Chapitre 13: Dakar à la mode sédentaire
»’C’est qui? C’est Diallo! »
Voilà, me voici enfin à Dakar! 5’600km, 80 jours, 6 pays et une crevaison après mon départ de Lausanne, je boucle la première véritable étape de mon périple!
En arrivant à Dakar, je retrouve ma famille, les Diallos. »Comment ça, William est africain?! » me direz-vous. Pour faire vite: Sandrine, une cousine lointaine a épousé il y a une vingtaine d’année Karim. De leur union sont nées deux filles Maïmouna et Julie qui ont à peu près mon âge. La dernière fois que je les ai vues, c’était il y a une dizaine d’années, et je suis très excité à l’idée de les revoir! En revanche, je n’ai aucun souvenir de Karim, je crois ne l’avoir jamais rencontré. Savoir que je vais retrouver de la famille, même éloignée, m’a souvent servi de carotte pour avancer durant ces dernières étapes. Merci aux aïeules pour cette famille tentaculaire!
Une fois arrivé dans la ville de Dakar, je demande le quartier de Hann Mariste. Un mécanicien qui rentre chez lui à vélo me guide sur plusieurs centaines de mètres. Ensemble, nous slalomons entre les voitures et les nids de poules. Une fois dans le quartier en question, j’appelle Sandrine: il faut que je me rende auprès d’un certain rond-point. Là, elle viendra me chercher. Bien sûr, je me trompe de rond-point, mais une chose assez incroyable se produit. Alors que j’attends sagement, une voiture s’arrête à ma hauteur, et un type sort sa tête par la fenêtre: »Eh vous, vous-êtes qui? Es-tu William? ». Je le dévisage, et sa tête ne me dit rien. Je me demande qui peut bien me connaître à Dakar ? Certes, je vais devenir une célébrité, mais ce n’est pas encore le cas! Comme le monsieur ne ressemble pas du tout à Sandrine (eh oui, c’est un homme et il est noir, Sandrine est une femme et elle est blanche -> je suis un très bon observateur), je lui dit que je cherche un certain Karim. Aussitôt, sont visage se fend d’un grand sourire et m’affirme être ce même Karim. Je me méfie, j’ai rencontré pas mal de gens qui essayaient de se faire passer pour je ne sais quelle connaissance lointaine dans le but de me soutirer quelques sous. Heureusement, très vite, Karim dit le mot de passe »Aaaah, William, tante Geneviève (ma grand-mère) m’a prévenu de ton arrivée, mais je ne savais pas que t’étais déjà à Dakar, quel hasard de se rencontrer comme ça! »
Eh oui, quel hasard. J’étais à plus de 2km du lieu de rendez-vous fixé par Sandrine, et Karim, qui ne me connaît pas, rentrait du boulot et n’était pas averti de mon arrivée imminente. Ainsi, c’est en suivant la voiture de Karim que je rejoins la maison des Diallos. Accueilli comme un des leurs, je vais y passer deux semaines avant de m’envoler vers l’Amérique Latine!
Dakar
Les premiers jours passés chez les Diallos se déroulent sous le signe de la paresse. Alors que j’avais envie de visiter la Casamance et la Gambie, chaque jour je me réveille avec un objectif journalier bien plus singulier: attendre le prochain repas. Mais attention, je me lève tôt, coupe du monde de Rugby oblige! Les demie-finales débutent à 7h30, heure sénégalaise. A l’heure dite, je suis en place devant la télé, la tête dans le cul certes, mais bien décidé à rattraper mon retard. En effet, la dernière partie que j’ai pu suivre était… Italie – Russie alors que je me trouvais encore à Tan-Tan: ça fait un bail!
