (moindre prise qui lâche, et c’est la chute assurée sur plusieurs dizaines de mètres), me forçait à chaque fois à faire demie-tour. Cette fois-ci, nous sommes au taquet, et le passage critique, nous le passons. Bon, on est arrivé en haut tout tremblant et couvert de sueurs froides, mais ça personne ne le sait!

Les autres jours, nous les passons à marcher (Pico da Tijuca, Pedra da Gaveo: nous faisons tous les sommets importants de Rio) et à manger. Antoinette est l’une des rares personnes que je connaisses qui mange plus que moi au quotidien. En dix jour, elle deviendra une « Food-Friend » telle que j’en ai jamais eu! Nos deux semaines de voyage communes nous laisseront le temps de déguster de nombreux plats et boissons locales. Mon estomac en redemande!

6 mois de voyage

Peu à peu les jours passes, la liste des choses à faire diminue, mes affaires s’emballent, mon vélo se démembre, et mon regard se porte de plus en plus souvent vers l’océan, vers l’Est.

23 Janvier 2012, je quitte l’Amérique du Sud. Après 6 mois sur la route, c’est l’heure des comptes. Cette partie du voyage aura été pour moi complétement en marge de mes projets initiaux, mais tellement riche! Peut-être que le vélo est resté dans le placard, mais l’aventure, elle, était bien au rendez-vous. Expédition à l’Aconcagua, auto-stop avec Paris, île de rêve avec Carla, paysages irréels en Bolivie, chutes d’Iguaçu avec Antoinette: tout était génial, unique, et je ne me suis pas ennuyé un moment  Durant trois mois, j’ai pu annihiler le sentiment de solitude qui m’avait paralysé ,lors de ces premières semaines en Afrique. Grâce à ces amis et amies qui ont fait un bout de chemin en ma compagnie, j’ai pu ajouter une dimension affective et humaine à ce voyage et apprendre à partager ces moments privilégiés et uniques qui jalonne une existence nomade.

Grâce à ces 3 mois d’improvisation, je vois mon trip sous un nouvel angle. Je réalise qu’en modifiant tous mes plans de la partie « Amérique », j’ai pris les dessus sur mon voyage. Ainsi, j’ai pu me libérer des chaînes que je m’étais forgé pendant toutes ces années passées à imaginer, à fantasmer, et à mettre sur pied ce « voyage de rêve ». Certains pourraient regretter que je ne me sois pas tenu à mes objectifs de base, que je n’ai pas gardé mon cul sur la selle en permanence. Je les comprends, il y un an, j’aurai sûrement vu les choses d’un point de vue ne correspondant pas à la réalité du terrain. Néanmoins, maintenant je me sens libre, j’ai cassé ces chaînes, je peux laisser vivre et évoluer ce voyage à sa guise. Si ma route change de nouveau de cap, si mes roues me mènent en Sibérie, au Japon, ou se reposent des mois durant dans une cahute népalaise pendant que mes pieds prennent le relais, je suivrai ce nouveau cap sans hésitation ni remords.

« Et maintenant? »

Il y a quelques jours j’ai décollé de Rio, non pas en direction de l’Ouest, mais de l’Est. En ce moment, j’effectue une escale en Suisse pour réorganiser mes sacoches, faire le plein de bonne chose et descendre quelques pistes. Si vous lisez ceci après le 5 février, je serai déjà repartit pour l’Asie du Sud-Est. Avec Benoît, un collègue cycliste, nous allons rallier sur nos deux roues Bangkok à Hanoï en passant par le Laos du Nord. Benoît rentrera en Suisse depuis la capitale vietnamienne, tandis que je tenterai d’acquérir au moins un Visa chinois pour entreprendre une traversée hasardeuse du Tibet. Si je n’arrive pas à franchir ces étapes administratives en un temps raisonnable, je remonterai sur mon vélo sans nom, et resterai à l’écoute de mes roues qui me diront où aller…


Chapitre 19: Le voyage de Star et Puissant en Bolivie et au Pérou

Bon, San Pedro de Atacama, malgré ses déserts de sel, ses vallées lunaires et ses lagons sur-salés du style Mer Morte n’était peut-être pas à notre goût, mais il faut avouer que la région qui l’entoure est de toute beauté!  Nous dirigeons néanmoins vers la Bolivie en ce jour de décembre 2011. Après avoir discuté avec l’asiatique de notre auberge (toutes auberges dignes de ce nom possèdent au moins un asiatique solitaire un peu bizarre qui hante les dortoirs de celle-ci et qui ne parle (presque) pas un mot d’anglais) nous choisissons la même agence, et nous lançons dans un tour de trois jours avec cet asiatique en question, Sio, ainsi que 4 autres personnes. Nous sommes heureux de quitter San Pedro, mais pas le Chili qui nous a apporté de nombreuses bonnes surprises lors de ce voyage en stop. Les autres membres de ce tour sont anglos-portugo-indiens (Bruno et Anita), finlandais ( Meriana), Chinois (Sio), grecques (Paris) et français (moi), Le 26 décembre 2011, nous partons à 6 dans une jeep, en direction de la Bolivie, et plus précisément d’Uyuni!

La Bolivie

Après une nuit agitée (Sio est un des pires ronfleurs jamais rencontré en auberge), nous embarquons dans une Jeep en direction de la Bolivie. La Bolivie, cela fait tellement de temps que j’en parle, que j’en rêve. Premièrement, ce sont les récits et les photos d’autres (cyclo)voyageurs qui m’ont mis l’eau à la bouche. Puis, je me suis un peu plus intéressé à l’actualité  du pays. Qui est donc cet Evo Morales dont on parle tant? Jean Ziegler, Mr. Google, Robin B., puis d’autres répondrons à mes questions. Le sujet me passionne, à tel point que la politique de Morales sera le sujet de mon travail de mémoire pour mon Bachelor de géographie. J’ai hâte d’enfin aller tâter le terrain afin de vérifier que ce que j’ai raconté n’était pas des bêtises!

Avec le chauffeur, nous sommes 7 dans la Jeep. Je suis heureux de ne pas mesurer 1m80 comme Meriana, assise à côté de moi et qui doit faire de la contorsion pour s’enfiler à sa place. Même si nous sommes un peu serré, ce n’est pas grave, les paysages qui défilent devant nos yeux sont magnifiques. Le poste frontière, une petite cabane supplantée d’un drapeau tricolore, se trouve au pied du volcan Licancabur qui culmine à presque 6’000m. Hormis deux ou trois volcans qui traînent ça et là, le paysage est plat, vide, désertique et peuplé de… mouettes! Elles nous font bien rire! Que font-elle ici, à presque 4’000m, entre Andes et Atacama? Nous sommes aussi escortés de quelques autres Jeeps. Ce tour est l’un des plus célèbre des Amériques, le Salar est un must, pourtant, en ce lendemain de Noël, nous ne sommes pas très nombreux. Les personnes présentent dans les autres voitures, nous ne les connaissons pas encore, mais allons les croiser de nombreuses fois tout du long du parcours, et certaines même jusqu’à La Paz!

Salar d’Uyuni

Après quelques jours au niveau de la mer (ou pas loin) me revoilà dans les hautes altitudes. La piste monte raide, et atteins des altitudes frôlant les 5’000m. Je pensais être acclimaté, mais Aconcagua ou pas, je suis essoufflé rapidement et vite fatigué. Bon, il faut dire qu’on ne fait pas dans la dentelle, le premier soir, à environ 4’300m, nous nous lançons dans une partie de foot efreînée avec deux enfants du hameau dans lequel nous logerons. Au début, lorsque la balle passait à proximité de mes pieds, je me lançais dans un sprint plein d’espoir. Grave erreur! Au bout de 15min, la tête au bord de l’implosion, je réalise que la meilleure stratégie pour survivre à un match en altitude, c’est d’être gardien!

 La voiture s’arrête régulièrement pour nous laisser admirer les paysages. Lacs aux couleurs improbables, allant du vert au blanc en passant par le rouge pétant, ciel tantôt d’un bleu profond, tantôt d’un noir apocalyptique et …flamands roses qui rajoutent une touche improbable à cette palette de couleur. Durant ces trois jours en Jeep, nous passons nos journées à admirer ces merveilles, en attendant la plus célèbre de toute, le Salar d’Uyuni, le plus grand désert de sel au monde. Rien ne sert de blablater plus sur ces lacs des premiers jours, les photos parlent d’elles même.
Le Salar, quant à lui, nous à réservé une superbe surprise. Sur la plupart des photos, on ne voit que du sel, du sel et du sel à perte de vue. C’est marrant d’ailleurs, car n’offrant aucun point de repère, ce paysage lunaire permet de prendre des photos loufoques en jouant sur la perte de notion des distances. Mais bon, du sel, c’est du sel, et Paris était septique au début de ce tour: « Trois jours pour voir du sel, c’est beaucoup non? ». Heureusement, nous avons la chance d’être en saison des pluies, et après une nuit extrêmement orageuse, quand nous nous aventurons dans le Salar, nous constatons que celui-ci est recouvert d’une minuscule pellicule d’eau. Un demi centimètre de profondeur en moyenne, cette couche opère tel un miroir. Le ciel est bas et nuageux et nous donne l’impression de se prolonger sous nos pieds. Nous marchons dans le ciel, dans un calme absolue, et dans un paysage sans limites et grandiose. Quand, en fin de journée, nous débarquons à dans un cimetière de vieilles locomotives en bordure du Salar, nos yeux sont encore écarquillés.

Les mines de Potosi
Retour à la civilisation, et d’emblée, nous jouons le rôle des touristes toujours pressés en sautant dans un bus à peine débarqués dans la ville d’Uyuni. Bus sans toilettes, surpeuplés et sans clim’, c’est parti pour une nuit de route…enfin, de piste! Le chauffeur est motivé, il roule à fond pour gravir un premier col, puis il s’arrête. Nous attendons 10min, 20 min. Personne ne bouge, personne ne s’inquiète. 30min, 40min. Nous sortons jeter un coup d’oeil: un camion est embourbé en travers de la route, la cabine et la remorque formant un angle improbable qui empêche tout véhicule de le dépasser. Une dizaine de personnes (des chauffeurs pressés) aident le malheureux camionneur à se dépêtrer de cette situation. Différentes manoeuvres sont essayées, jusqu’à ce qu’un véhicule spécial vienne le sortir de là. On a pris 2h de retard, et le chauffeur veut à tout prix les rattraper: le reste du trajet est extrêmement cahoteux!
Potosi est une ville particulière. Déjà, perchée á presque 4’000m, c’est la plus haute du monde de cette taille. Puis, son histoire m’avait marqué lorsque j’étudiais le passé colonial de la Bolivie. Le Cerro Rico, montagne pyramidale qui surplombe la ville, a une particularité qui fera le bonheur des européens et le malheur des indigènes: elle regorge (ou plutôt regorgeait) d’argent. Cela fait plus de 400 ans que des gens sont envoyés creuser cette montagne qui maintenant à littéralement l’allure d’un Emmental. Plusieurs millions d’indiens sont morts dans ces gueules du diable, et toujours aujourd’hui, les conditions de travail sont désastreuses. En arrivant à Potosi, nous apprenons qu’il est possible de visiter les mines, ce qui m’attire énormément. On prend le risque de s’engager dans une visite d’une demie journée, on espère de ne pas se transformer en touristes voyeuristes: « Oh, t’as vu Roger, il y a même des enfants qui travaillent! Que c’est mignon! ».

Finalement, les deux heures et demie passées sous terre sont très instructives, et me font réaliser la difficulté de ce travail. Plus de douze heures passées sans voir le soleil, sous des kilomètres de roche, tout ça pour ramasser les miettes de minerais d’argent laissés par les conquistadores. Sans montre ni lumière du jour, le seul moyen de connaître l’heure, c’est de mâcher de la coca. Au bout de trois heures, les feuilles de celles-ci dégagent un goût amer. Au bout de trois ou quatre tournus de coca, le mineur sort des tunnels. En partant pour la mine, la guide nous a conseillé d’acheter des bouteilles de Soda, d’eau, des cigarettes ou de la coca pour les offrir aux mineurs que nous rencontrerons. Ainsi, lorsque nous croisons des travailleurs, nous les ravitaillons en biens de première nécessité!
Certains des tunnels ont plus de 400 ans, tout comme les poutres qui maintiennent les tonnes de roches au-dessus de nos têtes. Rassurant. Parfois nous devons ramper dans des boyaux oppressants, parfois nous suivons des rails où des wagonnets de plusieurs tonnes déboulent poussés par trois mineurs. Dans certains couloirs, on tombe sur des sculptures, couvertes de feuilles de coca. Sorte d’icônes divines, les mineurs leurs livrent une partie de leurs provisions en offrande afin de se protéger des éboulements et des accidents. Chaque fin de semaines, les travailleurs, même les plus jeunes, viennent trinquer avec la statue en buvant de l’alcool à … 96º!!!

Malgré des ambiances rappelant le Germinal de Zola, la visite de cette concession nous surprend: nous nous attendions à voir des êtres détruits, tristes, et rongés par les maladies et le désespoir: ce n’était pas le cas. Certes certains travailleurs puaient l’alcool, et d’autres semblaient accablés par la fatigue, mais la beaucoup étaient souriants, blagueurs et plein d’entrain. Cette visite nous a marqué, et plusieurs semaines après j’y repense encore souvent.

Un Nouvel-An à Sucre

Nouveau trajet en bus, nouvelle ville, nouvelle année arrivant à grand pas. Cette fois-ci, nous s à Sucre, considérée comme étant une des plus belle ville de Bolivie. En prenant un petit déjeuner à la roots dans une échoppe du marcher central, nous tombons sur Liza, une des filles qui voyageait dans une des autres jeep au Salar. Liza, bretonne, fini sa thèse en histoire à Santiago. Elle a pris des vacances pour voyager jusqu’en Bolivie. Ensemble, nous nous rendons dans une auberge ou se trouvent d’autres amies de sa jeep: peu à peu l’équipe se reconstitue, c’est avec eux que je passerai le réveillon.
31 décembre 2011, l’année tire sa révérence. Paris à l’honneur de mettre un pied en 2012 bien avant nous: il salue 2011 à 20h en allant se coucher avant tout le monde! Après un buffet où chacun préparait sa spécialité perso, nous nous dirigeons vers la place centrale de Sucre. Celle-ci est noire de monde, des pétards et des feux d’artifices amateurs fusent de tous les côtés. Une fusée explose dans la guirlande d’un bâtiment administratif et se commence à flamber. Personne n’en a cure, et la fête se poursuit. Les souvenirs de cette soirée sont très nombreux, mais il m’est impossible d’établir une trame chronologique des événements. Je me souviens avoir passé une partie de la nuit à chercher les autres autour de la place, avoir retrouvé Liza, dansante au sein d’une fanfare, passé une partie de la nuit avec des étudiants en biologie cariocas, taper dans le dos de nombreux Boliviens et être rentré me coucher au chevet de Paris vers les 5h du matin.

Le changement d’année nous fait réaliser une chose: il nous reste que 9 jours pour rejoindre Lima d’où nous nous enlevons pour nos destinations respectives. Paris rentrera au Canada, et je me rapprocherais de mon vélo resté à Rio. Entre temps, il nous faut jeter un oeil au lac Titikaka et nous perdre dans les ruines du Machu Picchu. On ne perd pas de temps: bus de nuit vers la Paz où nous dégustons une fondue dans un resto tenu par un fribourgeois (cette fondue nous procure une joie intense), puis passage de la frontière entre la Bolivie et le Pérou. Avant cela, nous passons une dernière nuit en mode Star et Puissant sur les rives du lac. Nous en avons marre de voyager entre les auberges gorgées d’américains et d’australiens ne voulant que faire la fête, et cette nuit sous la tente face à ce lac grandiose (le berceau de la civilisation Inca selon nos sources!) et sous un des ciel les plus pure nous rappelle notre début de voyage en auto-stop, où rien n’était calculé. Ainsi, nous quittons la Bolivie avec le sourire…

Le Pérou

Bon, le Pérou, que s’est-il passé? Je vais faire vite, car je me suis pas mal étalé sur la Bolivie et certains trouveront ennuyant de m’entendre parler de mes vacances alors qu’ils préfèreraient y lire des récits d’aventure. Le Pérou, ils nous a « dressé » comme dirait Paris. Nos tentatives de Stop entre Puno sont infructueuses, et on à l’impression que tout va de travers. Pourtant, une fois arrivé dans la fameuse ville de Cuzco, nous avons la chance de réussir à réserver notre billet d’entrée pour le Machu Picchu. Il parait que c’est difficile de les obtenir à l’arrache car les entrées sont limitées. Notre vol depuis Lima est dans 4 jours à peine, du coup nous devons nous dépêcher. Ce n’est pas pour ça que nous allons prendre le train qui nous déposera directement au pied de la montagne Inca, nous préférons emprunter un itinéraire plus diversifié, moins cher, mais aussi plus long pour nous y rendre.

On the Road to the Machu Picchu

En surfant sur internet, le matin du 6 janvier, nous trouvons un pareil chemin, mais il est déjà midi. Si on veut visiter le lendemain le Machu Picchu (à 150km de là), il faut speeder. On laisse nos sacs à l’auberge, n’emportant que le nécessaire, et on saute dans un bus. Le trajet est magnifique, mais dure 7 heures et le chauffeur écoute ÇA à fond! Nous traversons des paysages rappelant ceux du canton du Fribourg, slalomons entre des montagnes acérées et gravissons des cols vertigineux. Les nuages entrent dans les vallées, les couleurs sont sombre, et on a l’impression de rentrer dans un monde perdu.

Les tympans endommagés, nous arrivons à Santa Maria où nous attrapons au vol un mini-bus pour rejoindre une autre ville perdue: Santa Teresa. Il fait nuit, mais nous savons la piste vertigineuse. Grâce à la lune, nous voyons que, à droite le précipice est incroyablement menaçant et si proche de nos roues. Le chauffeur roule à fond en rythme avec Police et les Village People qui passent à la radio. Jamais plus nous n’écouterons leurs chansons de la même manière!

Trempés de sueurs froides, nous arrivons vivant à Santa Teresa en même temps que deux backpackeuse argentine. Elles ont les mêmes objectifs que nous: rejoindre la base du Machu Picchu cette nuit, par le même chemin. Cela nous arrange car nous devons utiliser un taxi (que nous avons cherché longtemps) afin de rejoindre une usine hydroélectrique à 40minutes de piste. A 22 heures nous y sommes, le ciel est très menaçant et il fait nuit noire. Cela fait plusieurs heures que nous roulons dans des paysages sauvages d’une beauté rare, et maintenant nous nous apprêtons à nous enfoncer un peu plus dans l’inconnu.

Ce qui nous attend alors, ce sont environ 9 km de marche en pleine nuit le long des rails du train qui se rendent à Agua Caliente, le village au pied du MP. A la lueur de la lune, nous voyons les rails s’enfoncer dans la jungle, au loin, nous pouvons entendre le générique d’Indiana Jones. Lorsque, tous les quatres, nous commençons à marcher, il ne pleut pas, mais au bout de trente minutes, c’est le déluge. En un rien de temps, nous sommes tous trempés malgré nos K-way, et nous ne pouvons rien voir à plus de quelques dizaines de mètres. 23h, 00h, 01h, nous arrivons finalement à Agua Calientes à presque 2h du matin, trempés, congelés et exténués. Mais tout reste à faire: nous devons trouver un pieu. Après 30 minutes de recherche dans toute la ville, nous trouvons un hôtel qui nous laisse dormir tous les quatres dans une chambre pour trois. Sans avoir pu suspendre nos vêtements pour les faire sécher, nous nous endormons comme des bébés.

Le réveil est dur, et remettre nos habits trempés encore plus. Cette fois-ci, nous prenons le bus pour grimper jusqu’au Machu Picchu. Nous sommes très excités de voir cette ancienne capitale Inca, seulement découverte en 1911 par un archéologue américain. En effet, le site est sublime! Nous montons et descendons les nombreuses terrasses, passons de ruines en ruines et volons des informations aux différents guides qui informent des touristes plus fortunés. En contemplant la vallée sous nos pieds, et constatons qu’hier, nous avons marché plusieurs heures juste en dessous du Machu Picchu sans nous douter de sa présence. Heureux d’avoir accompli notre dernière mission touristique, nous rentrons à Cuzco pour une dernière nuit avant de prendre l’avion pour Lima, puis nous y séparer.

Cette dernière nuit, nous ne  voulons pas la payer. Nous sommes ruinés après avoir acheté un vol Cuzco-Lima car le trajet en bus dure presque 24h, et nous aurions risqués de louper nos vols pour le Canada et le Brésil. Nous retournons donc à l’auberge où nous avons laissés nos sacs, et y passons l’après-midi puis le soir le plus discrètement possible. On tue le temps en jouant au Monopoly et aux fléchettes. Finalement, quand tout semble calme, nous allons nous installer confortablement dans les canapés pour finalement nous éclipser au petit matin (après avoir raconté une histoire sans queue ni tête au staff pour justifier notre présence clandestine). Notre dernière nuit au Pérou s’est donc fait à la mode « filouterie d’auberge ».

C’est dans l’aéroport de Lima que je me sépare de Paris, après presque un mois de voyage. Le Chili, la Bolivie et le Pérou, nous les avons gérés! Je suis heureux d’avoir fait ce bout de route en sa compagnie, grâce à lui j’ai appris un peu mieux à voyager avec quelqu’un, et je suis sincèrement triste de savoir qu’il s’en retourne dans le froid polaire du Québec. -20ºC c’est froid quand même!! 😉


Chapitre 18: Le voyage de Star et Puissant au Chili

Attention, cet article a été écrit à deux. Les auteurs, Paris et William, s’excusent d’avance pour les quelques erreurs de concordance que le lecteur risque de rencontrer.

Santiago

7h du matin, un bout de planche en mains,  décollée d’un cageot en bois trouvé dans la rue, nous nous dirigeons, Antoinette et moi, vers l’aéroport de Santiago. Je profite des 45 minutes de bus pour costumiser mon bout de bois et marque PARIS au marqueur. On sait jamais, il pourrait ne pas nous reconnaître!

Tout ce que nous savons, c’est qu’il arrive avec un avion aux alentours de 8h30. On ne sait pas sa provenance exacte, et en cas de retard ou de problème, nous n’avons aucun moyen de nous contacter. Du coup, on est à l’affût, en espérant qu’il ne passe pas entre les mailles de notre filet. Heureusement, il ne nous échappe pas, et nous le capturons au vol et l’enmenons au plus vite à l’auberge pour qu’il puisse profiter du petit déjeuner qui finit à 10h!

Qui est Paris?

Session d’examen d’hiver 2009. Tout content d’en avoir fini avec Théorie du Territoire, nous (les géos) fonçons nous détendre à Satellite, le bar de l’EPFL. Diane tient absolument à incruster un de ses amis dans notre groupe: Paris, qui est à ce moment encore Epflien. Nous faisons connaissance, mais tout aurait pu s’arrêter là si je n’avais pas été tête en l’air. Pressé de rentrer à la maison, je prends le métro avec une partie du groupe quand tout d’un coup, je me rends compte que je n’ai plus de porte-monnaie!  Paris est la seule personne encore sur le campus ! Je le contacte, et il s’en va sauver mon coffre-fort M-budget.
Dès lors, nos chemins se sont croisés de plus en plus souvent, jusqu’à ce qu’on fasse partie du même groupe de musique. Peu à peu nous sommes devenus amis, au point d’escalader certaines grues de chantiers lausannois en pleine nuit. En échange universitaire cette année à Québec, et n’ayant lui aussi aucune famille à proximité pour passer Noël, nous décidons de le passer ensemble…au soleil! Nous avons 25 jours pour aller de Santiago à Lima: 4’000km au programme!

Valparaiso

Après 2 journées d’acclimatation, une balade dans les divers quartiers de la ville, et un concert de rue de Métal (Fuera de la Lei!!), nous nous séparons de notre chère Antoinette et nous nous  dirigeons vers… Valparaiso! Nous avons parcouru cette ville au charme particulier de haut en bas pendant 3 jours seulement, en comprenant qu’il faudrait peut-être tout une vie pour la saisir. Du sommet des dizaines de cerros qui encerclent la baie, coulent des cascades de maisons aux murs de tôles colorées. Des ruelles courbées et des escaliers pentus s’enfilent parmi elles,  et notre sens de l’orientation est mis à rude épreuve. Dans de nombreux coins on déniche des graffitis ou des points de vues particuliers sur le bleu du Pacifique. Ces explorations se poursuivent en compagnie de Filipe le poète qui rêve d’ouvrir une auberge-librairie ou de Dimitra la grecque qui travaille dans notre auberge. Valparaíso et sa fraîcheur arrive trop tôt selon nous, elle aurait eu un rôle parfait en tant que récompense au bout du voyage. Dans ce même rôle, Antofagasta ou Calama, villes que nous avons rencontrées en cours de route, ont été plutôt mauvaises. On aurait pu y rester pour des semaines, c’est juste à temps, avant de prendre racine, que nous décidons de faire le pas et de nous lancer. Le lendemain, on est On the road.

Hitchhiking in Chile

On est super motivés, au point de se rebaptiser pour le voyage. La veille du grand départ a lieu la métamorphose.  Paris et William disparaissent, remplacés par Star et Puissant. C’est ainsi renommés que nous gagnons en bus la Route 5, alias La Panamericana. Un spot a été repéré grâce à ce site: http://hitchwiki.org/ Le bus nous dépose devant un péage. On sort le carton, le stylo, mais alors que rien n’a encore commencé, Paris lance un regard de feu à un camionneur arrêté de l’autre coté du péage. Celui-ci nous fait signe de monter. Nous y croyons à peine, nous n’avons même pas sorti le pouce! Premier stop, zéro minute d’attente, si ce n’est moins.  De plus, il va directement à Calama, 1’600 km plus loin dans notre direction. Cela lui prendra deux journées et une nuit de voyage.

Jour 1: Valparaíso – La Serena. Mario

Notre premier stop se nomme Mario. Il est assez enrobé, mais surtout a un double menton qui hantera nos nuits futures. Les rôles sont distribués comme suit: pendant que l’un de nous deux fait la discute avec le Camionero depuis le siège passager, l’autre se repose sur la couchette juste derrière.  La cabine du camion nous offre une vue panoramique et un confort privilégié pour admirer les paysages qui coulent agréablement devant nos yeux, comme au ciné.  Mais, une question, à priori innocente, aura de graves conséquences  « Tienes musica chilena? ». Nos tympans en auront pour leur compte, 3h de musique à fond la caisse, aux tons festifs hyper répétitifs (et comme il  n’avait qu’un CD, on l’a écouté environ 6 fois). Impossible de dormir, et Mario à l’air d’aimer ça, nous ne voulons pas mettre fin à son plaisir.
Mario, la quarantaine, est un peu bourru, et avec un espagnol très rapide et difficile à comprendre. Il nous apprendra pas mal de petits trucs. Par exemple, il s’avère qu’il aime bien Pinochet. On pensait qu’il était tabou d’en parler… Lors d’une halte dans une Caleta de Camioneros, il nous enseignera l’art de déguster le poulet:  » le poulet, c’est comme les femmes, ça se finit à la main! ».

Le camion dépasse rarement les 90km/h, et même s’il nous aurait permis de nous déposer à 100 km de notre but (San Pedro) du premier coup, nous décidons que nous descendons en fin de journée parce que « Sinon c’est trop facile ». Après 6h et 400km en sa compagnie, nous dépassons La Serena, et là, le paysage est magnifique.  L’océan Pacifique se déchaîne sur la côte rocheuse noire du Chili, à seulement quelques kilomètres en contrebas de la route. Pas de traces humaines si ce n’est cette route sur laquelle nous roulons. Nous le prions de s’arrêter sur une aire de repos abandonnée, et de nous déposer là. Après de sincères remerciements, nous nous séparons.

Pour rejoindre cette côte déchiquetée (du style Bretagne), qui nous attire tant, nous devons traverser un paysage de collines couvert de cactus. Dans cette sorte de labyrinthe, on a du plusieurs fois revenir sur nos pas. Au loin, le soleil baisse, mais nous repérons un promontoire rocheux surplombant l’océan d’une centaine de mètre. Son sommet, fait de blocs de granite (ou métagneiss, le débat fut rude) est relativement plat et régulier. Sous l’euphorie de cette journée 100% réussie, nous décidons de ne pas planter la tente, et de dormir à la belle étoile. Après avoir mangé les fameuses pâtes au thon en boite de William et rempli nos devoirs d’écriture auprès d’un feu de cactus,  nous trouvons nos places sur ces rochers qui nous serviront de lit. Pas facile de ne pas basculer dans les fissures, si proches, quand les blocs sur lesquels nous reposons sont légèrement inclinés! Néanmoins, l’expérience est inoubliable: un ciel tel que nous en verrons plus ailleurs, pas même à Atacama. Le coucher de soleil sert de prélude à ce spectacle nocturne immobile mais envoûtant, cadencé par le fracas des vagues du Pacifique, venues de si loin pour finalement broyer le noir des roches dénudées.  Loin derrière nous, les quelques lumières qui fusent en direction du nord sur la route effacée, sont ce qui nous raccorde encore à la suite du voyage.

Jour 2: Los Higuares – Copiapó. Marcial

Réveillés par le vent devenus violent pendant la nuit, nous remballons nos affaires, saluons ce lieu mémorable et nous remettons en route parmi les cactus pour retourner sur la Panamericana. Cette fois, on écrit « NORTE » sur notre panneau avant de commencer à lever le pouce. Après 15 minutes d’attente, nous sommes exaspérés, ce n’était pas dans nos habitudes d’attendre aussi longtemps! Paris, sous la colère jette le panneau. Mais c’est là qu’un pêcheur du nom de Willam, accompagné de Williamson, son père, s’arrête, pour nous pousser, dans une bonne humeur rafraîchissante, jusqu’à une Caleta de camionneurs quelques kilomètres plus loin afin de nous faciliter notre prochaine prise. Nous décidons de manger dans une des échoppes avant de nous lancer dans notre prochain grand stop. Les portions sont énormes, mais les prix « spécial gringos » aussi. Cela ne plaît pas vraiment à Puissant (Star, lui, est riche) mais le massacre est évité de peu.

Par la suite, les choses se compliquent un peu, et nous utilisons tous nos moyens de derrière les fagots afin d’avoir notre deuxième stop de la journée. Quand nous sommes enfin sélectionnés, nous nous trouvons dans une situation un peu particulière. En effet, nous partageons la cabine avec une prostituée, que Marcial, notre camionero laconique, embarque en même temps que nous. Nous nous regardons: que va-t-il se passer? Va-t-il nous demander de descendre du camion un peu plus loin pendant qu’il fait son affaire? Ou va-t-il nous convier à la fête? Nous n’espérons pas, Madame n’est pas de notre âge ni à notre goût. Finalement, elle descend quelques dizaines de kilomètres plus loin et le rendez-vous est remis à plus tard, il se rencontreront, en tête à tête, sur le chemin du retour.

Une fois Madame descendue, nous commençons à faire connaissance de notre chauffeur. Marcial a 34 ans, est fraîchement divorcé – « I feel brand new man! » – et travaille 15 jours pour 15 jours de congés. Le Chili, il le connaît du Nord au Sud et du Sud au Nord. Il le parcours en promenant du cuivre depuis les mines jusqu’aux usines, mais pas inversement. Comme on l’a constaté, quand la route est longue, il accepte la compagnie de certaines Dames (parfois plusieurs en même temps), mais aussi d’auto-stoppeurs (parfois plusieurs en même temps), heureusement pour nous. Avec Marcial, il ne faut pas beaucoup de temps pour sympathiser. Son espagnol est facile à comprendre et parle un peu anglais, et les sujets de conversations divers et variés.

La veille, après notre premier stop, nous nous disions qu’il serait incroyable de se trouver sur des Harley, à traverser le désert avec du Heavy Metal à fond. Aujourd’hui nous faisons mieux: Marcial est fan de Hard Rock et guitariste à ses heures perdues. C’est dans son camion à l’americaine, que nous traversons nos 350 premiers kilomètres de désert. Racer X, Vinnie Moore, Metallica, Motorhead et WASP serviront de bande-son à cette étape mémorable. Nous avons ainsi eu plus de 5 heures pour déchirer les paysages désertiques que parcours la Panamericana avec du bon vieux hard à fond. Comme dans les films.

En fin de journée, à seulement 20km de Copiapó, notre camion s’écarte de la route pour se diriger vers une petite maison mal en point, qui ne parait pas habitée. Or, il s’avère que celle-ci sert occasionnellement de petite auberge aux voyageurs de passage.  Dans cette masure perdue au bout du désert, nous partageons une ultime tasse de café avec Marcial. La tenancière, une femme vivant seule avec ces deux filles, nous propose deux lits pour 4’000 pesos, soit 8 francs suisses. Cette baraque, aux murs n’allant pas jusqu’au plafond, posée à côté de vieux rails désaffectés mais avec un drapeau chilien poussiéreux encore fier qui la garde nous plaît.  Nous acceptons, tristes de mettre fin à ce stop métallique, mais heureux de trouver un peu de calme pour se préparer à l’étape du lendemain.

