Chapitre 10: « through the desert on a bike with no name »
Co-voiturage vers la Mauritanie
On est le 27 septembre, je dois faire un nouveau choix. Mon Visa Mauritanien finit dans une semaine, et je me trouve encore à 300 km de la frontière. Une fois en Mauritanie, j’ai 500 km à faire pour atteindre la capitale Nouakchott pour pouvoir espérer prolonger un peu mon visa, suffisamment en tout cas pour atteindre en vélo la frontière sénégalaise. Du coup, je décide de rejoindre Nouadhibou, la première ville mauritanienne, en voiture. Me voilà donc en route pour la Mauritanie, et de nouveau à bord d’un véhicule motorisé! Certains y verront une marque de faiblesse, de la triche, de la paresse. Il faut savoir que là je suis réellement embêté de snober les 300km restant de Sahara Occidental. En plus, avec le vent qui souffle, j’aurai une fois de plus pu avancer à vive allure! Bon, pour me consoler, je vais profiter de l’invitation de François, franco-suisse rencontré sur la route, dans sa super maison à proximité de Nouadhibou. 🙂
Le trajet entre Dakhla et la frontière mauritanienne est long et monotone. Etrangement, je trouve ça moins casse-pieds d’être dehors à pédaler. Je suis à bord d’une voiture mauritanienne, une vieille Mercedes, et mon vélo est casé dans le coffre, dépassant des deux côtés. Pourvu qu’il ne s’accroche pas au premier camion que nous doubleront! Souiran, le chauffeur est un peu lunatique. Je le trouve tantôt très amical, tantôt bizarre. Je suis méfiant, je me rappelle la fois où, en Albanie, un chauffeur verreux nous avait arnaqué copieusement avec Robin. En route, nous ramassons un autre voyageur marocain qui s’occupe de faire le thé dans la voiture. En continu, nous buvons de ce breuvage qui, en descendant vers le Sénégal, s’intensifie, s’assombrit, et se couvre d’une écume toujours plus dense et épaisse. Le rituel de préparation devient aussi de plus en plus long, en Mauritanie, il faut bien compter 1h pour boire les trois thés réglementaires !
No Man’s Land
A 16h, c’est le point phare de cette journée: le passage de la frontière entre le Maroc et la Mauritanie. Les deux pays sont séparés d’un No Man’s Land d’environ 6km. Cette bande de terre est lourdement minée, et des voleurs l ‘arpente nuit et jour. Pour compliquer le tout, la route disparaît et est remplacée par une piste en piteux état! Après être passé dire bonjour aux gendarmes, aux policiers et aux douaniers, nous nous élançons sur cette piste jalonnée de cadavres de véhicules. Le chemin n’est pas toujours clairement indiqué, et ce qui devait arriver arriva: nous prenons un mauvais embranchement et nous nous ensablons! Aussitôt, des enturbannés apparaissent. Que nous veulent-ils, et mon vélo, va-t-il attirer leur attention?? Finalement, tout se passe bien. Deux d’entre eux sont des chauffeurs d’un autre camion: solidarité « chauffeurienne »! En revanche, deux autres ont l’air beaucoup plus louches, surgissant de derrière une dune. Ensemble, nous poussons la voiture, dégonflant les pneus. On essaye de trouver une adhérence, une accroche. Finalement, après une vingtaine de minutes d’effort, la voiture avance de 10m! Le moteur chauffe, 120°C, il faut attendre, trouver de l’eau pour refroidir le tout. Deuxième acte : on pousse encore plus fort. Cette fois-ci, c’est plus facile, la voiture jaillit du sable, et enturbanné (le plus louche de tous) qui est au volant part à toute allure, nous laissant tous plantés sur place. « Mon vélo »! (avec la voix de Bourville dans La Grande Vadrouille). Quelques instant de semi-panique, mais heureusement, c’était une farce, le chauffeur s’arrête 100m plus loin. Peu à peu la frontière Mauritanienne se dessine, les uniformes changent, et là …
Nouadhibou
…Ça y est, je rentre en Mauritanie! Je suis excité car je ne connais rien de ce pays, si ce n’est pour sa réputation de pays hautement à risque. Al Qaida au Maghreb Islamique, prises d’otages, les événements des dernières années ont fait une très mauvaise publicité au pays. Afin de prendre la température, je fais donc étape à Nouadhibou, chez François, au « Cabanon 3 ».
Nouadhibou, à l’instar de Dakhla, est situé sur une presqu’île qui s’enfonce dans l’Océan Atlantique sur une cinquantaine de kilomètres, parallèlement à la côte. La maison de François est située à dix kilomètres de la ville, les pieds dans l’eau. Elle est orientée vers le continent, côté lagune. Ici, on est loin de tout complexe touristique classique, il s’agit plutôt d’un mixte entre auberge, maison d’hôte, et base de loisirs à usage des aventuriers! Pour trouver le Cabanon 3, il vous faut emprunter une piste de dix kilomètres (quand celle-ci n’est pas inondée par la marée), traverser un bidonville et slalomer entre les ornières pleines de sable pour rejoindre ce mini-hameaux paradisiaque. Et si la marée vous coupe du monde, vous pouvez toujours rejoindre la ville en bateau! François a une spécialité, ce sont les raids en motos, en 4×4. A 22 ans, il est parti avec des copains faire une boucle dans toute l’Afrique de l’Ouest. Avec les quelques motos à disposition dans le garage, il propose plusieurs circuits dans tout le pays, que ce soit dans les dunes de l’Adrar ou dans le parc côtier du Banc d’Arguin. Mais ce n’est pas tout, il organise aussi des treks côtiers autour de l’immense et magnifique Baie du Lévrier. Les marcheurs évoluent sur le sable, pieds nus, pendant plusieurs jours dans un décor somptueux! Ce type de parcours correspondrait parfaitement aux amateurs de pêche car l’eau y est extrêmement poissonneuse, et c’est un vrai régal que de cuisiner sur un feu sa courbine. Malheureusement, ce n’est pas facile de faire venir des gens quand le site internet de la diplomatie française annonce la Mauritanie comme étant un pays extrêmement dangereux où tout le monde peut se faire kidnapper n’importe quand !
A la base, je ne voulais pas abuser de l’hospitalité de François, et je ne comptais dormir qu’une nuit, mais finalement je reste 3 nuits au Cabanon! Comme à Tiznit, à 1400km, je souffle. Je fais ma lessive, Philou m’aide à laver ma chaîne de vélo, je rattrape un petit peu mon retard de rédaction…etc. Le deuxième jour arrivent deux couples de Nouakchott qui profitent d’un week-end prolongé pour se ressourcer au Cabanon: Tom/Manu et Saleck/Fé. Nous faisons connaissance, puis sympathisons autour d’une partie de Uno nocturne. Tom est anglais et travaille au sein de la commission européenne d’aide au développement. Manu est professeur à la fac de Nouakchott, c’est un expert de littérature mauritanienne francophone. Saleck est mauritanien, et sort avec Fé, franco-allemande, qui vit à Paris. Lors des repas, de nombreuses discussions et débats concernant la Mauritanie et la région saharienne m’apprendront énormément sur la politique, l’histoire et les compositions ethniques de cette région du globe.
D’après eux, le pays est relativement sûr, en tout cas pour ce qui est de la partie côtière de la Mauritanie. Je n’ai donc rien à craindre entre Noadhibou et Nouakchott. Suite aux enlèvements d’occidentaux perpétrés par Al Qaida au Maghreb Islamique il y a quelques années, le gouvernement a mis en œuvre des mesures drastiques pour chasser les terroristes du pays et assurer la sécurité des voyageurs. Je vais bientôt pouvoir en faire l’expérience!
Nouadhibou-Nouakchott au fil des checkpoints
Je profite du départ des 4 compères pour me faire déposer au niveau de la frontière marocaine. Reconnaissant, je quitte François et Philou. J’espère les revoir un jour, à Genève, à Chamonix, ou ailleurs.
30 septembre, 12h30, me revoilà sur la route. Cette fois il fait chaud, et le vent pour se venger de mon infidélité, a tourné. Faché du fait que je lui ai préféré une voiture il y a quelques jours, il a décidé de changer sa direction: pendant 4 jours, le vent ne sera plus un allié, mais un ennemi à combattre.