Donc me voilà bien en place, un bol de chocolat au lait en face de moi. Coup d’envoi, Pays de Galles – France, ça promet d’être serré! 10minutes s’écoulent et d’un coup, plus de ventilo, la télé s’éteint. Noooooooooooooon! Coupure de courant……. Pendant mon interminable attente, la maisonnée se réveille peu à peu, Karim et Sandrine peuvent ainsi assister à mon interminable attente! Mon frère me tient au courant par SMS, mais soudain, miracle, alors que je croyais la partie terminée, ma grasse matinée sacrifiée inutilement, la télé se rallume! Je peux enfin m’enfoncer dans le canapé et assister à la dure victoire du XV de France. Cette place en finale face aux All Blacks rajoute du suspens à mon séjour sénégalais. Dans une semaine, je devrais trouver une télévision captant TF1…
Durant cette première semaine à Dakar, certes, je ne suis pas aussi actif que je l’avais prévu, mais je parviens quand même à découvrir la ville. Maïmouna me fait découvrir l’entier du quartier des maristes de nuit, me présente à plusieurs de ces copains sénégalais. Sandrine me fait découvrir de jour ce même quartier qui a alors des allures totalement différentes.
Souvent je prends mon vélo pour me rendre dans le centre-ville. Au total, je fais plus de 100km dans Dakar. Je peux constater avec fierté que j’arrive en seulement quelques paroles fermes mais polies à éloigner les vendeurs ambulants qui ont une réputation terrible dans tout le pays. »Tu verras, ils te suivent parfois pendant 20 minutes » m’avait-on dit. Mes semaines d’entraînement marocaines m’ont bel et bien été utiles. Je me rends aussi au bout du Cap Manuel pour y contempler tranquillement l’océan que je m’apprête à survoler…
Entre Interview et conférences
Karim et Sandrine travaillent au sein du groupe scolaire Marc Perrot (Karim est le big boss) qui réunit des élèves allants de la maternelle au Lycée dans deux établissements. Il me propose de présenter mon voyage devant certaines classes avec l’aide de Naomi, une volontaire qui s’occupe de l’atelier bibliothèque (entres autres). Ensemble, nous mettons sur pied une conférence adaptée à chaque niveau. A chaque fois, je montre mon vélo chargé, et quand l’électricité est au rendez-vous, je projette certaines de mes photos. Moi qui n’ai aucune expérience pédagogique, je découvre les joies de »l’enseignement »! Pas facile de captiver son auditoire quand un professeur s’amuse dans mon dos à filmer l’assemblée et à projeter le tout en direct sur un écran TV!
Les enfants sont enthousiastes. Ils me serrent la main quand j’entre dans la cours de l’école, m’interpellent quand ils me croisent dans la rue et écrivent de gentils commentaires sur mon site. J’espère que, outre leur avoir fait louper une heure de maths ou de français, je leur ai permis de voyager un peu et donner l’envie de partir à la découverte du monde…
Grâces aux contacts de Karim, je rencontre aussi un journaliste qui me fait interviewer par une jeune stagiaire. Ainsi, je me rends un soir aux bureaux du journal Le Soleil. Je me fait photographier sur mon vélo, et répond aux questions de ma jeune interlocutrice. Le rendu est flatteur et correspond bien à ce que j´ai dit pendant l’interview. Le tout occupe une page entière du supplément de l’édition du week-end et comporte trois photos de moi. Suite à cet article, Karim m’appellera »la vedette » jusqu’à mon départ.