Jour 3: Copiapó –  Antofagasta. Juan

Après un petit déjeuner simple mais copieux, nous hésitons entre dégainer nos pouces magiques au bord de la route et une partie de négociations avec deux camioneros en pause petit-déjeuner. Ils rechignent: c’est pas la méga classe de ramasser des auto-stoppeurs. si les collègues l’apprennent, c’est la dèche!

Mais voilà. Paris balance tout ce qu’il a d’espagnol, avec une élégance et une classe inégalée, du moins selon les standards classiques, qui bien que souvent peu reconnus , n’en sont pas moins une référence éprouvée (phrase de Paris, ndlr). Finalement l’un d’eux, Juan, nous embarque pour ce qui s’avérera être le plus long de nos stops, plus de 9 heures de route et 600km de parcourus. Son camion est de loin le plus stylé que nous ayons pris, nous sommes naturellement tout contents. Mais alors que nous n’avons même pas atteint notre vitesse de croisière, un barrage routier nous surprend et nous force à faire quelques détours. On apprend à la radio qu’un gros accident a eu lieu 10 minutes plus tôt, et que malheureusement le camionero ne s’en est pas tiré. Quelques pensées vicieuses glissent sur nos fronts inquiets :  » Et si ce camion nous avait pris ». Mais nous concluons que, s’ils nous avait pris, il se serait attardé et il n’y aurait pas eu d’accident. La logique est imparable et notre confiance en la suite de notre voyage rétablie.

Lors de ce long trajet nous voyons une grande variété de paysages. Des côtes brumeuses aux villages de pêcheurs oubliés. Des falaises rocailleuses et des étendues de pierres grises, puis rouges et plus loin tournant vers le jaune brun. Après le repas, pris dans un habituel repère de camioneros, à Charañal, ville-usine, le paysage se stabilise dans la gamme du désertique pur. Aucune végétation en vue, seuls des cadavres de pneus s’étendent sur les bords de route. De temps en temps, on dépasse un petit monument artisanal en souvenir des défunts de la route. Juan nous en indique un en particulier, qui est habité par un ermite. Il a décidé de vivre sur le lieux où a été enterrée sa famille et vit des dons des camionneurs. Autres élements cassant la monotonie de ces paysages lunaires: les mines. Tous les dix-vingt kilomètres, une piste quitte la route principale et part s’enfoncer dans les profondeurs du désert. Au loin, on peut apercevoir de la fumée, de la poussière, des bâtiments. Plus rarement, on peut apercevoir des observatoires astronomiques perchés sur des dômes montagneux. Nous sommes dans une partie du monde où le ciel est considéré comme étant un des plus purs de la planète.

Le temps passe malgré tout dans cet immense désert et Juan fini par nous déposer… à un carrefour à 20 kilomètres d’Antofagasta. C’est  la fin de journée des ouvriers des mines aux alentours et il nous faut peu de temps pour être poussés jusqu’au centre d’Antofagasta. Cette ville semble sortie de nulle part alors que rien m’annonçait cette sortie soudaine et brutale de ce désert. Manuel, notre lift en question, nous propose même de passer nous reprendre le lendemain pour nous amener à un spot qui nous aidera à continuer vers Calama! Cela nous arrange bien, car après avoir déniché un hôtel glauque fréquenté par des mineurs et découvert les rues de la ville, nous n’avons aucune envie de nous éterniser ici…

Antofagasta est le plus grand port de la façade Pacifique de l’Amérique du Sud. Le centre-ville est animé, surtout à 3 jours de Noël. Nous profitons de cette courte halte près de l’Océan pour aller tremper nos pieds dans le Pacifique et…manger un MacDonald! Ouf, il était temps, dès le lendemain, nous mettons cap sur l’intérieur des terres, et fonçons vers les Andes et un pays  »non-océanisisé et non-MacDonaldisé » : La Bolivie.

Jour 4: Antofagasta – San Pedro de Atacama. Elize

13h, vendredi  23 decembre, Manuel est au rendez-vous pour nous déposer à la sortie de la ville. Toute la famille est dans la voiture, sa fille de 16 ans est fière de pouvoir exercer son anglais avec nous. Cette dernière journée de stop est légèrement plus difficile que les précédentes. Nous attendons environ une heure au bord de la route en plein soleil, mais l’écoute de Ain’t No Easy Way nous donne du punch. Finalement, notre sauveur viendra, à bord d’un pick-up plus rapide que tous les semis-remorques que nous avons ridé jusqu’à maintenant. Les 230km jusqu’à Calama sont avalés en un rien de temps, et notre chauffeur nous fait visiter certains coins du désert très particuliers. Par exemple, après une heure de route, Elize range le pick-up sur le bas-côté. À notre droite se trouvent tout un tas de maisons en ruine. Une ville fantôme de plusieurs dizaines de pâtés de maisons. En continuant un peu, nous arrivons dans un cimetière, lui aussi fantôme (et c’est le cas de le dire), peuplé de petites croix de bois faites à la main. Notre ami nous apprend qu’il s’agit d’un ancien village et cimetière de mineurs  travaillant dans une des mines de Salpêtre voisine. Celles-ci se sont vues peu à peu desertées quand la fabrication des nitrates synthétiques est devenues moins chère pour la fabrication des engrais. Ce village sans âme donne une atmosphère toute particulière à ce coin du désert. On se croirait revenu à l’époque des cow-boys…

Quand le pick-up s’arrête une dernière fois pour nous déposer à la sortie de Calama, nous sommes euphoriques! Après 4 jours et 1’700km de route, nous sommes si près du but! San Pedro et le Salar d’Atacama ne sont qu’à 100km, et demain, c’est Noël! On finit notre bouteille de Pesco qui nous suivait depuis Santiago, et on prend tout un tas de photos en mode frime. On pense être les King of the Road, mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. En effet, le destin nous fait attendre plus de deux heures! Jamais nous avions attendus aussi longtemps, mais jamais nous nous étions autant amusés au bord d’une route! Finalement, après un ultime stop, nous arrivons à San Pedro de Atacama!

San Pedro

Quand nous débarquons à San Pedro, nous nous démarquons tout de suite des nuées de touristes peuplant, à la veille de Noël, cette ville perdue en plein Atacama . Chemises poussiéreuses, vestes en jutes, cheveux sales, carton à la main, la réceptionniste de l’auberge ne se trompe pas, nous sommes bel et bien des AUTO-STOPPEURS! Elle-même, jolie petite blondinette ingénue, à parcourue le Chili et l’Argentine seule en stop. Que nos lectrices prennent note: les routes du monde ne sont pas peuplée uniquement de maniaques sexuels (bon, tout ce qu’on sait c’est qu’elle avait l’air en bonne santé).

Après ces 4 jours de voyage unique au sein d’une communauté (celle des camioneurs) riche et sympathique, la (sur)activité touristique de la ville nous effraye. De plus, nous sommes très fatigués. Star devient D-Star en cumulant les siestes et en se rasant la tête. En revanche, Puissant, usant de son courage légendaire, part à la conquête du désert sur son vélo de location. Les autochtones, s’écartent devant lui et les saloons ferment leurs portes. Au loin, le tonnerre gronde. Puissant is back in town (phrase de William, ndlr). Finalement, nous fairsons quelques excursions « pour ne pas passer à côte de quelque chose » et passerons un Noël modeste autour d’un steak. La ville (ou village, à peine 5’000 hab) est néanmoins entourée de site fabuleux. Nous nous rendrons à vélo dans la Vallée de la Luna pour assister à un coucher de soleil nuageux et irons nous baigner dans des lacs sur-salés, du style Mer Morte, où il est possible de flotter sans efforts. Durant ces quelques jours de repos en plein Atacama, nous aurons l’honneur d’être arrosés par les très rares gouttes de pluies qui tombent dans la région (35mm par an). La pluie, en cadeau de Noël du désert?

Pressés de partir, nous nous embarquons le 26 décembre pour un voyage de 3 jours en direction d’Uyuni en Bolivie.

Paris et William, Cuzco, 05.01.2012 


Chapitre 17: Entre deux…

Glandoza

Aller au bout du monde, dans une charmante ville d’Argentine perdue entre vignes et cordillère et ne rien faire d’autre que se tourner les pouces, manger et boire, ça a un sens? A ce moment je ne me pose pas la question. Après ces 2 semaines de haute altitude, j’accueille à bras ouverts ce repos du guerrier. Déjà, il faut que mon visage cicatrise. Un matin je me lève, la face toute craquelée, des chips de peau se décollant par endroit pour laisser paraître une nouvelle peau. Je ressemble à un space invader rouge et brun! Puis, je retrouve Donald, l’américain rencontré avant l’expé, qui revient d’une semaine amoureuse entre Santiago et Valparaiso. Notre journée s’articule de cette façon:

9h55: réveil inextremis pour le petit déjeuner de l’auberge Campo Base.
10h00: devant notre café arraché des cuisines de l’auberge, nous entamons la discussion du premier sujet grave de la journée: où et que manger?
10h20-12h00: En tant que big boss de l’auberge (en effet, on a fini par presque faire partie des meubles), on accueille les nouveaux, et si possible les nouvelles arrivantes en les briefants sur les choses à faire dans le coin (je dois pas mal broder car, hormis l’Aconcagua, je ne connais pas grand chose du coin).
13h30: Nous nous mettons en route pour le supermarché ou un snack. Il faut bien manger quand même!
Après-midi: RAS, cyber, balade dans les rues ou les parcs, lecture, rédaction…
16h: Instinctivement, Donald et moi, nous nous retrouvons devant le frigo de l’auberge: c’est l’heure de notre première bière. On en profite pour entamer le 2e sujet grave de la journée: où et que manger ce soir!
19h30: On avance l’heure du repas fixée plus tôt d’une heure, ça creuse de rien faire! En 4 jours, nous irons  3 soirs à une Parilla Libre. Grillades à volonté pour 15$! La première de la série en compagnie d’Eloi et d’Andrew sera mémorable. Le minimum de garniture pour le maximum de viande. Je dois être pas loin des 800gr-1kg de bidoche. Eloi nous bats tous à plates coutures en allant se resservir une bonne quinzaine de fois! Le retour à l’auberge se fera dans la souffrance. Nous finissons finalement, tous les 4 allongés dans un parc le ventre gonflé, à nous écouter gargouiller.
22h-02h30: On emmène les petits nouveaux de l’auberge boire des bières dans le centre névralgique de la vie nocturne de Mendoza: Villanueva.
3h: Debriefing, on fait le point sur cette journée, on essaye d’identifier les points qui seront à améliorer lors des prochains jours.

Du coup, ces jours à Mendoza se passent très bien. Néanmoins, je sens qu’il faut que je bouge. Nous sommes le Mercredi 14 décembre, Paris arrive à Santiago dans 2 jours, il faut que je prépare son arrivée. Nouveaux adieux avec Donald qui fait cap vers Cordoba en espérant rallier la ville du Che à Buenos Aires…en vélo! Je prends le bus de nuit, passe 1h30 à poiroter au milieu de la nuit et en plein froid à la frontière pour un misérable tampon dans le passeport (que j’ai déjà!) et arrive à Santiago au petit matin, comme il y a un mois!

Santiago, again…

Du premier coup, je reprends mes marques. Santiago est vraiment une ville  »facile ». On s’y repère facilement, malgré les 6 millions d’habitants, je ne m’y sens pas oppressé. Dans le centre, mais aussi tout au long de la ligne 1 de métro, j’ai l’impression d’être en Europe. Pas top pour le dépaysement, mais bon, la ville est sympa. D’emblée, je me rends dans le quartier de Bellavista que Laura, une voisine d’Epalinges, m’avait fait traverser le mois passé. Celui-ci est au pied de la plus grande colline de la ville, un véritable îlot de verdure qui surplombe la mégapole chilienne. Ce quartier, un peu alternatif, est plein de restaurants pas très chers, de bars, de théâtres et d’espaces culturels. Les murs des immeubles sont couvert de peintures et de graffiti tout droit sortis des vidéos de BLU. Cela donne au quartier un caractère et une atmosphère qui diffère du reste de la ville, beaucoup moins coloré.
Durant cette journée d’attente, je revois Laura, qui bien qu’en pleins cartons (déménagement pour Arica prévu pour la semaine suivante) me fait une nouvelle lessive. Elle me fait aussi découvrir les  »bars à jambes »! Ce sont des cafés où les hommes vont prendre un café entre deux rendez-vous d’affaires. Le café est servi par des femmes, pas forcement magnifiques, mais qui portent des robes moulantes, des collants et des talons mettant en valeur leurs membres inférieurs. Elles se trouvent sur une petite estrade protégée par une table-barrière. Elles sont aimables, au point d’appeler certains clients « mon champion » et de les flatter gentillement!

Le soir, je retrouve Antoinette, une amie de Paris qui, voyageant aussi, se trouvait par hasard à Santiago en même temps que nous. Santiago est bel est bien une ville de lausannois. Avec Paris, nous serons 4!
Nous faisons connaissance en cuisinant des pâtes super bonnes, et en se faisant réveiller au milieu de la nuit par des militaires brésiliens en permissions complètement bourrés. Le lendemain, vendredi 16 décembreà 9h, Paris arrive de Montréal, et là, les choses sérieuses commenceront!!!


Chapitre 16: To plank or not to plank Aconcagua. Partie 2

Allez, let’s go!
J’en ai marre d’attendre au camp de base, il faut que je bouge, que je commence à arracher les premiers mètres à l’Aconcagua.

Portage vers Plaza Canada – Camp I -, 4’950m, Jour 8

La mission du jour est de monter des sacs de nourriture ainsi que du matériel personnel du style crampons et doudounes au premier camp d’altitude. Celui-ci s’appelle Plaza Canada et est située à presque 5’000m. Nous nous trouvons enfin sur les flancs de l’Aconcagua! Le premier contact est important. Il ne faut surtout pas déplaire à la bête, aller doucement et ne pas tenter de trop en faire. Les guides marchent au même rythme que lors de l’ascension du Bonete la veille: un pas toute les deux secondes. Cette progression volontairement lente nous exaspère, Pierre et moi. Parfois nous tentons de dépasser le groupe afin de nous défouler, mais on sent bien que les guides désapprouvent cette impatience. Economiser! c’est le maître mot de notre manoeuvre, Economiser notre énergie en vue du Summit day. Ne pas aller trop vite, ne pas se griller inutilement. Parallèlement, on doit faire nos réserves. Les guides insistent aussi pour qu’on boive beaucoup, 4-6litres par jour. Le jour J, ils savent qu’on boira 2 litres maximum, et en se forçant. Si on s’hydrate bien avant, tout cela n’aura pas tellement d’importance.
Du coup, on gravit nos 700 mètres aussi rapidement que 14 escargots le feraient.
La pente est raide mais le chemin fait plein de zig-zags. Le décor est très monotone, cette partie de la montagne est parsemée de petits cailloux qui rappellent le dernier tronçon permettant d’atteindre le sommet de la Haute-Cime dans les Alpes. A mi-parcours, en revanche, se dressent quatre ou cinq pierres dressées de 3-4 mètres de haut: les Piedras Conway. On s’y arrête pour grignoter un truc. Il n’y a pas tellement de vent aujourd’hui, mais j’imagine que quand Eole est de la partie, celles-ci doivent être les bienvenues. J’imagine une quinzaine de marcheurs agglutinés derrière une de ces tours naturelles: je suis bien content « d’avoir le beau »!

Après quelques heures de marche, nous arrivons enfin à Plaza Canada. Caché derrière un petit affleurement rocheux, ce camp surplombe le camp de base de 700m. Bien que certains alpinistes montent directement au camp II, c’est un camp qui peut être très fréquenté. Quand nous arrivons, il n’y a qu’une tente, celle d’Eloi. On se retrouve avec plaisir. Cela fait 2 nuit qu’il est là, et il s’apprête à monter un premier sac à Nido De Còndores le prochain camp à 5’500m. Riche de pleins de barre de céréales, je lui en propose. Un des allemands va même jusqu’à lui donner un de ses sandwichs!

Nos sacs de nourriture déchargés et caché tant bien que mal sous des pierres, nous mangeons notre pic-nique en regardant la colonne des quelques marcheurs qui se rendent à Nido . Le chemin fait une grande traversée, et n’a pas l’air si long, pourtant, à la fin du déjeuner, les types sont toujours là, et ne semble pas avoir bougés. Cette étape future promet d’être longue malgré ses 500m de dénivelés…!

Nos sacs vides, mais nos esprits déjà éparpillés dans les différents camps d’altitudes qui nous attendant, nous regagnons Plaza de Mulas. Hier, le Bonete, aujourd’hui, le camp I, il faut qu’on se repose avant de vraiment partir à l’assaut de la cime!

Plaza de Mulas – Base Camp, 4’300m, Jour 9, rest day nº2

Ces deux jours d’ascension à 5’000m nous on un peu fatigué, pourtant, on a des choses à faire. Visite médicale, préparation du sac pour nos journées en altitude…etc. La température sur la moraine du camp de base est relativement clémente durant la journée, le seul ennemi est le vent glacial qui se met parfois à souffler sans prévenir. Cela fait quand même un moment que l’expédition à commencé, et hormis Pierre, personne n’a tenté de se laver! Certains voyagent avec des lingettes pour bébés, mais bon, rien de mieux que de se passer un peu d’eau sur le corps pour entamer l’ascension sereinement. Les douches chaudes étant hors de prix (20 US$), je me muni d’une bouteille d’eau et me rend au petit lavabo bancal près des toilettes. Par chance, la brise prend une pause au même moment, je me lave donc intégralement en 5 minutes, avec de l’eau fleurtant avec les 3º.  Ça fait un bien fou, j’en profite aussi pour laver mes vêtements. Mes doigts sont en profond désaccord avec cette manoeuvre, et il me le font comprendre. De nouvelles coupures apparaissent au bout de mes doigts, de quoi me mettre de mauvaise humeur à chaque pliage de tente! Finalement, seulement Andrew prendra la même initiative et passera à la douche.

Le soir, Rustico, le chef des porteurs vient nous rendre visite dans le Messe. Il se présente, ce sera son équipe qui portera les tentes et les réchauds de camps en camps. Rapides, ils se rendent souvent d’un coup jusqu’au camp III, alors que nous le faisons en 3 jours. Je ne les imaginais pas du tout ainsi, les porteurs. Certains ont des dreads et pourraient  tout aussi bien être des habitués de Zélig. Ont le verra par la suite, ils joueront un rôle clé dans le sauvetage de l’un des nôtres. Et hop, un petit peu de suspens pour la suite!
Ce même soir, on apprend aussi du sort de nos collègues de l’expédition précédente. Parti depuis quelques jours dans les camps d’altitude, ils sont restés coincés au camp III par le vent. Celui-ci a cassé 3 tentes, et ils ont du s’abriter dans l’abri Berlìn. Finalement, après de trop nombreuses nuits en altitude, la moitié redescend lors d’une tentative désespérée vers le sommet. Les cinq grimpeurs restants, continuent leur route avec un seul guide. Ils avaient la forme, étaient près du but, quand à 100m du sommet l’une des leurs perd l’équilibre sans arrêt, n’arrive plus à parler et commence à délirer. Il faut lui faire perdre de l’altitude au plus vite, le groupe entier doit donc redescendre. Dommage…

En fin de soirée et pour finir sur une note positive, avec Brent et Josie, nous regardons,  un dernier épisode de How I Met Your Mother. Réunis sur le sol de la tente commune, en nous voyant, il est difficile d’imaginer que nous sommes à 4’300m! Nos sacs sont prêts, demain nous quittons le confort du camp de base, en espérant y retourner tous ensemble et triomphant dans moins dans cinq jours…

Plaza Canada – Camp I -, 4’930m, Jour 10

Une nouvelle nuit de sommeil de presque 10h. J’espère que ce ne sera pas la dernière, il paraît qu’on dort mal en altitude. Deuxième remballage de tente après celui de Confluencia, et à 11h on est go. Annette est amusée par nos horaires. Il est vrai que dans les Alpes, quand on part faire une course de montagne, on part très tôt, bien souvent avant le lever du jour. Comme ici, les étapes sont courtes, on peut se permettre de quitter les camps plus tard, et aussi, lorsque le soleil est toujours derrière les montagnes, il fait super froid!
Donc à 11h, nous voilà parti. Plusieurs d’entre nous ont du retard, huit minutes maximum. C’est parfait, pour Mariano, on sert d’exemple, ou de contre-exemple plutôt: « ces 8 minutes, à 6’000m, peuvent faire perdre un ou deux orteils à vos camarades ». Nice!
La montée est exactement la même qu’il y a deux jours. Le temps est toujours aussi clément, et il fait bon. On arrive à Plaza Canada à 15h. Je suis tout faiblard, mais ça n’a rien à voir avec l’altitude, c’est juste que j’ai économisé mes deux sandwichs, et je crève de faim. Pendant que Pierre par à la recherche du meilleur emplacement pour la tente (le moins de pente possible et le sol le plus plat) j’en dévore un. Nous héritons d’une autre tente, une Mountain Hardware. Certes, elle est plus longue, mais nous avons moins de place. Ça nous embête un peu, on essayera de récupérer une North Face aux prochains camps.
Une fois le camp monté, on attend. Les guides ont deux tentes où ils font fondre la neige. A l’écart du camp se trouve une vieille tente, sans double toit et sans tapis de sol. Celle-ci fait office de latrines, Mariano nous fait une visite guidée. Le but du jeu consiste à faire son affaire en visant une feuille de papier journal. Quand le transfert est effectué, on plie la feuille et on la met avec les autres dans le « sac-à-caca » laissé à disposition. Celui-ci est naturellement descendu auprès des gardes du parc.

 Il est 16h30, le ciel est menaçant: les nuages arrivent. Gris, énormes, chargés de neige. Ce soir, on va s’en prendre plein la g*****e! A l’abri dans la tente, il nous faut sortir régulièrement, mettre ses chaussures, se couvrir, pour aller chercher de l’eau, aller aux toilettes ou bien chercher notre dîner. Cela demande de l’énergie, et avec l’altitude ce sera vraiment de plus en plus dur. Après 2h de grosse neige, le ciel se calme et laisse apparaître un paysage différent. La montagne est blanche, le soleil se couche: Magnifique!

Nido de Condores – camp II -, 5’555m, jour 11

A peine installés qu’on range déjà tout. Après une nuit à -7ºC dans la tente (-17ºC dehors très certainement), on se met lentement en route pour le camp II. Jusqu’au camp de base, c’est moi qui toussait beaucoup, depuis cette nuit, c’est Pierre qui s’y met, et après une mauvaise nuit, il n’a pas l’air au top…

Ce jour-ci, j’enfile mes sous-vêtements Mountain Hardware. Ils me tiennent bien chaud, près du corps, je les garderais jusqu’au camp de base sans les enlever! Il ne fait pourtant pas trop froid, et la neige a été soufflée en grande partie. La montée vers Condores s’avère être longue, en effet… On arrive une fois de plus à 15h, et j’ai très mal à la tête ainsi qu’une belle nausée. Le montage de tente, sous la neige qui vient de commencer à tomber,  est long et fastidieux. C’est comme réviser avec une gueule de bois: c’est très très dur, mais pas impossible. Finalement, quand celle-ci est dressée, bien arrimée aux rochers alentours, je me jette dans mon sac de couchage et dors 2h de suite. La sieste est bénéfique, et je peux sortir quelques minutes profiter de mon environnement. Sur une sorte d’épaulement, le camp de Nido de Còndores est superbe. La vue est magnifique, on peut commencer à voir les montagnes du versant Est. Parmi les 10 autres tentes présentent, j’aperçois celle d’Eloi, elle est vide. J’apprends par deux suisses revenant du sommet qu’il s’y est aussi rendu aujourd’hui. La neige continue à tomber, la visibilité est pourrie, et les guides averti par radio m »apprennent que 3 français ont disparus sur un des versants de l’Aconcagua :-S
Finalement, Eloi rentrera à 2h du matin, après une journée de plus de 20h. Il était en compagnie d’un groupe de Chilien, du coup, pas de problème.

Plaza Colera – camp III-, 5’950m, jour 12

Nous, on va pas faire le grand saut, du camp II au sommet. On fait étape aujourd’hui à un troisième camp, celui de Colera, au dessus de Berlìn, un peu plus connu et fréquenté. Que 400m de monté, on pensait l’affaire pliée avant même de la commencer, mais elle s’avèrera bien difficile. Annette est redescendue ce matin avec Hormiga. Elle a passée la nuit à vomir, elle va nous attendre au camp de base.
Pierre et moi arrivons exténués à ce camp de 6’000m. Le montage de la tente est vraiment TRÈS fastidieux! On peine, je dois m’arrêter de nombreuses fois au milieu de mon mouvement pour reprendre mon souffle, pour laisser le sang s’écouler hors de mon cerveau. La tête lourde, l’estomac au bord des lèvres je m’endors, les chaussures toujours au pied. Pierre n’est pas mieux, mais il a l’air en meilleurs forme qu’hier au même moment. Je suis si mal que je suis à deux doigts de bouder mon souper, c’est pour dire. Mariano et Capy viennent nous osculter et nous briffer tour à tour, et nous rappellent de toujours bien boire. Régulièrement un des guide lance un « William, are you OK? » de la tente voisine. Non, je ne suis pas OK!
Lors de son topo dans notre tente, Mariano nous briffe donc sur ce qui nous attend demain lors du Summit Day, le jour J. 1’000m de dénivelé, lever à 3h du matin pour chercher l’eau du petit déjeuné, départ à 5h30. On va se joindre à un autre groupe de 5 personnes (3 portugais et 2 guides) afin de tracer à tour de rôle les 40cm de neige fraîche. Ces portugais sont en train d’effectuer les 7 summits. Il  gravissent donc les points les plus élevés de chaque continent. Mont Elbrouz pour l’Europe, Kilimandjaro pour l’Afrique, Mont Vinson pour l’Antarctique, l’Everest pour l’Asie, Puncak Jaya en Papouasie pour l’Océanie, McKinley pour l’Amérique du Nord et Aconcagua pour l’Amérique du Sud. Ces portuguais en son presque a la fin de leur défi, après avoir escaladés l’Everest sans problèmes, il ne leur manque plus que l’Aconcagua pour achever leur challenge. Espérons que ce soir, on lèvera nos verres ensemble!

Moi en revanche, je me vois mal sortir de mon sac de couchage. Autant dire que pour moi, c’est de la science-fiction que d’entendre parler d’ascension vers le sommet! Pierre à l’air de pas mal en pâtir. A ce que j’entends, les autres aussi sont mal. Moralement, je ne suis pas top non plus, je sais que je vais devoir abandonner, je ne peux vraiment pas aller plus loin dans cet état. espérons juste que la nuit soit réparatrice…

Summit day, jour 13

2h du matin, je me réveille avec un des pires mal de tête de ma vie. Péniblement j’attrappe un Dafalgan. Je met une croix sur le Summit day, je suis vraiment trop mal…

3h10, Capy: « Wake up, water is ready »! J’ouvre les yeux et… le mal de tête n’est plus là! Miracle! Je reste relativement faible, mais la motivation est là, je suis plus décidé que jamais! Allez, je tends mon thermos à Capy, même pas besoin de se lever, il passe dans les rangs. Bon, je déjeune un tout petit peu. J’en ai vraiment marre du Tang, ce jus de fruit qu’on mixe à la neige fondue. Je me fait donc un thermos de café en sachet, mange 2-3 crackers et me prépare. Pierre se réveille à son tour. On est le 7 decembre, c’est son anniversaire! Nous plaisantons un peu. Je lui fait pars que mon rêve maintenant serait d’atteindre le sommet, redescendre en hélico pour me manger un bon steak avec une biere a Mendoza le soir même! Si seulement…

Pas besoin de m’habiller, ça fait 3 jours que je dors « tout-en-un ». Une fois mes chaussures mises, je remarque qu’il n’est seulement 4h00. Je me rendort quelques dizaines de minutes. Bien reposé, toujours motivé, je sors de la tente. Pierre est aussi prêt, tout aussi volontaire, mais il tousse beaucoup. Des ombres s’affairent autour des tentes, l’horizon est clair, derrière les flancs qu’on s’apprête à gravir, le soleil brille déjà. Il fait -22ºC, mais bien habillé, je ne sens pas le froid. Je me sens prêt, à 5h30, c’est le top départ, la caravane s’ébranle.

Très vite, je me rends compte que le rythme n’est plus le même. Fini le pas toutes les 2 secondes, on va plus vite aujourd’hui! Durant la première heure, les corps s’échauffent, se mettent en route, personne ne craque. Mais très vite Josie fait des bruits bizarres, on dirait qu’elle à mal. L’un de nous s’en inquiète: ses mains sont glaciales! La troupe s’arrête et Mariano tente de réchauffer ses mains. Josie est au bord des larmes et on l’entend crier quand le sang se remet a circuler dans tous les tissus: elle s’en tire bien!
Vers 6h, à l’Est, on voit une ombre triangulaire se détacher à l’horizon: l’ombre de la pyramide sommitale! chose étrange que d’ainsi pouvoir contempler notre objectif, en contrebas d’où nous nous trouvons! Malheureusement, en partant du camp, j’ai enfouis mon appareil photo au fond de mon sac et comme je l’ai dit, chaque mouvement est plus difficile, je n’arrive donc pas à trouver le cran pour m’arrêter et me mettre a sa recherche… tant pis, je piquerais les photos des autres!

Peu à peu, je retombe sur terre. Certes, ce matin j’étais gonflé à bloc, mais la montée est longue, fastidieuse, chaque pas est plus lourd que le précédent. L’air commence à manquer, et mon mal de tête revient. Je doit m’arrêter tous les X pas pour reposer les muscles de mes jambes et souffler un peu. Les autres avancent toujours, ils souffrent sûrement, mais j’ai le sentiment d’être le pire de tous. Pierre est loin derrière, il à l’air de souffrir aussi. Après un premier raidillon, enfin au soleil, nous prenons notre première pause. Pierre me sollicite pour l’aider a enlever son sac, je le trouve complètement transformé, il a pris 15 ans d’un coup, mais je suis trop préoccupé par mon sort pour m’en inquiéter. A ma grande surprise, Benedikt (le fils) et Joseph (le père), abandonnent. Pierre aussi redescend, il tousse beaucoup trop. Un de nos guides les escortent au camp III. Nous ne sommes plus que 6 du groupe original ainsi que Capy et Mariano qui font les traces dans la neige.

Après ce qui semble une éternité, nous arrivons au refuge en ruine d’Independencia à 6’380m. Le soleil tape comme pas possible, peu m’importe, je m’allonge et commence à somnoler. Les guides insistent pour qu’on boive et qu’on mange quelque chose. Cela me saoule de faire le moindre mouvement, et je n’en mène vraiment pas large… Mariano, me voyant ainsi, me lance la phrase terrible: « Come on William, eat and drink something. Or do you want to go down? » ……. Tout mon corps dit oui, mais ma bouche émet un « no » à peine audible. Bon, me voilà reparti pour un tour. On se remet en route, avec les crampons cette fois. Dans ma tête, c’est une lutte perpétuelle à laquelle je me livre. Quand je sens que je vais flancher, quand je m’imagine en bas dans mon sac de couchage, je me projette au sommet, j’imagine le bonheur de toucher cette petite croix de rien du tout, la plus haute des Amérique, je me vois serrer la main aux guides et les remercier, je me vois activer ma balise GPS pour avertir les miens de ma réussite. Cela me donne la force de continuer, je ne veux pas abandonner. Ainsi, pas après pas, je reprends de l’aplomb, et quand nous arrivons a Portezuelo del Viento (normalement le point le plus venteux du parcours) et que je vois enfin la Traverse et la Canaleta, je sens que rien ne m’empêchera d’arriver en haut!La vue est magnifique. Aucune montagne autour de nous nous cache l’horizon. Toutes sont plus petites que nous, et on a l’impression d’être dans l’espace. Les conditions météo sont parfaites, même si on voit quelques nuages commencer a se former au loin.