François m’annonçait cette partie du Sahara comme étant un Must. Eh bien, c’est le cas ! Le désert commence en étant très jaune, plein de sable, et … très désert ! Pas grand monde, de la chaleur, du vent de face. C’est bien, je ne m’imaginais pas une traversée facile du Sahara. Mais au bout de 200km, les dunes se voient couvertes de quelques touffes d’herbes, de quelques buissons. En se rapprochant de Nouakchott, on se rend bien compte que la saison des pluie vient de se terminer, les paysages sont magnifiques tant les verts sont variés et contrastent avec les jaunes-orangés des dunes . Le premier jour de cette traversée, je profite d’une tente de nomade plantée à côté de la route pour faire baisser la température de mon corps. La dame qui tient cette tente me propose une grosse platée de riz/poisson pour 500 Ouguya (un peu plus d’1€), ainsi que du thé. J’accepte. Dorénavant, je suis à l’affût de ce genre de tentes/restaurants. Ils constituent une pause bienvenue.
Alors que la nuit s’apprête à tomber, je repère deux buissons qui pourront me protéger du vent. Je plante donc ma tente à proximité en prenant soin de bien l’orienter. En effet, le vent soulève des grains de sables qui, passant sous ma toile de tente, viennent buter contre la moustiquaire. Celle-ci fait office de tamis et laisse passer les grains de sables les plus fin. En cas de mauvais calcul, je me trouve, au matin, recouvert d’une fine poussière blanche et j’éprouve de la difficulté à respirer avec le nez !
Bref, je campe entre ces buissons, tout va bien quand j’entends une voiture se rapprocher. Un coup d’œil dehors : des phares se dirigent à toute allure vers ma tente. Je mets mon t-shirt, attrape mon passeport et ma balise Spot, au cas où (genre Al Qaida enlève les gens sans les fouiller…). C’est la gendarmerie, ouf ! Un officier sort, vêtu d’un boubou il m’annonce :
« – vous êtes en zone à risque monsieur, c’est pas bien de camper ici !
– Pourtant je suis caché ici, non ? Comment vous m’avez trouvé?
– On voit les bandes réfléchissantes de votre vélo depuis la route, il faut venir avec nous ; on va vous déposer en lieu sûr. »
Il est 23h, Je remballe tout mon matériel, range ma tente que j’ai si soigneusement planté, et monte dans leur pick-up. 10Km plus loin, ils me désignent une zone »sûre ». Pour veiller sur moi, ils montent un barrage routier, et restent à proximité de la tente toute la nuit ! C’est pas tous les pays qui veillent ainsi sur les voyageurs !
Le lendemain, tous les 50km, je rencontre une autre patrouille, qui contrôle les passeports des routiers. Tous sont sympathiques, ils s’appellent de postes en postes, demandent aux voitures qui passent s’ils ont vu un toubab à vélo, bref, je suis le feuilleton de l’été! Un soir, je partage leurs nouilles au méchouis, un midi, je cuisine des lentilles sous leur tente. A chaque fois, je passe de bons moments en compagnie de ces jeunes gendarmes souriants.
Les usagers de cette route sont aussi très sympathiques. De temps en temps une voiture s’arrête, et on me demande si j’ai besoin de quelque chose. Souvent, j’accepte une bouteille d’eau. Scène irréelle le deuxième jour. Un pick-up s’arrête et un mauritanien grisonnant sort de la voiture. Sont boubou virevoltant autour de lui, lui donne des airs d’empereur du désert. Il tient entre ses mains une cocotte-minute. Il l’ouvre devant moi, et avec un grand sourire me tend un bout de dromadaire sanguinolent ! Quelle générosité ! Mais, je dois refuser, ce bout de viande ne m’inspire pas confiance. Je prétexte un manque de place dans mes sacoches. Il retourne vers sa voiture et arrache le paquet de biscuit des mains de sa femme (qui ne veut pas le lâcher) et va chercher une bouteille d’eau. Cette fois-ci, je ne fais pas la fine bouche, j’accepte avec le sourire !
A propos de viande, tous les kilomètres une odeur nauséabonde envahit mes narines : une carcasse ! J’en croise depuis la Suisse, plusieurs dizaines par jour. Elles sont de précieuses sources d’informations. Grace à elles, je peux notamment établir un petit inventaire de bêtes peuplant les contrées que je traverse. Actuellement je croise beaucoup de gerboises, de chèvres, de poissons (!?), d’ânes, de vaches ou même de dromadaires ! Malheureusement toutes ces jolies bestioles sont écrasées et en cours de décomposition!
Au fil de ces charmantes rencontres, la route se poursuit pendant 4 jours, et 450km. Le trajet est plus éprouvant que dans le Sahara Occidental, mais je sais qu’au bout je vais avoir une récompense de taille ! Et pour cause, à Nouakchott Manu et Tom m’attendent avec un frigo rempli de bière belges !
A suivre ….
Chapitre 9: Le Sahara Occidental à 35km/h!
Nouadhibou, Baie de l’Etoile, J66
Une maison au bord de l’eau, une chambre et un lit avec des draps propres, des plats de poissons pêchés à 100 mètres de là, une chaleur supportable et une compagnie franco-suisse amicale. Pour savoir comment j’ai atterris dans ce semblant de paradis, revenons une semaine en arrière.
Je vous avais laissé à Tan Tan plage, J58. Déjà, c’était top pour commencer ma traversée du désert. Dans cette auberge-camping tenue par Christine une bretonne, j’y ai trouvé l’El Dorado : une bibliothèque remplie de Picsou Magazine ! Le rêve, en cuisinant, en dînant, en me brossant les dents et en petit-déjeunant, j’avale ces bandes-dessinées de Barks et Don Rosa qui ont bercé mon enfance. Difficile de décoller dans ces conditions, mais il faut y aller. La route jusqu’à Lâayoune, la prochaine étape, est longue, plus de 300 km.
Finalement, il est 9h quand je me décide à enfourcher mon cheval en alu pour partir conquérir ces étendues du « Far South ». Ciel couvert, vent de dos, température douce, je ne pouvais pas entamer le Sahara dans de meilleures conditions. Je vole, je surfe sur le bitume, et ce vent du Nord qui souffle sans discontinuer me porte en une petite journée à 135 km de là, au creux des dunes où je plante ma tente. Caché de la route par une petite Barkhane, la tente manque de s’envoler. Enfin, je peux passer du temps à étudier le ciel, magnifique. Je sors le livre que Paris et Catherine ont dédicacé et je pars à la recherche de Véga, de Pégase, du Cygne ou encore du… Scorpion. Heureusement, ce soir il est au dessus de moi, et pas sous mes pieds. Mission accomplie, je les ai tous trouvés, et je peux dormir tranquille, en me réjouissant d’une nouvelle journée dans le désert.
La route entre Tan Tan et Laâyoune, bien que décrite par mon guide Lonely Planet comme étant longue et monotone, m’émerveille. Dunes de sables gigantesques non loin de la route, bulldozers devant de temps à autre déblayer la route ensevelie à la manière de nos chasse-neige lausannois en plein janvier, Océan Atlantique à un jet de pierre à ma droite, cabanes de pêcheurs isolées, etc… Heureusement, je peux compter sur quelques haltes bien méritées, pour manger et me ravitailler en eau. Ainsi, je m’arrête manger une tajine à Tarfaya, petite ville de 5’000 habitants célèbre grâce à Saint-Exupéry. J’en pars à 13h30, Lâayoune se trouvant à plus de 100 km, je ne pense pas y arriver ce soir, mais là, coup de théâtre: vent ultra puissant en plein dans le dos! Je fonce! 35 km/h de moyenne sans efforts, j’arrive à Laâyoune en 3h30.
Sahara Occidental
La bande de terre aride et inhospitalière coincée entre le Maroc et la Mauritanie se nomme Sahara Occidental. Ancienne colonie espagnole, le Sahara fut laissé aux mains des marocains durant les années 70 alors que les armées du Front Polisario tentaient tout et n’importe quoi pour obtenir leur indépendance. Malheureusement pour eux, Hassan II, rêvant d’un Grand Maroc colonisa cette terre dès qu’elle fut désertée par les espagnols. À première vue, on se demande quel est l’intérêt d’occuper ce bout de désert aux apparences si pauvres. Il s’avère que le sous-sol Sahraouis est potentiellement très riche (uranium, phosphate et possiblement beaucoup d’or et de pétrole), et que ses côtes sont extrêmement poissonneuses. De plus, il abrite l’une des rares routes commerciales transsahariennes bitumées reliant le Maghreb à l’Afrique Noire. Bref, les « colons marocains » ne veulent pas lâcher l’affaire, et les sahraouis sont parfois victimes de discriminations, d’arrestations sommaires et de passages à tabac. La population locale est poussée en périphérie des rares villes du désert (Laâyoune compte tout de même 200’000 habitants!) et stockés dans des banlieues allant de l’habitat en briques aux bidonvilles les plus insalubres.