Trip en Toubab style avec Julien
Vous vous rappelez de Julien de Saint-Louis? C’est le français qui était dans la même auberge que moi et qui ne parvenait pas à connaître la date de sa rentrée universitaire. Eh bien, les profs ne se décidant pas à commencer leurs cours, il me contacte pour me proposer un trip vers la Casamence! Malheureusement, je n’ai que 3 à 4 jours de disponible, ce qui est trop peu. Nous décidons de nous rendre dans le delta du Siné-Saloum, un peu plus près, et aussi très joli. Nous commençons notre voyage depuis M’Bour où nous nous retrouvons dans une petite auberge tenue par une… Suissesse! Lors de la soirée passé dans cette ville de la Petite Côte, nous constatons la popularité de la région au sein des consommateurs de sexe. Rien qu’au restaurant où nous nous rendons, à chaque table se trouve un toubab (homme ou femme) relativement âgé, en compagnie de deux noirs qui ne sont pas là pour leur propre plaisir…
La première étape de ce long week-end est »la forêt de Baobab »! Nous retrouvons Marie (cf. chap 12) devant une agence tenue par un de ses amis qui propose des tours en… Buggy! Allez, ça fait pas de mal de retomber sur les rails du tourisme conventionnel, me voilà parti pour une matinée de rallye. Attention, si nous roulons à fond la caisse pour rejoindre chaque point d’intérêts, les stops sont tous très intéressants, et notre guide nous apprend plein de chose sur la faune, la flore, les us et coutumes des habitants de la région. Nous pénétrons même à 5 à l’intérieur d’un baobab creux! Bilan: expérience enrichissante en plus d’être amusante. Ouf, au départ nous avons craint le pire avec Julien!
La deuxième étape. Ndangane et le détroit du Siné-Saloum. A moins de 200km de Dakar, le changement de décor est total. Après avoir changé plusieurs fois de bus, pris deux taxis, traversé des villages perdus et emprunté des pistes délaissées, nous arrivons à Ndangane. C’est depuis cette petite ville au bord de l’eau qu’il est possible de partir explorer le delta à bord d’une pirogue. Nous faisons la connaissance d’Obi No Mag qui nous propose de faire un tour d’une demie-journée pour un prix plus que raisonnable. Nous acceptons. Cette après-midi, à s’enfoncer dans les botongs, sortent de canaux serpentant au coeur de la mangrove, est forte sympathique. Nous nous arrêtons aussi sur la belle et grande île de Mar Lodj, où il n’y a, comme à Zermatt, aucune voiture.
A Ndangane, c’est ultra galère de trouver une tv pour regarder la finale de la coupe du monde de rugby. Je me lève à 7h pour faire du porte-à-porte, d’auberges en auberges, de petits hôtels en petits hôtels. Aucun établissement n’a TF1… Heureusement, Marie qui est restée à M’bour me tient au courant du score en temps réel via SMS, merci Marie!
Troisième et dernière étape: Retour sur Dakar et visite de l’île de Gorée. Cette île, à seulement 20minutes de bateau contraste drastiquement avec l’agitation de la capitale. Ici les gens sont posés, accueillants et souriants. Gorée est connu pour sa maison des esclaves, symbole fort rappelant au monde l’horreur de la déportation et du commerce triangulaire. La visite de cette petite maison où pouvait s’entasser jusqu’à 200 personnes me rappelle aussi l’horreur des camps de concentrations européens. On est vraiment des salauds, nous les humains…
A Gorée, Julien et moi trinquons une dernière fois. Au sommet de l’île, en contemplant le soleil qui se couche derrière Dakar, nous buvons notre dernière Gazelle, la bière locale que nous buvions tout le temps à Saint-Louis. Ces quelques jours de voyage en sa compagnie étaient sénégalaisement très sympathique! Rendez-vous en Europe dans un an, autour d’une même Gazelle, hein Julien!
Dakar, suite et fin
Mardi 25 octobre, me voilà donc de retour à Dakar pour préparer mon départ. En vérifiant mon heure de départ sur internet, je réalise que mon avion part 24h plus tôt que ce que j’avais noté. Course contre la montre: je pars le lendemain! Après une chasse au carton dans tout le centre-ville, je parviens à trouver de quoi emballer mon vélo. A grand renfort de Scotch, je parviens à faire rentrer ma monture dans un vieux carton de réfrigérateur. Ouf, tout est prêt à temps! Le carton est immense, et c’est grâce à Maïmouna et ses contacts que je peux vous écrire depuis Rio. En effet, car sans elle, jamais je n’aurai trouvé quelqu’un pour le transporter jusqu’à l’aéroport!