Le problème est que nous avons beaucoup de retard. La neige nous ralentit beaucoup, et nous ne pouvons nous permettre d’arriver au sommet après 15h, il ne faut pas oublier la descente! Les guides nous le répètent sans cesse: « notre boulot ce n’est pas de vous amener au sommet a tout prix, mais de tous vous descendre sain et sauf. »
Avec entrain, nous nous élancons dans cette longue traversée qui nous emmène au pied de la Canaleta. Connue pour être un des passages des plus pénible de cette voie, la Canaleta fait office de dernier obstacle. Un long couloir ou les roches instables n’offrent aucun appui correct aux marcheurs. 4 pas en avant, 1 en arrière. On patine, on n’avance pas, on s’épuise, le tout à plus de 6’500m, voila ce qu’on y fait dans la Canaleta! Tandis que je me sens renaître (ça reste relatif!) Andrew, lui, s’épuise à son tour. La neige arrive, on s’arrête un moment au pied d’une falaise nommée La Cueva a 6’660m. Comme je l’ai dit, nous sommes plus que 6: Brent, Florian et Andy qui semblent toujours avoir la pêche, Josie, Andrew et moi. Je me rappelle de l’histoire de l’autre groupe qui a du faire demi-tour a 100m du sommet car l’un des leurs était en plein delire. Si l’un d’entre nous décide d’arreter, il faudra que je sois sur de pouvoir aller au bout avant de continuer afin de ne pas compromettre les chances de mes autres camarades. En effet, il nous reste que deux guides.

Il est 14h, il est tard, pourtant la pause se prolonge. Mariano passe son temps a parler dans sa radio, mais je n’y prête pas attention. D’un coup, l’air grave, il nous dit.

« I don’t know if you understood what I said on the radio. Pierre est en train de faire un oedème pulmonaire, il a de l’eau dans les poumons, il tousse beaucoup et a du mal a respirer. Il est avec Julian (un autre guide) et ils essayent de descendre. Ils sont trop haut et le temps est trop couvert pour que l’hélicoptère se pose a Nido, ils redescendent au camp de base. Le problème, c’est que dans son état, Pierre peut mourir d’un moment a l’autre… »

Grand silence. La nouvelle est terrible. Je suis littéralement scié, mon moral tout au plus bas. Durant ces 2 semaines, Pierre est devenu plus qu’un simple compagnon de tente. C’est devenu avant tout un copain, un ami d’altitude. Je maudit le 7 decembre, ce jour ou 4 ans plus tôt mon grand-pere est décèdé Je suis envahi par une vague de pessimisme, je n’ai plus du tout le moral, je suis anéanti. Nous discutons de ce que nous devons faire. Capy redescend en courant au camp III ou attentent, seuls et en mauvais état, Benedikt et Joseph. Il faut quelqu’un auprès d’eux, on ne sait jamais ce qu’il peut arriver. Finalement, nous décidons de tous redescendre, la mort dans l’âme… Il est trop tard pour espérer atteindre le sommet avant 15h, et les conditions se dégradent. Les portugais continuent en revanche, mais ils redescendront 30 minutes plus tard.

Les jambes en compote, inquiets, nous redescendons au camp III. Nous y arrivons à 17h, après 12h de marche. Seul, je regagne ma tente désormais vide…

Plaza de Mulas – Camp de Base -, 4’300m, jour 14

Par radio, on apprend que Pierre est sain et sauf à Mendoza. Cela nous rassure, nous descendons au camp de base avec le sourire. Nous nous réjouissons de retrouver un peu de confort et d’appétit. Quand nous arrivons en fin de journée, Annette nous accueille en pleine forme et nous raconte le sauvetage de Pierre: quand le camp de base à ete averti de son état, une vingtaine de porteurs se sont mis en branle. En dix minutes à peine, ceux-ci s’avançaient à sa rencontre munis d’oxygène et d’un brancard. Vers le camp II, quelques minutes seulement après être parti, ceux-ci arrivaient à son niveau. Installé sur la civière, portée par 10personnes, Pierre est redescendu au camp de base. D’après Annette, tout le camp suivait sa descente. Une fois la procession arrivée, Pierre est dirigé vers l’infirmerie ou il y attend l’hélico. Le soir, il est a Mendoza, en pleine forme. Lors de nos retrouvailles après l’expédition, il me dit avec un sourire qu’après être sorti de l’hôpital vers minuit, il est allé manger un steak et boire une bière avec le médecin. Exactement ce don je rêvais!!! 🙂

Cette dernière soirée au camp de base, la sixième, se passe dans la bonne humeur générale. Capy sort la guitare, les allemands le rhum, le cuisto nous fait des pizzas! On ne se change pas, on reste tels quels, et pour finir, on décide de pousser les tables et de tous dormir dans la tente commune! C’est lors de cette soirée que je réalise que j’ai fait une grave erreur lors du Summit Day. j’étais tellement pas dans mon assiette que je n’ai pas mis de crème solaire. Mon visage est littéralement cramé. La peau est toute craquelée, et mes lèvres violettes, le lendemain elles seront vertes! Avec le temps, des plaques de peaux aussi épaisses que des chips se détacheront de mes joues. Appétissant!
Tout le monde est heureux. Sur les visages, les sourires sont la et nos guides nous avouent qu’ils ont rarement à faire à un groupe aussi soudé, et d’aussi bonne compagnie. Nous avons échoués à 300m du sommet, mais tout le monde est content, tout le monde est heureux d’avoir vécu cette expérience, personne ne fait la gueule!

Maintenant que le plus dur est passé, nous interrogeons un peu nos guides. Font-ils des paris au début de l’expédition sur ceux qui arriveront au sommet et ceux qui ni arriveront pas? Non! En général, c’est imprévisible! Mariano nous raconte qu’il y a 7 ans, un Russe de 135kg a voulu monter au sommet faire une levée de poids. Personne pensait qu’il allait y arriver, surtout quand les gens le voyaient boiter en arrivant a Confluencia! Pourtant, il est bien parvenu au sommet. A l’inverse, il y a peu, un champion d’Iron Man a du abandonner légèrement au dessus du camp III: épuisement!

Nous sommes heureux de redescendre à Mendoza après 2 semaines passées sous tente en altitude. Je rêve de pouvoir enfin manger mon steak! Je serai servi, car en 4 jours, je mange 3 Parilla Libre (grillades a volonté!).

Lors de notre soirée d’adieu, nous faisons la tournée des bars. On commence à minuit au bout de la rue Villanueva et on fini à l’autre bout, a 8h, à manger un petit déjeuner réparateur dans un café. Nous nous disons adieu devant l’auberge que j’ai quitté il y a deux semaines. Peut être un jour nous reverrons nous….

A l’auberge, Campo Base, je retrouve Eloi, mais aussi Donald, l’américain rencontré avant l’expédition. Nous sommes heureux de nous retrouver, ensemble, et pendant 4 jours, nous allons bien nous amuser! Tant pis pour le repos, ça attendra!


Chapitre 16: To plank or not to plank Aconcagua. Partie 1

7h29 du matin, vendredi 9 décembre, Plaza de Mulas. En ouvrant les yeux, je sens que mon visage est aussi sec qu’un Kapla. Alarmé, je cherche mon ipod dans mes affaires. Les corps endormis de mes 7 camarades éparpillés autour de moi ne me facilitent pas la tâche! Aussi, le bout de mes doigts couverts de multiples coupures et crevasses me force à rester vigilant: surtout, éviter les chocs! Après une ou deux minutes de fouilles archéologiques, je déterre mon Ipod congelé, et je jette un coup d’oeil à son dos qui me sert de miroir de secours. Horreur! Je ressemble à une momie! On m’avait bien, dit hier: « William, you are burnt ». En effet, mon nez et mes joues sont couvertes d’une bonne épaisseur de croûtes, et mes lèvres d’un nappage verdâtre et purulent. Inquiet, je m’inspecte plus en détails: ouf, tous mes doigts et orteils sont là! Je vais donc pouvoir vous raconter en détails ce qui s’est passé jusqu’à cette nuit-là.

Mendoza , 700m, Jour 1, 25 novembre 2011
Derniers jours de confort. Ces quelques jours passés dans l’auberge de jeunesse Campo Base de Mendoza m’ont permis de faire quelques connaissances très sympathiques, boire mes dernières bières et manger mes derniers steaks avant mon exil volontaire de deux semaines en altitude. Je rencontre notamment Donald, un américain de 30 ans en pleine « early middle life crisis » qui voyage quelques mois en Amérique du Sud. Nous nous retrouverons sûrement au Chili ou ailleurs, après, quand tout sera fini…
Avant de partir pour mon premier rendez-vous avec les autres membres de l’expédition, je tombe sur Eloi, un jeune français qui veut couronner son périple argentin d’une ascension en solo de l’Aconcagua, nous nous retrouverons dans quelques jours au camp de base!

De l’auberge, je fais 300m et me rend dans un hôtel 4* oú nous passerons notre première nuit sous le même  toit. Maintenant, après deux semaines de vie commune, je souris quand je me souviens de ce que ces visages ont évoqués pour moi en premier lieux.  » À ces allemands, ils ont vraiment des têtes d’allemands! » ou  » mais qu’est ce qui lui prend d’arriver 30 min en retards à celui-là? » et encore « lui, il a l’air sympa, mais ça m’étonnerait qu’il arrive en haut ». Finalement,  le groupe s’avèrera formidable.
Donc, nous voilà tous réunis dans le Hall de cet hôtel. Les présentations se font. Nous sommes 12, plus 3 guides. Ces derniers sont jeunes, ils ont 30 ans environ,  motivés et souriants.

Mariano est le chef et parle le mieux anglais. À 29 ans, il est déjà monté près de 25 fois au sommet! Il rentre tout juste d’un voyage de 8 mois en tandem avec sa femme en Europe et en Asie. Il est épaulé par Capy, le 2ème guide aux allures un peu pataude mais à l’humour très fin. Finalement Hormiga est le 3ème guide, après plusieurs années en tant que porteur, il est guide depuis seulement une saison. Il parle peu anglais, mais avec l’altitude, il deviendra plus à l’aise, au point de faire des blagues à tout bout l’champ dans les camps d’altitude. Cette équipe de guide est vraiment chouette. Le courant passe tout de suite bien entre nous!

Bon, je vais quand même vous présenter mes camarades d’ascension, histoire que vous puissiez saisir un peu l’équipe. numéro un, j’ai nommé….

Pierre!
Seul autre français du groupe, la soixantaine et une pêche d’enfer! Cet ancien expatrié boucle un marathon par an. Cette année, il compte faire la peau à l’Aconcagua! Dès qu’il peut, il se lave et se rase au lavabo, c’est la classe intégrée! On partage la même chambre lors de cette première nuit à Mendoza, et par la suite nous dormirons dans la même tente.

Andrew
Australien de trente ans à la barbe de Père Noël, sûrement le plus bavard du groupe. Lui aussi voyage pour une durée de plus d’un an, du coup on a des points communs.

Josie
23 ans elle aussi, la seule anglaise du groupe, mais aussi la seule personne que personne ne comprend. Un accent sud-londonnien sur-rapide et très haché à la fois. Sa peau britannique lui vaudra aussi quelques soucis avec le soleil, néanmoins elle est très courageuse, et parviendra à monter très haut sur cette montagne!

Brent
Aux portes de la cinquantaines, et déjà plusieurs des 7 summits à son actif. Sa bonne humeur en fait un camarade extrêmement agréable, chaque soir au camp de base nous regarderons un episode d’How I Met Your Mother enregistré sur mon Ipod!

Les Allemands

Père (Joseph), mère (Annette), fils (Benedikt), cousin 1 (Florian), cousin 2 (Andy). Avec tant de germanophone dans le groupe, mon niveau d’allemand ne s’est malheureusement pas amelioré … Joseph est le maire de la petite bourgade bavaroise dans laquelle ils habitent. Benedikt, comme moi, a 23 ans et est fraîchement bachelier. Florian vit à Rio depuis 10 ans et Andy, aux airs de Renaud, à beaucoup voyagé, que ce soit en Amérique, au Maroc ou en Asie.

Nikko

Finlandais, très discret, ce sera le premier à bénéficier d’un retour en Hélico!

Le vénuzuelien

Pas de bol, il ne survivra pas à la première nuit en 4* à Mendoza. Le premier soir, son téléphone sonne, et il retourne à Caracas. Personne ne sait pourquoi…

Donc voilà, nous voilà tous réunis dans cet hôtel. On nous explique les plans pour le lendemain, on part louer le matériel qui nous manque, chacun fait quelques blagues pour prouver qu’il est un bon type, et on part s’enfermer dans nos chambres. Les choses presque-sérieuses commencent le lendemain seulement…

Le lendemain

1er objectif: obtenir le permis d’ascension auprès des autorités du parc. 300$, le tarif le plus bas car nous commençons notre expédition lors de la saison-basse.

2ème objectif: rejoindre Puente del Inca où les choses un-peu-plus-sérieuses commenceront. 3h de bus environ, une crevaison, et quelques haltes plus tard, nous arrivons dans cette petite bourgade à la frontière du Chili. Quelques baraques, une gare fantôme, une poste tirée d’un western, un cimetière pour alpinistes disparus sur l’Aconcagua et un torrent au pouvoir petrificateur, c’est tout. On y passe une nuit, et on organise les paquetages qui seront portés par les mules jusqu’au camp de base. Mon sac est le plus petit de tous, tout tient dans un petit sac à engrais tandis que les autres ont des sacs North Face XXXXL. Je me pose des questions, qu’ai-je oublié…?

Confluencia, 3’400m, jour 3
Allez, ça commence vraiment! Les gardiens du parcs nous distribuent nos « sac à caca ». Si dans 2 semaines nous ne les ramenons pas plein, on nous taxera plusieurs centaines de dollars! Les guides les gardent en leur possession, ce serai bête qu’un de nous perde le sien!

Nos sacs sur les épaules,  l’Aconcagua en ligne de mire, nous nous enfonçons dans la vallée d’Horcones. Paysages grandioses,  les proportions sont différentes que dans les Alpes. La rivière que nous longeons me donne faim: elle est de couleur chocolat. Nous la traversons grâce à un pont suspendu construit lors du tournage de 7 ans au Tibet, tourné dans la région. Les petits oiseaux chantent autour de nous et les fleurs nous saluent, ils savent que nous nous en allons pour un enfer de pierres et de neige. Hormis d’autres yetis en veste Gore-tex, nous ne verrons pas d’autres êtres vivants au-delà du camp de base.. Durant cette marche nous pouvons faire plus amplement connaissance. On tente de trouver des points communs, des sujets de conversations, le courant passe facilement, tout le monde y met du sien.

En fin d’après-midi, nous atteignons notre premier objectif: Confluencia, 3’400m.

L’accès à la base de l’Aconcagua peut se faire par plusieurs vallées. La plus empruntée est la Vallée de l’Horcones qui se sépare en deux parties, tel un Y, au niveau de Confluencia. La branche de droite mène jusqu’à l’immense mur de la face Sud, et celle de gauche à Plaza de Mulas, le camp de base. Dans ce près-camp de base, nous restons 2 jours, histoire de s’adapter gentillement à l’altitude. Nous apprenons aussi à monter nos tentes. North Face B-qqchose, 5kg, sensée résister à des vents de plus de 100km/h. D’après Mariano: « 100km/h, c’est ce qu’il mettent dans la pub, en altitude il arrive qu’elles s’envolent pour moins que ça! »

Je profite de ces deux jours pour feuilleter le livre que j’ai emmené concernant l’Aconcagua. J’apprend que ce nom un peu spécial signifie « Sentinelle de Pierre ». L’histoire de ses premières ascensions est passionnante! Le premier type à tenter de poser ces pieds au sommet est un géologue allemand: Paul Güssfeldts en 1882. A cette époque, il doit carrément trouver où se trouve la montagne. Son style est particulier, car il part à l’assaut de la montagne sans tente ni nourriture et avec des vêtements on ne peu plus classiques. Son Summit Day durera 31h, et il atteindra une altitude de 6’500m. Pas mal, non?
Deuxième expé en 1897, menée par le britannique Fitz Gerald. l’expédition connaît des hauts et des bas, de nombreuses gelures et incidents. Finalement, après de nombreuses tentatives, c’est le guide Suisse Matthias Zurbriggen qui parvient au sommet  Nord, le plus haut, le  14 janvier 1897.
Il s’agit que de l’histoire moderne de cette montagne. On ne sait pas jusqu’où sont monté les Incas, en effet, une momie d’un enfant de 7 ans datant de 1470 a été retrouvée à 5’300m. Pierre nomme cet endroit « le jardin d’enfant ».

Donc durant nos deux nuits à Confluencia, on apprend à se connaître, mais on apprend aussi à mieux connaître notre future amie. Pour cela, nous nous rendons à Plaza Francia, au bout de la branche droite du Y don je vous ai parlé plus tôt. D’ici, nous pouvons admirer dans son ensemble la paroi Sud de l’Aconcagua. Impréssionnante!  3’000m de falaise et de glaciers suspendus. La paroi est elle aussi parsemée de momies, mais plus récentes celles-ci. Eh oui, régulièrement des alpinistes s’endorment pour toujours lorsqu’ils tentent de grimper ce frigo de 3km. Cette visite au pied de ce mur gigantesque nous prépare mentalement. On réalise que, même si on grimpera par l’autre côté, ce ne sera pas de la tarte!

Durant cette journée, avec Andrew, il nous viendra une idée. Nous aussi on veut faire une première sur cette montagne. Des gens y sont descendu en vélo, monté  en courant (30h pour le plus rapide je crois), sont restés plusieurs dizaines de jours au sommet sans redescendre (68jours), le plus jeune grimpeur doit avoir moins de 12ans, et le plus vieux 85 ou un truc du style. Il y a quelques années un haltérophile russe a fait porter 20kg d’altères à Capy pour faire une levée au sommet. On na pas cette prétention, ni le matériel pour rivaliser avec ces exploits, mais nous aussi nous pensons pouvoir faire une première. En cherchant un peu, on se souvient des photos qui circulaient dans les journaux gratuits il y a quelques mois. Des gens, toujours dans la même position, mais dans des endroits toujours plus incongrus. Face contre terre, aussi droit qu’une planche à repasser, ce type de pose se nomme le Planking. On en trouve de tous  les styles, dans des endroits aussi loufoques qu’originaux. Certains ont posés sur des barrières de gratte-ciels, dans des étalages de super-marchés, dans des amphithéâtres de cours, devant des monuments. A notre connaissance, jamais cela n’a été fait sur l’Aconcagua. C’est décidé, dans deux semaines, nous serons les plus haut planker des Amériques! C’est devant cette face Sud que nous nous entraînons car aucun de nous deux n’a d’expérience en la matière, on débute!

Vers Plaza de Mulas, le Camp de Base, 4’300m, Jour 5
Les guides redoutent cette journée. Après le Summit day et le retour, celle-ci est la plus longue de l’expédition. Pas énormément de dénivelé, moins de 1000m, mais un obstacle majeur: Playa Ancha! 10 km de désert, une plage de petits cailloux qui serpente le long du flanc Est de l’Aconcagua de façon interminable! Pour nous, découvrant les lieux pour la première fois, la balade est bienvenue, et surtout magnifique car les paysages sont grandioses, colorés et variés. Mais pour nos pauvres guides qui doivent la traverser environ 8 fois par été, ce n’est vraiment pas une partie de plaisir! Néanmoins, nous avons de la chance, il n’y a pas trop de vent ce jour-ci.

Quand nous arrivons au camp, j’ai la joie de constater que je suis en pleine forme! Les quelques jours passé dans les Andes Chiliennes à 4’100m m’auront finalement été bénéfiques! Je m’en inquiétais car je suis revenu de mon aventure chilienne dans un sale état! Gercures à tire la rigot, toux de fumeur, diarrhée bien en règle, fatigue…etc. Pas top de commencer une expé dans ces conditions! Quand je vois la tête de mes collègues dans la tente/salle à manger, je constate que je suis bien plus en forme qu’eux! Annette et Nikko, les yeux plein de poussières, ont de la peine à maintenir les yeux ouverts. Beaucoup ne finissent pas leur assiette lors du repas, et tous vont se coucher très tôt. Dans ma tête je me dis:  » C’est bon William, t’es un boss maintenant, tu résistes à l’altitude et à la fatigue. L’Aconcagua est à toi! » Si seulement…

Au camp de base, je retrouve Eloi, le français rencontré quelques jours plus tôt à l’auberge. Il est là, seul dans sa petite tente orange, depuis quelques jours. C’est marrant de retrouver un « voisin » aussi loin de chez soi. Eloi habite à Thonon, en face de Lausanne! A la base, je pensais aussi m’aventurer sur les pentes de la Sentinelle de Pierre en solo, mais j’ai finalement choisi le confort et la sécurité d’une expédition commerciale. J’admire Eloi qui se trimballe tout son matos tout seul (bon, une mûle l’a aidé jusqu’au camp de base, mais bon…), qui n’a personne pour lui préparer de bon petits plats, et qui doit récolter lui-même ses excréments tout au long de son ascension. Vraiment, nous,  c’est le méga luxe comparé à lui!

Le camp de base est réellement une petite ville de tente. Il parait que c’est le 2ème plus grand du monde après celui de l’Everest. En pleine saison, plus de 300 personnes peuvent y vivre, et on trouve de tout (pour qui peut y mettre le prix): Internet, Téléphones, douches chaudes, Pizza et … des filles!
Nous sommes en saison basse, et le campement se met doucement en route. Les gens commencent à arriver, mais je suis content de ne pas me retrouver en plein camping de Paléo à 4’300m!

Nous sommes sensé rester 5 nuits au camp de base afin de nous acclimater. Plusieurs choses sont prévues aussi pendant ce temps afin de nous préparer à ce qui nous attend: un sommet, un portage de nourriture, et des siestes. Notons qu’à partir de maintenant, nous ne pouvons plus boire de l’eau « du robinet », trop pure, celle-ci n’est pas assez mineralise pour etre bue. Elle doit impérativement être assaisonnée de thé, de café, ou de Tang, une sorte de jus de fruit en poudre avant d’etre ingurgitee. Au début, ça va, à la fin, on en pouvait plus!

Lors de cette première nuit en altitude, on est confronté à notre premier mini-drame: l’abandon de Nikko! Il n’a pas supporté notre première vraie étape pour arriver au camp de base. Après une visite au centre médical difficile, il nous a vomis sa soupe en live lors du dîner. Le lendemain suivant, l’hélico le ramene en plaine;  ça nous a temporairement refroidi. Mince pour lui, il était sympa… (mais il a quand même du bol d’être descendu en hélico!!!):-P

Cerro Bonete, 5’004m, Jour 7
Allez, après une journée de repos à rien faire au camp de base, je profite de cette marche d’acclimatation pour essayer mes nouvelles shoes! Elles sont trop belles! Zamberlan Denali 6000, trois épaisseurs afin d’éviter les gelures. Contrairement aux chaussures de mes amis, celle-ci n’est pas munie d’une coque en plastique mais d’une enveloppe en Kevelar. Du coup elles sont fines et très légères. Je suis bien dedans, c’est le pied! Donc voilà, on monte tous, tranquillement jusqu’au sommet du Cerro Bonete, à plus de 5’000, en face de l’Aconcagua. La journée est incroyable, il fait si chaud que je monte en short et en pull au sommet! La vue sur notre objectif est imprenable. On peut voir les emplacements des différents camps d’altitudes. Pour fêter cette belle journée, nous plankons un coup au sommet, et nous redescendons à toute allure en « skiant » sur les cailloux. -450m en 15 min, c’est top!

Le lendemain, les choses presque-très-sérieuses commencent: nous montons au camp I (Plaza Canada) certaines de nos affaires ainsi que de la nourriture. Comme je ne sais pas quand je pourrais écrire la suite, je vais déjà publier cette partie là, et vous aurez la suite très bientôt j’espère!
Un petit dessin pour faire office de Trailer:


Chapitre 15: Des plages brésiliennes aux 5’000 chiliens

Ouf, par où commencer… Bravo William, t’as pris du retard sur 20kmh, et maintenant, tu galères devant l’écran.
Bon, où nous sommes nous quittés? Au Brésil, il me semble.

Le Brésil! Alala, ce pays aura tenu toute ses promesses et m’a réservé bien des surprises! Déjà, quel choc en arrivant à Rio, après Dakar ! Je me trouve catapulté dans un quartier de la ville moderne, où les centres commerciaux se succèdent et où les voitures pullulent. Je suis dans un appartement (chez Ricardo) situé au 13e étage, j’en ai presque le vertige après 90 nuits à même le sol!

Le Pain de Sucre

Mon séjour à Rio se résume en très peu de mots: « Pain de Sucre »! Le 2e jour après mon arrivé, je me suis rendu aux abords de ce gros rochers à la forme si caractéristique. 400m de Gneiss, surplombant entre autres les plages de Botafogo et Copacabana et offrant une vue imprenable sur le Christ du Corcovado. Lors de cette première excursion, je trouve un petit sentier, prolongement d’une promenade au niveau de la mer, qui monte directement vers le sommet du rocher. Il est tard, il a plu, mais je décide de monter un petit peu. Le chemin n’en est pas vraiment un, il faut se mettre à quatre pattes car les plaques rocheuses qu’il traverse sont si abrupte que des spits sont à disposition pour s’encorder. En 15 minutes de montée, on atteint un point hors du temps, hors de la ville. À environ 100m au dessus de la mer, on peut contempler la baie de Rio d’une manière unique et des plus originales. De ce promontoire, on est en pleine nature, des sortes de vautours se laissent approcher, ainsi que des petits Macacos-Ouistitis. En observant le panorama, on aperçoit seulement quelques bateaux qui nous rappellent que dans notre dos se trouve l’un des plus grand port et une des plus grande ville d’Amérique du Sud. Lors de cette première ascension, je suis seul, et à environ 200m de l’océan, je me retrouve bloqué, un passage de 2m  compliqué, et le risque de tomber est trop grand. Si mes prises me font défaut, c’est la dégringolade assurée jusqu’à la mer!

En grimpant, je fais une découverte improbable: des dizaines et des dizaines de pièces de centimes de Reais (la monnaie Brésilienne)! Chose encore plus étrange, parfois je tombe sur des paquets scellés de 20 de ces pièces, tout droit sorti de la banque. Ces centimes, je les trouves éparpillés sur les rochers, comme si celles-ci étaient tombées en cascade depuis le sommet. Intrigué, j’en ramasse suffisamment pour que les poches de mon short soient pleines à craquer!

Cette découverte me motive à retourner le lendemain avec Ricardo. Je fouille dans tous les recoins possible avec l’aide d’un type qui fait guide sur le Pain de Sucre. Il nous annonce que le restaurant du sommet à été dévalisé il y a deux jours. En fuyant les voleurs ont du jeter les petites pièces, trop lourdes, pour garder les billets. Après deux jours de recherche, ma part du butin s’élève à plus de 200 Reais, soit 100 Francs Suisses!

Le soir, Carla, ma collègue géographe arrive à Rio, et bien entendu, la première chose que je veux lui montrer, c’est cette face du Pain de Sucre. En sa compagnie, j’y retourne ainsi une troisième fois de suite. Comme nous y passons beaucoup de temps, nous devons repousser au lendemain l’ascension complète du rocher par la télécabine. Ainsi, j’y retourne une 4e fois, et en guise d’adieu, le Pain de Sucre me permet d’aller contempler son panorama  gratos. En effet, avant de passer au guichet, je découvre à mes pieds un ticket aller-retour pour le sommet! C’est sûr, les vacances avec Carla commencent pour le mieux, la chance est de notre côté!

Ilha Grande

Respectant à la lettre la tourist attitude, les premiers jours à Rio avec Carla se déroulent pour le mieux. Photos débiles devant le Corcovado, pauses niaises devant des sculptures en sable sur la plage, découverte de Copacabana en plein jour (comme si c’était en plein jour que ça se visitait!)…etc. Mais bon, le principal c’est qu’on s’amuse beaucoup! Ricardo nous aide bien, véritable ange gardien, il nous sortira même en boîte dans le quartier de Lapa. Le plus Rock n Roll, c’était quand même le retour en voiture à 5h du matin..

Ricardo, encore lui, est celui qui nous offre le billet aller simple pour Ilha Grande. Cette île située à deux heures de route et une heure de bateau de Rio pourrait aussi bien être perdue au milieu du Pacifique, nous n’aurions pas vu la différence. Montagne, forêt Atlantique, plages paradisiaques se côtoient sans qu’aucune route ni voiture ne viennent troubler la tranquillité des lieux. La taille de ce bout de terre est toutefois surprenante: presque  130km de côte.

Sur cette île, nous allons vivre une expérience bien singulière, et, avec le recul, très déroutante. A ce moment toujours bons amis, nous débarquons un dimanche soir à Abraao, petit port et seule réelle ville de l’île. On fait le plein de provision, on remplit nos sacs pour survivre 2 jours au grand maximum. Après 1h30 de marche dans la forêt et par dessus quelques collines, nous arrivons à Palmas, une belle plage comme dans les catalogues d’agences de voyage. Quelques cahutes proposent aux rares touristes des boissons, du poisson, ou des emplacements de camping. Nous plantons donc notre tente à 20m de la mer, en pensant la replier le lendemain. Mais voyez-vous, dans un lieu tel que celui-ci, il est difficile de ne pas oublier le monde qui nous entoure. Après la frénésie de Rio, le calme nous étourdi, et nous n’avons pas envie de nous stresser pour voir les 1000 lieux qu’on avait prévu de visiter durant nos 10 jours de voyage commun. De plus, une plage située à l’autre bout de l’île nous intrigue. Elle se nomme Aventureiro et est considerée comme étant l’une des plus belle de l’île et, par conséquent, du monde.

D’un coup, nous prenons LA décision. Celle d’atteindre cette plage coûte que coûte: à la trappe Parati, Ubutuba et les chutes d’Igazu! Désormais, nous allons rester sur l’île aussi longtemps que nos obligations respectives nous le permettent. Dès lors, notre mode de vie change radicalement. Nos personnalités se transforment, le William et la Carla de l’uni de Lausanne disparaissent, et à la place deux créatures des bois voient le jour. Les serpents corails qui traînent sur les chemins nous font plus peur. Ensemble, nous chassons les fantômes des ruines d’une prison et partons à la recherche des sources des rivières qui se trouvent sur notre route.  Dans la forêt, nous marchons pieds nus, le corps de Carla est bientôt couvert de griffures et mes jambes de piqûres!

Tout se joue à l’instinct, sur le moment présent. Nous n’arrivons plus rien à prévoir ni à planifier. Nos  téléphones se déchargent progressivement, nos portes-monnaies sont quasi-vides (il n’y a pas de distributeurs automatiques sur l’île) et nos  provisions sont de plus en plus minces. Progressivement notre régime alimentaire se modifie: fruits et crackers en exclusivité pendant deux jours! Notre seule inquiétude, la batterie de nos iPod qui diminue.

Lors d’un de nos passages à Abraao, nous sommes pris d’une envie soudaine et incontrôlable. Etant devenus des êtres primaires et peu évolués, nous ne pouvons pas lutter, et c’est avec avidité que nous nous jetons ensemble, assoiffés, sur… la première Caipirinha venue! Presque à jeun, fatigués, cette Caipirinha nous est fatale. Les deux boissons qui suivent nous achèvent et, comme deux alcooliques de la Riponne, nous nous retrouvons à errer dans les rues d’Abraao pendant de longues heures jusqu’à ce que nos carcasses viennent s’échouer sur une plage. Seuls témoins de cette cuite la moins coûteuse de l’histoire: le chien qui vient nous réveiller!

Lentement, la semaine s’ecoule, et quand arrive le week-end, cette île paradisiaque ne l’est plus tellement. La jeunesse branchée de Rio et Sao Paulo viennent passer leurs quelques jours de congés sur cette île pour faire la fête. Ilha Grande alias Ibiza pour ce week-end. Notre tente se retrouve vite entourée de 300 autres, et le petit camping paisible qui nous abritait prend aussitôt des airs de Paléo. Nous avons fait notre temps, et sans regrets, nous retournons sur le continent. Le court séjour à Sao Paulo, dans la grisaille, fait un peu l’effet d’une gueule de bois. On doit réapprendre à vivre en société, à respecter certains codes et à répondre à nos sms. Après 3 jours un peu tristes dans cette jungle urbaine hostile, nos chemins se séparent et, irrémédiablement, mon avion décolle le 16novembre pour …

Santiago!

Allez, méga motivation! Toujours nostalgique de ces deux semaines, je débarque de l’autre côté du continent à 2h du matin. D’emblée, le ventre criant famine, je me trouve un sandwich… aux asperges! Berk! Pour me consoler, je trouve un banc tranquille dans un coin reculé de l’aéroport et j’imite Tom Hanks dans Terminal en faisant mon nid entre les voyageurs et les hôtesses pour le restant de la nuit.
A peine débarqué au centre de la capitale chilienne, je fais du stop jusqu’à la station de ski de Valle Nevado. ma première vraie nuit au chili se fait sur un promontoire à 2’000 au dessus de Santiago. Le soleil se couche à l’horizon, et peu à peu, les lumières de la ville apparaissent et me servent de veilleuse. Le soir, alors que je me cuisine mes pâtes, un condor vient tournoyer au dessus de moi:  » bienvenu dans les Andes » me lance-t-il!