En Europe, j’avais entendu parler de temps en temps de la cause Sahraouis. Il y a quelques années, j’ai vu ces images des soulèvements populaires en plein cœur de la capitale, aussitôt matés par les forces marocaines. Pourtant, je me suis rendu dans ce pays sans trop savoir à quoi m’attendre. C’est vrai que chez nous, on entend plus parler du Kosovo, de la Palestine ou encore du Tibet. Finalement, je me suis très vite retrouvé plongé au cœur du combat que mènent les militants sahraouis pour l’indépendance de leur nation.
L’interview
Il y a plus d’un mois, à Valence, j’ai rencontré Ahmed. Ce jeune sahraoui est parti pour l’Espagne afin d’acquérir les outils, les contacts et les connaissances nécessaires pour mener à bien sa lutte pour l’indépendance. En l’espace des quelques minutes qu’a duré notre discussion, il a réussi à me résumer toute l’histoire de son peuple, il m’a fait part de ses convictions, de ses espérances. En partant, il me laisse ses coordonnées afin que je le contacte en arrivant à Laâyoune. Ainsi, le soir même de mon entrée dans un centre-ville bondé de 4×4 blanches de l’ONU, je vais manger avec lui et son frère dans un snack quelconque. Aussitôt, je me trouve plongé dans l’ambiance. On se croirait dans les films sur la résistance française durant la 2ème guerre mondiale. Ils s’assoient face à la porte, et ne la quittent rarement des yeux. Ils parlent bas, switchant de l’espagnol au français, en regardant si des gens les écoutent. Ils me demandent si je veux rencontrer et interviewer des « victimes des colons marocains ». J’accepte. Ahmed me contactera demain pour me donner plus d’infos. On se sépare, il est 22h30, je les regarde s’éloigner dans la nuit et je me demande si je les reverrais un jour (bon, ok, j’en rajoute).
Le lendemain, pas de nouvelles. Je tue le temps en partant à la découverte de la ville. Le centre est propre et semble plus riche que de nombreuses villes que j’ai traversé jusque là. Mais quelque chose m’interpelle : les gens avec qui je discute sont souvent originaires de Casa, de Rabat, ou d’Agadir. Mais où sont les Sahraouis? La réponse tombe très vite. A 15h30, mon téléphone sonne. Ahmed: « William, dans 3 minutes en bas de l’hôtel, on a une voiture! ». En un rien de temps, je me trouve à débouler dans les rues de Laâyoune en direction de la périphérie en compagnie de 7 autres personnes, serrés comme des sardines dans cette petite voiture. Ahmed me briefe : Je vais rencontrer une dame qui est devenue aveugle après avoir été battue par des policiers marocains. Ils passent chercher MN, jeune étudiante qui servira d’interprète anglais-arabe. A un croisement, Ahmed sort de la voiture en me lançant un « on reste en contact ». Je comprends donc la nécessité d’avoir une interprète, je ne pensais pas le trouver seul, sans Ahmed.
Dans cette voiture pleine d’inconnus, en route pour une direction mystérieuse, je me demande dans quel pétrin je me suis fourré. La voiture s’arrête devant un petit immeuble, et nous, MN, une autre fille et un homme, sortons de la voiture. Nous pénétrons dans l’habitation. Il fait très sombre, la salle dans laquelle nous nous rendons est recouverte de tapis et de petits matelas parsemés de coussins longent les murs. Une dizaine de femmes sont présentes dans cette pièces, certaines battent une pâte avec un fouet, d’autres font du thé : le terme « pièce à vivre » prend ici tout son sens. D’autres femmes, aux visages graves sont réunies autour d’une dame un peu grosse, avachie sur les banquettes, sont regard est vide, il ne suit personne des yeux : Sahna (ndlr : nom fictif), la victime! Tandis que la pièce se vide, mes compagnons et moi sortons le materiel: un spot pour éclairer le sujet, mon appareil photo posé sur mon petit trépied. Une dame s’installe à côté de Sahna, c’est sa soeur. MN et moi prenons place derrière la camera: l’interview peut commencer. Je sens que c’est très important pour tout le monde dans la pièce qu’un étranger fasse passer le message de leur lutte en dehors des frontières, je prend mon rôle de témoin-messager très au sérieux et tache d’avoir l’air le plus professionnel possible.
Malheureusement, je ne comprends pas tout ce qui m’est raconté. Apparemment Sahna se trouvait avec d’autres militants qui manifestaient dans le calme il y a 2 jours. Lorsque les policiers ont débarqués, ils ont passé à tabac tout le monde, sans distinction, hommes, femmes, enfants. Sahna aurai reçu plusieurs coups au visage, jusqu’à en perdre la vue. Ses amis l’ont bien amenée à l’hôpital militaire de la ville, mais quand les médecins ont appris ce qui était arrivé, une militante sahraouis battue par des policiers marocains, ils l’ont mise à la porte, en la traitant de menteuse, et en disant qu’elle fait de la comédie et qu’elle voit parfaitement. Cela fait donc 2 jours que la pauvre Sahna est ainsi livrée à elle-même, ne sachant pas si elle pourra revoir un jour. Son visage grave laisse paraître le découragement et une immense lassitude. J’essaye de trouver des paroles réconfortantes, elles sont vaines. Elle sourit enfin lorsque je pose en photo avec elle et qu’elle lève les deux doigts pour former un V: « Sahara Libre » me dit-elle…
Vers Dakhla
Le lendemain de cette aventure, je reprends la route. 520km jusqu’à Dakhla, autre grande ville du parcours. Le vent est encore de la partie, je pédale comme un fou, m’arrêtant le moins de fois possible pour ainsi profiter un maximum de ce coup de pouce d’Eole. Ainsi, je fais tout en roulant. Je mets en place le système pour écouter de la musique (très important!), je bois, je mange, j’enlève et remets mon t-shirt suivant les envies, je me mets de la crème solaire, je me coupe les ongles, je me filme, prends des photos, j’arrive même à lire en roulant!
Certes le vent me pousse, mais la route est longue et assez monotone. Ca n’entame pas mon moral qui est au plus haut depuis cette entrée dans le désert, mais je dois passer dans un état second pour faire passer le temps. Temps qui défile à une autre vitesse qu’à l’accoutumé. Tantôt, le temps passe lentement, tantôt à l’instar du vent, il file!
Les bornes kilométriques m’y aident. J’ai attrappé la route nationale 1 à la borne 800km. Petit à petit, je les ai toutes remontées jusqu’à 2011. Ainsi, je révise les grandes dates de l’Histoire : 1492, 1515, 1848, 1914…etc, puis arrivent les dates, plus récentes, qui correspondent aux années de naissances de proches, ou de moments clés de ma propre histoire. Je me fais le film de ma vie étape par étape, de kilomètres en kilomètres. Des bornes 1988 à 2001, je pense à mon enfance à Paris, et quand nous allions tous les week-end au Havre. Les moments passés avec mes grands-parents et les cousins, les fêtes de famille et les parties de foot chez mamie à Hermeville. Bornes 1996 et 2001, les basculements avec à la clé le départ pour la Suisse. Une vie à refaire, des marques à prendre: la vie de William, acte 2! Et dès 2000 les évènements plus récents: le collège, le gymnase, l’uni. Avec 2011, je me rappelle des moments de rigolade chez Athléticum avec les collègues, mais aussi les moments de rush lorsqu’arrivait les clients qui voulaient louer les skis. Je me replonge à la Sarraz, quand je travaillais chez Drafil, et que j’éventrais les vieux duvets pour récupérer les plumes et les mettre dans l’épuratrice. Ces souvenirs me font sourire : chaussures de skis et duvets, c’est bien la dernière chose utile dans ces contrées.
Sur ces mêmes bornes est inscrit la distance me séparant de la prochaine ville. Le nom de la ville est aussi écrit en arabe, du coup, je m’entraîne à reconnaître les caractères arabes. J’écoute la musique à fond! Passant des accords des touaregs électriques de Tinariwen à la folk hallucinée des Blacks Rebel, du hard énergique de Metallica aux mélodies envoutantes et calme de Sigur Ros. Je chante à tue-tête avec Renaud et les Ogres de Barback. Je suis fier, il ne pleut pas, c’est que je dois assurer ! En même temps , dans le désert…
J’etabli un nouveau record: 190 km ! La nuit m’empêche d’atteindre les 200 km, mais au barrage de police à l’entrée de la ville de Boujdour, je fais connaissance avec les occupants de la première voiture suisse rencontrée au Maroc : François et Philou. François vit entre Genève et Nouadhibou, il y a une maison (on y reviendra); Philou, de Chamonix, vient passer quelques semaines de vacances chez son pote, il n’en ai pas à son coup d’essai, il connaît bien le secteur.