Mon séjour en Afrique est terminé, je suis heureux d’avoir refait la connaissance de ses cousines éloignées. Maintenant, cap sur Rio où de nouvelles aventures – d’un autre genre – m’attendent.
Chapitre 12: Teranga sénégalaise
Premiers instants sénégalais
Après trois semaines de désert, le vert du Sénégal est le bienvenu. Le premier barrage de police m’annonce néanmoins la couleur : ce n’est pas avec les autorités que je ferais ami-ami, celles-ci étant bien plus austères qu’en Mauritanie !
En me dirigeant vers Saint-Louis, je rencontre aussi beaucoup plus de monde, les villages que je traverse étant toujours plus peuplés et animés. Les maisons en terre et les huttes ont remplacé les tentes des nomades : changement de décors !
Mes premiers kilomètres sénégalais se font en compagnie d’Aliou. Il s’agit d’un jeune sénégalais de 16ans, parti faire une course à 40km de chez lui sur son vieux VTT. Ensemble, nous parcourons une trentaine de kilomètres, nous arrêtant de temps en temps à l’ombre d’un arbre ou dans un village pour remplir nos gourdes. Aliou est très mature pour son âge. Issu d’une famille pauvre, il sait que la seule clé pour évoluer et sortir de sa condition est l’éducation. En fin de journée, nous nous séparons. Merci Aliou d’avoir accompagné mes premiers coups de pédale au Sénégal !
A l’heure du bivouac, je renoue avec les précautions élémentaires pour ne pas être repéré. Dans le désert, je ne pouvais pas trop me cacher, et je m’en moquais, mais là, je ne veux pas être importuné par les curieux d’un possible village voisin ou par quelques voleurs de vélos pendant la nuit. Ainsi, je m’élance d’un coup hors de la circulation pour rejoindre un petit bosquet à 500m de la route. Une fois à l’abri de la végétation, j’attends l’arrivée de la nuit pour monter ma tente. En attendant, j’écris dans mon carnet et je prépare mon repas du soir. Barrero, mon collègue cyclo-espagnol qui aimait beaucoup la discrétion serait fier de moi (cf. chap 2) !
J’aurais certainement pu « trasher » et arriver à Saint-Louis le soir même, mais je tenais à faire connaissance avec la terre sénégalaise via cette première nuit à même le sol. Ce que je n’avais pas pensé, c’est d’être si vite présenté aux moustiques locaux. Aussitôt la nuit tombée, ils pullulent autour de ma tente ! Je finis ma platée de pâtes en quatrième vitesse, temps pis pour la vaisselle, je la ferais demain à Saint-Louis !
Saint-Louis
M’étant couché à une soixantaine de kilomètres de Saint-Louis, la ville exerce dès le matin son pouvoir d’attraction. Je ne prends pas mon petit-déjeuner, comme je le fais d’habitude, à proximité du campement après avoir rangé mes affaires. Cette fois-ci je charge mon petit paquet de céréales sur ma sacoche de guidon et les manges tout en roulant. Expérience concluante, j’arrive à effectuer 10km de la sorte !
Peu à peu, le nombre de voiture s’accroît, les foules sur le bord des routes sont toujours plus denses, les nids de poules encore plus profonds, et soudain le fameux Pont Faidherbe ! Tel une Tour Eiffel couchée en travers du fleuve Sénégal, ce long pont métallique me permet de rejoindre l’île de Saint-Louis où je vais séjourner cinq jours.
Cette ville est parfaite pour l’acclimatation à l’Afrique Noire. Après plusieurs semaines de Maghreb me voilà réellement dans le vif du sujet. J’entre dans un autre monde, mes yeux sont grand ouverts, c’est la découverte totale. Je suis certes déjà allé en Afrique du Sud et au Kenya, mais de par mon mode de transport, je me trouve complètement immergé dans la culture et la société sénégalaise et les rencontres se font nombreuses.