Mes premiers jours chiliens se passent donc en montagne, dans la région du Cerro del Plomo. C’est que je dois m’entraîner avant d’entamer l’Aconcagua! Je passe ainsi trois journées au-dessus de 4’000m, dans le froid et dans le vent. Un premier sommet de 4’180m, le Cerro Pintor,  me donne confiance. Les paysages sont magnifiques et grandioses. Il faut multiplier par deux tous éléments qu’on peut voir en se baladant dans les alpes. Les vallées, les glaciers, les blocs ératiques, les moraines, tout est gigantesque!! En revanche, les refuges, eux, sont des plus sommaires. Pas plus grands qu’une tente, ils peuvent abriter du vent, mais pas du froid (car pas de portes) trois marcheurs maximum. Je passe deux nuits en compagnie de Jean, un randonneur normand, et Maurizio son guide au refuge de Federacion, au pied du Cerro del Plomo à 4’110m. N’étant pas équipé pour le grand froid, je ne monte qu’à une altitude de 4’850m sur les 5’400m du Cerro del Plomo. Je suis satisfait, je tiens bien l’altitude jusqu’à là, et  l’impression de monter toujours plus haut est grisante. En revanche, je réalise seulement maintenant dans quoi je me suis lancé en m’inscrivant dans cette expédition pour l’Aconcagua. Bien que réputée facile techniquement, il n’est jamais aisé de monter à des altitudes de presque 7’000m! C’est vraiment de la TRÈS haute-montagne qui m’attend, et je commence à appréhender un peu. Soudainement, je me prends à regretter le luxe de notre tente 1place sur Ilha Grande…

Je découvre vraiment Santiago 4 jours après être arrivé au Chili, en descendant des montagnes. Il me reste 5 jours avant le début de l’expédition, et ces jours sont mis à profit pour trouver du matériel, moins cher au Chili qu’en Argentine. Durant ces quelques jours à Santiago, je rencontre aussi Laura, la soeur d’Eric, un copain d’Epalinges. Elle vit depuis la semaine chez son copain Julio. C’est marrant de faire la connaissance d’une Palinzarde si loin de chez nous! La journée, je découvre certains coins de la ville en sa compagnie, le soir, nous allons manger des plats typiquement chiliens avec son copain. Nous nous quittons, en nous promettant de se revoir à mon retour d’expé.

Hier, j’ai tenté l’auto-stop longue-distance pour rejoindre Mendoza en Argentine. Je me prends bide sur bide pendant 2h. Finalement, je rejoins la gare routière et prend un bus. C’est donc Mercredi 23 depuis Mendoza et encore  à moitié endormis que je vous relate les événements de  ces dernières semaines. Dans deux jours je pars pour l’Aconcagua, à dans trois semaines cher lecteur, Inch Allah! 😛


Chapitre 14: Bande-annonce: William en Amérique du Sud

Souvent, on me pose la question: « Que vas tu faire en Amérique? » Il est temps de vous livrer mon planning, bien chargé, mais aussi complètement différent de ce que j’avais prévu initialement, des trois prochains mois.
Vous, mes fidèles lecteurs, vous vous rappellez certainement des difficultés que j’ai rencontrées au Maroc, difficultés d’ordre moral et psychologiques relatées dans le chapitre 7. Pas de plaisir, solitude accablante, envie de rentrer, marre de pédaler, besoin de changer de plans pour la suite du voyage. La partie latino-américaine de mon périple est la victime de ce coup au moral ou plutôt la bénéficiaire. C’est cette partie que j’ai décidé de complètement revisiter, et j’en suis bien content, je me réjouis à 200% de ce qui m’attend!

Rio->Ricardo

Avant toute chose, rappelons à ce qui ne vont pas régulièrement consulter ma position satellite que j’ai atterri à Rio de Janeiro le 27 ou le 28 octobre, je ne sais plus. l’avantage d’être en vacances pendant une année, c’est d’avoir le luxe de pouvoir oublier les dates, de perdre la notion du temps. Cela contribue à amplifier ce sentiment de liberté qui est si grisant. Bref, nous y reviendrons, je ne suis pas là pour disserter à ce propos. Donc je suis À Rio depuis environ 5 jours, Ricardo, l’ami de mes parents qui m’héberge me fait découvrir les différents charmes que la ville peut offrir. Je découvre de nombreux aspects de Rio qui m’auraient étés inconnus sans son aide. C’est chez Ricardo que ma monture va se reposer pendant 3 mois, en attendant se s’envoler vers la Suisse, puis vers l’Asie.

Brésil->Carla

Ce soir, Carla arrive à Rio.  Il s’agit d’une bonne amie de l’université qui, cette année, travaille dans une ferme vers Florianopolis, à environ 1’000km au sud de Saõ Paulo. Elle travaille dans une petite ONG perdue entre forêt, océan, montagne et lagune. Il paraît que c’est magnifique, je vais y faire escale quelque jours si tout va bien. Donc une fois que Carla sera à Rio, nous descendrons jusqu’à Florianopolis en bus, en nous arrêtant à plein d’endroits qui ont l’air d’être digne d’intérêt. Je lui fais confiance, c’est elle la guide sur cette partie du voyage, deux semaines au total!

Aconcagua

Le 16 novembre au soir, je m’envole depuis Porto Alegre pour rejoindre Santiago, la capitale du Chili. Une fois sur place, je tente de trouver quelques cartes et sûrement un peu de matériel de randonnée. Une fois cela accompli, je cours rejoindre les pentes du Cerro Del Plomo ou du Marmolejo. Ces sommets culminants respectivement à 5’425 et 6’110m, me permettront de faire une première course d’acclimatation. Le but n’est pas forcement d’atteindre le sommet d’une de ces deux montagnes, mais de monter le plus haut possible pour habituer mon organisme à la différence de pression et au manque d’oxygène. Ces treks durant environ 5 jours, je n’en effecturais qu’un car le 25 novembre j’ai rendez-vous à Mendoza, côté argentin, pour rejoindre les membres d’une expédition en route pour l’Aconcagua!

« Aconcagua », quel nom bizarre! Qu’est-ce, un serpent? Une île? Non! Il ‘agit d’une autre montagne, mais pas n’importe laquelle! Du haut de c’est 6’960m, c’est le plus haut sommet des Amériques, et ainsi, la plus haute montagne hors de l’Asie. La particularité de l’Aconcagua est qu’il se trouve dans une région extrêmement sèche, du coup, il y a que très peu de neige sur les flanc du massif. Par conséquent, il est possible de parvenir au sommet sans trop de difficultés techniques, le tout étant de savoir s’adapter à une telle altitude et de pouvoir vaincre les caprices du temps.

Ainsi, du 25 novembre au 12 décembre, je serai sur les pentes de cette belle montagne, en espérant que celle-ci me laissera tâter son sommet.

Santiago-Lima->Paris

La diaspora lausano-géographe est présente partout dans le monde, ainsi quant on sait qu’un de nos confrères est dans le coin (c’est-à-dire sur le même continent), on court le rejoindre pour passer du temps avec lui. C’est ce que fait Paris, qui fait un échange et étudie dans la jolie ville de… Québec auCanada! Certes, c’est loin, mais le jeu en vaut la chandelle! Ensemble nous allons remonter en bus, en car, en stop ou en lama s’il le faut la Cordillière des Andes en passant par le Chili, la Bolivie et le Pérou. Nous célébrerons peut-être Noël en plein Atacama, et Nouvel-An au milieu du Salar d’Uyuni, qui sait! La classe, non?

Pour l’instant, c’est tout ce qui est prévu. Une fois à Lima, je me débrouillerai pour retourner à Rio retrouver mon bel étalon, euh, mon beau vélo, et je m’envolerai pour l’Asie du Sud-Est après une courte escale en Suisse. Affaire à suivre…

JE RESUME POUR CEUX QUI N’ONT PAS SUIVIT:

2 semaines de tourisme brésilien avec Carla

1 semaine de trek d’entraînement au Chili

3 semaines d’expédition à l’Aconcagua

3 semaines de vadrouille dans les Andes avec Paris

??? Jusqu’au 22 janvier.

à suivre ….

 


Chapitre 13: Dakar à la mode sédentaire

 »’C’est qui? C’est Diallo! »

Voilà, me voici enfin à Dakar! 5’600km, 80 jours, 6 pays et une crevaison après mon départ de Lausanne, je boucle la première véritable étape de mon périple!

En arrivant à Dakar, je retrouve ma famille, les Diallos.  »Comment ça, William est africain?! » me direz-vous. Pour faire vite: Sandrine, une cousine lointaine a épousé il y a une vingtaine d’année Karim. De leur union sont nées deux filles Maïmouna et Julie qui ont à peu près mon âge. La dernière fois que je les ai vues, c’était il y a une dizaine d’années, et je suis très excité à l’idée de les revoir! En revanche, je n’ai aucun souvenir de Karim, je crois ne l’avoir jamais rencontré. Savoir que je vais retrouver de la famille, même éloignée, m’a souvent servi de carotte pour avancer durant ces dernières étapes. Merci aux aïeules pour cette famille tentaculaire!

Une fois arrivé dans la ville de Dakar, je demande le quartier de Hann Mariste. Un mécanicien qui rentre chez lui à vélo me guide sur plusieurs centaines de mètres. Ensemble, nous slalomons entre les voitures et les nids de poules. Une fois dans le quartier en question, j’appelle Sandrine: il faut que je me rende auprès d’un certain rond-point. Là, elle viendra me chercher. Bien sûr, je me trompe de rond-point, mais une chose assez incroyable se produit. Alors que j’attends sagement, une voiture s’arrête à ma hauteur, et un type sort sa tête par la fenêtre:  »Eh vous, vous-êtes qui? Es-tu William? ». Je le dévisage, et sa tête ne me dit rien. Je me demande qui peut bien  me connaître à Dakar ? Certes, je vais devenir une célébrité, mais ce n’est pas encore le cas! Comme le monsieur ne ressemble pas du tout à Sandrine (eh oui, c’est un homme et il est noir, Sandrine est une femme et elle est blanche -> je suis un très bon observateur), je lui dit que je cherche un certain Karim. Aussitôt, sont visage se fend d’un grand sourire et m’affirme être ce même Karim. Je me méfie, j’ai rencontré pas mal de gens qui essayaient de se faire passer pour je ne sais quelle connaissance lointaine dans le but de me soutirer quelques sous. Heureusement, très vite, Karim dit le mot de passe  »Aaaah, William, tante Geneviève (ma grand-mère) m’a prévenu de ton arrivée, mais je ne savais pas que t’étais déjà à Dakar, quel hasard de se rencontrer comme ça! »

Eh oui, quel hasard. J’étais à plus de 2km du lieu de rendez-vous fixé par Sandrine, et Karim, qui ne me connaît pas, rentrait du boulot et n’était pas averti de mon arrivée imminente. Ainsi, c’est en suivant la voiture de Karim que je rejoins la maison des Diallos. Accueilli comme un des leurs, je vais y passer deux semaines  avant de m’envoler vers l’Amérique Latine!

Dakar

Les premiers jours passés chez les Diallos se déroulent sous le signe de la paresse. Alors que j’avais envie de visiter la Casamance et la Gambie, chaque jour je me réveille avec un objectif journalier bien plus singulier: attendre le prochain repas. Mais attention, je me lève tôt, coupe du monde de Rugby oblige! Les demie-finales débutent à 7h30, heure sénégalaise. A l’heure dite, je suis en place devant la télé, la tête dans le cul certes, mais bien décidé à rattraper mon retard. En effet, la dernière partie que j’ai pu suivre était… Italie – Russie alors que je me trouvais encore à Tan-Tan: ça fait un bail!

Donc me voilà bien en place, un bol de chocolat au lait en face de moi. Coup d’envoi, Pays de Galles – France, ça promet d’être serré! 10minutes s’écoulent et d’un coup, plus de ventilo, la télé s’éteint. Noooooooooooooon! Coupure de courant……. Pendant mon interminable attente, la maisonnée se réveille peu à peu, Karim et Sandrine peuvent ainsi assister à mon interminable attente! Mon frère me tient au courant par SMS, mais soudain, miracle, alors que je croyais la partie terminée, ma grasse matinée sacrifiée inutilement, la télé se rallume! Je peux enfin m’enfoncer dans le canapé et assister à la dure victoire du XV de France. Cette place en finale face aux All Blacks rajoute du suspens à mon séjour sénégalais. Dans une semaine, je devrais trouver une télévision captant TF1…

Durant cette première semaine à Dakar, certes, je ne suis pas aussi actif que je l’avais prévu, mais je parviens quand même à découvrir la ville. Maïmouna me fait découvrir l’entier du quartier des maristes de nuit, me présente à plusieurs de ces copains sénégalais. Sandrine me fait découvrir de jour ce même quartier qui a alors des allures totalement différentes.

Souvent je prends mon vélo pour me rendre dans le centre-ville. Au total, je fais plus de 100km dans Dakar. Je peux constater avec fierté que j’arrive en seulement quelques paroles fermes mais polies à éloigner les vendeurs ambulants qui ont une réputation terrible dans tout le pays.  »Tu verras, ils te suivent parfois pendant 20 minutes » m’avait-on dit. Mes semaines d’entraînement marocaines m’ont bel et bien été utiles. Je me rends aussi au bout du Cap Manuel pour y contempler tranquillement l’océan que je m’apprête à survoler…

Entre Interview et conférences

Karim et Sandrine travaillent au sein du groupe scolaire Marc Perrot (Karim est le big boss) qui réunit des élèves allants de la maternelle au Lycée dans deux établissements. Il me propose de présenter mon voyage devant certaines classes avec l’aide de Naomi, une volontaire qui s’occupe de l’atelier bibliothèque (entres autres). Ensemble, nous mettons sur pied une conférence adaptée à chaque niveau. A chaque fois,  je montre mon vélo chargé, et quand l’électricité est au rendez-vous, je projette certaines de mes photos. Moi qui n’ai aucune expérience pédagogique, je découvre les joies de  »l’enseignement »! Pas facile de captiver son auditoire quand un professeur s’amuse dans mon dos à filmer l’assemblée et à projeter le tout en direct sur un écran TV!

Les enfants sont enthousiastes. Ils me serrent la main quand j’entre dans la cours de l’école, m’interpellent quand ils me croisent dans la rue et écrivent de gentils commentaires sur mon site. J’espère que, outre leur avoir fait louper une heure de maths ou de français, je leur ai permis de voyager un peu et donner  l’envie  de partir à la découverte du monde…

Grâces aux contacts de Karim, je rencontre aussi un journaliste qui me fait interviewer par une jeune stagiaire. Ainsi, je me rends un soir aux bureaux du journal Le Soleil. Je me fait photographier sur mon vélo, et répond aux questions de ma jeune interlocutrice. Le rendu est flatteur et correspond bien à ce que j´ai dit pendant l’interview. Le tout occupe une page entière du supplément de l’édition du week-end et comporte trois photos de moi. Suite à cet article, Karim m’appellera  »la vedette » jusqu’à mon départ.

Trip en Toubab style avec Julien

Vous vous rappelez de Julien de Saint-Louis? C’est le français qui était dans la même auberge que moi et qui ne parvenait pas à connaître la date de sa rentrée universitaire. Eh bien, les profs ne se décidant pas à commencer leurs cours,  il me contacte pour me proposer un trip vers la Casamence! Malheureusement, je n’ai que 3 à 4 jours de disponible, ce qui est trop peu. Nous décidons de nous rendre dans le delta du Siné-Saloum, un peu plus près, et aussi très joli. Nous commençons notre voyage depuis M’Bour où nous nous retrouvons dans une petite auberge tenue par une… Suissesse! Lors de la soirée passé dans cette ville de la Petite Côte, nous constatons la popularité de la région au sein des consommateurs de sexe. Rien qu’au restaurant où nous nous rendons, à chaque table se trouve un toubab (homme ou femme) relativement âgé, en compagnie  de deux noirs qui ne sont pas là pour leur propre plaisir…

La première étape de ce long week-end est  »la forêt de Baobab »! Nous retrouvons Marie (cf. chap 12) devant une agence tenue par un de ses amis qui propose des tours en… Buggy! Allez, ça fait pas de mal de retomber sur les rails du tourisme conventionnel, me voilà parti pour une matinée de rallye. Attention, si nous roulons à fond la caisse pour rejoindre chaque point d’intérêts, les stops sont tous très intéressants, et notre guide nous apprend plein de chose sur la faune, la flore, les us et coutumes des habitants de la région. Nous pénétrons même à 5 à l’intérieur d’un baobab creux! Bilan: expérience enrichissante en plus d’être amusante. Ouf, au départ nous avons craint le pire avec Julien!

La deuxième étape. Ndangane et le détroit du Siné-Saloum. A moins de 200km de Dakar, le changement de décor est total. Après avoir changé plusieurs fois de bus, pris deux taxis, traversé des villages perdus et emprunté des pistes délaissées, nous arrivons à Ndangane. C’est depuis cette petite ville au bord de l’eau qu’il est possible de partir explorer le delta à bord d’une pirogue. Nous faisons la connaissance d’Obi No Mag qui nous propose de faire un tour d’une demie-journée pour un prix plus que raisonnable. Nous acceptons. Cette après-midi, à s’enfoncer dans les botongs, sortent de canaux  serpentant au coeur de la mangrove, est forte sympathique. Nous nous arrêtons aussi sur la belle et grande île de Mar Lodj, où il n’y a, comme à Zermatt, aucune voiture.

A Ndangane, c’est ultra galère de trouver une tv pour regarder la finale de la coupe du monde de rugby. Je me lève à 7h pour faire du porte-à-porte, d’auberges en auberges, de petits hôtels en petits hôtels. Aucun établissement n’a TF1… Heureusement, Marie qui est restée à M’bour me tient au courant du score en temps réel via SMS, merci Marie!

Troisième et dernière étape: Retour sur Dakar et visite de l’île de Gorée. Cette île, à seulement 20minutes de bateau contraste drastiquement avec l’agitation de la capitale. Ici les gens sont posés, accueillants et souriants. Gorée est connu pour sa maison des esclaves, symbole fort rappelant au monde l’horreur de la déportation et du commerce triangulaire. La visite de cette petite maison où pouvait s’entasser jusqu’à 200 personnes me rappelle aussi l’horreur des camps de concentrations européens. On est vraiment des salauds, nous les humains…

A Gorée, Julien et moi trinquons une dernière fois. Au sommet de l’île, en contemplant le soleil  qui se couche derrière Dakar, nous buvons notre dernière Gazelle, la bière locale que nous buvions tout le temps à Saint-Louis. Ces quelques jours de voyage en sa compagnie étaient sénégalaisement très sympathique! Rendez-vous en Europe dans un an, autour d’une même Gazelle, hein Julien!

Dakar, suite et fin

Mardi 25 octobre, me voilà donc de retour à Dakar pour préparer mon départ. En vérifiant mon heure de départ sur internet, je réalise que mon avion part 24h plus tôt que ce que j’avais noté. Course contre la montre: je pars le lendemain! Après une chasse au carton dans tout le centre-ville, je parviens à trouver de quoi emballer mon vélo. A grand renfort de Scotch, je parviens à faire rentrer ma monture dans un vieux carton de réfrigérateur. Ouf, tout est prêt à temps! Le carton est immense, et c’est grâce à Maïmouna et ses contacts que je peux vous écrire depuis Rio. En effet, car sans elle, jamais je n’aurai trouvé quelqu’un pour le transporter jusqu’à l’aéroport!

Mon séjour en Afrique est terminé, je suis heureux d’avoir refait la connaissance de ses cousines éloignées. Maintenant, cap sur Rio où de nouvelles aventures – d’un autre genre – m’attendent.


Chapitre 12: Teranga sénégalaise

Premiers instants sénégalais

Après trois semaines de désert, le vert du Sénégal est le bienvenu. Le premier barrage de police m’annonce néanmoins la couleur : ce n’est pas avec les autorités que je ferais ami-ami, celles-ci étant bien plus austères qu’en Mauritanie !

En me dirigeant vers Saint-Louis, je rencontre aussi beaucoup plus de monde, les villages que je traverse étant toujours plus peuplés et animés. Les maisons en terre et les huttes ont remplacé les tentes des nomades : changement de décors !

Mes premiers kilomètres sénégalais se font en compagnie d’Aliou. Il s’agit d’un jeune sénégalais de 16ans, parti faire une course à 40km de chez lui sur son vieux VTT. Ensemble, nous parcourons une trentaine de kilomètres, nous arrêtant de temps en temps à l’ombre d’un arbre ou dans un village pour remplir nos gourdes. Aliou est très mature pour son âge. Issu d’une famille pauvre, il sait que la seule clé pour évoluer et sortir de sa condition est l’éducation. En fin de journée, nous nous séparons. Merci Aliou d’avoir accompagné mes premiers coups de pédale au Sénégal !

A l’heure du bivouac, je renoue avec les précautions élémentaires pour ne pas être repéré. Dans le désert, je ne pouvais pas trop me cacher, et je m’en moquais, mais là, je ne veux pas être importuné par les curieux d’un possible village voisin ou par quelques voleurs de vélos pendant la nuit. Ainsi, je m’élance d’un coup hors de la circulation pour rejoindre un petit bosquet à 500m de la route. Une fois à l’abri de la végétation, j’attends l’arrivée de la nuit pour monter ma tente. En attendant, j’écris dans mon carnet et je prépare  mon repas du soir. Barrero, mon collègue cyclo-espagnol qui aimait beaucoup la discrétion serait fier de moi (cf. chap 2) !
J’aurais certainement pu « trasher » et arriver à Saint-Louis le soir même, mais je tenais à faire connaissance avec la terre sénégalaise via cette première nuit à même le sol. Ce que je n’avais pas pensé, c’est d’être si vite présenté aux moustiques locaux. Aussitôt la nuit tombée, ils pullulent autour de ma tente ! Je finis ma platée de pâtes en quatrième vitesse, temps pis pour la vaisselle, je la ferais demain à Saint-Louis !

Saint-Louis

M’étant couché à une soixantaine de kilomètres de Saint-Louis, la ville exerce dès le matin son pouvoir d’attraction. Je ne prends pas mon petit-déjeuner, comme je le fais d’habitude, à proximité du campement après avoir rangé mes affaires. Cette fois-ci je charge mon petit paquet de céréales sur ma sacoche de guidon et les manges tout en roulant. Expérience concluante, j’arrive à effectuer 10km de la sorte !

Peu à peu, le nombre de voiture s’accroît, les foules sur le bord des routes sont toujours plus denses, les nids de poules encore plus profonds, et soudain le fameux Pont Faidherbe ! Tel une Tour Eiffel couchée en travers du fleuve Sénégal, ce long pont métallique me permet de rejoindre l’île de Saint-Louis où je vais séjourner cinq jours.

Cette ville est parfaite pour l’acclimatation à l’Afrique Noire. Après plusieurs semaines de Maghreb me voilà réellement dans le vif du sujet. J’entre dans un autre monde, mes yeux sont grand ouverts, c’est la découverte totale. Je suis certes déjà allé en Afrique du Sud et au Kenya, mais de par mon mode de transport, je me trouve complètement immergé dans la culture et la société sénégalaise et les rencontres se font nombreuses.

Aussitôt arrivé sur l’île de Saint-Louis, je m’installe à la terrasse du premier café venu pour finir mon petit-déjeuner. En forme et de bonne humeur je me dirige ensuite vers l’auberge de jeunesse de la ville où je vais poser mes sacoches pour quatre nuits.
L’adjectif qui correspondrait le mieux à la ville de Saint-Louis  est PAISIBLE. En effet, dans cette ville terminus de l’aéropostale, on est loin de la vie trépidante et stressante de Dakar la capitale ! Pendant ces quelques jours, je fais la connaissance de Julien et Marie deux jeunes français, futur étudiants en sociologie à l’université de la ville. Par leur intermédiaire, je découvre les joies de la bureaucratie sénégalaise. En effet, chaque matin je les verrais partir sur le campus afin de tenter de décrocher un logement, mais surtout de connaître la date de la rentrée scolaire qui est imminente !

Julien est présent sur place depuis déjà plusieurs jours, du coup c’est lui qui me fait visiter la ville. Ensemble nous rencontrons plusieurs personnes sympathiques. Aziz par exemple, qui tient une petite boutique de bijoux et de sculptures, nous invite tous les soirs à venir faire une partie d’Azalée devant son magasin. Avec un autre Aziz, nous allons boire un verre en attendant un concert qui ne viendra jamais au Quai des Arts. Finalement, avec les personnes gravitant autour de l’auberge, nous passerons des heures à parler de la politique et de l’avenir du pays. Les élections présidentielles de février prochain préoccupent : Wade va-t-il oser se représenter ?

Après ces quelques jours de repos, je prends une dernière fois la route pour…

Dakar

260km me séparent de mon terminus. A l’origine, je voulais les savourer et prendre le temps de m’arrêter dans les villages et de bivouaquer sur la route entre les baobabs. Mais Dakar m’attire ! Comment flâner en étant si près du but ? Le pouvoir d’attraction de Dakar est trop fort, j’y arrive en deux jours. Ces derniers kilomètres du parcours sont marqués par les sourires et les marques de sympathie des gens que je croise sur la route. La Teranga sénégalaise, cet art de l’accueil, je l’expérimente aussi en route. A Louga, alors que je cherche une gargote pour ingurgiter une platée de riz, Ibrahim, un enseignant de l’école de la ville, m’invite dans sa demeure pour partager son repas.

L’arrivée sur Dakar est digne d’un rodéo urbain. Les voitures foncent, se doublent, me frôlent, la route est étroite. Tel une barque dans une mer agitée, je lutte pour ne pas chavirer. Chaque cinq secondes, quand un camion me dépasse au quadruple de ma vitesse, la masse d’air qui le suit me percute, me chahute, me fait perdre le nord pendant quelques instants. Aussitôt je m’emploi à redresser la barre, si je m’éloigne trop de mon cap, la prochaine déferlante risque de me frapper de plein fouet ! Je tiens bon, je ne chavire pas !

C’est sportif d’arriver ainsi dans une mégapole ! De plus, la poussière dégagée par ces monstres ambulants me bouche les narines, me pique les yeux. Je trouve la solution en enroulant mon chèche autour de ma bouche et en enfonçant mon chapeau jusqu’à mes lunettes de soleil. Ainsi vêtu, je m’amuse à fixer les gens sur le bord des routes qui détournent aussitôt les yeux ! Je fais peur, on me laisse tranquille !

Finalement, après 80 jours de vélo et plus de 5’600km de vélo à travers la France, l’Espagne, le Maroc, le Sahara Occidental, la Mauritanie et le Sénégal, je dépose mes sacoches dans la cour de la famille Diallo, ma famille…

à suivre …


Chapitre 11: Bye bye Mauritanie!

Nouakchott, à l’instar de Nouadhibou, a des airs de paradis. Pas exactement pour les mêmes raisons, car c’est une ville grouillante et sans grand intérêt qui a supplanté le décor unique de la Baie du Lévrier et du Cabanon 3. Seulement voilà, imaginez une grande maison avec des ventilateurs. Dans le hall d’entrée trône une table de ping-pong et à deux pas de ma chambre se trouve un frigo remplit de bières belges. Pour finir, Manu possède une bibliothèque monstrueuse, certainement la mieux fournie du pays concernant les ouvrages mauritaniens !

Le lundi 3octobre, j’arrive vers 16h30 à Nouakchott, après une journée de 110km où je passe mon, attention… 5’000ème kilomètre depuis Lausanne !!! Je retrouve Manu qui m’escorte jusqu’à leur maison. Il m’avait averti il y a quelques jours à Nouadhibou : «  Tu verras, avec le boulot de Tom on a une immense maison. C’est quand même à la limite du raisonnable … ». C’est vrai que cette maison a des allures de palais. Une immense terrasse, un jardin très vert, une cuisine bien garnie, de nombreuses chambres d’amis…etc. Manu et Tom vivent ensemble à Nouakchott depuis le début de l’année, et avant cela ils vivaient en Belgique. Tom travaille au sein de la délégation de la  communauté européenne en Mauritanie. Il est anglais d’origine et a rencontré Tom à Pau il y a environ 10 ans à l’université. Manu est professeur de littérature mauritanienne francophone à la fac de la capitale. Il écrit aussi des chroniques littéraires dans un journal local. Comme il passe beaucoup de temps à travailler à domicile, c’est lui qui me fait découvrir la ville. Je lui pose aussi de nombreuses questions sur la littérature mauritanienne que je ne connais pas du tout. Par exemple, j’apprends que la poésie est un art extrêmement populaire chez les jeunes. Parfois, ils se retrouvent et font des Battle de poésie ! Malheureusement, les publications de textes sont souvent faites à l’arrache. La relecture est partielle (comme sur 20kmh.net!) et de nombreuses fautes de mise en page, d’orthographe et de syntaxe se trouvent dans tous les ouvrages ! Suite à ses conseils, j’achète deux livres du cru. Je vous en donnerai des nouvelles !

Alors que je m’installe, je réalise à quel point ma situation est insolite ! Je suis en République Islamique de Mauritanie, et je loge chez un couple gay au frigo remplit d’alcool et de saucisses de porc confites et pour couronner le tout, mon visa est expiré ! Quand je pense à toutes les personnes qui m’ont imploré de zapper la Mauritanie, je ne regrette en rien mon choix de traverser ce pays malgré tout.

Durant ce séjour, je vais rencontrer une partie de la scène des expatriés européens de Nouakchott. Certains bossent pour des ONGs, d’autres pour les ambassades ou tiennent des restaurants. Je retrouve aussi Saleck et Fé que j’avais déjà rencontré à Nouadhibou. Ne trouvant pas d’autocollant du drapeau Mauritanien (je colle les drapeaux de chaque pays traversés sur mon vélo), Saleck me donne un sticker de l’association de protection des ânes battus pour laquelle il travaille. C’est vrai que mon vélo, avec tout son barda, à un peu des allures d’âne surchargé (je ne le bats pas, rassurez-vous)!

Le thé : le « whisky mauritanien »

Le séjour se passe pour le mieux, malgré la chaleur qui est bien là. Celle-ci rend les déplacements en ville fastidieux tant mon t-shirt se retrouve trempé rapidement. Je profite aussi de ce temps d’arrêt pour faire quelques emplettes. J’achète notamment le nécessaire pour faire le thé mauritanien. Ici, ils carburent au thé ! À longueur de journée, ils sont autour de leurs gros réchauds à gaz surmontés d’une petite théière. Ils passent de longues minutes à préparer cette mousse qui caractérise si bien cette décoction super-énergétique !

 Théière, petits verres, sucre, thé, menthe : j’ai tout ce qu’il faut, reste à savoir le faire ! Cher est un des quatre gardes qui surveille la maison. D’après Manu, c’est celui qui fait le meilleur thé. Avec un plaisir immense il m’accueille dans son poste de garde et me dit comment faire : «  Alors tu prends le thé – Tu verses la moitié du paquet de thé dans la théière – tu mets deux verres d’eau si tu veux servir le thé à 3 personnes – tu mets le sucre (beaucoup!), la menthe, on chauffe lentement…etc. » Le moment critique dans la préparation du thé, c’est vraiment la confection de la mousse. Celle-ci occupe la moitié du verre. Elle doit être dense, très consistante. Pour la faire, il faut faire passer le liquide d’un verre à l’autre. Cela peut prendre plusieurs minutes, et moi, j’en mets la moitié à côté ! Pour accélérer les choses, Cher prend le relais et m’aide un peu. Nous trinquons enfin après vingt minutes de préparation. L’opération se répète 3 fois. Le premier thé étant le plus fort de tous, les deux autres plus sucrés. Cet échange avec Cher était vraiment super. Dorénavant je penserai à lui à chaque fois que je me lancerai dans la préparation d’un thé mauritanien.

Pour mon départ, Tom et Manu veulent faire les choses bien. Ils me demandent ce que je veux manger, sans hésiter je demande une sole/ purée au pilon. Quel repas ! Ils invitent quelques amis pour partager ce repas, Saleck et Fé se joignent une dernière fois à nous. Les soles sont superbement préparées, et la purée est comme je les aimes, et attention: je m’y connais ! Bien sûr en apéro, j’ai eu le droit à une dernière Gueuze, pour la route. Le lendemain je quitte cette joyeuse bande de Nouakchott que j’espère revoir un jour. Il me reste moins de 300km pour rejoindre le Sénégal : en route !

Rosso 

Cette route du sud de la Mauritanie ne présente pas grand un intérêt. Peu à peu les arbres apparaissent, les paysages deviennent plus verts, et les bords de routes sont plus peuplés. Des gamins me gueulent « donne-moi cadeau ! » à chaque fois que je passe à proximité. Un d’eux me jette un bâton qui ne m’atteint heureusement pas. Je trace, sans essayer de m’arrêter dans les villages.

