A la découverte du monde à 20km/h…

Chapitre 9: Le Sahara Occidental à 35km/h!

Nouadhibou, Baie de l’Etoile, J66

Une maison au bord de l’eau, une chambre et un lit avec des draps propres, des plats de poissons pêchés à 100 mètres de là, une chaleur supportable et une compagnie franco-suisse amicale. Pour savoir comment j’ai atterris dans ce semblant de paradis, revenons une semaine en arrière.

Je vous avais laissé à Tan Tan plage, J58. Déjà, c’était top pour commencer ma traversée du désert. Dans cette auberge-camping tenue par Christine une bretonne, j’y ai trouvé l’El Dorado : une bibliothèque remplie de Picsou Magazine ! Le rêve, en cuisinant, en dînant, en me brossant les dents et en petit-déjeunant, j’avale ces bandes-dessinées de Barks et Don Rosa qui ont bercé mon enfance. Difficile de décoller dans ces conditions, mais il faut y aller. La route jusqu’à Lâayoune, la prochaine étape, est longue, plus de 300 km.

Finalement, il est 9h quand je me décide à enfourcher mon cheval en alu pour partir conquérir ces étendues du « Far South ». Ciel couvert, vent de dos, température douce, je ne pouvais pas entamer le Sahara dans de meilleures conditions. Je vole, je surfe sur le bitume, et ce vent du Nord qui souffle sans discontinuer me porte en une petite journée à 135 km de là, au creux des dunes où je plante ma tente. Caché de la route par une petite Barkhane, la tente manque de s’envoler. Enfin, je peux passer du temps à étudier le ciel, magnifique. Je sors le livre que Paris et Catherine ont dédicacé et je pars à la recherche de Véga, de Pégase, du Cygne ou encore du… Scorpion. Heureusement, ce soir il est au dessus de moi, et pas sous mes pieds. Mission accomplie, je les ai tous trouvés, et je peux dormir tranquille, en me réjouissant d’une nouvelle journée dans le désert.

La route entre Tan Tan et Laâyoune, bien que décrite par mon guide Lonely Planet comme étant longue et monotone, m’émerveille. Dunes de sables gigantesques non loin de la route, bulldozers devant de temps à autre déblayer la route ensevelie à la manière de nos chasse-neige lausannois en plein janvier, Océan Atlantique à un jet de pierre à ma droite, cabanes de pêcheurs isolées, etc… Heureusement, je peux compter sur quelques haltes bien méritées, pour manger et me ravitailler en eau. Ainsi, je m’arrête manger une tajine à Tarfaya, petite ville de 5’000 habitants célèbre grâce à Saint-Exupéry. J’en pars à 13h30, Lâayoune se trouvant à plus de 100 km, je ne pense pas y arriver ce soir, mais là, coup de théâtre: vent ultra puissant en plein dans le dos! Je fonce! 35 km/h de moyenne sans efforts, j’arrive à Laâyoune en 3h30.

Sahara Occidental

La bande de terre aride et inhospitalière coincée entre le Maroc et la Mauritanie se nomme Sahara Occidental. Ancienne colonie espagnole, le Sahara fut laissé aux mains des marocains durant les années 70 alors que les armées du Front Polisario tentaient tout et n’importe quoi pour obtenir leur indépendance. Malheureusement pour eux, Hassan II, rêvant d’un Grand Maroc colonisa cette terre dès qu’elle fut désertée par les espagnols. À première vue, on se demande quel est l’intérêt d’occuper ce bout de désert aux apparences si pauvres. Il s’avère que le sous-sol Sahraouis est potentiellement très riche (uranium, phosphate et possiblement beaucoup d’or et de pétrole), et que ses côtes sont extrêmement poissonneuses. De plus, il abrite l’une des rares routes commerciales transsahariennes bitumées reliant le Maghreb à l’Afrique Noire. Bref, les « colons marocains » ne veulent pas lâcher l’affaire, et les sahraouis sont parfois victimes de discriminations, d’arrestations sommaires et de passages à tabac. La population locale est poussée en périphérie des rares villes du désert (Laâyoune compte tout de même 200’000 habitants!) et stockés dans des banlieues allant de l’habitat en briques aux bidonvilles les plus insalubres.