Nous dormons dans le même hôtel, et François m’invite à passer quelques jours chez lui quand j’arriverai à Nouadhibou.
Deux jours plus tard, j’arrive à Dakhla. Entre temps, j’ai passé une nouvelle nuit dans le désert, dans un endroit somptueux. A 500 m de la route, au bord d’une falaise surplombant à la fois l’océan et une sorte de canyon gigantesque. Au fond, je peux apercevoir des pêcheurs et leur campement. Seul bémol, le vent manque de faire valdinguer une nouvelle fois la tente car le sol interdit tout encrage. Je la fixe donc solidement aux sacoches alourdies par des pierres et au vélo.
Dakhla
La baie de Dakhla est célèbre dans le monde entier. Magnifique, elle offre des spots de kitesurf qui attirent les riders du monde entier. Au loin, on peut voir les voiles se détacher sur l’horizon. Je passe une journée dans la ville de Dakhla, mais je n’y trouve aucun intérêt, à l’exception peut-être du fait que je me retrouve presque au cœur d’une émeute. Me baladant naïvement dans la rue, un type m’accoste et me dit de faire demi-tour en me montrant le bout de la rue, et me dit: « Là-bas, gens très mauvais, violence, tu dois pas aller là-bas, il n’y à rien à voir ». En effet, autour de moi les magasins ont tous fermé, les restos et les snacks aussi. Il est 14 heures, et moi qui voulais manger un truc, me voilà bien. Un snack n’a pas encore complètement fermé, il m’accepte à l’intérieur, et j’avale une tajine dans le noir, entre le frigo et les chaises empilées. Dans ce petit snack, les proprios veulent me cacher on dirait. Finalement, je regagne le camping à l’extérieur de la ville sans avoir aperçu les soi-disant émeutiers. J’apprendrais par la suite qu’il y a eu presque 15 morts, et que ces heurts ont étés provoqués par la défaite de l’équipe de foot locale !
A suivre…
Chapitre 8bis: …au Sahara!
Le Tizi N Test! Une référence! Ce col est connu partout en Europe pour qui a déjà vadrouillé au Maroc. A une centaine de kilomètres de Marrakech, il permet de franchir le Haut-Atlas et de verser dans la Vallée du Sous en direction d’Agadir, de l’Atlantique… et du Sahara!
Le Tizi
Après quelques kilomètres de descente pour rejoindre Asni, la route commence à serpenter. Serpenter, c’est bien le terme : elle longe l’Oued Jesaispluscomment sur des dizaines de kilomètres. Tantôt elle s’éloigne du talweg, monte sur le flanc d’une montagne sur 100 ou 200m, puis replonge vers cette rivière au cours quasi asséché. Ces montées et descentes successives sont fatigantes, et surtout, elle ne me font pas gagner d’altitude de manière significative. Vers 13h, je pense avoir fait une bonne approche. La montée finale ne doit plus être très loin, je m’accorde donc une pause-tajine dans un petit resto. 2euros la tajine et le thé : ça passe! Mais, quand je demande des infos au cuistot, il me dit: « Le col, 35km comme ça » (le « comme ça » est authentique, ils disent tous ça!). Et vlan, le moral en prend un coup, je vais encore pédaler un moment avant de voir à quoi ressemble la montée! Je reprends donc la route, et à une vingtaine de kilomètre du Tizi, je l’aperçois!
Oh, il n’a pas l’air si terrible comme ça. Mais attendons pour voir! La route n’est certes pas très pentue, mais elle serpente de plus belle, avant de s’engouffrer au fond des moindres vallées voisines, louvoyant au sein de toutes les combes du versant! Ces 20km dureront une éternité! Heureusement, 1) les paysages sont magnifiques! 2) Une voiture s’arrête et là je fais la connaissance de…
Oli, Austin, David and Rosie
Dans la montée, une voiture blanche s’arrête et 4 jeunes Anglais en descendent. Les présentations se font, et les similitudes entre mon cas et celui d’Austin sont frappantes! Parti il y a 40 jours en vélo de Londres avec un copain, il est arrivé à Marrakech où ses autres amis l’ont rejoint pour une semaine de vacances plus traditionnelle. De plus, Austin est, comme moi, Bachelier en Géographie depuis cette année, et a fait un camp de géomorphologie à Arolla! Pendant cette longue montée, ils m’attendront plusieurs fois, Oli me prenant en photo depuis la fenêtre de la voiture afin de garnir mon site de photo de moi en situation. Pour les 10 derniers kilomètres, ils prendront même un de mes sacs dans le coffre de leur voiture afin de m’alléger.
Il n’y a rien à faire, la route semble ne jamais vouloir s’arrêter de monter. Quand j’arrive à ce que je crois être le col, je réalise que la montée continue sur plusieurs kilomètres! Ces sortes de faux-cols me feront de faux espoirs plusieurs fois! Finalement, j’arrive au sommet du Tizi N Test en même temps que le soleil se couche. Je suis complètement mort, j’ai des frissons qui me parcourent le corps et je perds mon appétit (c’est pour dire!).
Heureusement, les Anglais m’attendent et sont à mes petits soins. Avec cette équipe, je passe une soirée très agréable dans le refuge du haut du col. Nous sommes les seuls pensionnaires, entassés dans un dortoir tout confort.
Le lendemain, la descente est divine! Arcade Fire à fond, je dévale les 30km de lacets en moins de deux. En bas, c’est l’heure des adieux, je me sépare des British qui vont vers l’Est.
Des camions et des scorpions
Enfin en route vers le vrai Sud! Je passe à quelques kilomètres d’Agadir et bifurque en direction de Tiznit, à 90km. Cette 54ème journée passée sur la route est chargée en émotions. Problème majeur avec ce nouveau tronçon routier: la route est étroite, si étroite que je fais ma première chute! Normalement, je reste sur la route coûte que coûte. Je ne vais pas me rabattre parce que Monsieur le camionneur n’arrête pas de klaxonner pour éviter de faire un petit écart sur la voie d’en face. Cette fois-ci par contre, je ne le sens pas. J’observe le camion qui arrive à tout allure grâce a mon petit rétroviseur. Il ne veut vraiment pas se décaler le con! Comme je sens qu’il va vraiment me frôler, je me mets sur le bas-coté, alors que je circule à vitesse de croisière. L’irrégularité soudaine du sol, ainsi que la bourrasque provoquée par l’appel d’air du semi-remorque me précipite face contre terre en moins de deux. Plus de peur que de mal: quelques égratignures au bras gauche et c’est tout. J’ai de la chance. Notons tout de même la préoccupation de deux automobilistes qui se sont aussitôt arrêtés pour savoir si je n’avais rien de cassé. Il n’y pas que des cons sur les routes!
Deuxième fait marquant: j’arrive réellement dans des contrées désertiques! A 30km de Tiznit,je plante ma tente dans le sable, entre des buissons d’épineux à quelques centaines de mètres de la route. Je suis en sandales, j’ai la joie de vivre et je secoue la tête comme un idiot en écoutant ma dernière découverte musicale (merci Marion!): Gogol Bordello! Je mange mon plat de pâtes les pieds dans le sable et prévois de passer un moment allongé à côté de ma tente pour regarder les étoiles (quel ciel!). Mais voilà… En mangeant, le faisceau de ma lampe frontale se pose sur une forme étrange à quelques centimètres de mon pied. Je me rapproche: UN SCORPION! La bouffée d’adrénaline! Je me lève la casserole à la main et sonde aussitôt les alentours. J’en distingue un autre à 1 mètre. Je ne vais pas plus loin, je me dépêche de remballer toutes mes affaires et part me réfugier dans ma tente. En m’endormant, je réalise à quel point j’ai été chanceux! A 10cm près et j’étais bon pour faire du stop pour aller à l’hosto!
Tiznit
Le jour suivant je ne fais que 30km. Je m’arrête au camping de Tiznit que je trouve fort sympathique. A la base, je ne voulais m’arrêter qu’une nuit, mais j’ai pris racine pour une deuxième nuit. Premier objectif de cette halte: me reposer car je n’ai pas arrêté depuis mon départ de Marrakech. Deuxième objectif: je dois prendre une décision. A Rabat, je n’ai pu obtenir qu’un visa de deux semaines pour traverser la Mauritanie, c’est suffisant. Le problème, c’est que celui-ci commence le 20 septembre et finit le 5 octobre. Il faut donc que je sois au Sénégal dans moins de trois semaines! Plus de 2’300km de route en 18 jours, c’est beaucoup trop, je vais devoir prendre le bus. Je décide de le prendre une première fois de Tiznit à Tan Tan, à environ 200km. Ainsi, je me trouverai directement dans le vif du sujet : en plein Sahara.