Je passe toutefois un très bon moment à 70km au sud de Nouakchott. N’ayant pas de quoi pique-niquer, je décide de m’arrêter à la première proposition de repas venant d’une des tentes de nomade bordant la route. Alors que je pédale à vive allure et le ventre vide, j’entends une femme crier « Monsieur ! Venez manger? » Comme convenu avec moi-même je m’arrête, m’attendant à ce que des gosses viennent m’assiéger en me demandant des cadeaux. Rien de tout ça, j’entre sous la tente, quatre enfants de 1 à 9 ans piochent calmement dans grand plat de riz posé sur le sol. Il y a la dame qui m’a appelé, mais aussi son jeune frère de 25 ans et une autre dame, plus discrète. Je suis convié à partager leur repas. D’emblée je veux mettre les choses au point concernant les prix, je ne veux pas me faire avoir comme un bleu. Ça va faire bientôt 2 mois que je suis en Afrique et je sais qu’il faut demander les prix AVANT ! Mais là je suis surpris, c’est une réelle invitation ! Nous passons un bon moment ensemble, au frais sous cette tente. Je leur parle de mon parcours en Mauritanie, des montagnes suisses (la neige : de la science-fiction ici!) …etc. Le jeune sort sa radio, il a quelques chansons locales sur une clé usb et me les fait écouter. Fièrement il me fait aussi écouter Phil Collins, Michael Jackson, Céline Dion ainsi que la chanson du Titanic en Arabe!
C’est dans ces moments paisibles qu’il est difficile de retourner dans la fournaise et de reprendre la route. Néanmoins, c’est ce que je fais. A chaque village je dois faire face à ces nuées de gosses insupportables qui me prennent pour le Père Noël. L’un d’eux va même jusqu’à me chaparder mon petit drapeau mauritanien que j’avais accroché à l’arrière de mon vélo et qui faisait sensation dans tous les postes de contrôles que je traversais…

Après une dernière nuit dans le sable, j’atteints Rosso. Celle ville est souvent décrite comme un nid de pickpockets, de voleurs, d’arnaqueurs et de douaniers verveux. J’appréhendais un peu. Arrivant à l’heure du midi, je m’arrête dans une gargote pour manger un dernier bout de chameau. Aussitôt, un sénégalais à l’allure sympa s’approche. Il s’appelle « Michel, euh, Mickaël ». Il dit avoir beaucoup voyagé dans toute l’Afrique et connaît très bien les données géographiques des pays alentours. Il me les récite comme s’il lisait une encyclopédie à voix-haute. Aussi, il aime bien les européens qui voyagent à vélo (tiens donc) et me propose de traverser le fleuve Sénégal avec moi pour éviter tous les problèmes. Je suis méfiant, lui demandant son prix, il me ressort tout un speech sur l’amitié et les liens du cœur, bref un Aziz de Tanger junior tout craché (cf. chapitre 5) !

Je pense m’être débarrassé de lui quand je passe le premier contrôle de gendarmerie. Là, sous l’œil inquisiteur des officiers, nous nous serrons la main et nous disons au revoir. Mais cela n’est que du cinéma pour détourner la vigilance des gendarmes, car à peine quelques minutes plus tard, je le retrouve de l’autre côté, près de l’embarcadère. Il a l’air soucieux, car ici les concurrents charlatans sont nombreux. On vient me proposer entre autre du change ou une pirogue pour traverser le fleuve Sénégal qui fait office de frontière. Je décide de continuer à faire confiance à Michel. Je lui donne 1000 francs CFA (2€) pour qu’il négocie la traversée du fleuve auprès des piroguiers. Pendant ce temps, je donne mon passeport aux douaniers qui me font un tampon de sortie du territoire sans même me poser des questions concernant mon visa expiré depuis plusieurs jours ! Ça ne valait vraiment pas la peine de s’en inquiéter!

J’attends quelques minutes, mais au bout d’un moment, je suis forcé de constater que Michel ne revient pas ! Et voilà, me dis-je, il a disparu avec mon argent, je n’aurai jamais du lui faire confiance… Alors que je me dirige vers le groupe de piroguiers, un type vient vers moi : « Michel est arrêté par la police, viens le libérer ! ». Je le suis jusqu’au bâtiment des policiers où je gare mon vélo. On me dirige dans une petite salle sombre où Michel se tient debout, entouré de plusieurs policiers bien balèze. Le chef m’interpelle :

« – Est-ce que vous connaissez ce voleur ? Il vous a prit 1000Frcs !»

– Euh oui, c’est mon guide, c’est moi qui lui ai confié cet argent…

– Vraiment ?! et c’est vrai que vous l’avez appelé de France pour réserver ses services ? »
Oula, mais dans quoi je me suis mis moi, qu’est ce qu’il est allé leur raconter ? Je réponds oui pour prendre sa défense. Aussitôt, ils nous relâchent. Ouf…

La traversée en pirogue ne dure que 5minutes, et Rosso-Sénégal semble tout aussi inhospitalière que sa jumelle mauritanienne. Sans m’attarder, je me dirige vers la sortie de la ville avec Michel. Au moment de nous séparer, je suis surpris de constater qu’il ne me demande rien ! Je sais qu’il attend quelque chose, mais sa passivité me laisse perplexe ! Je lui donne finalement quelques petits billets pour le remercier de ses services. Nous nous séparons bons amis.

Il est 14h, nous sommes le vendredi 7 Octobre, et je lance mon vélo à toute allure sur la route défoncée menant à Saint-Louis.

A suivre ….


Chapitre 10: « through the desert on a bike with no name »

Co-voiturage vers la Mauritanie

On est le 27 septembre, je dois faire un nouveau choix. Mon Visa Mauritanien finit dans une semaine, et je me trouve encore à 300 km de la frontière. Une fois en Mauritanie, j’ai 500 km à faire pour atteindre la capitale Nouakchott pour pouvoir espérer prolonger un peu mon visa, suffisamment en tout cas pour atteindre en vélo la frontière sénégalaise. Du coup, je décide de rejoindre Nouadhibou, la première ville mauritanienne, en voiture. Me voilà donc en route pour la Mauritanie, et de nouveau à bord d’un véhicule motorisé! Certains y verront une marque de faiblesse, de la triche, de la paresse. Il faut savoir que là je suis réellement embêté de snober les 300km restant de Sahara Occidental. En plus, avec le vent qui souffle, j’aurai une fois de plus pu avancer à vive allure! Bon, pour me consoler, je vais profiter de l’invitation de François, franco-suisse rencontré sur la route, dans sa super maison à proximité de Nouadhibou. 🙂

Le trajet entre Dakhla et la frontière mauritanienne est long et monotone. Etrangement, je trouve ça moins casse-pieds d’être dehors à pédaler. Je suis à bord d’une voiture mauritanienne, une vieille Mercedes, et mon vélo est casé dans le coffre, dépassant des deux côtés. Pourvu qu’il ne s’accroche pas au premier camion que nous doubleront! Souiran, le chauffeur est un peu lunatique. Je le trouve tantôt très amical, tantôt bizarre. Je suis méfiant, je me rappelle la fois où, en Albanie, un chauffeur verreux nous avait arnaqué copieusement avec Robin. En route, nous ramassons un autre voyageur marocain qui s’occupe de faire le thé dans la voiture. En continu, nous buvons de ce breuvage qui, en descendant vers le Sénégal, s’intensifie, s’assombrit, et se couvre d’une écume toujours plus dense et épaisse. Le rituel de préparation devient aussi de plus en plus long, en Mauritanie, il faut bien compter 1h pour boire les trois thés réglementaires !

No Man’s Land

A 16h, c’est le point phare de cette journée: le passage de la frontière entre le Maroc et la Mauritanie. Les deux pays sont séparés d’un No Man’s Land d’environ 6km. Cette bande de terre est lourdement minée, et des voleurs l ‘arpente nuit et jour. Pour compliquer le tout, la route disparaît et est remplacée par une piste en piteux état! Après être passé dire bonjour aux gendarmes, aux policiers et aux douaniers, nous nous élançons sur cette piste jalonnée de cadavres de véhicules. Le chemin n’est pas toujours clairement indiqué, et ce qui devait arriver arriva: nous prenons un mauvais embranchement et nous nous ensablons! Aussitôt, des enturbannés apparaissent. Que nous veulent-ils, et mon vélo, va-t-il attirer leur attention?? Finalement, tout se passe bien. Deux d’entre eux sont des chauffeurs d’un autre camion: solidarité « chauffeurienne »! En revanche, deux autres ont l’air beaucoup plus louches, surgissant de derrière une dune. Ensemble, nous poussons la voiture, dégonflant les pneus. On essaye de trouver une adhérence, une accroche. Finalement, après une vingtaine de minutes d’effort, la voiture avance de 10m! Le moteur chauffe, 120°C, il faut attendre, trouver de l’eau pour refroidir le tout. Deuxième acte : on pousse encore plus fort. Cette fois-ci, c’est plus facile, la voiture jaillit du sable, et enturbanné (le plus louche de tous) qui est au volant part à toute allure, nous laissant tous plantés sur place. « Mon vélo »! (avec la voix de Bourville dans La Grande Vadrouille). Quelques instant de semi-panique, mais heureusement, c’était une farce, le chauffeur s’arrête 100m plus loin. Peu à peu la frontière Mauritanienne se dessine, les uniformes changent, et là …

Nouadhibou

…Ça y est, je rentre en Mauritanie! Je suis excité car je ne connais rien de ce pays, si ce n’est pour sa réputation de pays hautement à risque. Al Qaida au Maghreb Islamique, prises d’otages, les événements des dernières années ont fait une très mauvaise publicité au pays. Afin de prendre la température, je fais donc étape à Nouadhibou, chez François, au « Cabanon 3 ».


Nouadhibou, à l’instar de Dakhla, est situé sur une presqu’île qui s’enfonce dans l’Océan Atlantique sur une cinquantaine de kilomètres, parallèlement à la côte. La maison de François est située à dix kilomètres de la ville, les pieds dans l’eau. Elle est orientée vers le continent, côté lagune. Ici, on est loin de tout complexe touristique classique, il s’agit plutôt d’un mixte entre auberge, maison d’hôte, et base de loisirs à usage des aventuriers! Pour trouver le Cabanon 3, il vous faut emprunter une piste de dix kilomètres (quand celle-ci n’est pas inondée par la marée), traverser un bidonville et slalomer entre les ornières pleines de sable pour rejoindre ce mini-hameaux paradisiaque. Et si la marée vous coupe du monde, vous pouvez toujours rejoindre la ville en bateau! François a une spécialité, ce sont les raids en motos, en 4×4. A 22 ans, il est parti avec des copains faire une boucle dans toute l’Afrique de l’Ouest. Avec les quelques motos à disposition dans le garage, il propose plusieurs circuits dans tout le pays, que ce soit dans les dunes de l’Adrar ou dans le parc côtier du Banc d’Arguin. Mais ce n’est pas tout, il organise aussi des treks côtiers autour de l’immense et magnifique Baie du Lévrier. Les marcheurs évoluent sur le sable, pieds nus, pendant plusieurs jours dans un décor somptueux! Ce type de parcours correspondrait parfaitement aux amateurs de pêche car l’eau y est extrêmement poissonneuse, et c’est un vrai régal que de cuisiner sur un feu
sa courbine. Malheureusement, ce n’est pas facile de faire venir des gens quand le site internet de la diplomatie française annonce la Mauritanie comme étant un pays extrêmement dangereux où tout le monde peut se faire kidnapper n’importe quand !

A la base, je ne voulais pas abuser de l’hospitalité de François, et je ne comptais dormir qu’une nuit, mais finalement je reste 3 nuits au Cabanon! Comme à Tiznit, à 1400km, je souffle. Je fais ma lessive, Philou m’aide à laver ma chaîne de vélo, je rattrape un petit peu mon retard de rédaction…etc. Le deuxième jour arrivent deux couples de Nouakchott qui profitent d’un week-end prolongé pour se ressourcer au Cabanon: Tom/Manu et Saleck/Fé. Nous faisons connaissance, puis sympathisons autour d’une partie de Uno nocturne. Tom est anglais et travaille au sein de la commission européenne d’aide au développement. Manu est professeur à la fac de Nouakchott, c’est un expert de littérature mauritanienne francophone. Saleck est mauritanien, et sort avec Fé, franco-allemande, qui vit à Paris. Lors des repas, de nombreuses discussions et débats concernant la Mauritanie et la région saharienne m’apprendront énormément sur la politique, l’histoire et les compositions ethniques de cette région du globe.
D’après eux, le pays est relativement sûr, en tout cas pour ce qui est de la partie côtière de la Mauritanie. Je n’ai donc rien à craindre entre Noadhibou et Nouakchott. Suite aux enlèvements d’occidentaux perpétrés par Al Qaida au Maghreb Islamique il y a quelques années, le gouvernement a mis en œuvre des mesures drastiques pour chasser les terroristes du pays et assurer la sécurité des voyageurs. Je vais bientôt pouvoir en faire l’expérience!

Nouadhibou-Nouakchott au fil des checkpoints

Je profite du départ des 4 compères pour me faire déposer au niveau de la frontière marocaine. Reconnaissant, je quitte François et Philou. J’espère les revoir un jour, à Genève, à Chamonix, ou ailleurs.

30 septembre, 12h30, me revoilà sur la route. Cette fois il fait chaud, et le vent pour se venger de mon infidélité, a tourné. Faché du fait que je lui ai préféré une voiture il y a quelques jours, il a décidé de changer sa direction: pendant 4 jours, le vent ne sera plus un allié, mais un ennemi à combattre.

François m’annonçait cette partie du Sahara comme étant un Must. Eh bien, c’est le cas ! Le désert commence en étant très jaune, plein de sable, et … très désert ! Pas grand monde, de la chaleur, du vent de face. C’est bien, je ne m’imaginais pas une traversée facile du Sahara. Mais au bout de 200km, les dunes se voient couvertes de quelques touffes d’herbes, de quelques buissons. En se rapprochant de Nouakchott, on se rend bien compte que la saison des pluie vient de se terminer, les paysages sont magnifiques tant les verts sont variés et contrastent avec les jaunes-orangés des dunes . Le premier jour de cette traversée, je profite d’une tente de nomade plantée à côté de la route pour faire baisser la température de mon corps. La dame qui tient cette tente me propose une grosse platée de riz/poisson pour 500 Ouguya (un peu plus d’1€), ainsi que du thé. J’accepte. Dorénavant, je suis à l’affût de ce genre de tentes/restaurants. Ils constituent une pause bienvenue.

Alors que la nuit s’apprête à tomber, je repère deux buissons qui pourront me protéger du vent. Je plante donc ma tente à proximité en prenant soin de bien l’orienter. En effet, le vent soulève des grains de sables qui, passant sous ma toile de tente, viennent buter contre la moustiquaire. Celle-ci fait office de tamis et laisse passer les grains de sables les plus fin. En cas de mauvais calcul, je me trouve, au matin, recouvert d’une fine poussière blanche et j’éprouve de la difficulté à respirer avec le nez !

Bref, je campe entre ces buissons, tout va bien quand j’entends une voiture se rapprocher. Un coup d’œil dehors : des phares se dirigent à toute allure vers ma tente. Je mets mon t-shirt, attrape mon passeport et ma balise Spot, au cas où (genre Al Qaida enlève les gens sans les fouiller…). C’est la gendarmerie, ouf ! Un officier sort, vêtu d’un boubou il m’annonce :

« –  vous êtes en zone à risque monsieur, c’est pas bien de camper ici !

– Pourtant je suis caché ici, non ? Comment vous m’avez trouvé? 

– On voit les bandes réfléchissantes de votre vélo depuis la route, il faut venir avec nous ; on va vous déposer en lieu sûr. » 

Il est 23h, Je remballe tout mon matériel, range ma tente que j’ai si soigneusement planté, et monte dans leur pick-up. 10Km plus loin, ils me désignent une zone  »sûre ». Pour veiller sur moi, ils montent un barrage routier, et restent à proximité de la tente toute la nuit ! C’est pas tous les pays qui veillent ainsi sur les voyageurs !

Le lendemain, tous les 50km, je rencontre une autre patrouille, qui contrôle les passeports des routiers. Tous sont sympathiques, ils s’appellent de postes en postes, demandent aux voitures qui passent s’ils ont vu un toubab à vélo, bref, je suis le feuilleton de l’été! Un soir, je partage leurs nouilles au méchouis, un midi, je cuisine des lentilles sous leur tente. A chaque fois, je passe de bons moments en compagnie de ces jeunes gendarmes souriants.

Les usagers de cette route sont aussi très sympathiques. De temps en temps une voiture s’arrête, et on me demande si j’ai besoin de quelque chose. Souvent, j’accepte une bouteille d’eau. Scène irréelle le deuxième jour. Un pick-up s’arrête et un mauritanien grisonnant sort de la voiture. Sont boubou virevoltant autour de lui, lui donne des airs d’empereur du désert. Il tient entre ses mains une cocotte-minute. Il l’ouvre devant moi, et avec un grand sourire me tend un bout de dromadaire sanguinolent ! Quelle générosité ! Mais, je dois refuser, ce bout de viande ne m’inspire pas confiance. Je prétexte un manque de place dans mes sacoches. Il retourne vers sa voiture et arrache le paquet de biscuit des mains de sa femme (qui ne veut pas le lâcher) et va chercher une bouteille d’eau. Cette fois-ci, je ne fais pas la fine bouche, j’accepte avec le sourire !

A propos de viande, tous les kilomètres une odeur nauséabonde envahit mes narines : une carcasse ! J’en croise depuis la Suisse, plusieurs dizaines par jour. Elles sont de précieuses sources d’informations. Grace à elles, je peux notamment établir un petit inventaire de bêtes peuplant les contrées que je traverse. Actuellement je croise beaucoup de gerboises, de chèvres, de poissons (!?), d’ânes, de vaches ou même de dromadaires ! Malheureusement toutes ces jolies bestioles sont écrasées et en cours de décomposition!

Au fil de ces charmantes rencontres, la route se poursuit pendant 4 jours, et 450km. Le trajet est plus éprouvant que dans le Sahara Occidental, mais je sais qu’au bout je vais avoir une récompense de taille ! Et pour cause, à Nouakchott  Manu et Tom m’attendent avec un frigo rempli de bière belges !

A suivre ….



Chapitre 9: Le Sahara Occidental à 35km/h!

Nouadhibou, Baie de l’Etoile, J66

Une maison au bord de l’eau, une chambre et un lit avec des draps propres, des plats de poissons pêchés à 100 mètres de là, une chaleur supportable et une compagnie franco-suisse amicale. Pour savoir comment j’ai atterris dans ce semblant de paradis, revenons une semaine en arrière.

Je vous avais laissé à Tan Tan plage, J58. Déjà, c’était top pour commencer ma traversée du désert. Dans cette auberge-camping tenue par Christine une bretonne, j’y ai trouvé l’El Dorado : une bibliothèque remplie de Picsou Magazine ! Le rêve, en cuisinant, en dînant, en me brossant les dents et en petit-déjeunant, j’avale ces bandes-dessinées de Barks et Don Rosa qui ont bercé mon enfance. Difficile de décoller dans ces conditions, mais il faut y aller. La route jusqu’à Lâayoune, la prochaine étape, est longue, plus de 300 km.

Finalement, il est 9h quand je me décide à enfourcher mon cheval en alu pour partir conquérir ces étendues du « Far South ». Ciel couvert, vent de dos, température douce, je ne pouvais pas entamer le Sahara dans de meilleures conditions. Je vole, je surfe sur le bitume, et ce vent du Nord qui souffle sans discontinuer me porte en une petite journée à 135 km de là, au creux des dunes où je plante ma tente. Caché de la route par une petite Barkhane, la tente manque de s’envoler. Enfin, je peux passer du temps à étudier le ciel, magnifique. Je sors le livre que Paris et Catherine ont dédicacé et je pars à la recherche de Véga, de Pégase, du Cygne ou encore du… Scorpion. Heureusement, ce soir il est au dessus de moi, et pas sous mes pieds. Mission accomplie, je les ai tous trouvés, et je peux dormir tranquille, en me réjouissant d’une nouvelle journée dans le désert.

La route entre Tan Tan et Laâyoune, bien que décrite par mon guide Lonely Planet comme étant longue et monotone, m’émerveille. Dunes de sables gigantesques non loin de la route, bulldozers devant de temps à autre déblayer la route ensevelie à la manière de nos chasse-neige lausannois en plein janvier, Océan Atlantique à un jet de pierre à ma droite, cabanes de pêcheurs isolées, etc… Heureusement, je peux compter sur quelques haltes bien méritées, pour manger et me ravitailler en eau. Ainsi, je m’arrête manger une tajine à Tarfaya, petite ville de 5’000 habitants célèbre grâce à Saint-Exupéry. J’en pars à 13h30, Lâayoune se trouvant à plus de 100 km, je ne pense pas y arriver ce soir, mais là, coup de théâtre: vent ultra puissant en plein dans le dos! Je fonce! 35 km/h de moyenne sans efforts, j’arrive à Laâyoune en 3h30.

Sahara Occidental

La bande de terre aride et inhospitalière coincée entre le Maroc et la Mauritanie se nomme Sahara Occidental. Ancienne colonie espagnole, le Sahara fut laissé aux mains des marocains durant les années 70 alors que les armées du Front Polisario tentaient tout et n’importe quoi pour obtenir leur indépendance. Malheureusement pour eux, Hassan II, rêvant d’un Grand Maroc colonisa cette terre dès qu’elle fut désertée par les espagnols. À première vue, on se demande quel est l’intérêt d’occuper ce bout de désert aux apparences si pauvres. Il s’avère que le sous-sol Sahraouis est potentiellement très riche (uranium, phosphate et possiblement beaucoup d’or et de pétrole), et que ses côtes sont extrêmement poissonneuses. De plus, il abrite l’une des rares routes commerciales transsahariennes bitumées reliant le Maghreb à l’Afrique Noire. Bref, les « colons marocains » ne veulent pas lâcher l’affaire, et les sahraouis sont parfois victimes de discriminations, d’arrestations sommaires et de passages à tabac. La population locale est poussée en périphérie des rares villes du désert (Laâyoune compte tout de même 200’000 habitants!) et stockés dans des banlieues allant de l’habitat en briques aux bidonvilles les plus insalubres.

En Europe, j’avais entendu parler de temps en temps de la cause Sahraouis. Il y a quelques années, j’ai vu ces images des soulèvements populaires en plein cœur de la capitale, aussitôt matés par les forces marocaines. Pourtant, je me suis rendu dans ce pays sans trop savoir à quoi m’attendre. C’est vrai que chez nous, on entend plus parler du Kosovo, de la Palestine ou encore du Tibet. Finalement, je me suis très vite retrouvé plongé au cœur du combat que mènent les militants sahraouis pour l’indépendance de leur nation.

L’interview

Il y a plus d’un mois, à Valence, j’ai rencontré Ahmed. Ce jeune sahraoui est parti pour l’Espagne afin d’acquérir les outils, les contacts et les connaissances nécessaires pour mener à bien sa lutte pour l’indépendance. En l’espace des quelques minutes qu’a duré notre discussion, il a réussi à me résumer toute l’histoire de son peuple, il m’a fait part de ses convictions, de ses espérances. En partant, il me laisse ses coordonnées afin que je le contacte en arrivant à Laâyoune. Ainsi, le soir même de mon entrée dans un centre-ville bondé de 4×4 blanches de l’ONU, je vais manger avec lui et son frère dans un snack quelconque. Aussitôt, je me trouve plongé dans l’ambiance. On se croirait dans les films sur la résistance française durant la 2ème guerre mondiale. Ils s’assoient face à la porte, et ne la quittent rarement des yeux. Ils parlent bas, switchant de l’espagnol au français, en regardant si des gens les écoutent. Ils me demandent si je veux rencontrer et interviewer des « victimes des colons marocains ». J’accepte. Ahmed me contactera demain pour me donner plus d’infos. On se sépare, il est 22h30, je les regarde s’éloigner dans la nuit et je me demande si je les reverrais un jour (bon, ok, j’en rajoute).

Le lendemain, pas de nouvelles. Je tue le temps en partant à la découverte de la ville. Le centre est propre et semble plus riche que de nombreuses villes que j’ai traversé jusque là. Mais quelque chose m’interpelle : les gens avec qui je discute sont souvent originaires de Casa, de Rabat, ou d’Agadir. Mais où sont les Sahraouis? La réponse tombe très vite. A 15h30, mon téléphone sonne. Ahmed: « William, dans 3 minutes en bas de l’hôtel, on a une voiture! ». En un rien de temps, je me trouve à débouler dans les rues de Laâyoune en direction de la périphérie en compagnie de 7 autres personnes, serrés comme des sardines dans cette petite voiture. Ahmed me briefe : Je vais rencontrer une dame qui est devenue aveugle après avoir été battue par des policiers marocains. Ils passent chercher MN, jeune étudiante qui servira d’interprète anglais-arabe. A un croisement, Ahmed sort de la voiture en me lançant un « on reste en contact ». Je comprends donc la nécessité d’avoir une interprète, je ne pensais pas le trouver seul, sans Ahmed.

Dans cette voiture pleine d’inconnus, en route pour une direction mystérieuse, je me demande dans quel pétrin je me suis fourré. La voiture s’arrête devant un petit immeuble, et nous, MN, une autre fille et un homme, sortons de la voiture. Nous pénétrons dans l’habitation. Il fait très sombre, la salle dans laquelle nous nous rendons est recouverte de tapis et de petits matelas parsemés de coussins longent les murs. Une dizaine de femmes sont présentes dans cette pièces, certaines battent une pâte avec un fouet, d’autres font du thé : le terme « pièce à vivre » prend ici tout son sens. D’autres femmes, aux visages graves sont réunies autour d’une dame un peu grosse, avachie sur les banquettes, sont regard est vide, il ne suit personne des yeux : Sahna (ndlr : nom fictif), la victime! Tandis que la pièce se vide, mes compagnons et moi sortons le materiel: un spot pour éclairer le sujet, mon appareil photo posé sur mon petit trépied. Une dame s’installe à côté de Sahna, c’est sa soeur. MN et moi prenons place derrière la camera: l’interview peut commencer. Je sens que c’est très important pour tout le monde dans la pièce qu’un étranger fasse passer le message de leur lutte en dehors des frontières, je prend mon rôle de témoin-messager très au sérieux et tache d’avoir l’air le plus professionnel possible.

Malheureusement, je ne comprends pas tout ce qui m’est raconté. Apparemment Sahna se trouvait avec d’autres militants qui manifestaient dans le calme il y a 2 jours. Lorsque les policiers ont débarqués, ils ont passé à tabac tout le monde, sans distinction, hommes, femmes, enfants. Sahna aurai reçu plusieurs coups au visage, jusqu’à en perdre la vue. Ses amis l’ont bien amenée à l’hôpital militaire de la ville, mais quand les médecins ont appris ce qui était arrivé, une militante sahraouis battue par des policiers marocains, ils l’ont mise à la porte, en la traitant de menteuse, et en disant qu’elle fait de la comédie et qu’elle voit parfaitement. Cela fait donc 2 jours que la pauvre Sahna est ainsi livrée à elle-même, ne sachant pas si elle pourra revoir un jour. Son visage grave laisse paraître le découragement et une immense lassitude. J’essaye de trouver des paroles réconfortantes, elles sont vaines. Elle sourit enfin lorsque je pose en photo avec elle et qu’elle lève les deux doigts pour former un V: « Sahara Libre » me dit-elle…

Vers Dakhla

Le lendemain de cette aventure, je reprends la route. 520km jusqu’à Dakhla, autre grande ville du parcours. Le vent est encore de la partie, je pédale comme un fou, m’arrêtant le moins de fois possible pour ainsi profiter un maximum de ce coup de pouce d’Eole. Ainsi, je fais tout en roulant. Je mets en place le système pour écouter de la musique (très important!), je bois, je mange, j’enlève et remets mon t-shirt suivant les envies, je me mets de la crème solaire, je me coupe les ongles, je me filme, prends des photos, j’arrive même à lire en roulant!

Certes le vent me pousse, mais la route est longue et assez monotone. Ca n’entame pas mon moral qui est au plus haut depuis cette entrée dans le désert, mais je dois passer dans un état second pour faire passer le temps. Temps qui défile à une autre vitesse qu’à l’accoutumé. Tantôt, le temps passe lentement, tantôt à l’instar du vent, il file!

 Les bornes kilométriques m’y aident. J’ai attrappé la route nationale 1 à la borne 800km. Petit à petit, je les ai toutes remontées jusqu’à 2011. Ainsi, je révise les grandes dates de l’Histoire : 1492, 1515, 1848, 1914…etc, puis arrivent les dates, plus récentes, qui correspondent aux années de naissances de proches, ou de moments clés de ma propre histoire. Je me fais le film de ma vie étape par étape, de kilomètres en kilomètres. Des bornes 1988 à 2001, je pense à mon enfance à Paris, et quand nous allions tous les week-end au Havre. Les moments passés avec mes grands-parents et les cousins, les fêtes de famille et les parties de foot chez mamie à Hermeville. Bornes 1996 et 2001, les basculements avec à la clé le départ pour la Suisse. Une vie à refaire, des marques à prendre: la vie de William, acte 2! Et dès 2000 les évènements plus récents: le collège, le gymnase, l’uni. Avec 2011, je me rappelle des moments de rigolade chez Athléticum avec les collègues, mais aussi les moments de rush lorsqu’arrivait les clients qui voulaient louer les skis. Je me replonge à la Sarraz, quand je travaillais chez Drafil, et que j’éventrais les vieux duvets pour récupérer les plumes et les mettre dans l’épuratrice. Ces souvenirs me font sourire : chaussures de skis et duvets, c’est bien la dernière chose utile dans ces contrées.

Sur ces mêmes bornes est inscrit la distance me séparant de la prochaine ville. Le nom de la ville est aussi écrit en arabe, du coup, je m’entraîne à reconnaître les caractères arabes. J’écoute la musique à fond! Passant des accords des touaregs électriques de Tinariwen à la folk hallucinée des Blacks Rebel, du hard énergique de Metallica aux mélodies envoutantes et calme de Sigur Ros. Je chante à tue-tête avec Renaud et les Ogres de Barback. Je suis fier, il ne pleut pas, c’est que je dois assurer ! En même temps , dans le désert…

J’etabli un nouveau record: 190 km ! La nuit m’empêche d’atteindre les 200 km, mais au barrage de police à l’entrée de la ville de Boujdour, je fais connaissance avec les occupants de la première voiture suisse rencontrée au Maroc : François et Philou. François vit entre Genève et Nouadhibou, il y a une maison (on y reviendra); Philou, de Chamonix, vient passer quelques semaines de vacances chez son pote, il n’en ai pas à son coup d’essai, il connaît bien le secteur.

Nous dormons dans le même hôtel, et François m’invite à passer quelques jours chez lui quand j’arriverai à Nouadhibou.
Deux jours plus tard, j’arrive à Dakhla. Entre temps, j’ai passé une nouvelle nuit dans le désert, dans un endroit somptueux. A 500 m de la route, au bord d’une falaise surplombant à la fois l’océan et une sorte de canyon gigantesque. Au fond, je peux apercevoir des pêcheurs et leur campement. Seul bémol, le vent manque de faire valdinguer une nouvelle fois la tente car le sol interdit tout encrage. Je la fixe donc solidement aux sacoches alourdies par des pierres et au vélo.

Dakhla

La baie de Dakhla est célèbre dans le monde entier. Magnifique, elle offre des spots de kitesurf qui attirent les riders du monde entier. Au loin, on peut voir les voiles se détacher sur l’horizon. Je passe une journée dans la ville de Dakhla, mais je n’y trouve aucun intérêt, à l’exception peut-être du fait que je me retrouve presque au cœur d’une émeute. Me baladant naïvement dans la rue, un type m’accoste et me dit de faire demi-tour en me montrant le bout de la rue, et me dit: « Là-bas, gens très mauvais, violence, tu dois pas aller là-bas, il n’y à rien à voir ». En effet, autour de moi les magasins ont tous fermé, les restos et les snacks aussi. Il est 14 heures, et moi qui voulais manger un truc, me voilà bien. Un snack n’a pas encore complètement fermé, il m’accepte à l’intérieur, et j’avale une tajine dans le noir, entre le frigo et les chaises empilées. Dans ce petit snack, les proprios veulent me cacher on dirait. Finalement, je regagne le camping à l’extérieur de la ville sans avoir aperçu les soi-disant émeutiers. J’apprendrais par la suite qu’il y a eu presque 15 morts, et que ces heurts ont étés provoqués par la défaite de l’équipe de foot locale !