En Europe, j’avais entendu parler de temps en temps de la cause Sahraouis. Il y a quelques années, j’ai vu ces images des soulèvements populaires en plein cœur de la capitale, aussitôt matés par les forces marocaines. Pourtant, je me suis rendu dans ce pays sans trop savoir à quoi m’attendre. C’est vrai que chez nous, on entend plus parler du Kosovo, de la Palestine ou encore du Tibet. Finalement, je me suis très vite retrouvé plongé au cœur du combat que mènent les militants sahraouis pour l’indépendance de leur nation.

L’interview

Il y a plus d’un mois, à Valence, j’ai rencontré Ahmed. Ce jeune sahraoui est parti pour l’Espagne afin d’acquérir les outils, les contacts et les connaissances nécessaires pour mener à bien sa lutte pour l’indépendance. En l’espace des quelques minutes qu’a duré notre discussion, il a réussi à me résumer toute l’histoire de son peuple, il m’a fait part de ses convictions, de ses espérances. En partant, il me laisse ses coordonnées afin que je le contacte en arrivant à Laâyoune. Ainsi, le soir même de mon entrée dans un centre-ville bondé de 4×4 blanches de l’ONU, je vais manger avec lui et son frère dans un snack quelconque. Aussitôt, je me trouve plongé dans l’ambiance. On se croirait dans les films sur la résistance française durant la 2ème guerre mondiale. Ils s’assoient face à la porte, et ne la quittent rarement des yeux. Ils parlent bas, switchant de l’espagnol au français, en regardant si des gens les écoutent. Ils me demandent si je veux rencontrer et interviewer des « victimes des colons marocains ». J’accepte. Ahmed me contactera demain pour me donner plus d’infos. On se sépare, il est 22h30, je les regarde s’éloigner dans la nuit et je me demande si je les reverrais un jour (bon, ok, j’en rajoute).

Le lendemain, pas de nouvelles. Je tue le temps en partant à la découverte de la ville. Le centre est propre et semble plus riche que de nombreuses villes que j’ai traversé jusque là. Mais quelque chose m’interpelle : les gens avec qui je discute sont souvent originaires de Casa, de Rabat, ou d’Agadir. Mais où sont les Sahraouis? La réponse tombe très vite. A 15h30, mon téléphone sonne. Ahmed: « William, dans 3 minutes en bas de l’hôtel, on a une voiture! ». En un rien de temps, je me trouve à débouler dans les rues de Laâyoune en direction de la périphérie en compagnie de 7 autres personnes, serrés comme des sardines dans cette petite voiture. Ahmed me briefe : Je vais rencontrer une dame qui est devenue aveugle après avoir été battue par des policiers marocains. Ils passent chercher MN, jeune étudiante qui servira d’interprète anglais-arabe. A un croisement, Ahmed sort de la voiture en me lançant un « on reste en contact ». Je comprends donc la nécessité d’avoir une interprète, je ne pensais pas le trouver seul, sans Ahmed.

Dans cette voiture pleine d’inconnus, en route pour une direction mystérieuse, je me demande dans quel pétrin je me suis fourré. La voiture s’arrête devant un petit immeuble, et nous, MN, une autre fille et un homme, sortons de la voiture. Nous pénétrons dans l’habitation. Il fait très sombre, la salle dans laquelle nous nous rendons est recouverte de tapis et de petits matelas parsemés de coussins longent les murs. Une dizaine de femmes sont présentes dans cette pièces, certaines battent une pâte avec un fouet, d’autres font du thé : le terme « pièce à vivre » prend ici tout son sens. D’autres femmes, aux visages graves sont réunies autour d’une dame un peu grosse, avachie sur les banquettes, sont regard est vide, il ne suit personne des yeux : Sahna (ndlr : nom fictif), la victime! Tandis que la pièce se vide, mes compagnons et moi sortons le materiel: un spot pour éclairer le sujet, mon appareil photo posé sur mon petit trépied. Une dame s’installe à côté de Sahna, c’est sa soeur. MN et moi prenons place derrière la camera: l’interview peut commencer. Je sens que c’est très important pour tout le monde dans la pièce qu’un étranger fasse passer le message de leur lutte en dehors des frontières, je prend mon rôle de témoin-messager très au sérieux et tache d’avoir l’air le plus professionnel possible.