Aussitôt arrivé sur l’île de Saint-Louis, je m’installe à la terrasse du premier café venu pour finir mon petit-déjeuner. En forme et de bonne humeur je me dirige ensuite vers l’auberge de jeunesse de la ville où je vais poser mes sacoches pour quatre nuits.
L’adjectif qui correspondrait le mieux à la ville de Saint-Louis est PAISIBLE. En effet, dans cette ville terminus de l’aéropostale, on est loin de la vie trépidante et stressante de Dakar la capitale ! Pendant ces quelques jours, je fais la connaissance de Julien et Marie deux jeunes français, futur étudiants en sociologie à l’université de la ville. Par leur intermédiaire, je découvre les joies de la bureaucratie sénégalaise. En effet, chaque matin je les verrais partir sur le campus afin de tenter de décrocher un logement, mais surtout de connaître la date de la rentrée scolaire qui est imminente !
Julien est présent sur place depuis déjà plusieurs jours, du coup c’est lui qui me fait visiter la ville. Ensemble nous rencontrons plusieurs personnes sympathiques. Aziz par exemple, qui tient une petite boutique de bijoux et de sculptures, nous invite tous les soirs à venir faire une partie d’Azalée devant son magasin. Avec un autre Aziz, nous allons boire un verre en attendant un concert qui ne viendra jamais au Quai des Arts. Finalement, avec les personnes gravitant autour de l’auberge, nous passerons des heures à parler de la politique et de l’avenir du pays. Les élections présidentielles de février prochain préoccupent : Wade va-t-il oser se représenter ?
Après ces quelques jours de repos, je prends une dernière fois la route pour…
Dakar
260km me séparent de mon terminus. A l’origine, je voulais les savourer et prendre le temps de m’arrêter dans les villages et de bivouaquer sur la route entre les baobabs. Mais Dakar m’attire ! Comment flâner en étant si près du but ? Le pouvoir d’attraction de Dakar est trop fort, j’y arrive en deux jours. Ces derniers kilomètres du parcours sont marqués par les sourires et les marques de sympathie des gens que je croise sur la route. La Teranga sénégalaise, cet art de l’accueil, je l’expérimente aussi en route. A Louga, alors que je cherche une gargote pour ingurgiter une platée de riz, Ibrahim, un enseignant de l’école de la ville, m’invite dans sa demeure pour partager son repas.
L’arrivée sur Dakar est digne d’un rodéo urbain. Les voitures foncent, se doublent, me frôlent, la route est étroite. Tel une barque dans une mer agitée, je lutte pour ne pas chavirer. Chaque cinq secondes, quand un camion me dépasse au quadruple de ma vitesse, la masse d’air qui le suit me percute, me chahute, me fait perdre le nord pendant quelques instants. Aussitôt je m’emploi à redresser la barre, si je m’éloigne trop de mon cap, la prochaine déferlante risque de me frapper de plein fouet ! Je tiens bon, je ne chavire pas !
C’est sportif d’arriver ainsi dans une mégapole ! De plus, la poussière dégagée par ces monstres ambulants me bouche les narines, me pique les yeux. Je trouve la solution en enroulant mon chèche autour de ma bouche et en enfonçant mon chapeau jusqu’à mes lunettes de soleil. Ainsi vêtu, je m’amuse à fixer les gens sur le bord des routes qui détournent aussitôt les yeux ! Je fais peur, on me laisse tranquille !
Finalement, après 80 jours de vélo et plus de 5’600km de vélo à travers la France, l’Espagne, le Maroc, le Sahara Occidental, la Mauritanie et le Sénégal, je dépose mes sacoches dans la cour de la famille Diallo, ma famille…
à suivre …
Chapitre 11: Bye bye Mauritanie!