A suivre…


Chapitre 8bis: …au Sahara!

Le Tizi N Test! Une référence! Ce col est connu partout en Europe pour qui a déjà vadrouillé au Maroc. A une centaine de kilomètres de Marrakech, il permet de franchir le Haut-Atlas et de verser dans la Vallée du Sous en direction d’Agadir, de l’Atlantique… et du Sahara!

Le Tizi

Après quelques kilomètres de descente pour rejoindre Asni, la route commence à serpenter. Serpenter, c’est bien le terme : elle longe l’Oued Jesaispluscomment sur des dizaines de kilomètres. Tantôt elle s’éloigne du talweg, monte sur le flanc d’une montagne sur 100 ou 200m, puis replonge vers cette rivière au cours quasi asséché. Ces montées et descentes successives sont fatigantes, et surtout, elle ne me font pas gagner d’altitude de manière significative.  Vers 13h, je pense avoir fait une bonne approche. La montée finale ne doit plus être très loin, je m’accorde donc une pause-tajine dans un petit resto. 2euros la tajine et le thé : ça passe! Mais, quand je demande des infos au cuistot, il me dit: « Le col, 35km comme ça » (le « comme ça » est authentique, ils disent tous ça!). Et vlan, le moral en prend un coup, je vais encore pédaler un moment avant de voir à quoi ressemble la montée! Je reprends donc la route, et à une vingtaine de kilomètre du Tizi, je l’aperçois!
Oh, il n’a pas l’air si terrible comme ça. Mais attendons pour voir! La route n’est certes pas très pentue, mais elle serpente de plus belle, avant de s’engouffrer au fond des moindres vallées voisines, louvoyant au sein de toutes les combes du versant! Ces 20km dureront une éternité! Heureusement, 1) les paysages sont magnifiques! 2) Une voiture s’arrête et là je fais la connaissance de…

Oli, Austin, David and Rosie

Dans la montée, une voiture blanche s’arrête et 4 jeunes Anglais en descendent. Les présentations se font, et les similitudes entre mon cas et celui d’Austin sont frappantes! Parti il y a 40 jours en vélo de Londres avec un copain, il est arrivé à Marrakech où ses autres amis l’ont rejoint pour une semaine de vacances plus traditionnelle. De plus, Austin est, comme moi, Bachelier en Géographie depuis cette année, et a fait un camp de géomorphologie à Arolla! Pendant cette longue montée, ils m’attendront plusieurs fois, Oli me prenant en photo depuis la fenêtre de la voiture afin de garnir mon site de photo de moi en situation. Pour les 10 derniers kilomètres, ils prendront même un de mes sacs dans le coffre de leur voiture afin de m’alléger.

Il n’y a rien à faire, la route semble ne jamais vouloir s’arrêter de monter. Quand j’arrive à ce que je crois être le col, je réalise que la montée continue sur plusieurs kilomètres! Ces sortes de faux-cols me feront de faux espoirs plusieurs fois! Finalement, j’arrive au sommet du Tizi N Test en même temps que le soleil se couche. Je suis complètement mort, j’ai des frissons qui me parcourent le corps et je perds mon appétit (c’est pour dire!).

Heureusement, les Anglais m’attendent et sont à mes petits soins. Avec cette équipe, je passe une soirée très agréable dans le refuge du haut du col. Nous sommes les seuls pensionnaires, entassés dans un dortoir tout confort.

Le lendemain, la descente est divine! Arcade Fire à fond, je dévale les 30km de lacets en moins de deux. En bas, c’est l’heure des adieux, je me sépare des British qui vont vers l’Est.

Des camions et des scorpions

Enfin en route vers le vrai Sud! Je passe à quelques kilomètres d’Agadir et bifurque en direction de Tiznit, à 90km. Cette 54ème journée passée sur la route est chargée en émotions. Problème majeur avec ce nouveau tronçon routier: la route est étroite, si étroite que je fais ma première chute! Normalement, je reste sur la route coûte que coûte. Je ne vais pas me rabattre parce que Monsieur le camionneur n’arrête pas de klaxonner pour éviter de faire un petit écart sur la voie d’en face. Cette fois-ci par contre, je ne le sens pas. J’observe le camion qui arrive à tout allure grâce a mon petit rétroviseur. Il ne veut vraiment pas se décaler le con! Comme je sens qu’il va vraiment me frôler, je me mets sur le bas-coté, alors que je circule à vitesse de croisière. L’irrégularité soudaine du sol, ainsi que la bourrasque provoquée par l’appel d’air du semi-remorque me précipite face contre terre en moins de deux. Plus de peur que de mal: quelques égratignures au bras gauche et c’est tout. J’ai de la chance. Notons tout de même la préoccupation de deux automobilistes qui se sont aussitôt arrêtés pour savoir si je n’avais rien de cassé. Il n’y pas que des cons sur les routes!

Deuxième fait marquant: j’arrive réellement dans des contrées désertiques! A 30km de Tiznit,je plante ma tente dans le sable, entre des buissons d’épineux à quelques centaines de mètres de la route. Je suis en sandales, j’ai la joie de vivre et je secoue la tête comme un idiot en écoutant ma dernière découverte musicale (merci Marion!): Gogol Bordello! Je mange mon plat de pâtes les pieds dans le sable et prévois de passer un moment allongé à côté de ma tente pour regarder les étoiles (quel ciel!). Mais voilà… En mangeant, le faisceau de ma lampe frontale se pose sur une forme étrange à quelques centimètres de mon pied. Je me rapproche: UN SCORPION! La bouffée d’adrénaline! Je me lève la casserole à la main et sonde aussitôt les alentours. J’en distingue un autre à 1 mètre. Je ne vais pas plus loin, je me dépêche de remballer toutes mes affaires et part me réfugier dans ma tente. En m’endormant, je réalise à quel point j’ai été chanceux! A 10cm près et j’étais bon pour faire du stop pour aller à l’hosto!

Tiznit

Le jour suivant je ne fais que 30km. Je m’arrête au camping de Tiznit que je trouve fort sympathique. A la base, je ne voulais m’arrêter qu’une nuit, mais j’ai pris racine pour une deuxième nuit. Premier objectif de cette halte: me reposer car  je n’ai pas arrêté depuis mon départ de Marrakech. Deuxième objectif: je dois prendre une décision. A Rabat, je n’ai pu obtenir qu’un visa de deux semaines pour traverser la Mauritanie, c’est suffisant. Le problème, c’est que celui-ci commence le 20 septembre et finit le 5 octobre. Il faut donc que je sois au Sénégal dans moins de trois semaines! Plus de 2’300km de route en 18 jours, c’est beaucoup trop, je vais devoir prendre le bus. Je décide de le prendre une première fois de Tiznit à Tan Tan, à environ 200km. Ainsi, je me trouverai directement dans le vif du sujet : en plein Sahara.

Ces deux jours passé dans le camping de Tiznit sont riches en rencontres et en bons moments! Les occupants des 4 camping cars français qui occupent la place se réunissent le soir pour l’apéro, pour le dîner, pour le déjeuner, pour les parties de pétanque, et à chaque fois je me joins à eux! Trois couples sur quatre sont retraités et Michèle et Alain nous invitent les deux soirs à passer la soirée « chez eux ». Roger, de la région parisienne, a un tatouage Johnny sur l’épaule. Pierre-Louis (ou était-ce Charles-Jean, Marc-Antoine? dieu sait comment il s’appelle, tous les jours ça changeait) a tout plaqué avec sa femme à 40 ans pour partir voyager un an autour de la Mediterrannée. Françoise donne des coups de coude à Dominique quand celui-ci s’emporte et dit trop de conneries. On boit, on rit, on part commander des pizzas à 5min des fermetures, on se fait un couscous dans un resto avec un bar clandestin derrière notre table, j’arbitre (hum) les parties de pétanque. Peu à peu j’entre dans l’ambiance et le départ n’est pas facile. Je n’avais jamais expérimenté des vacances en camping avec des pros du campingcaring. Peu importe les a priori que certains peuvent avoir, les moments passés avec ses voisins d’un jour sont mémorables!

Sahara…

Ce soir, je suis arrivé a Tan Tan en bus. Drôle de sensation que de « couper » le fil ininterrompu que j’avais déroulé en pédalant à travers l’Europe et le Maroc. Pour la première fois, je transgresse le principe du fair means et prend un moyen motorisé pour faire un saut dans l’espace et avancer de manière significative sur mon itinéraire. Je ne le regrette pas car je n’ai pour l’instant pas vraiment le choix. En tout cas, les 25 premiers kilomètres parcourus à travers le désert m’annoncent la couleur: vent, camions, route étroite et rectiligne. Mais chose étrange: il fait « froid »!!!! Pas plus de 25-30°C: le pied!

Prochaine étape, la capitale du Sahara Occidental: Laayoune.


Chapitre 8: Du Toubkal…

Retour à Marrakech. Ces jours de repos m’ont fait du bien, je suis motivé, mais je ne me fais pas d’illusion, je sais qu’à tout moment je peux replonger dans l’ennui. A moi de trouver les moyens pour éviter que ça se reproduise!

Tout d’abord, en route pour le Haut-Atlas! Durant la première partie du voyage, j’ai réalisé que j’avais besoin de faire des marches; même si je ne fais pas de randonnées très régulièrement en Suisse, je sens qu’ici ça me manque.

Ainsi, de Marrakech à 450m je monte jusqu’à Imlil, 1’740m, petit village au départ des principaux treks que le massif propose. L’ambiance montagnarde me plait, même si on sent l’influence citadine de Marrakech. Je plante ma tente dans le jardin du refuge du club alpin…français. Tenu par une Française d’une soixantaine d’années, il s’apparente plutôt à une auberge de jeunesse. Le vrai refuge, toujours du CAF, il est là, en-haut, dans les rochers à 3’200m. Le lendemain, 1’400m plus tard, j’y arrive. Il est midi à peine. J’ai bien marché sur ce chemin ou cohabitent muletiers et trekkeurs européens. Heureusement qu’ils cohabitent car ces mules transportent toutes les affaires de nombreux marcheurs qui partent trekker plusieurs jours en compagnie d’un guide. Pour avoir rencontrer quelques uns de ces petits groupes, j’en arrive à la conclusion que ça doit être bien sympa d’évoluer ainsi, et de découvrir l’Atlas avec l’aide d’une personne qui en connaît un rayon sur l’histoire, la géographie et les us et coutumes de la région.
Au refuge, le vrai (3’200m), je dépose mes quelques affaires (puisque je n’ai qu’un petit sac de 10L avec moi, je n’ai quasiment rien), je mange un peu et commence à me prélasser et à discuter avec les autres trekkeurs. Il est 14h et je décide quand même d’aller explorer la vallée, et tenter d’apercevoir le Lac d’Ifin depuis un col. Je ne pars qu’avec mon appareil photo, de l’eau et un pull. Très vite je me rend compte que j’ai pris le mauvais chemin: je suis en train de monter vers le Toubkal! Tant pis, je me le réservais pour le lendemain, mais si dieu le veut…  »Inch Allah »!
J’entame donc la montée dans le pierrier, et… ça glisse! Peut importe ce que peut dire Murielle, grande militante anti-bâtons de marche, ici ils auraient été utile!

J’arrive au sommet vers 16h00. Je suis a 4’167m et je suis parti d’Imlil 8 heures plus tôt à 1’700m. En 6 heures de marche les 2’400m de dénivelés je les sens. Le manque d’oxygène me monte à la tête et j’ai un peu l’impression d’être sur un nuage. Comme qui dirait: « c’est un peu comme avoir fumé un demi-joint en prenant du poppers ». La vue est superbe. Ça vaut vraiment le détour! Je vois des montagnes arrondies, basses et très jaunes à l’Est, et des géants plus anguleux à l’Ouest. Au Nord on peut deviner Marrakech dans les nuages, et au Sud… encore des montagnes. Pour le Sahara il faudra attendre un peu!

J’arrive à rentrer juste avant la nuit, et surtout juste à temps pour le repas! C’est marrant, on se croirait dans un refuge au cœur du Valais: les cartes sur les murs, le piolet au dessus de la cheminée, mais ce soir on mange…de la tajine! On ne trouve pas des roestis ou des croûtes au fromage partout! 😀 Durant le repas je fais connaissances avec deux trios de Polonais et de trois jeunes Marrakechis venus 4 jours en vacances dans l’Atlas. Avec eux je discute pas mal. Ils parlent assez bien français et l’un deux est même allé quelques mois en Bretagne pour faire un stage d’agronomie. Dans le dortoir en revanche, je tombe sur trois Irlandais de 60 ans. Ils ont fait le Mt-Blanc et le Kilimanjaro, et cette année c’est le Toubkal. Eux, ce sont des vrais, le brandy coule à flot!

Le lendemain, après une nuit agitée et courte (pleine lune?), je repars vers le col d’où je peux apercevoir le fameux Lac d’Ifni. Il parait que sa couleur est exceptionnelle. Du haut du col, à 3’600m, je l’aperçois, mais rien de si exceptionnel. Je pense qu’il faudrait s’en rapprocher et s’y baigner pour apprécier.

Je redescends donc d’une traite jusqu’à Imlil. Les jambes en coton après 2’000m de descente, j’arrive dans le village et entend « William, William! » Mes trois amis marrakechis du refuge m’invitent à leur table et ensemble nous partageons une tajine à la manière où en Suisse on aurait partagé une fondue après une jolie course en montagne. Il faut que je prenne des forces car demain je reprends la route en direction du fameux col Tizi N Test….à suivre, tatatam!!


Chapitre 7 : Marrakech, balle de Break

Rabat à beau être la capitale, les rues de la médina sont relativement calmes, et l’excitation de Tanger, Casablanca ou de Marrakech semble ne pas atteindre cette ville de 1.5 millions d’habitants.

La spécialité de la partie de la médina dans laquelle je loge est les DVDs pirates, les fausses Converse et….des pigeons en plastique ! En effet, les « commerçants sans magasin fixe » (ceux qui installent un drap sur la route et qui vendent leur marchandise en plein milieu du passage) proposent des petits pigeons sur roulette qu’on peut remonter et qui roulent de manière aléatoire pendant 30 secondes. J’ai du mal à imaginer un touriste parisien, voir vénitien, achetant une réplique de leurs rats volants pour le ramener dans leurs cités !!

Remise en question

Mon séjour à Rabat a deux objectifs : faire le point sur ma motivation et obtenir un visa pour la Mauritanie. Cela fait depuis l’Espagne que le plaisir diminue jour après jour, et je n’arrive pas à profiter pleinement de ce qui s’offre à moi. Moralement je fatigue et je suis trop sur la défensive. A chaque fois qu’une personne souhaite se montrer généreux, je suis excessivement méfiant, au point de froisser la personne. En prenant du recul, je me rends compte que je n’ai pas de plaisir, et que j’intègre parfaitement le type de voyageur que je n’aime pas : bouledogues boudeurs, renfermés sur eux-mêmes et fuyant les gens. Je veux casser cette tendance, reprendre en main les rênes du voyage, quitte à revoir quelques détails et adapter mon itinéraire en fonction de mes envies.

Je décide ainsi de rejoindre Marrakech afin de sauter dans le dernier vol Easyjet possible avant d’entrer dans le désert. Certes, j’hésite un peu en me demandant ce que les gens penseront en me voyant rentrer après seulement 50 jours de vélo, mais je me dis que cette année, je la fais pour moi et pour personne d’autre. C’est moi qui ai choisi de faire ce voyage, et c’est à moi de l’adapter pour qu’il corresponde à mes envies et à mes attentes. Je dois faire en sorte de trouver le maximum de plaisir et si cela induit un retour prématuré, et bien ainsi soit-il ! Et puis, comme dit mon ami Paris : en passant Marrakech je passe le point de non-retour, « c’est-à-dire le premier point hors de portée d’Easyjet ». Si le coup de blues continue d’empirer, il ne me sera plus possible de rentrer en Suisse sans mettre en péril mon budget et ainsi le reste du voyage.

Rien de mieux qu’une semaine de vacances à la maison, profiter de mon oreiller, de mon chat, mais surtout de ma famille et de mes amis qui, à peine deux mois après mon départ, commencent à me manquer. Entre Rabat et Marrakech, j’effectue une liste des choses que je veux faire : un foot avec mon frère dans le jardin, des grillades avec de la VRAI viande, boire des bières fraîches en mangeant des pizzas avec Aru, Fred, Fabien & Co, un café avec Jean et Greg, manger une fondue et faire une marche en montagne avec les Géos, monter dans une grue de chantier avec Benoît (qui remplace Paris ;-)), faire du parapente avec une pro (Marion), rentrer à pas d’heures en stop avec Cath, et bien d’autres trucs. La perspective de ces petits plaisirs me remettent aussitôt d’aplomb.

Je me demande si ce court retour en Suisse me permettra d’acquérir la confiance nécessaire pour continuer les 10 mois tout seul. Un ami, Benoît, est motivé pour me rejoindre en Asie du Sud-Est. Ainsi, si le destin le veut, nous effectuerons une traversée Bangkok-Hanoï sur une durée d’environ un mois. Ce projet nous tient à cœur, et j’espère qu’il sera possible de faire ce tronçon en sa compagnie.

J’hésite aussi à varier un peu le mode de transport. Pourquoi ne pas voyager en Amérique du Sud avec uniquement un sac à dos et pérégriner pendant trois mois en Amérique du Sud en bus, en auto-stop et à pied ? En voyageant temporairement à la mode « backpacking » j’augmenterai ma flexibilité, et par conséquent, je pourrai peut-être me joindre à d’autres voyageurs (! avis aux candidats !). Finalement, je préférerai découvrir les Andes à pieds plutôt qu’en vélo, ne serait-ce pas l’occasion ? Durant cette semaine à Lausanne, je vais étudier cette option.

Bref, revenons à Rabat, et plus précisément à….

L’ambassade mauritanienne

Le second objectif de ces deux jours à Rabat est d’obtenir un visa à l’ambassade mauritanienne pour traverser le pays le mois prochain. Ainsi, le jeudi 25 août j’arrive aux abords de l’ambassade.

Dans une rue tranquille du quartier des ambassades se trouvent déjà une vingtaine de personnes attendant leur tour, un questionnaire et leur passeport  à la main. Nom, prénom, adresse dans le pays d’origine, adresse de l’hôte en Mauritanie, raisons de la visite, date d’entrée prévue, date de sortie prévue, etc. Il faut savoir inventer : je ne connais personne pour m’accueillir, je ne sais pas non plus combien de temps il me faudra pour arriver devant la frontière. Heureusement, il y a les habitués qui aident les novices. Je rencontre Hélène, une jeune marseillaise qui à vécu plusieurs mois en Mauritanie et qui y retourne pour les vacances. Durant cette journée devant l’ambassade je rencontre différents types de personnes :

Il y a ceux qui descendent une fois par mois en Afrique Noire avec des voitures ou des minibus surchargés de différentes bricoles. Jean-Pierre par exemple descend deux vélos de la poste ! Il connaît les routes sahariennes parfaitement pour les avoir empruntées pendant presque quarante ans. C’est le plus naturellement du monde qu’il nous propose un verre de Côtes-du-rhône en brique avec des glaçons! Peu importe la qualité du vin, ça passe ! A ces gens là, il leur faut 2-3 jours pour atteindre la Mauritanie depuis Rabat, Il m’en faudra 2-3 semaines.

Il y a ceux qui sont très pressés d’obtenir leurs visas et qui ne peuvent se permettre d’attendre jusqu’à lundi (on est jeudi) pour le recevoir. Samir, un hispano-égyptien vivant au Burkina Faso redescendait d’Europe avec son pick-up rempli de marchandises sensées garnir les étales de son magasin à Ouagadougou. Arrivé à la frontière mauritanienne, il se rend compte qu’il n’est plus possible d’effectuer le visa sur place. Une course contre la montre de 2’000km s’en suit : il gare son pick-up au bord de la route, un copain avec une voiture plus rapide vient le chercher pour le ramener à Dakhla à 500km de la frontière où il prend un avion pour Casablanca. Il saute alors dans un train et arrive à l’ambassade qui lui apprend qu’il devra patienter encore 4 jours (au lieu de 2 jours à cause des jours fériés) pour obtenir le fameux visa. Tous les tours de passe-passe sont alors permis pour tenter de briser les délais administratifs: dizaines de coups de téléphone à des connaissances qui ont elles-mêmes de vagues contacts au sein d’une quelconque ambassade dans un autre pays et qui, peut-être, connaissent l’ambassadeur à Rabat, bakchichs auprès de magouilleurs connaissant soit disant des fonctionnaires mauritaniens, prières en arabe, français, espagnol, anglais, etc.

Et puis, il y a les Africains, les vrais : les Nigériens, les Sénégalais, les Burkinabés, à qui on doit traduire le questionnaire s’ils ne parlent qu’anglais. Leurs sympathie et leur bonne humeur donnent déjà un avant goût de l’Afrique subsaharienne !

Ces instants passés sur le parvis de l’ambassade sont si riches que j’y reste de 9h à 15h. Sur le chemin du retour, je me fais rattraper par Mohammed. Un jeune Mauritanien en costar satiné et aux sonneries de portable kitch à mourir ! Il était lui aussi à l’ambassade et propose que l’on partage un taxi pour le centre-ville. J’accepte, mais ce que je n’avais pas compris (il parle très mal français) c’est qu’il voulait faire une escale à l’hôpital pour faire une visite auprès de je ne sais qui. Je me retrouve ainsi embarqué dans les couloirs d’un hôpital marocain pour rendre visite à un inconnu. Après 20minutes de recherche, nous arrivons dans la chambre d’un enfant de 10 ans. Son père arrive peu après, et il parle bien mieux français. Je comprends enfin que son fils est traité à Rabat pour son épilepsie et que Mohammed est un compatriote venu leur rendre visite. En revanche, ce que je ne comprends pas c’est la raison pour laquelle je suis ici. Après avoir bavardé quelques minutes, le père me raccompagne chaleureusement devant l’hôpital où je reprends un taxi pour le centre.

Rabat-Casablanca-Marrakech-Rabat-Marrakech-Genève

Je dois attendre mon visa pendant 4 jours. Je décide de quitter Rabat et de rejoindre Casablanca, puis Marrakech à 350 km au sud. Mon cours passage à Casa me permet de rencontrer les premiers cyclistes marocains de mon voyage. Ceux-ci me guident à travers les routes et les rues de la ville, me montrent la Mosquée Hassan II (l’une des plus grandes du monde avec un minaret de 122m !) et me conduisent jusqu’au camping situé au bord de la mer. Le lendemain, je rencontre une collègue marocaine de mon beau-père : Mahat. Elle me fait découvrir une autre facette du Maroc. Exit les médinas surpeuplés et les souks ultra-animés. Un tour de la ville dans une voiture climatisé (trop bien, je devrais l’installer sur mon vélo!) me permet de découvrir un Maroc plus moderne, occidentalisé, plus riche. Toutes les grandes marques ont leurs magasins, et Mahat m’invite même dans la boulangerie Paul ! Je déguste de bons sandwichs de chez nous, à la différence que l’indétrônable Jambon-beurre est remplacé par du « jambon de dinde-beurre ».

La route entre Casa et Marrakech est rectiligne et traverse des paysages de plus en plus secs et arides : le désert approche ! Les températures  supportables jusqu’alors dépassent les 45°C. La route qui disparait dans le lointain semble onduler légèrement à cause de la chaleur. La route est vivante, bouge, et les voitures qui me dépassent mettent plusieurs minutes avant de disparaître de mon champ de vision. Pourtant, les 250km me séparant de Marrakech sont avalés en un jour et demi : vive le vent quand il est de dos ! Je finis pour la première fois une étape (de 145km, s’il vous plaît !) avec une vitesse moyenne de 20km/h. Enfin !

Après ces 250km de pseudo-désert, j’atterris dans une sacrée ville ! La place Djema El-Fnaa de Marrakech est véritablement le poumon du centre-ville et offre de nombreuses scènes toutes plus insolites les unes des autres à qui s’assied à la terrasse d’un café pour boire un thé à la menthe. Montreurs de singes, charmeurs de serpents, dizaines de carrioles vendant du jus d’orange, groupes de touristes sortant du Club Med voisin, trekkeurs revenant de deux semaines de marche dans l’Atlas, etc. Je reste dans un petit hôtel à proximité de cette place pendant deux nuits. 2 mètres sur 3, pas de fenêtres, sols dégueux : dans cette chambre je passe de bon moments à me réjouir de mon retour imminent en Suisse. Malheureusement, j’ai des difficultés à trouver le sommeil, du coup je prends des dizaines de photos de ma personne qui sont publiées sur Facebook dans l’album intitulé « Délires psycho-insomniaques à Marrakech ». No comment…

Le lundi, je prends le train pour retourner à Rabat : en 5 heures défilent les paysages que j’ai traversé quatre jours durant. J’y récupère mon passeport à l’ambassade Mauritanienne et je recroise les personnes rencontrées quatre jours auparavant. J’apprends que Samir a réussi à obtenir son passeport le jour même. Je me demande si sa voiture l’attendait toujours dans le désert ! Je retombe aussi sur deux jeunes Anglais. Ils sont partis il y a quelques jours d’Angleterre au volant d’une Jeep dans le but de rejoindre le Sierra Leone d’où ils retourneront au pays pour la rentrée universitaire de septembre. Comme ils se rendent à Marrakech, je me joins à eux, et c’est dans la bonne humeur que j’effectue ce trajet pour la troisième fois, dans un troisième mode de transport.

Finalement, le Jeudi 1er septembre à 8h, je monte dans l’avion pour Genève. En trois heures je parcoure les 3’333km qui me séparent de la maison. Le contraste est aussitôt saisissant : la verdure, la propreté, etc. Je peux me balader devant les kiosques de la gare et de l’aéroport de Genève, en regardant les sandwichs et les magazines, en toute tranquillité. Ici, je ne risque plus de me faire harceler par les vendeurs !

Je finis ces lignes à J-2 du retour. Revoir mes amis et ma famille m’a fait du bien. Tous les bons moments passés cette semaine m’ont redonné envie de continuer, et c’est avec beaucoup plus de motivation que je vais aborder ces milliers de kilomètres dans la fournaise du désert. Le fait de changer de plans pour l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est m’enthousiasme énormément, et me donne envie d’aller de l’avant. Espérons que ça continue ainsi !

PS: Pour les photos, je vous donne rendez-vous sur la page facebook intitulée 20kmh.net – Tour du monde à vélo


Chapitre 6 : « Eh m’sieur, ça va ? »

Tnine-Serafah 

Je quitte donc Chefchaouen avec le sourire, en espérant que le moral va rester au top. La route que j’empreinte traverse des régions très peu visitées (qui est déjà allé à Ouezzane, ou à Tnine-Serafah ?), et partout autour de moi se trouvent des bergers (enfants ou vieillards) accompagnés d’un petit cheptel d’une vingtaine de moutons. Tous me saluent avec le sourire et des « Eh m’sieuuuuh, ça va ? » amicaux fusent autour de moi. Lorsque je m’arrête pour acheter à manger dans une petite ville, les commerçants s’inquiètent de mon itinéraire, demandent d’où je viens, et me vendent leurs produits pour la première fois à des prix raisonnables que je n’ai pas besoin de négocier ! La gentillesse des gens couplées aux beaux paysages que je traverse font que je suis de bonne humeur !

Je pédale jusqu’au soir et je me dis qu’au coucher du soleil, je m’arrêterai dans un quelconque resto pour y manger de la Harira, la soupe de lentille très consistante, parfois agrémentée de viande et de pois chiches que tout le monde mange à la fin du jeûne. Ainsi, je débarque dans un café d’une station service après 100km de route. Je m’installe à une table et attend tranquillement l’appel des minarets signifiant qu’on peut commencer à manger. Mais j’ai mal choisi mon endroit, ce n’est pas un restaurant mais juste un café ! Heureusement, le gérant ainsi que 2-3 de ses amis ou collègues m’invitent à leur table et je mange en leur compagnie une très bonne Harira accompagné de plusieurs petits plats à partir de viande et de pommes de terre ainsi que de dattes et de Chebakia (les fameuses friandises au miel que je mange à longueur de journée).

Bien sûr, quand je veux repartir, il fait nuit. Après quelques kilomètres pour sortir de cette petite agglomération, je sors de la route pour essayer de trouver un endroit discret pour planter ma tente. Alors que je pense avoir trouvé un endroit compatible avec mes attentes, deux personnes s’avancent vers moi. Je leur demande si ça les dérangent que je campe ici. Je ne comprends rien à ce qu’ils me disent, mais ils insistent pour que je les suive : Inch Allah, j’y vais. Nous nous enfonçons dans la nuit noire, en nous éloignant de la route. Après quelques minutes de marche, nous arrivons aux abords d’une maison. Ils m’invitent alors à pénétrer dans la cours intérieur où une femme lave du linge, où un enfant de 1 ou 2 ans gambade et ou deux chiens semi-sauvages aboient sans discontinuer. Apparemment, ces deux hommes m’invitent à passer la nuit dans leur demeure, et à la lueur d’un lampion, je découvre leurs visage et comprends enfin leurs noms : Badr, Norde. Ils sont frères, ont une trentaine d’année, et ne parlent pas un mot de français, d’anglais ni d’espagnol. Aussitôt, ils insistent pour que je m’asseye dans la salle principale : une longue pièce de sept mètres sur trois de large bordée de coussins ou de couvertures et avec une armoire pour seul et unique meuble. Aussitôt, un troisième frère, Driss qui est l’aîné, arrive avec un plateau-repas digne des grands restaurants : Harira, petits poissons frits qui se mangent comme une glace-esquimau en les tenants par la queue, salade verte et tomates incroyablement bien assaisonnée. Je suis très touché par leur gentillesse ! Ils insistent pour que je mange tout, malheureusement ce deuxième dîner consécutif est plus difficile à caser dans mon estomac. J’invoque des problèmes intestinaux pour justifier le fait que je ne mange pas tous les petits poissons. Je tente de leur proposer quelques dattes et Chebakia, mais ils ont déjà mangé, et se contentent de me regarder. Pendant ce temps, le petit Mohammed, le fils de Driss, s’est soudainement endormi face contre terre. Quand on le découvre ainsi à nos pieds, on éclate tous de rire, et Driss sont père se charge d’aller le coucher.

Pendant tout le repas, Badr, Norde et Driss ne disent rien, mais quand j’éloigne le plateau, la peau du ventre bien tendue, commence alors un dialogue hasardeux, fait de sourires, de gestes et de 2-3 mots arabes, français et espagnols prononcés en vain pour essayer de faire passer un message que l’autre fera, par politesse, mine de comprendre. Heureusement, j’ai un livre pour apprendre l’arabe qui comporte un petit lexique : « L’arabe pour les nuls ». Je sors mon album photo comportant les photos de ma famille et de mes amis et les leur présentent grâces aux quelques mots tirés de ce bouquins. Badr porte un maillot du FC Barcelone (très populaire dans toute cette partie du Maroc : environ un enfant sur trois que je croise porte un maillot de cette équipe !), du coup on prononce les noms des stars barcelonaises que sont Messi, Iniesta, Villa et Xavi, on rigole en évoquant la coiffure de Puyol, et on fait des grimaces en évoquant le Real de José Mourinho et de Ronaldo. L’avantage du foot, c’est qu’on peut en parler dans toutes les langues !

Finalement, je me couche par terre sur mon tapis de sol, couvert par les couvertures mises à ma disposition. Alors que je suis installé bien confortablement, Badr et Norde reviennent dans la pièce avec un bouquet de Cannabis, qu’ils trient et réduisent en poudre à quelques dizaines de centimètres de ma tête mais en silence. Dans le rif marocain, la culture du cannabis est une affaire de famille !

Kenitra

Les adieux avec Badr sont émouvants. Je suis touché par le sens de l’accueille de cette famille qui n’a ni électricité ni eau courante. Ils m’ont acceptés comme un des leurs, et ne m’ont rien demandé en échange.

Je reprends la route en direction de Rabat. Les vendeurs ambulants sur le bord de la route sont toujours là, mais la marchandise change. Des figues de barbaries, je passe carrément aux poulets et aux dindons vivants attachés en ligne à une petite corde. En plein soleil toute la journée, ils attendent d’être sélectionnés par un acheteur qui les feront figurer au menu du souper du soir.

Ce même soir, je décide de dormir à 40km de Rabat dans une ville quelconque : Kenitra. Je dégote un camping désertique, peuplé de chats errants, de trois bergers allemands, et d’un touriste sexuel fort sympathique ! En effet, je fais connaissance de Jean-Yves (n.d.l.r : prénom connu de la rédaction), 66 ans, qui vient de passer six mois cette année au Maroc à rendre visite à ses copines de vingt ans réparties entre Tanger et Agadir. « Je suis un peu comme les marins : une dans chaque port ». Il me raconte sont repas de la veille avec sa copine de dix-neuf ans, ainsi que les ébats qui ont suivit. Selon lui, les marocaines ne sont pas aussi prudes et réservées qu’on pourrait le croire, et il parle en connaissance de cause !