Ces deux jours passé dans le camping de Tiznit sont riches en rencontres et en bons moments! Les occupants des 4 camping cars français qui occupent la place se réunissent le soir pour l’apéro, pour le dîner, pour le déjeuner, pour les parties de pétanque, et à chaque fois je me joins à eux! Trois couples sur quatre sont retraités et Michèle et Alain nous invitent les deux soirs à passer la soirée « chez eux ». Roger, de la région parisienne, a un tatouage Johnny sur l’épaule. Pierre-Louis (ou était-ce Charles-Jean, Marc-Antoine? dieu sait comment il s’appelle, tous les jours ça changeait) a tout plaqué avec sa femme à 40 ans pour partir voyager un an autour de la Mediterrannée. Françoise donne des coups de coude à Dominique quand celui-ci s’emporte et dit trop de conneries. On boit, on rit, on part commander des pizzas à 5min des fermetures, on se fait un couscous dans un resto avec un bar clandestin derrière notre table, j’arbitre (hum) les parties de pétanque. Peu à peu j’entre dans l’ambiance et le départ n’est pas facile. Je n’avais jamais expérimenté des vacances en camping avec des pros du campingcaring. Peu importe les a priori que certains peuvent avoir, les moments passés avec ses voisins d’un jour sont mémorables!
Sahara…
Ce soir, je suis arrivé a Tan Tan en bus. Drôle de sensation que de « couper » le fil ininterrompu que j’avais déroulé en pédalant à travers l’Europe et le Maroc. Pour la première fois, je transgresse le principe du fair means et prend un moyen motorisé pour faire un saut dans l’espace et avancer de manière significative sur mon itinéraire. Je ne le regrette pas car je n’ai pour l’instant pas vraiment le choix. En tout cas, les 25 premiers kilomètres parcourus à travers le désert m’annoncent la couleur: vent, camions, route étroite et rectiligne. Mais chose étrange: il fait « froid »!!!! Pas plus de 25-30°C: le pied!
Prochaine étape, la capitale du Sahara Occidental: Laayoune.
Chapitre 8: Du Toubkal…
Retour à Marrakech. Ces jours de repos m’ont fait du bien, je suis motivé, mais je ne me fais pas d’illusion, je sais qu’à tout moment je peux replonger dans l’ennui. A moi de trouver les moyens pour éviter que ça se reproduise!
Tout d’abord, en route pour le Haut-Atlas! Durant la première partie du voyage, j’ai réalisé que j’avais besoin de faire des marches; même si je ne fais pas de randonnées très régulièrement en Suisse, je sens qu’ici ça me manque.
Ainsi, de Marrakech à 450m je monte jusqu’à Imlil, 1’740m, petit village au départ des principaux treks que le massif propose. L’ambiance montagnarde me plait, même si on sent l’influence citadine de Marrakech. Je plante ma tente dans le jardin du refuge du club alpin…français. Tenu par une Française d’une soixantaine d’années, il s’apparente plutôt à une auberge de jeunesse. Le vrai refuge, toujours du CAF, il est là, en-haut, dans les rochers à 3’200m. Le lendemain, 1’400m plus tard, j’y arrive. Il est midi à peine. J’ai bien marché sur ce chemin ou cohabitent muletiers et trekkeurs européens. Heureusement qu’ils cohabitent car ces mules transportent toutes les affaires de nombreux marcheurs qui partent trekker plusieurs jours en compagnie d’un guide. Pour avoir rencontrer quelques uns de ces petits groupes, j’en arrive à la conclusion que ça doit être bien sympa d’évoluer ainsi, et de découvrir l’Atlas avec l’aide d’une personne qui en connaît un rayon sur l’histoire, la géographie et les us et coutumes de la région.
Au refuge, le vrai (3’200m), je dépose mes quelques affaires (puisque je n’ai qu’un petit sac de 10L avec moi, je n’ai quasiment rien), je mange un peu et commence à me prélasser et à discuter avec les autres trekkeurs. Il est 14h et je décide quand même d’aller explorer la vallée, et tenter d’apercevoir le Lac d’Ifin depuis un col. Je ne pars qu’avec mon appareil photo, de l’eau et un pull. Très vite je me rend compte que j’ai pris le mauvais chemin: je suis en train de monter vers le Toubkal! Tant pis, je me le réservais pour le lendemain, mais si dieu le veut… »Inch Allah »!
J’entame donc la montée dans le pierrier, et… ça glisse! Peut importe ce que peut dire Murielle, grande militante anti-bâtons de marche, ici ils auraient été utile!
J’arrive au sommet vers 16h00. Je suis a 4’167m et je suis parti d’Imlil 8 heures plus tôt à 1’700m. En 6 heures de marche les 2’400m de dénivelés je les sens. Le manque d’oxygène me monte à la tête et j’ai un peu l’impression d’être sur un nuage. Comme qui dirait: « c’est un peu comme avoir fumé un demi-joint en prenant du poppers ». La vue est superbe. Ça vaut vraiment le détour! Je vois des montagnes arrondies, basses et très jaunes à l’Est, et des géants plus anguleux à l’Ouest. Au Nord on peut deviner Marrakech dans les nuages, et au Sud… encore des montagnes. Pour le Sahara il faudra attendre un peu!
J’arrive à rentrer juste avant la nuit, et surtout juste à temps pour le repas! C’est marrant, on se croirait dans un refuge au cœur du Valais: les cartes sur les murs, le piolet au dessus de la cheminée, mais ce soir on mange…de la tajine! On ne trouve pas des roestis ou des croûtes au fromage partout! 😀 Durant le repas je fais connaissances avec deux trios de Polonais et de trois jeunes Marrakechis venus 4 jours en vacances dans l’Atlas. Avec eux je discute pas mal. Ils parlent assez bien français et l’un deux est même allé quelques mois en Bretagne pour faire un stage d’agronomie. Dans le dortoir en revanche, je tombe sur trois Irlandais de 60 ans. Ils ont fait le Mt-Blanc et le Kilimanjaro, et cette année c’est le Toubkal. Eux, ce sont des vrais, le brandy coule à flot!
Le lendemain, après une nuit agitée et courte (pleine lune?), je repars vers le col d’où je peux apercevoir le fameux Lac d’Ifni. Il parait que sa couleur est exceptionnelle. Du haut du col, à 3’600m, je l’aperçois, mais rien de si exceptionnel. Je pense qu’il faudrait s’en rapprocher et s’y baigner pour apprécier.
Je redescends donc d’une traite jusqu’à Imlil. Les jambes en coton après 2’000m de descente, j’arrive dans le village et entend « William, William! » Mes trois amis marrakechis du refuge m’invitent à leur table et ensemble nous partageons une tajine à la manière où en Suisse on aurait partagé une fondue après une jolie course en montagne. Il faut que je prenne des forces car demain je reprends la route en direction du fameux col Tizi N Test….à suivre, tatatam!!
Chapitre 7 : Marrakech, balle de Break
Rabat à beau être la capitale, les rues de la médina sont relativement calmes, et l’excitation de Tanger, Casablanca ou de Marrakech semble ne pas atteindre cette ville de 1.5 millions d’habitants.
La spécialité de la partie de la médina dans laquelle je loge est les DVDs pirates, les fausses Converse et….des pigeons en plastique ! En effet, les « commerçants sans magasin fixe » (ceux qui installent un drap sur la route et qui vendent leur marchandise en plein milieu du passage) proposent des petits pigeons sur roulette qu’on peut remonter et qui roulent de manière aléatoire pendant 30 secondes. J’ai du mal à imaginer un touriste parisien, voir vénitien, achetant une réplique de leurs rats volants pour le ramener dans leurs cités !!
Remise en question
Mon séjour à Rabat a deux objectifs : faire le point sur ma motivation et obtenir un visa pour la Mauritanie. Cela fait depuis l’Espagne que le plaisir diminue jour après jour, et je n’arrive pas à profiter pleinement de ce qui s’offre à moi. Moralement je fatigue et je suis trop sur la défensive. A chaque fois qu’une personne souhaite se montrer généreux, je suis excessivement méfiant, au point de froisser la personne. En prenant du recul, je me rends compte que je n’ai pas de plaisir, et que j’intègre parfaitement le type de voyageur que je n’aime pas : bouledogues boudeurs, renfermés sur eux-mêmes et fuyant les gens. Je veux casser cette tendance, reprendre en main les rênes du voyage, quitte à revoir quelques détails et adapter mon itinéraire en fonction de mes envies.