Nouakchott, à l’instar de Nouadhibou, a des airs de paradis. Pas exactement pour les mêmes raisons, car c’est une ville grouillante et sans grand intérêt qui a supplanté le décor unique de la Baie du Lévrier et du Cabanon 3. Seulement voilà, imaginez une grande maison avec des ventilateurs. Dans le hall d’entrée trône une table de ping-pong et à deux pas de ma chambre se trouve un frigo remplit de bières belges. Pour finir, Manu possède une bibliothèque monstrueuse, certainement la mieux fournie du pays concernant les ouvrages mauritaniens !
Le lundi 3octobre, j’arrive vers 16h30 à Nouakchott, après une journée de 110km où je passe mon, attention… 5’000ème kilomètre depuis Lausanne !!! Je retrouve Manu qui m’escorte jusqu’à leur maison. Il m’avait averti il y a quelques jours à Nouadhibou : « Tu verras, avec le boulot de Tom on a une immense maison. C’est quand même à la limite du raisonnable … ». C’est vrai que cette maison a des allures de palais. Une immense terrasse, un jardin très vert, une cuisine bien garnie, de nombreuses chambres d’amis…etc. Manu et Tom vivent ensemble à Nouakchott depuis le début de l’année, et avant cela ils vivaient en Belgique. Tom travaille au sein de la délégation de la communauté européenne en Mauritanie. Il est anglais d’origine et a rencontré Tom à Pau il y a environ 10 ans à l’université. Manu est professeur de littérature mauritanienne francophone à la fac de la capitale. Il écrit aussi des chroniques littéraires dans un journal local. Comme il passe beaucoup de temps à travailler à domicile, c’est lui qui me fait découvrir la ville. Je lui pose aussi de nombreuses questions sur la littérature mauritanienne que je ne connais pas du tout. Par exemple, j’apprends que la poésie est un art extrêmement populaire chez les jeunes. Parfois, ils se retrouvent et font des Battle de poésie ! Malheureusement, les publications de textes sont souvent faites à l’arrache. La relecture est partielle (comme sur 20kmh.net!) et de nombreuses fautes de mise en page, d’orthographe et de syntaxe se trouvent dans tous les ouvrages ! Suite à ses conseils, j’achète deux livres du cru. Je vous en donnerai des nouvelles !
Alors que je m’installe, je réalise à quel point ma situation est insolite ! Je suis en République Islamique de Mauritanie, et je loge chez un couple gay au frigo remplit d’alcool et de saucisses de porc confites et pour couronner le tout, mon visa est expiré ! Quand je pense à toutes les personnes qui m’ont imploré de zapper la Mauritanie, je ne regrette en rien mon choix de traverser ce pays malgré tout.
Durant ce séjour, je vais rencontrer une partie de la scène des expatriés européens de Nouakchott. Certains bossent pour des ONGs, d’autres pour les ambassades ou tiennent des restaurants. Je retrouve aussi Saleck et Fé que j’avais déjà rencontré à Nouadhibou. Ne trouvant pas d’autocollant du drapeau Mauritanien (je colle les drapeaux de chaque pays traversés sur mon vélo), Saleck me donne un sticker de l’association de protection des ânes battus pour laquelle il travaille. C’est vrai que mon vélo, avec tout son barda, à un peu des allures d’âne surchargé (je ne le bats pas, rassurez-vous)!
Le thé : le « whisky mauritanien »
Le séjour se passe pour le mieux, malgré la chaleur qui est bien là. Celle-ci rend les déplacements en ville fastidieux tant mon t-shirt se retrouve trempé rapidement. Je profite aussi de ce temps d’arrêt pour faire quelques emplettes. J’achète notamment le nécessaire pour faire le thé mauritanien. Ici, ils carburent au thé ! À longueur de journée, ils sont autour de leurs gros réchauds à gaz surmontés d’une petite théière. Ils passent de longues minutes à préparer cette mousse qui caractérise si bien cette décoction super-énergétique !