Rabat…

La ville de Rabat constitue un point crucial dans mon voyage en Afrique du Nord. C’est en effet dans cette ville que je dois acquérir mon visa pour la Mauritanie, et c’est aussi là que je prends une décision surprenante aux yeux de beaucoup de gens : rentrer en Suisse pour quelques jours. A suivre dans l’épisode 7 !

PS: Pour les photos, je vous donne rendez-vous sur la page facebook intitulée 20kmh.net – Tour du monde à vélo


Chapitre 5: Maroc: « Psssst Dirhams? »

Un dernier café glacé en terre européenne et hop je saute dans le bateau Tarifa-Tanger en 35min: à peine le temps de se préparer mentalement.

Et en effet, cette traversée rapide me propulse sur le continent Africain sans que je me sois réellement préparé à parer les coups, ou plutôt les « coûts »! A peine débarqué, je cherche un hôtel pour mettre à l’abri mes affaires et partir à l’exploration de la ville. Je passe de la ville des surfeurs In et cool à une médina surpeuplée, très colorée, et en bien des points me rappelant les bazars de Calcutta. Le problème, c’est que je suis un pigeon. Je suis un porte-feuille sur patte malgré moi, et j’ai l’impression de n’être à l’abri nulle part…

Tanger

A cause des 2h de décalage horaire, il est 10h du matin quand j’accoste, j’erre donc dans la ville pendant toute une après-midi et une partie de la nuit et je me fais donc pigeonner par le premier guide venu. Arrivant tout juste d’Europe, je me dis qu’il serai pas mal de prendre la température du pays avec l’aide d’un professionnel. Ainsi, j’accepte les propositions d’Abdul Aziz, guide depuis 43 ans, connaissant tous les beaux coins de la Casbah, la partie fortifiée et « riche » de la Médina. Aussitôt je lui demande son prix pour une heure de visite, je me dis que celui-ci ne doit pas excéder les 50 ou 60 dirhams, soit 5 ou 6 euros: Je rêve. Dans un premier temps il me dit que je peux donner ce que je veux, que c’est le coeur qui doit parler en fonction de s’il a aimé la visite, s’il apprécie le travail bien fait…etc. Je me crois tranquille et passe une heure et demie très sympathique à m’enfoncer dans des ruelles inexplorées de la Casbah: maison de Matisse, William Burroughs, Paul Bowles, ruines d’un ancien palais (« endroit secret, interdit au public, je ne montre qu’à toi! ») surplombant la mer ainsi que toute la Médina. Et à la fin de cette super visite, son ton mielleux change d’un coup, et d’une voix presque glaciale il me dit: « 60 euros s’il te plaît. » Alors ça c’est la meilleure! mon coeur il dit pas du tout ça! En plus j’ai pas 60euros sur moi! Il se propose alors de m’amener à la banque! Finalement, en colère contre lui, mais surtout contre moi (après tout, il ne fait que sont travail, c’est moi qui ne suis pas à la hauteur des négociations), je lui donne 25euros.

J’assiste aussi à la rupture du jeûne. Ce moment de la journée est, je trouve, très intéressant à regarder. A 19h, la tension est à son comble. Souvent, on peut entendre des cris, et parfois, il y a des batailles en pleine rue. Un soir, j’entends hurler : « WHOLA RALALHAMAHALE VIOUK TE MANIOUK » (ou un truc de similaire)! et deux hommes tentent de se jeter dessus pour je ne sais quelle mésentente. Heureusement, les amis des deux parties font équipe pour tenter de séparer ces deux loups enragés. Ce type de scène se reproduit régulièrement. Mais ce moment là de la journée est passionnant pour autre chose. Durant les 20min qui précèdent la rupture, il y a dans la ville une impatience qui atteint son paroxysme. Les gens marchent vite, nombreux sont ceux qui portent un petit sac en plastique contenant deux ou trois baguettes de pain, des dattes, et quelques sucreries. Un soir, un homme me lance avec un grand smile: « encore 35min et je peux manger! » et puis s’en va (il arrive quand même à me diriger vers un vendeur de tapis berbères en ce court laps de temps. A H-20min, les rues sont bondées, les gens rentrent chez eux, les commerçants sortent des micros-tables ainsi que des minis bancs. H-5, les rues redeviennent calmes, les bols de soupes sont posées sur les petites tables, le verre de lait est là, la datte, premier aliment à être mangé, est posée sur une petite assiette, et là, c’est le Top: Les minaret lancent à l’unisson un Allaaah Akbaaar libérateur. Après un court moment de recueillement, tout le monde trouve sa place près d’un bol et mange religieusement après plus de 15h sans manger ni boire. Je suis étonné de constater que personne ne se goinfre, et qu’à ce moment-là de la nuit, beaucoup ont l’air de se contenter de plusieurs bols de cette soupe très consistante.

Tetouan

Le lendemain de mon arrivée à Tanger, je prends déjà la route en direction de Tetouan. Seulement 60km sont au programme, mais je ne me sens pas dans mon assiette. Je ne me sens pas trop en sécurité, je me sens vraiment comme un étranger. J’ai déjà eu ce genre d’impression, mais jamais en étant seul. C’est un sentiment est très handicapant: je ne sais pas comment aborder les gens, je n’arrive pas à négocier, je ne suis pas en confiance. Une halte à Tetouan dans une pension familiale s’impose donc, et c’est très gentillement que cette famille (hébergeant une dizaine d’autre personnes) m’invite à partager leur dîner. Trois femme, deux ados, deux fillettes et 1 jeune adulte parlant français et servant de traducteur quand bon lui semble. Ils sont tous vite repus, et le pain et les friandises que je leur propose semblent être de trop malgré le fait qu’ils en prennent un peu par politesse. Premier repas avec une famille marocaine et j’espère que d’autres suivront bientôt!

Chefchaouen

Deuxième essai à vélo, ça ne marche pas. Même si les paysages sont magnifiques dans cette partie du Rif marocain, je fatigue et surtout j’aimerai bien voyager avec une autre personne. Pour remédier à ce coup dur, je décide de faire une halte plus longue dans la superbe ville de Chefchaouen. L’auberge dans laquelle je m’installe me met tout de suite à l’aise: une grande salle commune tout en bleu, avec des petites tables et des chaises aux gros coussins. Je partage ma chambre avec un Barcelonais et nous discutons littérature française (Madame Bovary forever! ;-)! Puis je fais la connaissance de deux jeunes luxembourgeoise avec qui je vais manger une tagine. Bref, je me mets gentillement au bain en compagnie d’autres personnes dans cette ville superbe, très calme et ou je peux faire progressivement connaissance avec les marocains et leur culture. La stratégie semble s’avérer efficace car après deux journées passées dans cette ville, j’ai bien plus confiance en moi et me sens près à attaquer les centaines de kilomètres de routes qui me séparent du désert.

La ville de Chefchaouen est vraiment magnifique. Bien plus petite que Tanger et Tetouan avec ses  35 000 habitants, les gens sont plus relax et moins agressifs. On y croise pas mal de touristes, mais toujours par petits groupes dispersés de 2 ou 3 personnes. Mais ce qui rend Chefchaouen si belle, ce sont ses murs. Dans la Médina, toutes les maisons sont recouvertes de chaux blanche et peinte en bleue sur un à cinq mètres de haut. Les bleus changent selon les rues, on se croirait dans le ciel – ou dans la mer. Je m’apprête à quitter la ville, mais j’espère y retourner un jour, plus longtemps, pour découvrir les autres charmes que cette ville à offrir…

Pour ceux qui veulent voir des photos, je vous conseille de vous rendre sur la page facebook intitulée: « 20kmh.net – Tour du monde à vélo ». Je les publierai généralement par ce biais à l’avenir.


Chapitre 4bis : Andalousie suite et fin !

En direct du Maroc, voici un condensé de mes derniers jours passés sur le territoire européen. Reprenons là où nous en étions : en Andalousie.

Je pars de Luque avec un gros sourire ! En effet, la voie verte (piste cyclable créée sur le tracé d’un ancien chemin de fer) que je parcours depuis Jaen se poursuit en descendant sur une cinquantaine de kilomètres ! Quand je retrouve la route, après trois jours de pistes cyclables, celle-ci me mène à Teba, un autre village perché qui m’accueuillera pour la soirée : je décide de garer mon vélo devant un bar, et d’y regarder le classico qui fait tant parler la presse sportive mondiale. Ce match de foot me permet de prendre la température des pubs andalous lors des soirs de grands matchs : Je ne suis pas déçu : les cris d’encouragements sont au rendez-vous ainsi que les gentilles vannes lancées aux rares supporters du FC Barcelone en ce fief pro-Real.  A minuit et quelques minutes, la partie se termine ; et c’est dans le noir que je redescends en plaine pour me trouver un champ ou un olivier pour planter ma tente. Chose délicate car je me rends compte que j’ai oublié ma lampe de poche à  l’auberge de Luque…

La journée suivante est magnifique ! Dès le matin, la route monte. Cela fait depuis la veille que les oliviers ont disparu, et j’ai à faire à un paysage très varié dans un premier temps, collineux ensuite  pour finalement devenir franchement montagneux. A midi, je fais étape dans la superbe ville de Ronda, posée au bord d’un gouffre de plusieurs dizaines de mètres et entourée de montagnes. Puis, le soir je rejoins Gaucin perchée à une trentaine de kilomètres du rocher de Gibraltar. J’y rencontre tout un gang d’Anglais avec qui je bois une bière. Ils me conseillent un coin superbe pour dormir ainsi que les villes que je dois impérativement traverser au Maroc, mais surtout, ils me permettent de pratiquer un peu la langue de Shakespeare. Heureusement, car la journée suivante j’atteins Gibraltar !

Gibraltar, 16 août 2011

Ça y est, je passe ma première véritable douane ! Dès la frontière passée, et la piste d’atterrissage traversée (oui oui, comme pour un passage à niveau, il faut attendre que la barrière s’ouvre et que le feu soit vert pour passer), on se trouve plongé en terre britannique ! Livres sterlings, boîtes aux lettres et cabines téléphoniques rouges, Mark&Spencer, boîtes de Beans et de petits pois à tous les rayons, On se croirait vraiment en Angleterre, sauf qu’il fait beau et chaud et que des singes peuplent les rues de la côte Est du rocher !

Je passe 24h en territoire britannique ainsi qu’une nuit fabuleuse sur une petite falaise à 10m au-dessus de la mer, en direction du levé du soleil. Cela épate de nombreux locaux qui se demandent comment je ne me suis pas fait prendre par la police…

Ensuite, je rejoins Tarifa, à l’extrème sud de l’Europe. Après une soirée passée en compagnie de deux jeunes cyclos belges, je prends le bateau pour Tanger au Maroc le  jeudi 18 août 2011, après 2’550km de route depuis la Suisse.

Rien que pour vous, je vous permets d’accéder au film (réalisé par mon frérot) de mes derniers jours en Suisse:


Chapitre 4: Andalousie

Alcaraz: superbe.

J’y arrive en début de soirée après une longue descente. Quand je vois les ruines d’un fort perché sur une colline abrupte je me dis: c’est là que je vais passer la nuit. En effet, après avoir mangé des pâtes à la sauce tomate sur la place du village, j’arrive au sommet de cette colline, juste à temps pour admirer le coucher du soleil. La vue qui s’offre à moi depuis l’endroit où j’ai planté ma tente est à couper le souffle! A presque 1’000 m, je surplombe une plaine rougie par le crepuscule et par une terre acide, riche en fer. Les derniers rayons du soleil donnent à ce paysage des airs de Mordor, bien que, paradoxalement, celui-ci inspire la paix et la tranquillité. Bref, voici quelques photos :

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Jusqu’à 22h, je contemple cette étendue que je traverserai demain. Je repense à ma journée: arrêt à Albacete, longues lignes droites de plusieurs dizaines de kilomètres, et Alba de El Jardìn. Cette jeune serveuse/étudiante en droit montre de l’interet à mon voyage, et demande si elle peut  joindre sa signature à celle de mes amis sur mon t-shirt.

Le lendemain, je rentre au « Royaume des Oliviers ». L’Andalousie est surpeuplée d’oliviers! Au sommets des collines, au fond des vallées, au coeur des villages: des oliviers. Cela fait maintenant 3 jours (J’écris à J28) que je pédale dans ces immensitées et jamais je n’ai passé plus de 5 min sans avoir un de ces arbres dans mon champ de vision.

Malheureusement, les oliviers ne sont pas hauts, et ne procurent pas beaucoup d’ombre. Celle-ci serai la bienvenue. La journée, les températures dépassent régulièrement 40ºC. Entre midi et 15h, la chaleur anéhantit tout. Les locaux sont réfugiés chez eux, les bars et les magasins ferment et moi…. je pédale. Je ne suis pas synchro, et ne m’arrête pour manger sur les places de villages que vers les 14h30-15h. Ce qui fait que j’avale des litres d’eau et de jus de fruits pour m’aider à tenir jusqu’à la prochaine place ombragée.

Aujourd’hui, j’ai décidé de prendre une demie-journée de pause: je me suis trouvé une petite auberge municipale à 10€ dans la ville de Luque. Les maisons blanches sont accrochées au flanc de la montagne, et se voyent de loin. Les gens que j’ai rencontré jusqu’à présent sont très sympa, et fait unique: ils essayent de parler anglais! Pour l’instant, je n’ai rencontré personne étant d’accord de s’y essayer ! Je voulais profiter de cette nuit en auberge pour descendre dans un bar voir le Clasico Real-Barca, mais erreur de calcul: c’est demain…

Ma prochaine étape, Gibraltar approche à grand pas. Si tout va bien j’y arrive dans 3 jours. J’ai hâte d’arriver en Afrique!


Chapitre 3: Valence la maléfique!

J’arrive à Valence le Dimanche 31 Juillet après 16 jours et 1600km de voyage. Il est 17h, et je retrouve un ami à Arthur (mon frère) qui s’est proposé pour m’héberger: Jeremy. Une fois de plus je suis très bien reçu. Je dors dans le salon de sa collocation sur un vieux matelas qui, malgré quelques taches douteuses, m’est extrêmement confortable. Grace à Jeremy et sa copine Aude, je fais mes premiers pas dans cette ville où je resterai une semaine. Je suis briefé sur les endroits où il faut sortir le soir, où on peut bien manger et bien boire pour pas cher. Les conseils de mon frère qui y a vécu trois mois me sont aussi utiles.

Ainsi, lorsque le Mardi 2 Août mes 5 amis arrivent en avion de Suisse, je les emmène manger aux « 100 Montaditos » boire une bière et manger un mini-sandwich pour 2€, et boire des Mojitos au « Laboratorio ». Retrouver Fred, Aruran, Sarah, Tania et Amélie me plonge dans une toute autre ambiance. Très vite je n’ai plus l’impression d’être en voyage, mais juste d’être parti en vacances entre potes pour juste une semaine. Je suis heureux de les retrouver, d’avoir des nouvelles de Lausanne, et de passer cette semaine avec eux.

Pourtant, nous vivrons 2 journées « pourries ». On enchaîne 2 jours de malchance complète. Cela commence le Jeudi 4 Août, quand nous voulons prendre le train pour Castellòn afin de prendre un bus pour aller visiter la vieille ville de Peniscola. En arrivant à la gare de Valence, nous constatons que nous venons tout juste de rater notre train, nous obligeant à attendre une heure. Puis, à Castellòn, il s’avère que les correspondances qu’on nous avait indiqué n’existent pas. Nous voilà donc bloqué pour une demie-journée dans cette ville n’ayant rien d’exceptionnelle. Afin de rattraper le coup, nous nous faisons un sacré gueuleton dans un des parcs de la ville.

Le soir, rebelotte! Nous décidons de faire un bowling et de s’y rendre en métro. devant attendre plus de 15minutes, nous décidons finalement d’y aller à pied. Après 15 minutes de marches, nous constatons que celui-ci est fermé et que nous devons faire demi tour car aucun vélib n’est à disposition :-S (Le soir d’après, nous retenterons le coup avec un autre Bowling (on y tient!!), mais cette fois-ci on nous indique un point sur la carte qui correspond à un terrain vague…)

Le lendemain, Fred et moi, nous nous faisons voler nos vélibs alors que nous faisions innocemment trempette dans la mer. Heureusement, 2h passé dans un commissariat nous permettra d’obtenir les papiers nécessaires au remboursement.

Finalement, le séjour se termine bien, entre visite culturelles et sorties nocturnes. La séparation est difficile. C’est pas marrant de reprendre seul la route après avoir vécu plus d’une semaine avec des gens qu’on aime bien :-S

J’écris cela d’un cyber-café d’Albacete, à 200km de Valence, à l’intérieur des terres. Ça fait un moment que le moral est revenu, et les paysages sont magnifiques. D’immenses étendues brûlées par le soleil ponctuées de villages perchés au-dessus de canyons tortueux mais asséchés. Ma session internet se termine: je retourne dans la fournaise.

A la prochaine!


Chapitre 2: Barrero, Vincente et les autres

Sortir de Barcelone: quel défi! Je savais qu’entrer et sortir des grandes villes n’est jamais une chose aisée, mais je ne m’attendais pas à me trouver sur une autoroute à 2x 4 voies! Au début, ça fout les boules, mais la bande d’arrêt d’urgence est large, et je m’y sens bien plus en sécurité qu’en équilibre sur la bande blanche de certaines départementales françaises. Après une cinquantaine de kilomètres, à Sitges, je décide de m’arrêter. Cette demie journée de vélo avait comme objectif de me sortir des tentacules de Barcelone et de me rapprocher un peu plus de Valence à plus de 300km. Comme chaque soir, dénicher un endroit pour planter ma tente me prend du temps, mais ce soir je n’ai pas envie de tergiverser: je la plante  à 50m de la clôture d’un immense camping, ce qui me permet de m’approvisionner en eau.

Des rencontres…

Depuis mon entrée en fanfare en Espagne (cf. chapitre 1), je n’ai pédalé qu’un jour sans la compagnie d’un autre voyageur. Afin de confirmer cette tendance, ma route jusqu’à Valence se fera en compagnie de plusieurs autres cyclos. Ce mardi 27, J12, je fais la connaissance dans un premier temps de Pavel, puis de Teddy et Sébastien, et enfin de Barrero. En sortant de Sitges, je me fais rattraper par un cycliste monté sur un vélo de route muni de petite sacoches: Pavel. Il est polonais, a mon âge et est parti de Varsovie il y a quelques semaines pour rejoindre Lisbonne. Notre conversation dure 1min30 à tout casser. Il veut juste me prendre en photo en pédalant. Ce faisant, il me lance: « I’m like japaneses, I take picture of everything! », puis file a toute allure. rencontre furtive…

Peu avant midi, alors que j’étais perdu dans mes pensées, des bruits de sonnettes retentissent et deux figures apparaissent dans mon rétroviseur: Teddy et Séb. Etudiants, ils ont quittés Paris il y a 3 semaines pour rejoindre Alicante où des copains les attendent pour faire la fête. Nous avons effectué quasiment les mêmes étapes depuis la frontière espagnole, et ils ont dormis le soir précédant Sitges, à quelques centaines de mètres de ma tente, dans le camping à côté duquel j’ai bivouaqué! Nous faisons route ensemble dans la bonne humeur et mangeons sur le parking d’un supermarché. Leur compagnie m’est très agréable et c’est avec regret que je me sépare d’eux à Saloù

En fin de journée, alors que j’entre dans la ville au nom incongru de Miami Playa, un cycliste d’une soixantaine d’année, Barrero, m’aborde en espagnol. Ayant toujours été nul en langues, et mon niveau d’espagnol étant faible, je comprends qu’une infime partie de ce qu’il me dit. Je crois comprendre qu’il veut faire un peu de vélo demain et qu’il aimerait faire quelques kilomètres en ma compagnie. Il demande où je compte dormir, et quand je pense partir le lendemain, puis prends congé de moi en me donnant rendez-vous sur la route.

Après une nuit passée dans le maquis, je démarre en oubliant la conversation de la veille avec cet étrange cycliste, mais après plus d’une heure de vélo, je tombe sur un autre vélo chargé, et c’est avec surprise que je constate qu’il s’agit de Barrero! Je comprends enfin que ce vieux barcelonnais souhaite se rendre à Séville via Valence. C’est parti pour 250km  deux!

Au début tout se passe bien. Il me montre comment faire des sandwichs en frottant une tomate contre la mie de pain, et ensemble nous assistons à une fête de village avec des vaches lâchées dans les rues du centre-ville, mais en fin de journée je fatigue: essayer de parler et de comprendre l’espagnol pendant 8h non-stop (Barrero est très bavard): c’est plus crevant que le vélo!!!

Le soir, Barrero veut être invisible. Il préfère attendre la nuit pour monter la tente, et veut se mettre sous les branches tombantes des arbres afin de bénéficier d’un camouflages quasi-parfait. Ses précautions quasi-excessives m’aggacent. Néanmoins, la présence Barrero est agréable, et il est très sympathique. Avec lui je pratique l’espagnol et peux profiter le soir d’un accès à Internet grâce à son ordinateur portable! 😀

Après 15 jours de voyage et 1600km depuis la Suisse, nous entrons dans la vieille ville de Valence avec l’orage à nos trousses! Après un café glacé d’adieu, nous nous séparons avec le sourire: bon voyage Barrero!

Guadassuar

Je ne fais que traverser Valence, voulant rejoindre pour 15h Guadassuar, une petite ville située à 30km au sud de Valence où Vincente (le cyclo rencontré juste avant Barcelone) et sa famille passent leurs vacances. Aussitôt, je suis très bien reçu par Delphine, sa femme, et Lucas, leur fils. Je découvre enfin l’Espagne de l’intérieur en goûtant aux spécialités culinaires locales et en écoutant Vincente me raconter l’histoire de la région et de la ville. Durant ces 24h passés en leur compagnie, je rencontre un personnage atypique, amusant, et pouvant parler pendant plusieurs minutes de chaque composant de mon vélo: Alfonso. L’hiver passé, il a pédalé sur un vélo Décathlon à 100€ jusqu’à Marseille avec une caisse fixée sur le porte-bagages en guise de sacoches. Sans expérience, il arriva pourtant à destination 4 jours après, avec une moyenne de presque 300km par tranches de 24h! Le froid l’empêchant de dormir (il n’avait pas de matériel pour camper), il était obligé de pédaler pour se réchauffer!

Vincente, son fils Lucas et Alfonso me raccompagnent jusqu’aux portes de Valence et passe le témoin aux esprits de la ville qui seront plutôt blagueurs pendant plus d’une semaine!


Chapitre 1: Barcelona!

 Article premier: Barcelona!

3…., 2…., 1…., GO!!!

Allez, j’y vais! Je m’élance pour couper le ruban symbolisant la ligne de départ tout en pédalant, mais celui-ci ne veut pas céder, et je manque de commencer ce tour du monde par une chute! Cela fait bien rire l’assemblée. Finalement, et sans accident, ce samedi 16 juillet 2011 à 12h les premiers coups de pédales sont donnés!

Départ en fanfare

Ces derniers jours sont passés à 200km/h. J’ai l’impression de n’avoir pas pu faire la moitié de ce que je devais faire. Cela fait des années que je pense à ce moment-là. Je m’étais dit que je serais si bien organisé que mon vélo sera près plusieurs jours á l’avance. C’est faux, la vieille, à 2h du matin, j’arrivais enfin à tout entasser sur mon vélo. Je le pèse aussitôt: 50kg! C’est trop, beaucoup trop. Mais il est trop tard pour tout déballer et essayer d’éliminer ce qui est superflu: dans deux semaines Fred, Aruran, Tania, Sarah et Amélie me rejoindront à Valence, et je les chargerai de rapatrier mes affaires à ce moment-là.

Bref, revenons au départ. Vous étiez très nombreux à venir assister à ce fameux franchissement de la ligne de départ. Des amis venus de divers horizons: collège, gymnase, université, amis d’amis, famille etc… Certains arborèrent même des t-shirt « ICH BIN EIN WILLAMER »!

Quelques uns d’entres vous m’ont même servis d’escorte jusqu’à la frontière! Ces premiers kilomètres de bonne humeur furent déjà marqués par une rencontre qui nous a fait tous rigoler après coup. Lors d’une halte près d’un magasin, le patron s’avance, et de son aire « je-sais-tout » me demande où je vais. Après lui avoir dit que je partais vers l’Afrique, il regarde ma selle et dit  » C’est dommage, c’est dommage. Tu ne vas pas y arriver, ta selle n’est pas formée. C’est trop tard pour le faire. Et tes sandales à la Jésus, tu vas vite y renoncer ». Ahahah! Ces quelques mots nous firent bien rire avec Daniel durant les journées qui suivirent! 😀

Le cortège de départ

Après un premier bivouac en terre genevoise, et une nouvelle série d’adieux, nous nous dirigeons, Daniel et moi vers la frontière. Un automobiliste passerait celle-ci certainement sans s’en rendre compte, pourtant, pour les cyclistes que nous sommes, un détail fait toute la différence: le changement de bitume. Du revêtement suisse lisse, voir presque soyeux, nous passons aux routes françaises, raccommodées de partout et pleines de nids de poules! Et pour nous jouer des tours, la visibilités est loin d’être top: le temps nous fait la gueule: pluie et vent de face. Pour couronner le tout, deux longues montées   sont au programme de la journée. Pourtant, dans ces conditions, nous avançons bien, et le sourire est présent aussi bien sur mon visage que sur celui de Daniel. La descente du Rhône continue sans heurts majeurs, et c’est au J3 (Jour nª3) que la voiture-balai familiale vient rapatrier Daniel au sud de Lyon. Retour au bercail pour lui. Les derniers adieux de ce long gala de départ s’effectuent autour d’une table d’auberge, avec des cuisses de grenouilles dans nos assiettes!

Une fois seul, l’adrénaline me booste durant deux jours (où est-ce le mistral qui me pousse vers la mer?). Toujours est-il que j’avance  bien, et assez facilement. Au J5m je fais même une étape de 160km jusqu’à Avignon, et au J6 je me jette dans la mer, ou plutôt une mer de touriste en atteignant les villes de la Grande-Motte et de Palavas-les-flots. J’ai du mal à comprendre comment les gens peuvent aimer s’entasser sur des plages à deux pas d’une route Nationale. Eux aussi doivent régulièrement se poser la question car j’en vois beaucoup qui font la tête: pas facile les vacances!!! Pourtant, ces coins touristiques ont leurs avantages, comme par exemple ces douches à disposition des baigneurs qui veulent se rincer après leurs baignades font mon bonheur: je peux enfin prendre une bonne douche!

Bivouac les pieds dans l'eau

Les trois jours jusqu’à l’Espagne sont pénibles. Beaucoup de vent de face, trop de voitures! Le moral baisse régulièrement lorsque je me trouve sur les grands axes, mais remonte aussitôt lorsque je me trouve un beau coin pour dormir (comme à Bages près de Narbonne) ou quand je fais un bout de route avec des personnes sympathiques (à l’image de ces deux jeunes allemands se rendant à Compostelle avec leurs vélos rafistolés).

Bages

Dernière ville française: Banyuls. Je partage mon repas avec un jeune tsigane qui veut me faire passer pour son frère quand les gendarmes arrivent. Je passe la frontière espagnole au niveau du col de Banyuls. Premier col, et, bien que tout petit (357m), celui-ci m’achève après une journée de plus de 100km avec du vent de face. Heureusement, au sommet j’y trouve un ancien bunker aménagé en refuge, ainsi qu’une famille d’Allemands et un jeune couple de catalans. Nous mangeons tous ensembles à la lueur du feu et des bougies.

L’entrée en Espagne est célébrée en fanfare par mes intestins.  C’est affaibli que je me traîne jusqu’à la côte où je campe, sur un cap huppé, caché parmi les grandes villas et les beaux hôtels.

Vincente

La dernière ligne droite jusqu’à Barcelone s’effectue en compagnie de Vincente qui a quitté Marseille il y a 4 jours dans le but de rejoindre Valence où sa femme l’attend dans leur maison de vacances. Il me donne plusieurs tuyaux comme celui d’aller dans les bars de zones industrielles pour bien manger pour pas cher. C’est ainsi que nous nous régalons d’une saucisse, de frites et de deux œufs pour 4 euros seulement!

Ainsi, c’est le ventre plein et en bonne compagnie que j’entre à Barcelone après 10 jours sur les routes  et plus de 1’130km parcourus. Une nuit a l’auberge, un tour sur internet, et hop c’est reparti pour un tour: prochaine étape: Valencia!!!

PS: Tu noteras Daniel que je n’ai pas parlé de ta chute à l’arrêt après seulement 15 km de voyage 😉


Soirée de départ, J-1…

4h00 du matin, J-1.

Encore étourdi par la soirée, les (trop?) nombreux verres de bières, les danses effrénées au Jagger’s, et le retour à pied/stop jusqu’à la maison, je me mets pourtant à l’ordi pour écrire ces mots.Pourquoi?

Peut-être parce que je réalise seulement maintenant ce qui m’attend. Enfin, c’est relatif. Demain j’enfourcherai mon vélo pour ne plus le lacher pendant plus d’une année. Je ne m’inquiète pas vraiment (pour l’instant) de ce que ce voyage me réserve au niveau des difficultés physiques et morales. Après cette soirée passée avec ma famille et mes amis, je réalise que ce qui me sera le plus difficile ce sera de les quitter (même si ce n’est que pour un an). Dire au revoir, faire mes adieux et quitter un à un les groupes d’amis, ces micro-sociétés que nous avons crées, me force à mettre un pied dans la réalité.

Les préparatifs tout au long de ces dernières semaines furent longs,exigeants et remplis d’imprévus. Les chargeurs de téléphone satellites et d’appareils photos non adaptés, l’interminable  organisation de la pharmacie, le « marathon » normand (même si ce fut une partie de plaisir), et bien sûr l’envie de profiter de chaque instants font que chaque seconde de cette phase de préparation est comptée. Tout moment passé avec la tête dans les nuages mettant en péril la préparation des autres points de ma longue liste des choses à faire.

Bref, je ne vais pas me plaindre ni m’étaler plus longtemps, dans 32h c’est le grand jour, et il faut que je sois d’attaque à ce moment là. A cet instant même, Morphée m’appelle, mon oreiller gueule car il veut profiter de ces derniers moments de tête à tête avec mon oreille gauche, et ma tête qui tourne beaucoup m’ordonne d’aller me coucher. Du coup, chers lecteurs,  je vous laisse et vous donne rendez-vous à mon départ Samedi 16 entre 10h et 12h!


Episode 4, Le GR5 sans fin

Previously, on 20kmh…

Après avoir échappé à un festival de coulées de boues, William parvient à Tignes, une ville au charme particulier. Puis, c’est puant de la tête aux pieds qu’il a enfin l’occasion prendre une vraie douche lors de sa journée sabbatique passée chez son filleul.

Partie 4

Carnet de voyage

Vendredi 14 Août, 11ème jour, Parc National des Queyras.

– Départ 7h de Villars St-Pancrace

– Arrivée 20h au Lac Miroir,

->1h30 de pauses, 11h30 de marche

– Dénivelés +3050m, -2080m

– Temps : beau et chaud

– Chansons (passant en boucle dans ma tête) : Société et Manu de Renaud, Les Cités d’or d’Explosion de Caca.

Chaque soir, j’écris environ deux pages dans mon carnet de voyage. Durant mes vacances, je l’emmène partout où je vais, afin de retranscrire mes émotions, de me rappeler des paysages ou des lieux visités. Au fils des voyages, le moment de l’écriture est passé du stade de la corvée à celui de la nécessité. En écrivant, je me rappelle des bons moments de la journée, des noms des cols, des altitudes, et surtout de certaines anecdotes qui me reviennent en tête alors que je les aurais oubliées sans cette petite rétrospective. Décorés par de rares dessins, quelques feuilles de plantes ramassées ça et là, des timbres ou des tickets de métros des villes visités, et de photos collées au retour de voyage, mes carnets de voyages sont à mes yeux des biens extrêmement précieux.

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Les Queyras…

Cette 11ème étape est l’une des plus longues du trek, et aussi l’une des plus chaudes. Avec plus de 3’000m de dénivelés positifs, c’est aussi celle qui montait le plus ! Heureusement, lorsque je croisais des promeneurs et que je les arrêtais pour demander à jeter un œil à leurs cartes, ceux-ci m’ont régulièrement tendu des fruits secs, du chocolat, et même des croissants !