Je décide ainsi de rejoindre Marrakech afin de sauter dans le dernier vol Easyjet possible avant d’entrer dans le désert. Certes, j’hésite un peu en me demandant ce que les gens penseront en me voyant rentrer après seulement 50 jours de vélo, mais je me dis que cette année, je la fais pour moi et pour personne d’autre. C’est moi qui ai choisi de faire ce voyage, et c’est à moi de l’adapter pour qu’il corresponde à mes envies et à mes attentes. Je dois faire en sorte de trouver le maximum de plaisir et si cela induit un retour prématuré, et bien ainsi soit-il ! Et puis, comme dit mon ami Paris : en passant Marrakech je passe le point de non-retour, « c’est-à-dire le premier point hors de portée d’Easyjet ». Si le coup de blues continue d’empirer, il ne me sera plus possible de rentrer en Suisse sans mettre en péril mon budget et ainsi le reste du voyage.
Rien de mieux qu’une semaine de vacances à la maison, profiter de mon oreiller, de mon chat, mais surtout de ma famille et de mes amis qui, à peine deux mois après mon départ, commencent à me manquer. Entre Rabat et Marrakech, j’effectue une liste des choses que je veux faire : un foot avec mon frère dans le jardin, des grillades avec de la VRAI viande, boire des bières fraîches en mangeant des pizzas avec Aru, Fred, Fabien & Co, un café avec Jean et Greg, manger une fondue et faire une marche en montagne avec les Géos, monter dans une grue de chantier avec Benoît (qui remplace Paris ;-)), faire du parapente avec une pro (Marion), rentrer à pas d’heures en stop avec Cath, et bien d’autres trucs. La perspective de ces petits plaisirs me remettent aussitôt d’aplomb.
Je me demande si ce court retour en Suisse me permettra d’acquérir la confiance nécessaire pour continuer les 10 mois tout seul. Un ami, Benoît, est motivé pour me rejoindre en Asie du Sud-Est. Ainsi, si le destin le veut, nous effectuerons une traversée Bangkok-Hanoï sur une durée d’environ un mois. Ce projet nous tient à cœur, et j’espère qu’il sera possible de faire ce tronçon en sa compagnie.
J’hésite aussi à varier un peu le mode de transport. Pourquoi ne pas voyager en Amérique du Sud avec uniquement un sac à dos et pérégriner pendant trois mois en Amérique du Sud en bus, en auto-stop et à pied ? En voyageant temporairement à la mode « backpacking » j’augmenterai ma flexibilité, et par conséquent, je pourrai peut-être me joindre à d’autres voyageurs (! avis aux candidats !). Finalement, je préférerai découvrir les Andes à pieds plutôt qu’en vélo, ne serait-ce pas l’occasion ? Durant cette semaine à Lausanne, je vais étudier cette option.
Bref, revenons à Rabat, et plus précisément à….
L’ambassade mauritanienne
Le second objectif de ces deux jours à Rabat est d’obtenir un visa à l’ambassade mauritanienne pour traverser le pays le mois prochain. Ainsi, le jeudi 25 août j’arrive aux abords de l’ambassade.
Dans une rue tranquille du quartier des ambassades se trouvent déjà une vingtaine de personnes attendant leur tour, un questionnaire et leur passeport à la main. Nom, prénom, adresse dans le pays d’origine, adresse de l’hôte en Mauritanie, raisons de la visite, date d’entrée prévue, date de sortie prévue, etc. Il faut savoir inventer : je ne connais personne pour m’accueillir, je ne sais pas non plus combien de temps il me faudra pour arriver devant la frontière. Heureusement, il y a les habitués qui aident les novices. Je rencontre Hélène, une jeune marseillaise qui à vécu plusieurs mois en Mauritanie et qui y retourne pour les vacances. Durant cette journée devant l’ambassade je rencontre différents types de personnes :
Il y a ceux qui descendent une fois par mois en Afrique Noire avec des voitures ou des minibus surchargés de différentes bricoles. Jean-Pierre par exemple descend deux vélos de la poste ! Il connaît les routes sahariennes parfaitement pour les avoir empruntées pendant presque quarante ans. C’est le plus naturellement du monde qu’il nous propose un verre de Côtes-du-rhône en brique avec des glaçons! Peu importe la qualité du vin, ça passe ! A ces gens là, il leur faut 2-3 jours pour atteindre la Mauritanie depuis Rabat, Il m’en faudra 2-3 semaines.
Il y a ceux qui sont très pressés d’obtenir leurs visas et qui ne peuvent se permettre d’attendre jusqu’à lundi (on est jeudi) pour le recevoir. Samir, un hispano-égyptien vivant au Burkina Faso redescendait d’Europe avec son pick-up rempli de marchandises sensées garnir les étales de son magasin à Ouagadougou. Arrivé à la frontière mauritanienne, il se rend compte qu’il n’est plus possible d’effectuer le visa sur place. Une course contre la montre de 2’000km s’en suit : il gare son pick-up au bord de la route, un copain avec une voiture plus rapide vient le chercher pour le ramener à Dakhla à 500km de la frontière où il prend un avion pour Casablanca. Il saute alors dans un train et arrive à l’ambassade qui lui apprend qu’il devra patienter encore 4 jours (au lieu de 2 jours à cause des jours fériés) pour obtenir le fameux visa. Tous les tours de passe-passe sont alors permis pour tenter de briser les délais administratifs: dizaines de coups de téléphone à des connaissances qui ont elles-mêmes de vagues contacts au sein d’une quelconque ambassade dans un autre pays et qui, peut-être, connaissent l’ambassadeur à Rabat, bakchichs auprès de magouilleurs connaissant soit disant des fonctionnaires mauritaniens, prières en arabe, français, espagnol, anglais, etc.
Et puis, il y a les Africains, les vrais : les Nigériens, les Sénégalais, les Burkinabés, à qui on doit traduire le questionnaire s’ils ne parlent qu’anglais. Leurs sympathie et leur bonne humeur donnent déjà un avant goût de l’Afrique subsaharienne !
Ces instants passés sur le parvis de l’ambassade sont si riches que j’y reste de 9h à 15h. Sur le chemin du retour, je me fais rattraper par Mohammed. Un jeune Mauritanien en costar satiné et aux sonneries de portable kitch à mourir ! Il était lui aussi à l’ambassade et propose que l’on partage un taxi pour le centre-ville. J’accepte, mais ce que je n’avais pas compris (il parle très mal français) c’est qu’il voulait faire une escale à l’hôpital pour faire une visite auprès de je ne sais qui. Je me retrouve ainsi embarqué dans les couloirs d’un hôpital marocain pour rendre visite à un inconnu. Après 20minutes de recherche, nous arrivons dans la chambre d’un enfant de 10 ans. Son père arrive peu après, et il parle bien mieux français. Je comprends enfin que son fils est traité à Rabat pour son épilepsie et que Mohammed est un compatriote venu leur rendre visite. En revanche, ce que je ne comprends pas c’est la raison pour laquelle je suis ici. Après avoir bavardé quelques minutes, le père me raccompagne chaleureusement devant l’hôpital où je reprends un taxi pour le centre.
Rabat-Casablanca-Marrakech-Rabat-Marrakech-Genève
Je dois attendre mon visa pendant 4 jours. Je décide de quitter Rabat et de rejoindre Casablanca, puis Marrakech à 350 km au sud. Mon cours passage à Casa me permet de rencontrer les premiers cyclistes marocains de mon voyage. Ceux-ci me guident à travers les routes et les rues de la ville, me montrent la Mosquée Hassan II (l’une des plus grandes du monde avec un minaret de 122m !) et me conduisent jusqu’au camping situé au bord de la mer. Le lendemain, je rencontre une collègue marocaine de mon beau-père : Mahat. Elle me fait découvrir une autre facette du Maroc. Exit les médinas surpeuplés et les souks ultra-animés. Un tour de la ville dans une voiture climatisé (trop bien, je devrais l’installer sur mon vélo!) me permet de découvrir un Maroc plus moderne, occidentalisé, plus riche. Toutes les grandes marques ont leurs magasins, et Mahat m’invite même dans la boulangerie Paul ! Je déguste de bons sandwichs de chez nous, à la différence que l’indétrônable Jambon-beurre est remplacé par du « jambon de dinde-beurre ».
La route entre Casa et Marrakech est rectiligne et traverse des paysages de plus en plus secs et arides : le désert approche ! Les températures supportables jusqu’alors dépassent les 45°C. La route qui disparait dans le lointain semble onduler légèrement à cause de la chaleur. La route est vivante, bouge, et les voitures qui me dépassent mettent plusieurs minutes avant de disparaître de mon champ de vision. Pourtant, les 250km me séparant de Marrakech sont avalés en un jour et demi : vive le vent quand il est de dos ! Je finis pour la première fois une étape (de 145km, s’il vous plaît !) avec une vitesse moyenne de 20km/h. Enfin !