Théière, petits verres, sucre, thé, menthe : j’ai tout ce qu’il faut, reste à savoir le faire ! Cher est un des quatre gardes qui surveille la maison. D’après Manu, c’est celui qui fait le meilleur thé. Avec un plaisir immense il m’accueille dans son poste de garde et me dit comment faire : « Alors tu prends le thé – Tu verses la moitié du paquet de thé dans la théière – tu mets deux verres d’eau si tu veux servir le thé à 3 personnes – tu mets le sucre (beaucoup!), la menthe, on chauffe lentement…etc. » Le moment critique dans la préparation du thé, c’est vraiment la confection de la mousse. Celle-ci occupe la moitié du verre. Elle doit être dense, très consistante. Pour la faire, il faut faire passer le liquide d’un verre à l’autre. Cela peut prendre plusieurs minutes, et moi, j’en mets la moitié à côté ! Pour accélérer les choses, Cher prend le relais et m’aide un peu. Nous trinquons enfin après vingt minutes de préparation. L’opération se répète 3 fois. Le premier thé étant le plus fort de tous, les deux autres plus sucrés. Cet échange avec Cher était vraiment super. Dorénavant je penserai à lui à chaque fois que je me lancerai dans la préparation d’un thé mauritanien.
Pour mon départ, Tom et Manu veulent faire les choses bien. Ils me demandent ce que je veux manger, sans hésiter je demande une sole/ purée au pilon. Quel repas ! Ils invitent quelques amis pour partager ce repas, Saleck et Fé se joignent une dernière fois à nous. Les soles sont superbement préparées, et la purée est comme je les aimes, et attention: je m’y connais ! Bien sûr en apéro, j’ai eu le droit à une dernière Gueuze, pour la route. Le lendemain je quitte cette joyeuse bande de Nouakchott que j’espère revoir un jour. Il me reste moins de 300km pour rejoindre le Sénégal : en route !
Rosso
Cette route du sud de la Mauritanie ne présente pas grand un intérêt. Peu à peu les arbres apparaissent, les paysages deviennent plus verts, et les bords de routes sont plus peuplés. Des gamins me gueulent « donne-moi cadeau ! » à chaque fois que je passe à proximité. Un d’eux me jette un bâton qui ne m’atteint heureusement pas. Je trace, sans essayer de m’arrêter dans les villages.
Je passe toutefois un très bon moment à 70km au sud de Nouakchott. N’ayant pas de quoi pique-niquer, je décide de m’arrêter à la première proposition de repas venant d’une des tentes de nomade bordant la route. Alors que je pédale à vive allure et le ventre vide, j’entends une femme crier « Monsieur ! Venez manger? » Comme convenu avec moi-même je m’arrête, m’attendant à ce que des gosses viennent m’assiéger en me demandant des cadeaux. Rien de tout ça, j’entre sous la tente, quatre enfants de 1 à 9 ans piochent calmement dans grand plat de riz posé sur le sol. Il y a la dame qui m’a appelé, mais aussi son jeune frère de 25 ans et une autre dame, plus discrète. Je suis convié à partager leur repas. D’emblée je veux mettre les choses au point concernant les prix, je ne veux pas me faire avoir comme un bleu. Ça va faire bientôt 2 mois que je suis en Afrique et je sais qu’il faut demander les prix AVANT ! Mais là je suis surpris, c’est une réelle invitation ! Nous passons un bon moment ensemble, au frais sous cette tente. Je leur parle de mon parcours en Mauritanie, des montagnes suisses (la neige : de la science-fiction ici!) …etc. Le jeune sort sa radio, il a quelques chansons locales sur une clé usb et me les fait écouter. Fièrement il me fait aussi écouter Phil Collins, Michael Jackson, Céline Dion ainsi que la chanson du Titanic en Arabe!