Le parc des Queyras est très vert, et les paysages magnifiques. La longue ascension du Col Fromage permet aussi bien d’observer les différents étages de végétation, que la répartition des randonneurs en fonction de l’altitude. Les plus expérimentés, souvent des jeunes couples sportifs ou des retraités habitués des lieus se trouvent proches du sommet (là où la végétation est la moins dense). En revanche, les familles avec enfants ou les randonneurs occasionnels s’agglutinent dans un rayon de dix minutes d’une quelconque buvette ou bistrot, ou encore là où la forêt permet de s’abriter du soleil et piqueniquer au frais.

Vers le Col Fromage

Il est 18h45 lorsque je traverse le joli village de Ceillac à 1600m. Je suis fatigué, mais je me trouve en fond de vallée et j’aimerais beaucoup dormir près du Lac Miroir à 2300m. Les promeneurs rencontrés ces derniers jours m’ont dit beaucoup de bien de ce petit lac aux reflets somptueux. Je décide de me lancer dans un dernier effort, très intense à cause du rythme que je me suis imposé afin de ne pas arriver de nuit, et c’est avec émerveillement que j’atteins les rives du bord du lac aux alentours de 20h15.

J’y plante ma tente sur une terrasse herbeuse surplombant le lac d’une vingtaine de mètre afin de profiter des derniers rayons de soleils. En me faisant  à manger, j’observe mes voisins (campant à une bonne centaine de mètre). Il s’agit de deux jeunes, un peu hippies, marchant depuis deux jours avec un âne. Cela se fait beaucoup dans le parc à leurs dires. Les quelques instants de jours qui me restes sont idylliques. Je repose mes pieds dans un parterre fait d’une herbe drue mais grasse. Je m’autorise l’écoute de trois chansons de Renaud enregistrées sur mon portable (afin de ne pas utiliser trop de batteries). La température étant bonne, je décide de rester dehors jusqu’à ce qu’il fasse nuit noire. J’en profite alors pour écrire dans mon carnet de voyage. Moments forts, émotions, pensées, remarques sur mon organisation ou le matériel, je note tout ce qui est important à mes yeux. En faisant ceci, je me remémore avec le sourire d’un moment fort de la journée :

Durant la montée menant de Ceillac au lac, j’arrête un couple de parisien fraîchement débarqués dans les Hautes-Alpes afin de leur demander combien de temps il faut compter pour rejoindre le lac. L’homme, la cinquantaine, avec un training Adidas, un bob Perrier délavé, des chaussures de marche mal lacées et un bide à bière conséquent me dévisage et me regardant d’un air ahuris :

« – Vous voulez quand même pas monter là-haut ce soir !?

– Si, je pense y camper ce soir, il paraît que c’est super beau.

– Ah ça oui c’est superbe, mais il va faire nuit !!! C’est d’la merde pour monter !

– Ah, bon, mais le fait qu’il fasse nuit me gêne pas trop, c’est mieux pour dormir… »

A ce moment-là, sa femme intervient. Malgré le fait que la portion du chemin dans laquelle nous nous trouvons est particulièrement sombre, elle s’obstine à garder ses lunettes de soleils à grosse monture. Son bob à elle lui descend très bas sur le front, et son nez est encore blanc (mais vraiment TRÈS blanc) de crème solaire mal étalée :

« – Il a raison, c’est vraiment très dangereux, y’a plein de cailloux !! Vous n’avez même pas de cordes !

– Je pense que ça devrait aller, ça fait 10 jours que je marche et…

– Lui : Oui, mais à moins que vous ayez un rendez-vous avec quelqu’un (oui oui, un rendez-vous…), c’est vraiment trop risqué. Si vous avez un accident, j’vous aurai prévenu, j’suis pas responsable ! »

Lac Miroir

Finalement, après cinq minutes de conversation, je décide de prendre congé. J’ai beau avoir essayé de leur faire comprendre que j’ai déjà fait de nombreuses montées de ce type, rien à faire, pour eux il s’agit de la face nord de l’Eiger. Je suis quand même curieux de voir à quoi m’attendre, mais d’après d’autres témoignages, cette côte ne devrait pas représenter de difficultés particulières…

En fin de compte, la montée s’est avérée être très classique, avec il est vrai une partie très pentues avec des graviers très fins faisant glisser. Je me demande encore ce que ce couple à vécu durant leur balade pour être aussi paniqués à l’idée que je puisse monter seul à cette heure…

 

Peu de monde

Les jours suivants, j’évolue dans deux des départements français à la plus faible densité de population : les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence. Aussitôt, je constate que le GR5 est très peu fréquenté, au point de ne plus être indiqué très clairement par endroits. Les paysages sont toujours plus secs, et le soleil tape de plus en plus fort. Aussi, je consomme toujours plus d’eau.

Coin perdu

A Larche un village de moins de 100 habitants situés à presque 1700m d’altitude, je ne peux que constater que mon portable est plongé dans un profond coma. Je décide donc de partir à la recherche d’un chargeur Nokia, et d’une prise de courant. Je tente ma chance dans un hôtel, et par chance, le chef accepte de garder mon téléphone le temps que je me trouve une place pour planter ma tente. Je m’installe à proximité de l’Ubayette, en plein milieu du village. J’y fais ma lessive au savon d’Alep, et je me lave dans l’eau glaciale de la rivière. Ça fait un bien fou, et c’est « tout-beau-tout-propre » que je retourne à l’hôtel pour retrouver mon portable/appareil photo, et boire un cidre. Quelle sensation agréable de retrouver le confort d’une terrasse alors que la nuit tombe lentement. Je peux écrire dans mon carnet en position assise, en m’adossant au dossier d’une chaise en osier ! Le cidre est le bienvenu lui aussi.

 

Un après-midi, je parle deux minutes avec un jeune berger avec de grosses dreadlocks ( !). Il travail pour le compte d’un agriculteur dont la ferme se trouve près de la mer. Chaque étés, la centaine de mouton est acheminées par camions jusqu’aux pieds des Alpes où les bovins partent paître durant près de trois mois. Il m’explique que durant ses journées, il monte ou il descend en altitude en prenant soin de ne pas laisser ses bêtes séjourner trop longtemps sur les paliers supérieur où l’herbe est grasse et riche, mais rare et fragile. Le soir, il retourne à l’altitude de la forêt et veille sur les moutons jusqu’à tard dans la soirée avec l’aide de son chien, en espérant que les loups ne lui en croquent pas un ou deux. Lorsque je lui demande s’il est possible de camper non loin d’ici, il m’affirme que oui, mais il ajoute : « Fais attention aux loups ! J’en ai vu il y a deux jours dans l’coin !». Rassurant !

 

Le mercredi 18 Août, j’entre dans le parc du Mercantour. Dernière ligne droite ! Après avoir choisis de suivre le GR52 direction Menton, je sors du village au nom très provençal de Saint Dalmas de Valdebore. Il s’agit du dernier point de ravitaillement avant la fin du voyage. Malheureusement, le commerce du village étant fermé, je n’ai pu me procurer que deux baguettes congelées auprès d’une sympathique tenancière de bistrot. Il faudra faire avec !

 

Un feu pour éloigner les loups!

Je me rapproche de la mer. J’ai hâte de la voir! Les derniers jours du voyage seront marqués par une rencontre aussi exceptionnelle qu’enrichissante, des décharges d’adrénalines face aux caprices des cieux, et un dépaysement radical lors du retour à la civilisation.

 

A suivre…

 


Episode 3, GR5 Chrono

Previously, on 20kmh…

William a traversé des moments  très difficiles. Après la perte de son appareil photo, il a même pensé à rentrer chez lui, la queue entre les pattes. Heureusement, un rendez-vous pour une journée de marche au pied du Mont-Blanc convenus avec ses amis Sylvane, Lucille, Jean et Fabien lui redonne le punch nécessaire pour continuer sans se poser de questions…


Épisode 3

Vitesse de croisière

Samedi 8 août, 12h20, refuge du Col de la Croix du Bonhomme. J’ai gravi un peu plus tôt mon 8’848m de dénivelé positif : l’altitude de l’Everest…

Devant une grosse assiette de pâtes carbonara (comme si je n’avais pas déjà mangé assez de pâtes !), je relis ce que Sylvane & Co m’ont écrit dans mon carnet lors de la journée précédente. Elle me demande de faire « gaffe aux loups et aux français », et Fabien se propose en tant qu’héritier numéro 1 de ma Playstation si je n’arrive pas à leur échapper !

Aujourd’hui, le passage du Col du Bonhomme dans le brouillard est un moment clé. Dorénavant, je ne peux plus faire demi-tour aussi facilement que lors des journées précédentes. Jusqu’à hier, il me suffisait de basculer sur un versant opposé pour passer en Suisse, et ainsi rentrer chez moi en moins d’une heure de train. J’ai l’impression que le lac et la mer agissent comme des aimants, et aujourd’hui la force d’attraction de la côte d’azur est devenue plus forte que celle du Léman. Après ces quelques moments difficiles, je ne doute plus, et je suis persuadé que j’arriverais au bout de mon voyage dans environ deux semaines. Et puis, j’avance maintenant sans l’aide de cartes topo. Je ne m’oriente qu’à l’aide des petits traits de peinture rouge et blanc tatoués sur les rochers, ainsi qu’en me basant des informations glanées dans le grand livre La Traversée des Alpes, Du Léman à la Méditérranée de chez Glénat. C’est limite, mais je n’ai pas envie d’acheter une dizaine de cartes et de les trimbaler tout du long pour ne les utiliser qu’un jour ou deux chacune.

L'orage approche!

 

Les journées se succèdent. Je rencontre Victor, un américain d’une cinquantaine d’année, effectuant aussi le GR5. Il marche plus lentement que moi, mais quasi sans interruptions de 7h à 19h. Du coup, à cause de mes nombreuses pauses, on se croise et recroise, et nous faisons connaissance.

 

Un soir, alors que la nuit s’annonce humide, je décide de m’abriter dans une sorte de vieille bergerie abandonnée.

Bivouac intra-muros

C’est après de nombreuses tentatives pour ouvrir la porte que je parvins à m’introduire dans un intérieur sans fenêtres et très poussiéreux. Je mange sur le pas de la porte, et une souris essaye passer plusieurs fois entre mes jambes, mais elle fonce à chaque fois en plein dans ma bouteille en plastique couchée à même le sol! Ça me fait rire d’imaginer l’état de son museau !

Cette nuit-ci, je dors paisiblement, bien que j’entende les souris trottiner près de ma tête, à la recherche de mes provisions précautionneusement accrochées à un clou au plafond.

 

 

Le lendemain, j’enjambe l’Isère qui traverse plusieurs kilomètres plus bas la ville de Grenoble. Je me rends compte que les batteries de mon téléphone sont à plat malgré le fait que je l’ai mise à charger sur mon petit panneau solaire toute la journée. Ça me met de mauvaise humeur : je ne peux plus prendre de photos jusqu’à ma prochaine rencontre avec une prise de courant…

Le soir, un orage très impressionnant débute alors que je recroise Victor. Ensemble nous arrivons à Rosuel, un petit village à 1600m d’altitude, adjacent au Parc national de la Vanoise.

Encourageant!

De nombreux villageois sont réunis près d’une buvette. Ils nous disent qu’un torrent a inondé la route un peu plus loin, et ils nous déconseillent de passer. Je n’ai nul part où camper, les espaces propices sont détrempés, et semblent peu sûrs. Victor décide de passer une nuit dans un hôtel non loin de là, mais je ne l’accompagne pas. Au lieu de ça, je repère un refuge en construction, et décide de dormir sur le balcon, qui est à peu près le seul endroit complètement à l’abri. Durant la soirée, je vois défiler pelleteuses et pompiers partant limiter les dégâts causés par cette pluie diluvienne.

 

 

En me réveillant, je réalise que je ne suis pas loin d’Aussois près de Modane, où la famille de mon filleul passe des vacances. Je décide de faire le maximum pour y arriver dans la soirée. Malgré une météo toujours aussi maussade, j’entre dans le parc de la Vanoise. Le bivouac y est interdit, et la nature superbe : tout est très vert, et j’approche des bébés marmottes de très près sans les effrayer, c’est la première fois que j’en vois. Au sommet du Col du Palet (2650m), j’aperçois entre deux nuages la ville de Tignes-le-lac. Quelle surprise, et quel contraste ! Alors que jusqu’à aujourd’hui la nature était magnifique, et les villages traversés authentiques, je tombe sur une ville de chalets-immeubles de 10 étages, entourés de parkings, de terrains de foot et de rugby, de stands de tirs à l’arc, de manèges d’équitation, d’un centre aquatique avec des toboggans géants, d’une gare pour le métro-funiculaire déposant des skieurs sur le glacier de la Grande-Motte et le tout à une altitude de 2100m ! Un panneau affiche fièrement en grandes lettres : «  Tignes, le plus bel espace skiable du monde ». Ironie ? Autodérision ? Après huit jours passés en pleine montagne, me voilà débarqué en plein Disney Land alpin…

 

Malgré tout, je profite de cette ville pour me ravitailler et prendre mon petit déjeuner de 11h (je prends généralement deux petits déjeuners par matin): deux croissants, du pain au Nutella, 1 litre de lait chocolaté froid et un quelconque jus de fruit  Du coup, c’est le bide rempli à raz-bord que je me lance dans l’ascension du Col de la Leisse, l’un des plus hauts cols du parcours, à 2760m. La montée est douce mais longue. Peu à peu, les groupes d’une quinzaine de touristes deviennent rares, et la montagne redevient mienne. Je regrette de ne plus avoir de batteries pour utiliser l’appareil photo de mon téléphone. Le vent, la pluie, et le parcours au milieu des rochers donne des airs d’Islande à ces paysages. Ces derniers sont magnifiques, la géologie et la géomorphologie très riches : schistes et micaschistes de diverses couleurs, failles, verrous glaciaires, vastes tabliers d’éboulis, glaciers rocheux…etc. Je regrette de ne pas avoir pris quelques cartes, notes et livres de cours pour reconnaître certaines autres formes, de plus, je me demande en vain si je me trouve dans le domaine briançonnais ou le piémontais ! Je connais certaines personnes qui jizzeraient sur place 😛

Un peu de géologie!

 

Après avoir ingurgité une soupe très copieuse au refuge de la Leisse en compagnie d’une mère et de sa fillette, je pars à toute allure en direction de Termignon, ville se trouvant au bout, au « terminus », de la vallée de Modane. En chemin, je dois arrêter plusieurs personnes afin d’essayer leurs téléphones. Malheureusement, il n’y aucun réseau, je ne peux donc pas avertir la famille Poiret de mon arrivée. Comme me l’avait averti la femme croisée au refuge, la descente est longue (ils m’avaient conseillés de faire du stop une fois arrivée au Refuge du Plan du Lac, ce que je refuse de faire), mais toujours aussi belle. C’est finalement à 17h que j’arrive à joindre les Poiret, et à 19h qu’ils me retrouvent au bord de la route, à Termignon, après une journée de marche de plus de 11h30.

 

Break

Après huit jours de marche sans interruption, et approximativement 230km parcourus, je m’accorde une pause d’une journée en compagnie de mon filleul Henri et de sa famille dans le petit village d’Aussois. L’occasion pour moi de prendre une vrai douche ( !), faire une lessive, joindre mes parents, recharger mes batteries (corps et téléphone), et d’alourdir mon sac avec des provisions, à savoir du très bon fromage et un gros saucisson de la région ! Entre mini-golf, visites d’amis des Poiret, courses dans les fromageries et charcuteries du village, le temps passe vite, et il est déjà temps de partir. Il est 7h15 le mercredi 12 août lorsque je me fais prendre en auto-stop jusqu’à Modane, où je retrouve le GR5, et Victor qui a pris un peu plus de temps pour sillonner le parc de la Vanoise. Il me dit qu’il a remarqué le « Hello Victor » que j’avais gravé dans la boue avec la pointe de mon bâton deux jours auparavant.

 

GR5, « Monte à bord » !

Afin de me remettre en jambe, je décide de faire un petit détour, et d’accrocher le Mont Thabor à 3178m. Je gravis les 2100m de dénivelés en 6h, et je ne suis pas déçu de la vue, je distingue même le massif des Ecrins, ainsi que le Parc des Queyras.

Planète Mars ou Mont Thabor?

 

Ce qui me marque lors de cette étape, c’est le changement de végétation, beaucoup plus sèche, composée notamment de quelques pins et arbustes peuplant aussi les rives de la Méditerranée. Le fait de pouvoir constater ce type d’évolution progressive dans le paysage est vraiment super et jamais, ô grand jamais, il n’aurait été possible de le faire en voyageant en train, en voiture, ou en avion !

Durant cette journée, je ne rencontre plus Victor, mais je croise énormément d’italiens. En effet, le haut de cette vallée, bien que située en territoire français, débouche sur l’Italie. Le bivouac au Col des Thures est magnifique. Une vaste étendue d’herbe à 2200m, agrémenté d’un petit lac, et d’un troupeau de mouton un peu plus loin.

Col des Thures

J’y rencontre Philippe, un randonneur de mon âge, partit il y a deux jours de Modane (j’y étais le matin même), mais ralentis par un ENORME  sac! On croirait un sherpa.Son sac de couchages et sa tente se superposent sur le haut de son sac qui atteint le poids de 25kg (sans l’eau)! J’apprendrais un peu plus tard qu’il a été forcé d’abandonner quelques jours après notre rencontre à cause de son chargement. Nous bivouaquons dans le même secteur, et nous mangeons ensemble. C’est une bonne soirée. J’apprends qu’il est « ferronnier acrobatique », c’est-à-dire qu’il fait des travaux dans des endroits difficiles d’accès, accrochés à une corde de rappel. Le lendemain, nous nous séparons après une demi-heure de marche commune.

En fin de journée, j’arrive à Briançon qui est la ville la plus haute de France perchée à environ 1320m d’altitude. Je ne rêve que d’une chose : d’un MacDo pour y commander un Cheeseburger et un MacFlurry glacé, avec du chocolat dedans et tout et tout ! Cela fait depuis la veille que je me suis mis cette idée dans la tête. À force de manger des pâtes au bouillon ou au fromage tous les soirs, j’ai envi de varier un peu, et de la malbouffe une fois de temps en temps ne peut pas faire de mal ! 😀

Malheureusement, c’est une fois arrivé tout en bas de la ville qu’on m’annonce que le Macdonald se trouve tout en haut, à l’opposé de la ville… C’est le moral dans les chaussettes que je mange donc un Kebab dans un parc!

Plongeon vers Briançon


Episode 2, Le GR5 contre-attaque

Previously, on 20kmh.net…

William et ses amis ont quittés Novel afin de tenter d’atteindre le sommet de la Dent d’Oche culminant à une altitude extrême de 2222m! Et c’est dans l’un des passages les plus critique de l’ascension que ce qui aurai pu arriver n’arriva pas… tadadam!

Épisode 2

Le soleil n’est pas de la partie, et c’est dans le brouillard que nous entamons l’ascension d’un passage vertigineux nous menant au refuge. Celui-ci est très périlleux, Sarah, Aruran et Fabien ne sont pas à l’aise, et tout le monde glisse lorsque les prises viennent à manquer. De par les conditions climatiques, le froid et le manque de visibilité, les petits passages de grimpes s’avèrent être des obstacles difficiles à surmonter, et le moindre faux-pas pourrait s’avérer fatal.

C’est à ce moment, alors que la tension est extrême (!), qu’un bloc de pierre de la taille d’un ballon de foot se détache d’une corniche surplombant le chemin. Celui-ci dévale la pente, passant à côté de Sylvane et fonçant droit sur Sarah et moi-même. C’est alors que celui-ci rebondit sur un rocher un peu plus gros à quelques mètres de nous et le dévie de sa course. Par chance, celui-ci nous manque de quelques centimètres. Nous sommes tétanisés. On réalise quels auraient étés les conséquences d’une telle collision avec cette roche.

En levant la tête en direction de l’endroit d’où le bloc s’est décroché, un bouquetin se détache du brouillard, et nous nargue du haut de son promontoire. Il n’est pas seul: ils sont si nombreux à nous observer, à quelques mètres de nous, qu’on pourrait se croire dans un remake des Oiseaux de Hitchcock, mais avec des bovidés dans les rôles principaux! Heureusement, nous arrivons sain et sauf au refuge à quelques minutes du sommet, et nous dégustons une soupe pour nous remettre de ces émotions. Finalement, nous renonçons à rejoindre le sommet.

 

"Prends-ça!" (photo: S.Ebener)

Cette journée passée avec mes camarades fut, malgré l’absence de rayons de soleils, très chaleureuse. C’est avec le moral dans les chaussettes que je me sépare d’eux. Je les imagine, une fois de retour dans le confort de leurs ménages, manger un bon plat en compagnie de leurs familles. Cette pensée n’est pas pour me consoler quand je me rappel que je n’ai pas prévu de sauce avec mes pâtes du soir… Lorsque nos chemins se séparent, je me mets à douter : suis-je vraiment capable de marcher seul pendant ces trois semaines ? Est-ce que je le veux vraiment ? Pourquoi ne pas rentrer à la maison ce soir, et tenter un départ dans un ou deux jours quand il fera beau ?

Finalement, je décide de continuer, et le moral est déjà de retour lorsque j’atteins les Chalets de Bises et que j’y plante ma tente. Ce premier bivouac, bien que très froid et humide, est très sympathique. Je mange en compagnie d’un jeune Parisien évoluant aussi sur le GR5, mais du Jura jusqu’à Briançon. Il y a quelques autres tentes à proximités des nôtres : sûrement d’autres marcheurs effectuant la GTA.

 

Une mise en route…

 

Les deux jours qui suivent sont consacrés à trouver un rythme, une cadence. Je me rends compte qu’un levé après 8h n’est pas forcement optimal. Le soleil est déjà relativement haut dans le ciel, la chaleur arrive vite, et la journée est plus courte. Du coup, j’opte pour un levé à environ 6h30-7h00 afin d’assister au levé du soleil en prenant mon « gros petit déjeuner », et bien souvent en direct depuis la tente. Jusqu’alors, je ne rencontre pas de difficultés majeurs, le GR est bien balisé, et de nombreux ruisseaux ou fontaine me permettent de me ravitailler en eau régulièrement. Je porte très rarement plus d’1 litre d’eau, c’est uniquement en fin de journée que je remplie mes 2-3 litres de contenances afin de cuisiner, faire la vaisselle, et me débarbouiller.

Les paysages traversés lors de ces premières journées sont très verts et le relief est très doux. En effet, le chemin ne dépasse que très rarement la barre des 2000m d’altitude. Je cumule entre 1000 et 1500m de dénivelés positifs par jour, et cela me semble énorme à ce moment-là. A chaque col, je peux tout de même constater mon éloignement progressif par rapport au Lac Léman, et me rendre compte des étapes qui m’attendent pour les jours à venir.

 

…difficile

 

N’ayant jamais marché si longtemps avec un sac à dos, mon corps n’est pas entraîné à ce genre de voyage itinérant. Vers la fin du troisième jour, de premières douleurs aux pieds se font sentir. Bien que minimes, celles-ci parviennent à me gêner dans ma progression, et le moral commence à baisser. Le chemin est plat, et longe une rivière traversant la ville de Samoëns. Il est déjà 19h, je décide donc de camper à proximité d’un cours d’eau afin de me laver, de faire ma lessive, et de me masser les pieds. Cela aide énormément en cas de baisse de morale, malheureusement, ça ne va pas beaucoup mieux le lendemain. Il fait froid et la tente est trempée à cause de l’humidité de l’air. Mes vêtements lavés la veille ne sont pas sec, mais je n’ai d’autres choix que de les porter pour commencer cette journée. Le départ est difficile, et très vite je me sens de nouvelles douleurs apparaître : aux épaules, aux genoux, ainsi qu’au bas du dos. Le moral est plus bas que jamais, et l’humidité et le froid n’arrangent pas les choses. J’ai peur que si les choses n’aillent pas mieux, et l’idée de rentrer chez moi une fois arrivé à Chamonix m’a effleurée plus d’une fois.

Heureusement, en prenant de l’altitude en direction du Collet d’Anterne, je réalise que les paysages sont magnifiques. Sur la droite s’élève d’immenses parois de plusieurs centaines de mètres servant d’habitat à une population de gypaète barbu: Les Rochers des Fiz. Premièrement très abrupte et accidenté, le relief s’adoucie jusqu’à devenir par endroit relativement plat. Le chemin traverse de grandes étendues d’herbe irriguées par de nombreux petits ruisseaux où s’abreuvent des ânes appartenant certainement à des promeneurs. Je profite d’une halte au soleil à côté du refuge Alfred Wills à 1810m pour faire sécher ma toile de tente et pour me faire un thé. A ce moment, je reçois un sms de Sylvane qui m’annonce qu’elle me retrouvera, en compagnie de Jean, Fabien et Lucille, à Chamonix le lendemain matin pour me ravitailler en chocolat suisse, et me remonter le moral. Cette nouvelle me fait chaud au cœur, et je me remets en marche, bien plus motivé que quelques heures auparavant.

Plus tard, l’arrivée au Col d’Anterne à 2260m est très impressionnante : le Mont-Blanc, situé à quelques kilomètres de là semble à portée de main, et sa blancheur contraste avec la verdure des paysages traversés jusqu’alors. Hypnotisé par cette vue imprenable sur le massif du Mont-Blanc, je décide de pique-niquer à proximité de nombreux promeneurs. Après avoir pris une série de photos, ne connaissant pas le nom de tous les sommets, je demande à une jeune fille de me désigner les plus célèbres : Aiguille Verte, Aiguille du Midi, Grandes Jorasses…etc.

 

Himalaya?

Je ne sais pas qui de ce panorama ou de cette rencontre provoqua ce qui arriva, mais je m’en mords toujours les doigts. Au moment de remettre mon sac, j’ai le sentiment qu’il me manque quelque chose. Je chasse vite cette idée en me précipitant sur le versant sud du col afin de me rapprocher un maximum de Chamonix pendant l’après-midi. C’est après avoir descendu sur environ 200m que je me rends compte que je n’ai pas mon appareil photo ! Je décide de remonter au col en courant après avoir posé mon sac sur le côté du chemin. Une fois en haut, on m’annonce qu’une femme l’a prise avec elle en ayant l’intention de me le rendre si elle me rencontrait, malheureusement je n’ai croisé quasi-personne. Je redescends donc, en interrogeant les deux ou trois promeneurs rencontrés : niet. Une fois de retour près de mon sac, je décide de remonter au col afin d’être sûr que la personne en question ne soit pas redescendue dans la direction inverse : on m’affirme que ce n’est pas le cas… Dépité, je retourne près de mon sac après avoir gravis ce col trois fois. J’essaye de me consoler en mangeant une tarte au refuge suivant (Moëde Anterne) : rien n’y fait, je suis vraiment en colère contre moi. Dorénavant, je devrais prendre des photos avec mon téléphone portable de 3 mégapixels…

Heureusement, la fin de journée se passe bien. Le bivouac sous le Brévent, au-dessus de Chamonix, et juste en face du Mont-Blanc est magnifique, je me réjouis de retrouver mes amis pour oublier cette journée qui m’a mit à l’épreuve, aussi bien moralement que physiquement (presque 2700m de dénivelés cumulés positifs durant cette étape !).

 

Journal de bord face au Mont-Blanc

A suivre sur:

Episode 3, GR5 Chrono


Episode 1, du Léman à la Mer à pied…

Voici le premier épisode d’une suite d’articles concernant la traversée des Alpes françaises que j’ai effectué en 2009. Ce texte à pour but d’alimenter le site en attendant d’avoir plus de matière, et sa rédaction me permet de m’entrainer dans l’écriture de récits de voyages. Voici donc la première  partie de ce feuilleton. Enjoy !

(Photo: Sylvane Ebener)

 

Prologue

L’idée avait germé en septembre 2008, au retour de longues vacances post-bac. Durant cet automne, en ouvrant le magasine Carnets d’Aventures, je suis tombé sur un article concernant cette Grande Traversée de Alpes, et l’idée de partir de chez moi pour aller me baigner dans la mer m’a aussitôt séduite. Cet itinéraire de Grande Randonnée permet de rallier les côtes de la Mer du Nord à celle de la Mer Méditerranée par un chemin pédestre de plus de 2’000km. Sa partie la plus parcourue est le tronçon alpin, partant de Saint-Gingolph sur la rive sud du Lac Léman et arrivant à Nice. Celui-ci traverse les Alpes françaises, en passant des cols allant jusqu’à 2’800m, et traversant trois parcs nationaux magnifiques : le Vercors, les Queyras et le Mercantour. Cette partie, communément appelée GTA pour Grande Traversée des Alpes, cumule plus de 30’000m de dénivelé positif sur une distance d’environ 600km.

N’ayant jamais fait des marches de plus de deux jours, je décide de préparer ce périple de manière optimale en me renseignant longtemps à l’avance sur l’itinéraire, les dénivelés, et le matériel nécessaire. Forums, sites internet, atlas, Google Earth en 3D, tests de matériels, renseignement auprès des vendeurs de magasins spécialisés : tout y passe. Cela n’est pas pour me déplaire car la préparation est déjà en soi une manière de voyager. Elle permet de s’évader du quotidien et d’augmenter le désir en attendant le jour du grand départ. L’acquisition du matériel est aussi une partie à savourer. Elle permet de transformer le projet de voyage en réalité toujours plus concrète, toujours plus précise.

 

Le sac

C’est lors de cette phase que je  découvre le concept « MUL » (Marche Ultra Légère), ainsi, je décide de ne partir qu’avec le nécessaire, même si cette notion reste toutefois relative. Exit la tente double-toit de 3 kg, le tapis de sol autogonflant, la popote en alu en plusieurs partie, ainsi que la grosse veste chaude. Je laisse aussi mes grosses chaussures Scarpa, et décide d’emporter des chaussures basses de trekking. Cela me vaudra plusieurs remarques de la part de marcheurs français…

L’objectif est de partir avec un sac ne dépassant pas les 10-12kg, sans compter l’eau et la nourriture.

Pour atteindre ce but, mon intention première était de partir sans tente, et avec une bâche de jardin adaptée pour qu’elle serve de tarp une fois appuyée sur mes deux bâtons de marche. Mon parrain m’a finalement convaincu d’emporter une vraie tente. J’ai donc opté pour une tente mono-paroi ultralégère d’environ 1kg : la Rainbow de chez Tarptent. Malgré le fait qu’il s’agisse d’une tente d’une place, celle-ci est très spacieuse, autoportante, et sa bonne ventilation permet de minimiser la condensation sur les parois. Puis, j’ai décidé de ne pas investir dans du nouveau matériel de couchage, je suis ainsi partis avec un vieux tapis de sol en mousse scalpé d’une trentaine de centimètres, ainsi qu’avec mon sac de couchage décathlon tout fripé et perdant ses plumes n’allant pas plus bas de +5°C. Côté vêtement : trois caleçons, deux paires de chaussettes, deux t-shirts et un pantalon-short. Je n’ai pris qu’un pull qui me servira à la fois d’oreiller et de linge de bain, ainsi qu’une fine veste en Goretex contre la pluie. Ma cuisine se résumait à un mini-réchaud à gaz avec une tasse me permettant de faire cuire les pates du soir, et ma salle de bain à un bout de savon, un déo, un rouleau de papier toilette et à une brosse à dent avec un petit tube de dentifrice. Le « superflu » emporté consistait en un carnet de voyage, un livre, un harmonica, et un mini panneau solaire totalement inefficace.  Le poids final du chargement était d’environ 6kg. A cela il faut ajouter le poids du sac (2.5kg environ), l’eau (de 0.5 à 2kg), et les 2-3 kilos de nourriture (saucisson, pain, fromage, pates et… Nutella !!!), ce qui arrivait à un total de plus ou moins 12kg.

 

Le sac

Le départ

7h30… C’est en quittant mon lit avec peine que je réalise pleinement ce qui m’attend. Dorénavant, mon unique couche se résumera à un vieux matelas en mousse d’un demi-centimètre d’épaisseur, et mon bel oreiller sera remplacé par un pull placé en boulle sous ma tête et qui ne restera pas propre très longtemps. Néanmoins, je suis impatient de partir, et c’est avec plaisir que je me rends au départ du GR5 en compagnie d’Antoine, Fabien, Aruran, Sarah, Sylvane et Jean qui m’accompagnant pour la première journée.

La marche débute officiellement à Novel, au-dessus du Lac Léman. Sylvane, fan d’Into The Wild jusqu’au bout des ongles, insiste pour que je brûle un billet d’1$. Une fois cette tâche sensée symboliser le détachement et le retour à un mode de vie proche de la nature effectuée, nous partons en direction de l’objectif de la journée : la Dent d’Oche ! Nous ne le savions pas encore, mais cette ascension aurait pu s’avérer fatale…

(suspens intenable, suite au prochain épisode)

Le départ


La suite:

Episode 2, Le GR5 contre-attaque