Malheureusement, je ne comprends pas tout ce qui m’est raconté. Apparemment Sahna se trouvait avec d’autres militants qui manifestaient dans le calme il y a 2 jours. Lorsque les policiers ont débarqués, ils ont passé à tabac tout le monde, sans distinction, hommes, femmes, enfants. Sahna aurai reçu plusieurs coups au visage, jusqu’à en perdre la vue. Ses amis l’ont bien amenée à l’hôpital militaire de la ville, mais quand les médecins ont appris ce qui était arrivé, une militante sahraouis battue par des policiers marocains, ils l’ont mise à la porte, en la traitant de menteuse, et en disant qu’elle fait de la comédie et qu’elle voit parfaitement. Cela fait donc 2 jours que la pauvre Sahna est ainsi livrée à elle-même, ne sachant pas si elle pourra revoir un jour. Son visage grave laisse paraître le découragement et une immense lassitude. J’essaye de trouver des paroles réconfortantes, elles sont vaines. Elle sourit enfin lorsque je pose en photo avec elle et qu’elle lève les deux doigts pour former un V: « Sahara Libre » me dit-elle…

Vers Dakhla

Le lendemain de cette aventure, je reprends la route. 520km jusqu’à Dakhla, autre grande ville du parcours. Le vent est encore de la partie, je pédale comme un fou, m’arrêtant le moins de fois possible pour ainsi profiter un maximum de ce coup de pouce d’Eole. Ainsi, je fais tout en roulant. Je mets en place le système pour écouter de la musique (très important!), je bois, je mange, j’enlève et remets mon t-shirt suivant les envies, je me mets de la crème solaire, je me coupe les ongles, je me filme, prends des photos, j’arrive même à lire en roulant!

Certes le vent me pousse, mais la route est longue et assez monotone. Ca n’entame pas mon moral qui est au plus haut depuis cette entrée dans le désert, mais je dois passer dans un état second pour faire passer le temps. Temps qui défile à une autre vitesse qu’à l’accoutumé. Tantôt, le temps passe lentement, tantôt à l’instar du vent, il file!

 Les bornes kilométriques m’y aident. J’ai attrappé la route nationale 1 à la borne 800km. Petit à petit, je les ai toutes remontées jusqu’à 2011. Ainsi, je révise les grandes dates de l’Histoire : 1492, 1515, 1848, 1914…etc, puis arrivent les dates, plus récentes, qui correspondent aux années de naissances de proches, ou de moments clés de ma propre histoire. Je me fais le film de ma vie étape par étape, de kilomètres en kilomètres. Des bornes 1988 à 2001, je pense à mon enfance à Paris, et quand nous allions tous les week-end au Havre. Les moments passés avec mes grands-parents et les cousins, les fêtes de famille et les parties de foot chez mamie à Hermeville. Bornes 1996 et 2001, les basculements avec à la clé le départ pour la Suisse. Une vie à refaire, des marques à prendre: la vie de William, acte 2! Et dès 2000 les évènements plus récents: le collège, le gymnase, l’uni. Avec 2011, je me rappelle des moments de rigolade chez Athléticum avec les collègues, mais aussi les moments de rush lorsqu’arrivait les clients qui voulaient louer les skis. Je me replonge à la Sarraz, quand je travaillais chez Drafil, et que j’éventrais les vieux duvets pour récupérer les plumes et les mettre dans l’épuratrice. Ces souvenirs me font sourire : chaussures de skis et duvets, c’est bien la dernière chose utile dans ces contrées.

Sur ces mêmes bornes est inscrit la distance me séparant de la prochaine ville. Le nom de la ville est aussi écrit en arabe, du coup, je m’entraîne à reconnaître les caractères arabes. J’écoute la musique à fond! Passant des accords des touaregs électriques de Tinariwen à la folk hallucinée des Blacks Rebel, du hard énergique de Metallica aux mélodies envoutantes et calme de Sigur Ros. Je chante à tue-tête avec Renaud et les Ogres de Barback. Je suis fier, il ne pleut pas, c’est que je dois assurer ! En même temps , dans le désert…

J’etabli un nouveau record: 190 km ! La nuit m’empêche d’atteindre les 200 km, mais au barrage de police à l’entrée de la ville de Boujdour, je fais connaissance avec les occupants de la première voiture suisse rencontrée au Maroc : François et Philou. François vit entre Genève et Nouadhibou, il y a une maison (on y reviendra); Philou, de Chamonix, vient passer quelques semaines de vacances chez son pote, il n’en ai pas à son coup d’essai, il connaît bien le secteur.