Après ces 250km de pseudo-désert, j’atterris dans une sacrée ville ! La place Djema El-Fnaa de Marrakech est véritablement le poumon du centre-ville et offre de nombreuses scènes toutes plus insolites les unes des autres à qui s’assied à la terrasse d’un café pour boire un thé à la menthe. Montreurs de singes, charmeurs de serpents, dizaines de carrioles vendant du jus d’orange, groupes de touristes sortant du Club Med voisin, trekkeurs revenant de deux semaines de marche dans l’Atlas, etc. Je reste dans un petit hôtel à proximité de cette place pendant deux nuits. 2 mètres sur 3, pas de fenêtres, sols dégueux : dans cette chambre je passe de bon moments à me réjouir de mon retour imminent en Suisse. Malheureusement, j’ai des difficultés à trouver le sommeil, du coup je prends des dizaines de photos de ma personne qui sont publiées sur Facebook dans l’album intitulé « Délires psycho-insomniaques à Marrakech ». No comment…
Le lundi, je prends le train pour retourner à Rabat : en 5 heures défilent les paysages que j’ai traversé quatre jours durant. J’y récupère mon passeport à l’ambassade Mauritanienne et je recroise les personnes rencontrées quatre jours auparavant. J’apprends que Samir a réussi à obtenir son passeport le jour même. Je me demande si sa voiture l’attendait toujours dans le désert ! Je retombe aussi sur deux jeunes Anglais. Ils sont partis il y a quelques jours d’Angleterre au volant d’une Jeep dans le but de rejoindre le Sierra Leone d’où ils retourneront au pays pour la rentrée universitaire de septembre. Comme ils se rendent à Marrakech, je me joins à eux, et c’est dans la bonne humeur que j’effectue ce trajet pour la troisième fois, dans un troisième mode de transport.
Finalement, le Jeudi 1er septembre à 8h, je monte dans l’avion pour Genève. En trois heures je parcoure les 3’333km qui me séparent de la maison. Le contraste est aussitôt saisissant : la verdure, la propreté, etc. Je peux me balader devant les kiosques de la gare et de l’aéroport de Genève, en regardant les sandwichs et les magazines, en toute tranquillité. Ici, je ne risque plus de me faire harceler par les vendeurs !
Je finis ces lignes à J-2 du retour. Revoir mes amis et ma famille m’a fait du bien. Tous les bons moments passés cette semaine m’ont redonné envie de continuer, et c’est avec beaucoup plus de motivation que je vais aborder ces milliers de kilomètres dans la fournaise du désert. Le fait de changer de plans pour l’Amérique du Sud et l’Asie du Sud-Est m’enthousiasme énormément, et me donne envie d’aller de l’avant. Espérons que ça continue ainsi !
PS: Pour les photos, je vous donne rendez-vous sur la page facebook intitulée 20kmh.net – Tour du monde à vélo
Chapitre 6 : « Eh m’sieur, ça va ? »
Tnine-Serafah
Je quitte donc Chefchaouen avec le sourire, en espérant que le moral va rester au top. La route que j’empreinte traverse des régions très peu visitées (qui est déjà allé à Ouezzane, ou à Tnine-Serafah ?), et partout autour de moi se trouvent des bergers (enfants ou vieillards) accompagnés d’un petit cheptel d’une vingtaine de moutons. Tous me saluent avec le sourire et des « Eh m’sieuuuuh, ça va ? » amicaux fusent autour de moi. Lorsque je m’arrête pour acheter à manger dans une petite ville, les commerçants s’inquiètent de mon itinéraire, demandent d’où je viens, et me vendent leurs produits pour la première fois à des prix raisonnables que je n’ai pas besoin de négocier ! La gentillesse des gens couplées aux beaux paysages que je traverse font que je suis de bonne humeur !
Je pédale jusqu’au soir et je me dis qu’au coucher du soleil, je m’arrêterai dans un quelconque resto pour y manger de la Harira, la soupe de lentille très consistante, parfois agrémentée de viande et de pois chiches que tout le monde mange à la fin du jeûne. Ainsi, je débarque dans un café d’une station service après 100km de route. Je m’installe à une table et attend tranquillement l’appel des minarets signifiant qu’on peut commencer à manger. Mais j’ai mal choisi mon endroit, ce n’est pas un restaurant mais juste un café ! Heureusement, le gérant ainsi que 2-3 de ses amis ou collègues m’invitent à leur table et je mange en leur compagnie une très bonne Harira accompagné de plusieurs petits plats à partir de viande et de pommes de terre ainsi que de dattes et de Chebakia (les fameuses friandises au miel que je mange à longueur de journée).
Bien sûr, quand je veux repartir, il fait nuit. Après quelques kilomètres pour sortir de cette petite agglomération, je sors de la route pour essayer de trouver un endroit discret pour planter ma tente. Alors que je pense avoir trouvé un endroit compatible avec mes attentes, deux personnes s’avancent vers moi. Je leur demande si ça les dérangent que je campe ici. Je ne comprends rien à ce qu’ils me disent, mais ils insistent pour que je les suive : Inch Allah, j’y vais. Nous nous enfonçons dans la nuit noire, en nous éloignant de la route. Après quelques minutes de marche, nous arrivons aux abords d’une maison. Ils m’invitent alors à pénétrer dans la cours intérieur où une femme lave du linge, où un enfant de 1 ou 2 ans gambade et ou deux chiens semi-sauvages aboient sans discontinuer. Apparemment, ces deux hommes m’invitent à passer la nuit dans leur demeure, et à la lueur d’un lampion, je découvre leurs visage et comprends enfin leurs noms : Badr, Norde. Ils sont frères, ont une trentaine d’année, et ne parlent pas un mot de français, d’anglais ni d’espagnol. Aussitôt, ils insistent pour que je m’asseye dans la salle principale : une longue pièce de sept mètres sur trois de large bordée de coussins ou de couvertures et avec une armoire pour seul et unique meuble. Aussitôt, un troisième frère, Driss qui est l’aîné, arrive avec un plateau-repas digne des grands restaurants : Harira, petits poissons frits qui se mangent comme une glace-esquimau en les tenants par la queue, salade verte et tomates incroyablement bien assaisonnée. Je suis très touché par leur gentillesse ! Ils insistent pour que je mange tout, malheureusement ce deuxième dîner consécutif est plus difficile à caser dans mon estomac. J’invoque des problèmes intestinaux pour justifier le fait que je ne mange pas tous les petits poissons. Je tente de leur proposer quelques dattes et Chebakia, mais ils ont déjà mangé, et se contentent de me regarder. Pendant ce temps, le petit Mohammed, le fils de Driss, s’est soudainement endormi face contre terre. Quand on le découvre ainsi à nos pieds, on éclate tous de rire, et Driss sont père se charge d’aller le coucher.
Pendant tout le repas, Badr, Norde et Driss ne disent rien, mais quand j’éloigne le plateau, la peau du ventre bien tendue, commence alors un dialogue hasardeux, fait de sourires, de gestes et de 2-3 mots arabes, français et espagnols prononcés en vain pour essayer de faire passer un message que l’autre fera, par politesse, mine de comprendre. Heureusement, j’ai un livre pour apprendre l’arabe qui comporte un petit lexique : « L’arabe pour les nuls ». Je sors mon album photo comportant les photos de ma famille et de mes amis et les leur présentent grâces aux quelques mots tirés de ce bouquins. Badr porte un maillot du FC Barcelone (très populaire dans toute cette partie du Maroc : environ un enfant sur trois que je croise porte un maillot de cette équipe !), du coup on prononce les noms des stars barcelonaises que sont Messi, Iniesta, Villa et Xavi, on rigole en évoquant la coiffure de Puyol, et on fait des grimaces en évoquant le Real de José Mourinho et de Ronaldo. L’avantage du foot, c’est qu’on peut en parler dans toutes les langues !
Finalement, je me couche par terre sur mon tapis de sol, couvert par les couvertures mises à ma disposition. Alors que je suis installé bien confortablement, Badr et Norde reviennent dans la pièce avec un bouquet de Cannabis, qu’ils trient et réduisent en poudre à quelques dizaines de centimètres de ma tête mais en silence. Dans le rif marocain, la culture du cannabis est une affaire de famille !
Kenitra
Les adieux avec Badr sont émouvants. Je suis touché par le sens de l’accueille de cette famille qui n’a ni électricité ni eau courante. Ils m’ont acceptés comme un des leurs, et ne m’ont rien demandé en échange.