C’est dans ces moments paisibles qu’il est difficile de retourner dans la fournaise et de reprendre la route. Néanmoins, c’est ce que je fais. A chaque village je dois faire face à ces nuées de gosses insupportables qui me prennent pour le Père Noël. L’un d’eux va même jusqu’à me chaparder mon petit drapeau mauritanien que j’avais accroché à l’arrière de mon vélo et qui faisait sensation dans tous les postes de contrôles que je traversais…
Après une dernière nuit dans le sable, j’atteints Rosso. Celle ville est souvent décrite comme un nid de pickpockets, de voleurs, d’arnaqueurs et de douaniers verveux. J’appréhendais un peu. Arrivant à l’heure du midi, je m’arrête dans une gargote pour manger un dernier bout de chameau. Aussitôt, un sénégalais à l’allure sympa s’approche. Il s’appelle « Michel, euh, Mickaël ». Il dit avoir beaucoup voyagé dans toute l’Afrique et connaît très bien les données géographiques des pays alentours. Il me les récite comme s’il lisait une encyclopédie à voix-haute. Aussi, il aime bien les européens qui voyagent à vélo (tiens donc) et me propose de traverser le fleuve Sénégal avec moi pour éviter tous les problèmes. Je suis méfiant, lui demandant son prix, il me ressort tout un speech sur l’amitié et les liens du cœur, bref un Aziz de Tanger junior tout craché (cf. chapitre 5) !
Je pense m’être débarrassé de lui quand je passe le premier contrôle de gendarmerie. Là, sous l’œil inquisiteur des officiers, nous nous serrons la main et nous disons au revoir. Mais cela n’est que du cinéma pour détourner la vigilance des gendarmes, car à peine quelques minutes plus tard, je le retrouve de l’autre côté, près de l’embarcadère. Il a l’air soucieux, car ici les concurrents charlatans sont nombreux. On vient me proposer entre autre du change ou une pirogue pour traverser le fleuve Sénégal qui fait office de frontière. Je décide de continuer à faire confiance à Michel. Je lui donne 1000 francs CFA (2€) pour qu’il négocie la traversée du fleuve auprès des piroguiers. Pendant ce temps, je donne mon passeport aux douaniers qui me font un tampon de sortie du territoire sans même me poser des questions concernant mon visa expiré depuis plusieurs jours ! Ça ne valait vraiment pas la peine de s’en inquiéter!
J’attends quelques minutes, mais au bout d’un moment, je suis forcé de constater que Michel ne revient pas ! Et voilà, me dis-je, il a disparu avec mon argent, je n’aurai jamais du lui faire confiance… Alors que je me dirige vers le groupe de piroguiers, un type vient vers moi : « Michel est arrêté par la police, viens le libérer ! ». Je le suis jusqu’au bâtiment des policiers où je gare mon vélo. On me dirige dans une petite salle sombre où Michel se tient debout, entouré de plusieurs policiers bien balèze. Le chef m’interpelle :
« – Est-ce que vous connaissez ce voleur ? Il vous a prit 1000Frcs !»
– Euh oui, c’est mon guide, c’est moi qui lui ai confié cet argent…
– Vraiment ?! et c’est vrai que vous l’avez appelé de France pour réserver ses services ? »
Oula, mais dans quoi je me suis mis moi, qu’est ce qu’il est allé leur raconter ? Je réponds oui pour prendre sa défense. Aussitôt, ils nous relâchent. Ouf…
La traversée en pirogue ne dure que 5minutes, et Rosso-Sénégal semble tout aussi inhospitalière que sa jumelle mauritanienne. Sans m’attarder, je me dirige vers la sortie de la ville avec Michel. Au moment de nous séparer, je suis surpris de constater qu’il ne me demande rien ! Je sais qu’il attend quelque chose, mais sa passivité me laisse perplexe ! Je lui donne finalement quelques petits billets pour le remercier de ses services. Nous nous séparons bons amis.
Il est 14h, nous sommes le vendredi 7 Octobre, et je lance mon vélo à toute allure sur la route défoncée menant à Saint-Louis.
A suivre ….