Nous dormons dans le même hôtel, et François m’invite à passer quelques jours chez lui quand j’arriverai à Nouadhibou.
Deux jours plus tard, j’arrive à Dakhla. Entre temps, j’ai passé une nouvelle nuit dans le désert, dans un endroit somptueux. A 500 m de la route, au bord d’une falaise surplombant à la fois l’océan et une sorte de canyon gigantesque. Au fond, je peux apercevoir des pêcheurs et leur campement. Seul bémol, le vent manque de faire valdinguer une nouvelle fois la tente car le sol interdit tout encrage. Je la fixe donc solidement aux sacoches alourdies par des pierres et au vélo.

Dakhla

La baie de Dakhla est célèbre dans le monde entier. Magnifique, elle offre des spots de kitesurf qui attirent les riders du monde entier. Au loin, on peut voir les voiles se détacher sur l’horizon. Je passe une journée dans la ville de Dakhla, mais je n’y trouve aucun intérêt, à l’exception peut-être du fait que je me retrouve presque au cœur d’une émeute. Me baladant naïvement dans la rue, un type m’accoste et me dit de faire demi-tour en me montrant le bout de la rue, et me dit: « Là-bas, gens très mauvais, violence, tu dois pas aller là-bas, il n’y à rien à voir ». En effet, autour de moi les magasins ont tous fermé, les restos et les snacks aussi. Il est 14 heures, et moi qui voulais manger un truc, me voilà bien. Un snack n’a pas encore complètement fermé, il m’accepte à l’intérieur, et j’avale une tajine dans le noir, entre le frigo et les chaises empilées. Dans ce petit snack, les proprios veulent me cacher on dirait. Finalement, je regagne le camping à l’extérieur de la ville sans avoir aperçu les soi-disant émeutiers. J’apprendrais par la suite qu’il y a eu presque 15 morts, et que ces heurts ont étés provoqués par la défaite de l’équipe de foot locale !

A suivre…

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8 Réponses

  1. Hola Willi , Esta historia es estupenda , como las pasadas , pues la sintonia de la letra suena al ritmo del tam tam , hahaha , sin miedo y sin reparo de aventurero a periodista pasando por reportero de la causa saharaoui , .Con tando los kilometros 1592 , 1914 ,
    1996 bingo haha el ano que vine en Francia ,al mismo tiempo que leia sonaba con mis anos pasados , Bueno estimado amigo Willi , pronto el avion y estaras vilando la SALSA en RIO hahahaha , preparese Brasil WILLIAM llega ,,,,, cuidate

    25 octobre 2011 à 16 h 52 min

  2. Hervé Roquet

    Salut William!
    Merci de nous partager toutes ces expériences, vraiment c’est un cadeau. J’adore le ton et le style de tes chapitres, je viens de me lire les chapitres 5 à 9 et oui c’est vrai on a du plaisir à te lire.
    J’en profite aussi pour te dire que t’es le premier des résultats sur google avec « Tour du monde en vélo william » c’est comme ça que j’ai retrouvé le blog :)Bref c’est la classe.

    Bon voyage, et si par hasard tes plans ont changés au point de considérer un tour en afrique de l’ouest, sache que ‘un peu d’autostop/taxi-brousse au ghana, togo, côte d’ivoir, bénin peut bien me motiver.

    Hervé (de Cotonou)

    6 octobre 2011 à 15 h 09 min

    • Comme ca me dirait trop!!! Par contre j’ai pas vraiment le temps pour aller jusque vers chez toi par voie terrestre, je prend un avion pour Rio le 27 octobre… Tu pense qu’il faudrait combien de temps pour se trouver a mi-chemin?
      Sinon ca se passe pour toi? t’as pu bouger un peu?
      A plus et merci pour les compliments!

      9 octobre 2011 à 15 h 51 min

  3. Tiziana

    EH mich mich!!! c’est vrai qu’on a bien du plaisir à te lire. et je t’avoue que je t’envie un peu depuis ma chambre à lausanne en train d’essayer de faire mon planning horaire pour l’uni 🙂 j’espère que tout se passe bien pour toi et que le sentiment océanique ne se trouve pas trop loin!!!

    5 octobre 2011 à 6 h 28 min

  4. Marco Gremaud

    Toujours haut en couleur, bien enlevé, bravo.

    4 octobre 2011 à 16 h 47 min

  5. Yes William! Toujours un plaisir de te lire…

    4 octobre 2011 à 12 h 30 min

  6. Fäbi

    toujours autant de plaisir à lire tes récits, merci Wiwi!

    3 octobre 2011 à 22 h 00 min

    • Toujours autant de plaisir à tes commentaires 😉

      3 octobre 2011 à 22 h 26 min

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