Je reprends la route en direction de Rabat. Les vendeurs ambulants sur le bord de la route sont toujours là, mais la marchandise change. Des figues de barbaries, je passe carrément aux poulets et aux dindons vivants attachés en ligne à une petite corde. En plein soleil toute la journée, ils attendent d’être sélectionnés par un acheteur qui les feront figurer au menu du souper du soir.
Ce même soir, je décide de dormir à 40km de Rabat dans une ville quelconque : Kenitra. Je dégote un camping désertique, peuplé de chats errants, de trois bergers allemands, et d’un touriste sexuel fort sympathique ! En effet, je fais connaissance de Jean-Yves (n.d.l.r : prénom connu de la rédaction), 66 ans, qui vient de passer six mois cette année au Maroc à rendre visite à ses copines de vingt ans réparties entre Tanger et Agadir. « Je suis un peu comme les marins : une dans chaque port ». Il me raconte sont repas de la veille avec sa copine de dix-neuf ans, ainsi que les ébats qui ont suivit. Selon lui, les marocaines ne sont pas aussi prudes et réservées qu’on pourrait le croire, et il parle en connaissance de cause !
Rabat…
La ville de Rabat constitue un point crucial dans mon voyage en Afrique du Nord. C’est en effet dans cette ville que je dois acquérir mon visa pour la Mauritanie, et c’est aussi là que je prends une décision surprenante aux yeux de beaucoup de gens : rentrer en Suisse pour quelques jours. A suivre dans l’épisode 7 !
PS: Pour les photos, je vous donne rendez-vous sur la page facebook intitulée 20kmh.net – Tour du monde à vélo
Chapitre 5: Maroc: « Psssst Dirhams? »
Un dernier café glacé en terre européenne et hop je saute dans le bateau Tarifa-Tanger en 35min: à peine le temps de se préparer mentalement.
Et en effet, cette traversée rapide me propulse sur le continent Africain sans que je me sois réellement préparé à parer les coups, ou plutôt les « coûts »! A peine débarqué, je cherche un hôtel pour mettre à l’abri mes affaires et partir à l’exploration de la ville. Je passe de la ville des surfeurs In et cool à une médina surpeuplée, très colorée, et en bien des points me rappelant les bazars de Calcutta. Le problème, c’est que je suis un pigeon. Je suis un porte-feuille sur patte malgré moi, et j’ai l’impression de n’être à l’abri nulle part…
Tanger
A cause des 2h de décalage horaire, il est 10h du matin quand j’accoste, j’erre donc dans la ville pendant toute une après-midi et une partie de la nuit et je me fais donc pigeonner par le premier guide venu. Arrivant tout juste d’Europe, je me dis qu’il serai pas mal de prendre la température du pays avec l’aide d’un professionnel. Ainsi, j’accepte les propositions d’Abdul Aziz, guide depuis 43 ans, connaissant tous les beaux coins de la Casbah, la partie fortifiée et « riche » de la Médina. Aussitôt je lui demande son prix pour une heure de visite, je me dis que celui-ci ne doit pas excéder les 50 ou 60 dirhams, soit 5 ou 6 euros: Je rêve. Dans un premier temps il me dit que je peux donner ce que je veux, que c’est le coeur qui doit parler en fonction de s’il a aimé la visite, s’il apprécie le travail bien fait…etc. Je me crois tranquille et passe une heure et demie très sympathique à m’enfoncer dans des ruelles inexplorées de la Casbah: maison de Matisse, William Burroughs, Paul Bowles, ruines d’un ancien palais (« endroit secret, interdit au public, je ne montre qu’à toi! ») surplombant la mer ainsi que toute la Médina. Et à la fin de cette super visite, son ton mielleux change d’un coup, et d’une voix presque glaciale il me dit: « 60 euros s’il te plaît. » Alors ça c’est la meilleure! mon coeur il dit pas du tout ça! En plus j’ai pas 60euros sur moi! Il se propose alors de m’amener à la banque! Finalement, en colère contre lui, mais surtout contre moi (après tout, il ne fait que sont travail, c’est moi qui ne suis pas à la hauteur des négociations), je lui donne 25euros.
J’assiste aussi à la rupture du jeûne. Ce moment de la journée est, je trouve, très intéressant à regarder. A 19h, la tension est à son comble. Souvent, on peut entendre des cris, et parfois, il y a des batailles en pleine rue. Un soir, j’entends hurler : « WHOLA RALALHAMAHALE VIOUK TE MANIOUK » (ou un truc de similaire)! et deux hommes tentent de se jeter dessus pour je ne sais quelle mésentente. Heureusement, les amis des deux parties font équipe pour tenter de séparer ces deux loups enragés. Ce type de scène se reproduit régulièrement. Mais ce moment là de la journée est passionnant pour autre chose. Durant les 20min qui précèdent la rupture, il y a dans la ville une impatience qui atteint son paroxysme. Les gens marchent vite, nombreux sont ceux qui portent un petit sac en plastique contenant deux ou trois baguettes de pain, des dattes, et quelques sucreries. Un soir, un homme me lance avec un grand smile: « encore 35min et je peux manger! » et puis s’en va (il arrive quand même à me diriger vers un vendeur de tapis berbères en ce court laps de temps. A H-20min, les rues sont bondées, les gens rentrent chez eux, les commerçants sortent des micros-tables ainsi que des minis bancs. H-5, les rues redeviennent calmes, les bols de soupes sont posées sur les petites tables, le verre de lait est là, la datte, premier aliment à être mangé, est posée sur une petite assiette, et là, c’est le Top: Les minaret lancent à l’unisson un Allaaah Akbaaar libérateur. Après un court moment de recueillement, tout le monde trouve sa place près d’un bol et mange religieusement après plus de 15h sans manger ni boire. Je suis étonné de constater que personne ne se goinfre, et qu’à ce moment-là de la nuit, beaucoup ont l’air de se contenter de plusieurs bols de cette soupe très consistante.
Tetouan
Le lendemain de mon arrivée à Tanger, je prends déjà la route en direction de Tetouan. Seulement 60km sont au programme, mais je ne me sens pas dans mon assiette. Je ne me sens pas trop en sécurité, je me sens vraiment comme un étranger. J’ai déjà eu ce genre d’impression, mais jamais en étant seul. C’est un sentiment est très handicapant: je ne sais pas comment aborder les gens, je n’arrive pas à négocier, je ne suis pas en confiance. Une halte à Tetouan dans une pension familiale s’impose donc, et c’est très gentillement que cette famille (hébergeant une dizaine d’autre personnes) m’invite à partager leur dîner. Trois femme, deux ados, deux fillettes et 1 jeune adulte parlant français et servant de traducteur quand bon lui semble. Ils sont tous vite repus, et le pain et les friandises que je leur propose semblent être de trop malgré le fait qu’ils en prennent un peu par politesse. Premier repas avec une famille marocaine et j’espère que d’autres suivront bientôt!
Chefchaouen
Deuxième essai à vélo, ça ne marche pas. Même si les paysages sont magnifiques dans cette partie du Rif marocain, je fatigue et surtout j’aimerai bien voyager avec une autre personne. Pour remédier à ce coup dur, je décide de faire une halte plus longue dans la superbe ville de Chefchaouen. L’auberge dans laquelle je m’installe me met tout de suite à l’aise: une grande salle commune tout en bleu, avec des petites tables et des chaises aux gros coussins. Je partage ma chambre avec un Barcelonais et nous discutons littérature française (Madame Bovary forever! ;-)! Puis je fais la connaissance de deux jeunes luxembourgeoise avec qui je vais manger une tagine. Bref, je me mets gentillement au bain en compagnie d’autres personnes dans cette ville superbe, très calme et ou je peux faire progressivement connaissance avec les marocains et leur culture. La stratégie semble s’avérer efficace car après deux journées passées dans cette ville, j’ai bien plus confiance en moi et me sens près à attaquer les centaines de kilomètres de routes qui me séparent du désert.
La ville de Chefchaouen est vraiment magnifique. Bien plus petite que Tanger et Tetouan avec ses 35 000 habitants, les gens sont plus relax et moins agressifs. On y croise pas mal de touristes, mais toujours par petits groupes dispersés de 2 ou 3 personnes. Mais ce qui rend Chefchaouen si belle, ce sont ses murs. Dans la Médina, toutes les maisons sont recouvertes de chaux blanche et peinte en bleue sur un à cinq mètres de haut. Les bleus changent selon les rues, on se croirait dans le ciel – ou dans la mer. Je m’apprête à quitter la ville, mais j’espère y retourner un jour, plus longtemps, pour découvrir les autres charmes que cette ville à offrir…
Pour ceux qui veulent voir des photos, je vous conseille de vous rendre sur la page facebook intitulée: « 20kmh.net – Tour du monde à vélo ». Je les publierai généralement par ce biais à l’avenir.